J’ai décidé d’arrêter d’acheter des livres sur Amazon.com, pour cause de comportement GAFAïque rédhibitoire, c’est-à-dire suffisamment dommageable pour justifier la rupture d’une relation.

J’avais pris l’habitude depuis quelques années, pour acquérir un livre que j’avais repéré ici ou là (presse papier, radio, web, conversation amicale, et.) de passer par Amazon. Je tape le nom du titre, même approximatif, je peux voir la couverture, je saisis mes coordonnées postales et bancaires et je récupère le livre trois jours plus tard dans ma boîte aux lettres. C’est rapide. Ça ne m’empêche pas d’aimer flâner dans les librairies sauf que, quand je cherche un titre précis, je suis en général déroutée par le plan de classement des librairies (il faut alors faire la queue pour demander dans quel rayon ça se trouve) ou bien le livre n’est pas disponible. Avec Amazon, je clique sur le site, je trouve, je paie, je reçois le livre, terminé. C’est efficace et confortable pour une femme pressée.

Mais il y a une contrepartie. Une contrepartie rédhibitoire.

Sur la base de mes précédents achats, Amazon m’écrit motu proprio : « Vous avez aimé Journal d’une femme de chambre, vous aimerez certainement Mémoires d’une femme de ménage »…

Cette prétention d’une entreprise commerciale internationale à me donner des conseils de lecture m’insupporte. Que, lorsque j’ai acheté en ligne une casserole rouge, on me balance des images de poêle rouge ou de casserole verte dès que je retourne sur un site gratuit (on sait bien que rien n’est gratuit sur Internet), d’accord, c’est le jeu. Mais en matière de lecture, j’ai, fort heureusement, bien des moyens d’être conseillée avant de recourir aux conseils d’une machinerie commerciale. Le côté intrusif est désagréable. Le géant entre chez moi par la boîte aux lettres et m’explique ce que je pourrais lire, ou ce que je devrais manger, les gens que je pourrais rencontrer… et demain, il me dira ce que je dois absolument lire, ce que je dois nécessairement manger, les gens que je suis obligée de rencontrer, et après-demain…

En fait, ce n’est pas l’offensive commerciale d’Amazon qui me choque, chacun son business ; c’est mon acceptation du système par facilité. Je fais donc marche arrière pour un jeu plus sain. Les conseils de lecture algorithmo-amazoniques auront été pour moi le vice rédhibitoire du site de vente de livres en ligne. La prochaine fois, je m’adresserai à un libraire de proximité. Amazon n’en saura rien. Quant à la NSA…

Et la sérendipité ? – m’a objecté une personne à qui j’exposais mon agacement – Les recommandations d’Amazon pourraient te faire découvrir des livres ; les algorithmes sont très élaborés.

Non !

Je n’ai rien contre les algorithmes qui sont à l’origine de ces suggestions ou « recommandations », bien au contraire. Les algorithmes sont fantastiques et je ne nie pas qu’ils tombent juste parfois. La technologie existe et je suis la première à avoir envie de l’utiliser. Mais à mon initiative. C’est ça la différence.

La sérendipité, pour moi, ne peut être le fruit d’une manipulation de mes traces et d’algorithmes par un géant du commerce mondial. La sérendipité, c’est la rencontre du hasard et de la curiosité. Je ne vois ni l’un ni l’autre dans cette affaire. C’est parce que je suis curieuse et que j’ouvre les yeux, que je décide d’aller à droite ou à gauche, de cliquer ici ou de cliquer là, de me laisser surprendre par une image ou un mot, d’aller au hasard des rues ou des pages, de choisir ce que je veux regarder et où je veux m’arrêter ; c’est cette curiosité et cette liberté qui peut me faire découvrir quelque chose que je ne cherche pas tout en étant attentive à le trouver. Rien à voir avec la réception passive et captive de produits pré-pensés ou prémâchés dont le marché nous inonde. Sérendipité et passivité sont antinomiques !