Une idée comme ça

J’ai pris l’habitude, depuis plusieurs années, de copier dans un dossier documentaire sur mon poste de travail les posts qui retiennent mon attention pour une raison ou une autre quand je me connecte à mon compte LinkedIn, plusieurs fois par jour en général, soit via mon ordinateur, soit via mon téléphone portable. C’était au départ dans le but de pouvoir revoir une image ou une formule repérée sur le réseau, vu qu’il est quasiment impossible d’y retrouver quelque chose une minute après l’avoir aperçue, sauf à l’avoir liké, partagé ou commenté. Ensuite est venu l’idée de classer ces informations de manière chronologique comme trace de la production du réseau pour moi, dans l’hypothèse d’un usage ultérieur.

Il y a un an, j’ai fait le même exercice pendant deux semaines après l’incendie de Notre-Dame de Paris.

Avec le confinement, le nombre de copies de posts a augmenté assez naturellement (période exceptionnelle suscitant un intérêt exceptionnel). L’idée était d’observer après coup une éventuelle évolution de contenus ou de comportements sur la période (démarche biaisée par le double filtre de ce que je vois à l’instant t de ma connexion et de ce que j’en retiens…) ou plus simplement de constituer un panel d’exemples de posts pour nourrir de nouvelles études. Ce billet est ma conclusion de la relecture d’environ cinq cents posts sur les huit semaines, au moment où démarre le déconfinement.

Constitution de la collection de posts

La constitution de cette collection des posts de mon fil LinkedIn est éminemment subjective.

Tout d’abord, parce que ce que je vois défiler est conditionné par:

  • l’activité de mon réseau et les interactions de mes 4500 abonnés; mes abonnés se répartissent en trois groupes: professionnels des sciences de l’information et du droit, professionnels des technologies numériques et de leur application, autres (avec une grande variété de profils); je note aussi ici que bon nombre des posts de ma collection proviennent de personnes de « niveau 2 » sur LinkedIn c’est-à-dire qui ne font pas partie de mon réseau mais sont des contacts de mes contacts;
  • mes propres posts et interactions (likes, commentaires) dont j’imagine bien qu’ils influencent l’affichage (le fonctionnement du réseau est parfois assez limpide);
  • les comptes que je suis (peu nombreux);
  • les différents abonnements de mes contacts dont certains paient pour que leurs posts soient « mis en avant », sans parler des « contenus promus » et de ce qu’il faut appeler simplement « pub »;
  • et bien sûr les mystérieux algorithmes de LinkedIn qui tantôt font disparaître à tout jamais un post à peine entrevu, et tantôt me resservent obstinément un post des semaines précédentes qui ne m’intéresse pas et qui n’a que deux likes; on fait avec.

Ensuite, face à ce flux, ce que je capte pour ce dossier documentaire quotidien est tout ce que je remarque pour une raison ou une autre. La collection est donc fonction de:

  • mes centres d’intérêt : la société numérique, la désinformation, les sciences de l’information et donc la communication autour du virus et de la crise sanitaire;
  • le paramétrage de mon compte;
  • mon humeur du jour, le hasard de l’heure de ma connexion, ce que j’ai vu ou lu juste avant et que j’ai dans la tête, etc.
  • ma réaction face à tel ou tel post, que ce soit l’adhésion au message ou son rejet voire la consternation, l’amusement, l’agrément, la curiosité personnelle, l’intérêt professionnel pour un détail de formulation ou une particularité de forme (diplomatique des écrits numériques).

Je précise qu’en général les posts que je like ou que je commente ne figurent pas dans ce corpus (je les classe dans un autre dossier qui documente ce que j’ai exprimé et non ce que j’ai seulement regardé, ah la la, quelle organisation!).

Tous ces morceaux arrachés à mon mur LinkedIn constituent donc un nouveau mur, plus petit, et figé dans l’ordre chronologique, auquel je peux donc me reporter.

Je le relis. Je le re-regarde. Qu’ai-je collecté? Que me dit aujourd’hui cette collection, des autres et de moi? Quel enseignement en ai-je tiré?

Le classement est inévitable

Comment tirer une conclusion d’un jeu de plusieurs centaines de posts sans un minimum de classement ou de catégorisation ?

