La nouvelle vidéo de Daech montre le saccage de plusieurs sculptures des périodes assyrienne et hellénistique du musée de Mossoul. Des individus sans scrupules (au sens étymologique, sans caillou dans leurs chaussures pour freiner leur avancée), fanatisés par d’autres individus sans scrupules (sans trouble de la conscience pour tuer les uns et manipuler les autres) sont filmés pendant qu’ils démolissent à coup de masse des statues monumentales de deux ou trois millénaires, provenant des sites de Ninive et d’Hatra.

On ressent toujours l’actualité à l’aune de ses relations de proximité avec les lieux où se passent les événements. Or, j’ai eu la chance, à la fin des années 1990, alors qu’il était encore possible malgré l’embargo d’être touriste en Irak, de visiter le musée de Mossoul, de me promener sous les remparts de Ninive, d’admirer les ruines étonnantes d’Hatra (la photo). Je précise que mon premier livre d’enfant (je ne savais pas lire encore) était l’histoire de Jonas dans le ventre de la baleine, et Jonas était originaire de Ninive, souvenir décisif dans le choix de ce voyage en Irak.

Dans la vidéo, un djihadiste explique qu’il s’agit là d’idoles païennes que les Musulmans ne doivent pas vénérer. Soit. On peut tout à fait interdire l’entrée des musées aux extrémistes (de tout poil du reste). Mais cela n’intéresse pas ceux qui veulent gouverner par la terreur.

Un musulman inculte, en regardant cette vidéo, pourrait se dire : « C’est bien fait, Assurbanipal n’avait qu’à respecter le Coran !! ». Mais comment aurait-il pu, Assurbanipal, lire le Coran écrit plus de douze siècles après sa mort ? S’en prendre aux non-musulmans aujourd’hui est une chose ; massacrer de manière rétrospective en est une autre, qui nie le temps historique. L’histoire, comme compréhension et respect du temps qui passe, le même pour tous, fait partie de la culture.

Cela me rappelle une conversation avec un imam turc, en sirotant le traditionnel thé à la menthe, un soir sur les hauteurs d’Ankara, quelques années plus tard. Il m’engageait vivement à me convertir à l’Islam au plus tôt, après avoir lu le Coran. Tous les chrétiens devaient être exécutés car ils étaient tous coupables de ne pas s’être convertis. J’avais alors évoqué ma grand-mère, décédée à l’époque, assurant à mon interlocuteur qu’elle n’aurait pas pu se convertir n’ayant jamais vu le Coran, et que pourtant, elle avait été une sainte femme, et que sa condamnation était injuste. L’imam réfléchit et l’admit : « ta grand-mère, d’accord, elle ne savait pas, on ne peut pas la condamner, mais toi, tu dois lire le Coran et te convertir ou mourir ». C’était quand même une concession, pour ma grand-mère…

Pour revenir à Mossoul, la chaîne France24 rapporte les propos d’un djihadiste qui a déclaré que ces objets « sataniques » auraient dû rester sous terre et que « les archéologues n’auraient pas dû y toucher ». On nie le passé et, en même temps, on en a peur. Deux caractéristiques dévastatrices du fanatisme.

Une organisation qui n’a pas d’histoire ni de racines ne saurait avoir un avenir ni une floraison. Elle ne peut que pourrir rapidement. On peut l’espérer.

Pour comprendre le fanatisme des fanatiseurs et des fanatisés, la supercherie des premiers, l’émulation des seconds et l’absence de scrupules de tous, je recommande la lecture du magnifique roman de Vladimir Bartol, Alamut, publié en 1938, fiction bien plus éclairante sur le fanatisme que la plupart des articles superficiels, éphémères et occidentocentrés que nous servent les médias.