Le numérique a donné un coup de vieux à la concordance, je veux dire à ce type de document appelé concordance qui met en relation des informations de même valeur ou de valeur proche.

Il existe en fait deux types de concordances.

Le premier est la concordance philologique qui, pour une même œuvre, indique les occurrences des mots essentiels du texte. Un index ? Non, beaucoup plus qu’un index car ce ne sont pas seulement les mots mais les passages qui les contiennent qui sont présentés dans la concordance. L’importance de la concordance est indexée sur l’importance de l’ouvrage. La Bible est le plus ancien et célèbre ouvrage ayant donné lieu à concordances. Mais il existe des concordances pour toute œuvre monumentale, qu’elle soit philosophique ou littéraire. Dire que des érudits ont jadis passé leur vie d’étude à établir des concordances qu’un micro-ordinateur sait produire en quelques minutes ! Voilà de quoi méditer sur l’humanité et la technologie…

Il faut mentionner une variante de ce type de concordance : il s’agit de la mise en regard des termes utilisés par différentes traductions d’un même ouvrage, afin de voir si le même mot d’origine a toujours été traduit de la même façon. C’est un exercice très instructif, à maints égards. Exemple: les liens entre le mot « amour » dans une traduction française de la Bible (et il en existe plus d’une !) et les termes latins, grecs et hébreux correspondants. Dans un contexte plus récent et plus modeste, on pourrait faire une concordance des traductions du mot « record » dans les normes sur l’archivage (j’ai l’expérience pour les normes ISO 15489, MoReq et ICA-Req).

Le second type de concordance est une table de concordance entre deux systèmes d’information qui décrivent une même réalité. L’expression « système d’information » est un peu grandiloquente ici car il n’est pas directement question d’informatique ni de réseau mais d’une convention de cotation, numérotation, datation d’une réalité telle que :

  • la description d’un fonds d’archives ou de bibliothèque,
  • la chronologie du temps historique,
  • les immeubles et maisons d’une ville,
  • un code de loi,
  • les identifiants des adhérents d’une mutuelle dans un système d’information (au sens informatique cette fois), etc.

Lorsque, pour une raison X (il y a une nouvelle norme à appliquer, les choses ont tellement évolué qu’il faut remettre tout à plat, mon prédécesseur était un imbécile et je vais réformer tout cela…), on re-date, on re-numérote, on ré-identifie ou on re-cote un ensemble de documents, de paragraphes, d’objets ou de personnes, il est souhaitable, pour préserver la connaissance acquise via l’ancien système par tous les utilisateurs depuis l’origine de cet ancien système (ça fait en général plus de monde qu’on ne croit), d’établir une table de concordance. Si on ne le fait pas, cela occasionne quelques heures d’archéologie documentaire (bah ! il faut bien s’occuper).

Et donc, je disais que c’est chose facile avec les outils numériques, ou du moins chose plus facile que naguère car il reste toujours une part de cas de figure que seul l’humain peut régler.

Le numérique n’impacte pas que la concordance philologique, bibliothéconomie, juridique ou administrative. Son influence s’exerce aussi sur la concordance des temps. La vie connectée a réglé cette question grammaticale de façon particulièrement originale et tout à fait innovante : on vit l’instant ; il n’y a plus qu’un seul temps ; plus besoin de concordance ! Les réseaux sociaux ont tué le plus que parfait aussi bien que le futur antérieur. Vive le présent de l’indicatif !