Je tente donc de mettre des étiquettes sur les posts mais sans modèle préalable, car quel pourrait être ce modèle (mon expérimentation était initialement ouverte: je ne « cherchais » rien de particulier, je me contentais de « trouver ») ? Cependant, si j’ai capturé ce post-ci et pas celui-là, c’est bien parce que j’avais en tête, plus ou moins consciemment, un critère de sélection.

Le visionnage de la collection dans l’ordre chronologique me remémore (pas toujours du reste) le pourquoi de mon choix. Je note en suivant ces caractéristiques et j’agrège ce que je peux agréger.

Sur le plan de la forme des posts, je distinguerai très sommairement les types de posts suivants:

  • partage d’un article de presse ou d’une vidéo publiée sur un média en ligne (référence du site avec image à la une), avec commentaire; c’est le cas le plus fréquent; il convient de préciser que la source est en général identifiée par l’URL du média (lemonde.fr, rtbf.be, etc.) mais quand il s’agit d’un post ou d’une vidéo sur un réseau social, « linkedIn.com » ou « youtube.com », on ne dispose d’aucune indication d’éditeur et de fait, on y trouve de tout et de rien);
  • partage d’un article de presse ou d’une vidéo publiée sur un média en ligne mais sans commentaire,
  • post d’un article de l’auteur du post,
  • message de l’auteur avec une illustration (dont le lien avec le texte est évident, ou pas),
  • message de l’auteur sans illustration.

Sur les thématiques abordées, rien d’original à dire. Pendant les huit semaines de confinement, la très grande majorité des posts concernent le Covid-19 et la crise sanitaire. À ce sujet, j’ai remarqué, étant abonnée à la Newsletter du Monde que, pendant le confinement, plus de 90% des mots-clés en tête des titres sont « Coronavirus », les autres mots-clés étant essentiellement: Covid-19, crise sanitaire, pandémie et confinement. Mon fil LinkedIn reflète bien les thématiques qui ont agité les médias et réseaux sociaux en général au sein de la crise (en plus des sujets divers qui représentent a priori moins de 10% des posts):

  • la maladie, les soignés et les soignants
  • la communication gouvernementale
  • l’attestation de sortie
  • la polémique Raoult
  • l’affaire des masques
  • le confinement et ses conséquences
  • le traçage de la population
  • le monde d’après
  • etc.

Finalement, la typologie qui se révèle la plus intéressante est celle de la posture du « posteur », c’est-à-dire l’intention ou la finalité (pourquoi je poste ou je partage), dans la mesure où le post considéré la laisse voir par le choix du sujet, le ton, le style, les mots ou l’absence de mots. À noter qu’une même personne peut adopter alternativement plusieurs postures (je me rattache moi-même à plusieurs rubriques pour les posts que j’ai publiés pendant la période).

En agrégeant de manière itérative les pièces de ma petite collection dans cette optique, j’aboutis aux ensembles de posts présentés ci-après. Chaque groupe est illustré par quelques exemples (encore un choix subjectif !) tirés de ma collection, autour du Covid-19 et de la crise sanitaire (avec la date à laquelle j’ai relevé le post). À noter que j’ai le plus souvent retiré les noms des posteurs, à titre de « précaution RGPD » (le fait que ces personnes aient publié ces informations, posts ou appréciations-chapôs, sur le réseau en fait des données publiques par nature mais le fait que j’aie extrait ces données de LinkedIn pour les insérer dans un discours de finalité différente en fait peut-être des données privées. J’ai indiqué dans un questionnaire de la CNIL sur les pratiques des chercheurs en matière de collecte de données à caractère personnel que je collectais ce genre de données sans demander leur avis aux intéressés, je ne sais pas si d’autres chercheurs font de même ni ce que la CNIL en pense) (J’espère que, du coup, je ne contreviens pas au respect du droit d’auteur…).

LinkedIn, un réseau, social et professionnel…

Bref, il ressort de mon expérimentation, très subjective encore une fois, neuf groupes de posts, numérotés de 1 à 9 sans que ce classement, ou plutôt cette numérotation soit véritablement justifiée ou justifiable, ce n’est pas le but. Chaque groupe est désigné par un mot-clé qui renvoie à une attitude ou caractérise un comportement.

