Le pourboire survivra-t-il à la dématérialisation et au Big data (je devrais dire « mégadonnées » et non big data, mais c’est une autre histoire, que vous pouvez lire en cliquant ici) ?

Le pourboire donc, selon le Wiktionnaire, existe aussi en anglais (le tip) et en arabe (le bakchich) sans l’oublier l’argot (pourliche, qui m’évoque toujours l’idée d’un petit quelque chose à manger en plus du petit quelque chose à boire…). Mais la culture est plus prégnante dans ce domaine que la linguistique.

Le mot tip aurait pour origine (je n’y crois guère) les initiales de l’expression To insure promptness (incitation à la promptitude du service) inscrite sur un petit pot où les clients d’une taverne anglaise du XVIIIe siècle déposaient quelques pièces de monnaie à l’attention du serveur, donc avant d’être servis.

Le tip est aujourd’hui l’équivalent anglais de pourboire, notamment au Canada, où il désigne la somme d’argent, soit au moins 15% de la facture, dont le client est pratiquement obligé de s’acquitter vis-à-vis dans la mesure où cela constitue l’essentiel du salaire des serveurs et non un complément ; tandis qu’en France, le service est compris et le pourboire désigne les quelques pièces (ou billets selon la taille du service ou celle du portefeuille) que le client du bar ou du restaurant, ou du taxi, ou du salon de coiffure laisse, après et en sus du service, sur la table, dans la main du serveur (ou de la serveuse, chacun ses goûts) ou dans le petit pot prévu à cet effet. Le geste traduit la satisfaction du client, ou son désir d’afficher sa générosité, ou encore son affection pour tel serveur (ou telle serveuse, bis repetita) ou simplement le fait qu’il ne veut pas se fatiguer à ramasser la monnaie. Il s’ensuit de nombreuses confusions et les serveurs canadiens n’apprécient guère les touristes français inattentifs aux pratiques du nouveau monde.

Le bakchich, à côté du sens de pourboire, est aussi un mot français synonyme de pot de vin : on retrouve bien l’idée de boire (nota bene : en principe pas de vin pour les Musulmans, ni pour les conducteurs) mais surtout la part occulte de la rémunération, le dessous de table, le jeu étant d’être suffisamment discret pour ne pas se retrouver à boire le bouillon au pénitencier…

La France, ton pourboire fout le camp ! Si on en croit un article de Corse Matin de juillet dernier, les pourboires se raréfient sérieusement. La crise, bien sûr, mais aussi l’utilisation de la carte bleue et autres moyens de paiement sans pièces ni billets. Ressortir son porte-monnaie après un paiement en carte, c’est un geste de plus, que l’on a tendance à économiser.

Toutefois, le coup de grâce pourrait bien venir de la traçabilité, indissociable du numérique, et de l’indiscrétion du big data. Être tracé quand on ajoute à un paiement par carte les 15% du service n’est pas gênant en soi puisque cela est tarifé. Mais on peut supposer qu’un client trouverait désagréable de s’entendre dire ou de voir afficher sur l’écran, au moment où il ajoute 3 € de pourboire sur le terminal de paiement : « Quoi ! 3 € seulement, alors que vous avez donné 4 € au restau d’en face la semaine dernière et 7 € euros ici même le mois dernier à ma collègue rousse ? C’est de la discrimination ! ».

Il va bientôt falloir inventer autre chose pour traduire sa satisfaction de consommateurs. Il y a bien les « likes » mais ça ne se boit pas…

En attendant, si vous passez par Saint-Malo, vous pouvez toujours déposer votre obole dans ce sympathique pot à pourboires de la buvette qui se tient entre les remparts et la plage :

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