1/ Veille

Les personnes de mon réseau (dans les domaines de gestion de l’information, du droit et des technologies numériques) qui ont l’habitude de poster des news relatives à leur domaine professionnel ont continué de le faire pendant la crise sanitaire et, évidemment, leurs périmètres de veille sont largement présents dans la crise du Covid-19.

2/ Observation

J’ai mis dans ce groupe des posts d’information qui n’entrent pas directement dans le domaine profession du posteur mais que celui-ci ou celle-ci a souhaité communiquer à son réseau, parce que l’information relayée l’a intéressé et qu’elle pourra intéresser ses contacts (c’est du moins ainsi que je les ai perçus). Il s’agit en général d’un témoignage ou d’un fait ponctuel signalé en France ou à l’étranger.

3/ Expertise

Comme les veilleurs, les experts, universitaires et/ou consultants, se sont intéressés à la facette de la crise qui correspondait à leur spécialité; c’est assez logique. Ils partagent ou leurs abonnés partagent une tribune, une analyse ou un long commentaire sur une situation, une question, un événement, en s’efforçant d’être précis et d’argumenter les affirmations, mais aussi en cédant parfois à la flamme de leurs convictions.

4/ Polémique

LinkedIn est un réseau « professionnel »; ce n’est ni Twitter ni Facebook et d’aucuns ne manquent pas de le rappeler en réponse à des posts trop partisans ou trop extrêmes (ce qui ne fait parfois qu’empirer le résultat). Ce qui n’est pas interdit est autorisé et un certain nombre de personnes utilisent LinkedIn pour partager un discours offensif à l’encontre de leurs cibles chroniques. La crise sanitaire et ses ratés (l’affaire des masques, l’affaire Raoult…) ont naturellement renforcé les polémiques et les critiques acerbes.

5/ Colère

D’autres posts expriment aussi un fort sentiment de colère mais de la part de personnes ordinairement neutres sur le réseau ou concentrées sur leur discipline professionnelle. Le fait d’extérioriser cette colère devant une situation qu’ils subissent, directement ou indirectement, apparaît comme un appel à la fois à réconfort personnel et à renfort pour étendre la protestation. C’est notamment le cas des appels à pétition.

6/ Philosophie

La préoccupation de l’après Covid est présente dès le début de la crise mais c’est plutôt vers la fin du confinement que l’on partage les convictions des philosophes et sociologues invités dans les différents médias.

7/ Bienveillance

Le réseau social est aussi le lieu d’expression de bienveillance ou de compassion pour d’autres que le plus souvent on ne connaît pas directement, donc moins à destination des personnes visées qu’à l’attention de ses propres contacts pour les inviter à faire de même, dans un souci de paix partagée.

8/ Positif

Un certain nombre de posts se veulent porteurs d’une nouvelle positive, histoire a minima de voir le verre à moitié plein plutôt qu’à moitié vide, en faisant appel à l’art, à la beauté du monde mais aussi à des petits trucs pour améliorer le quotidien comme la fabrication de masque ou de visière, ou encore à des vidéos divertissantes pour remonter le moral des troupes. Comment ne pas se réjouir de voir sur son écran quelque chose de beau ou d’utile?

9/ Humour

L’humour arrive délibérément en dernier de cette liste, à la fois pour finir sur un sourire et pour souligner que l’humour est dans doute, en dépit du malheur du monde, une des armes les plus efficaces pour avancer.

Conclusion

Quels enseignements est-ce que je retire de cette typologie illustrée et quel intérêt est-ce que je retire de l’exercice?

Le principal intérêt est l‘exercice lui-même comme expérimentation, pour la discipline qu’il m’a demandée, tant dans la constitution de la collection (un rituel quotidien) que dans la recherche de critères d’agrégation et d’analyse. Je n’ai pas eu l’impression d’être juge et partie puisque les règles de collecte étaient très claires et les règles d’exploitation très libres. D’ailleurs, contrairement à ce que pensais au début de ma collection, je n’ai pas noté d’évolution significative au cours de ces huit semaines dans la nature des posts qui ont retenu mon attention.

Ce qui me frappe au terme de l’analyse, c’est que:

  1. Ce que je remarque sur le réseau LinkedIn est très diversifié tant en contenus qu’en comportements et j’en suis assez satisfaite car mon expérience s’inscrit en faux contre le phénomène des bulles de filtres qui enferment artificiellement les internautes dans une sphère étroite autour de leurs goûts initiaux. Comme quoi, les algorithmes font une part des bulles mais pas la totalité et chaque internaute a la possibilité de les utiliser autrement pour voir plus loin.
  2. LinkedIn est un lieu de flânerie et de sérendipité plutôt agréable avec de jolies trouvailles (comme quand on joue à la loterie…), et ce en dépit de ce qu’il faut subir de la part de la politique et des algorithmes du réseau (il faut bien payer la gratuité). Mais je conclus que finalement, eu égard au temps passé, ce n’est pas pour moi un média d’information primordial. En effet, si j’ai accédé à un certain nombre d’articles qui m’ont apporté des connaissances appréciées via le réseau social, je pense que j’en vois l’équivalent, et bien davantage, et bien plus efficacement par d’autres médias (mes abonnements à divers journaux et revues, la radio, Internet « direct ») ou via mon « vrai » réseau personnel (hors LinkedIn). Outre la visibilité professionnelle, fonction première de LinkedIn, sa valeur ajoutée est davantage dans les interactions autour de certains posts et dans la mise en relation avec de nouvelles personnes, aux plans professionnel et personnel.
  3. Au second degré, la fréquentation du réseau offre un terrain d’observation sans égal, notamment de la fabrique et de la diffusion de l’information, avec les biais de l’expression, de l’image, de la lecture, de la citation, de la contextualisation qui alimentent mes réflexions sur les écrits numériques. Vive LinkedIn!

Et pour terminer sur une formulation fréquente dans les posts des réseaux sociaux: « Et vous, vous pensez quoi?« .

2 commentaires

  1. Bonjour Marie-Anne, J’ai lu avec intérêt ton article et tes conclusions…. jusqu’ici j’avais utilisé Linked In uniquement pour garder le lien et pour faciliter le contact avec d’anciens collègues et/ou clients, je ne l’ai jamais considéré comme un platform de partage, sur la forme il semble très similaire à Facebook car tu le décrit ainsi « LinkedIn est un lieu de flânerie et de sérendipité plutôt agréable avec de jolies trouvailles (comme quand on joue à la loterie…), la différence c’est que son public est in générale plus éveillé, d’un esprit plus critique, moins facile à manipulé (encore que…), et donc plus « trustworthy », on peut donc faire plus confiance à ce qu’on y trouve par rapport au Facebook, c’est la grande différence… J’évite Facebook sauf si il y a un « message » à mon intention (en provenance d’un proche), car je considère que Facebook a facilité l’élection de la personne qui actuellement est occupant de la Maison Blanche. Les américains suivent la politique en regardant les émissions-info à la télé (CNN, MSNBC, Fox), pour ma part je fais plus confiance au New York Times, Le Monde, The Guardian et France 24. Mais après lecture de ton article, je vois que j’ai tout intérêt à rendre visite plus souvent à Linked In. Dis-nous donc par où commencer stp !!

    • Merci, Susan. Tu as probablement raison de dire que LinkedIn est plus fiable que Facebook, du fait d’un public plus sérieux, plus « professionnel », même si ce n’est pas toujours très net. Il faudrait savoir le taux de recouvrement des deux réseaux (combien de personnes sur Facebook n’ont pas de comptes LinkedIn? Combien de personnes sur LinkedIn n’ont pas de comptes Facebook?).
      Je préfère aussi certains médias à d’autres, mais je tiens surtout à la variété de mes sources d’information. De ce point de vue, LinkedIn est intéressant par l’hétérogénéité des posts, en tout cas en ce qui me concerne. Sans doute que mon habitude de critique de la forme diplomatique des posts, et aussi mon goût pour la controverse me font voir autre chose que les seuls contenus ou les images qu’on regarde souvent sans les voir…

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