Archiver, après ? Marie-Anne Chabin, Djakarta, 2007

Chapitre 4 – Qui paie quoi ?

Il y a deux sortes de mauvais payeurs, ceux qui ne paient jamais et ceux qui paient trop tôt
proverbe anglais

Un document coûte 20 euros à classer, 120 euros à retrouver s’il est mal classé tandis que 35% des dossiers ne sont jamais retrouvés… C’est du moins ce qu’affirmait Vincent Hochard, directeur commercial Information chez IBM, au printemps 2006 dans un séminaire d’entreprise[1].

Le coût annuel de stockage d’un mètre linéaire de documents chez un prestataire en stockage et gestion d’archives externalisée tourne autour de quatre euros tandis que la consultation d’un document archivé revient à environ dix euros. Pour l’hébergement de fichiers électroniques, le prix est également fonction du volume (rarement du nombre de documents) : le marché propose 0,40 à 1,50 euro le méga-octet. Le prix des supports de stockage électronique baisse régulièrement : quelques euros pour un disque de 650 Mo, quelques dizaines d’euros pour une cartouche de 100 Go. La numérisation d’une page de papier (environ 8000 pages au mètre linéaire) coûte de 0,10 à 0,50 euro.

Le secteur public, quant à lui, ne dispose pas encore d’indicateurs pour évaluer ce que représentent financièrement la collecte, la conservation et la communication des archives. Archivage et coût commencent juste à se parler, sous l’influence de la loi d’orientation de la loi de finances (LOLF). On sait depuis longtemps que, globalement, la construction d’un bâtiment d’Archives départementales revient à environ 500 euros par mètre linéaire stocké mais cet équipement a surtout une vocation patrimoniale et culturelle.

Quand on sait cela, que sait-on vraiment du coût de l’archivage ?

Que coûte vraiment un document à archiver depuis sa création jusqu’à sa conservation ultime ? Comment une institution ou une entreprise peut-elle savoir ce qu’elle doit débourser aujourd’hui pour mettre ses informations archivables en lieu sûr et ce que coûtera la maintenance physique et logique de ces informations tant qu’elles seront utiles ?

Les différentes opérations de mise en archive, de conservation et de restitution de l’information ont un coût humain et matériel mesurable. Mais comment justifier un coût si on ne peut quantifier le bénéfice de la dépense ou le risque à ne pas opérer cette dépense ?

Averti de ces éléments, celui à qui revient de payer peut opérer un choix.

 

La scène et la coulisse

L’évaluation des coûts d’archivage d’une institution ou d’une entreprise commence par les coûts visibles, ceux qui se traduisent en factures ou en feuilles de paie.

La pratique, grandissante, d’externalisation de la gestion des archives a mis au jour le coût de ce service, lui donnant du même coup une légitimité qui lui était déniée jusque-là. Les choses sont enfin claires : une boîte est rangée sur une étagère (ou un fichier sur un disque) pour dix ans et cela coûte tant ; je veux accéder dans la demi-journée au dossier n° 12586 créé en 1987, il m’en coûtera tant ; la destruction sécurisée de deux tonnes de documents ou de 6 Go de données coûte tant, etc.

La construction d’un bâtiment d’archives, l’aménagement ou la mise aux normes d’un local, l’installation de rayonnages, l’achat de supports de stockage, l’acquisition d’un logiciel de gestion, l’inventaire rétrospectif du stock, la restauration de documents endommagés sont autant d’opérations dont le coût est identifié, au moins partiellement, par l’intervention d’un ou de plusieurs fournisseurs, et il est assez aisé de distinguer les dépenses de fonctionnement et les opérations exceptionnelles.

Sur le plan des ressources humaines, le salaire du ou des documentalistes, records managers, archivistes, responsables du stockage, agents de manutention et autres personnels de l’entreprise ou de l’institution affectés à l’archivage ou à la gestion des archives doit être pris en compte.

Mais il n’y a pas toujours de fournisseur de service ou de matériel de stockage, ni d’archiviste ou de responsable du local d’archives. Cela ne signifie pas pour autant que les dossiers ne sont pas archivés ou que l’archivage ne coûte rien. Les coûts sont cachés, diffus : la surface de stockage est intégrée à un autre service ou éclatée entre mille placards et n’est pas valorisée en tant que telle. Personne ne s’occupe particulièrement de l’archivage donc tout le monde, ou du moins un certain nombre de personnes, s’en occupe de ci de là : les secrétaires (quand il y en a encore) pour le patron, le chef de projet pour son équipe, la personne consciencieuse pour ceux qui ne le sont pas, le dernier arrivé parce que personne ne veut le faire, l’utilisateur qui a besoin d’un dossier et qui est tout seul pour le trouver. Ce coût-là est difficilement quantifiable mais pourrait se mesurer en temps passé, dépensé à contribuer au classement et à la restitution de l’information.

Dans ces conditions, la comparaison entre l’externalisation et la solution interne est bien difficile en termes de coût, tant pour la gestion matérielle que pour la recherche d’information. C’est plus une question de politique. Si les archives papier sont remisées dans un hangar, aveugle et humide, qui ne peut servir à rien d’autre, on pourra estimer (tant qu’il n’y a pas d’incident) que le service est assuré au moindre coût. Si le tri est confié à un bras cassé ou à un recalé de tous les autres services comme il arrive encore trop souvent, on pourra aboutir à la même conclusion. Il s’agit là de locaux et de personnels « d’archivage » par défaut d’autre affectation, sans dépense spécifique. En revanche, si on met en avant le principe de la sous-traitance à des spécialistes de ce qui n’est pas son cœur de métier, et les avantages de la contractualisation (encore que l’on puisse contractualiser en interne), on penchera pour l’externalisation.

Ceci ne vaut toutefois que pour le secteur privé. En effet, au terme de la réglementation actuelle (en cours d’évolution toutefois), les collectivités territoriales sont tenues de conserver leurs archives dans un bâtiment public tandis que les établissements publics ne peuvent confier à un tiers que des archives éliminables à moyen terme. Un règlement de 1968 toujours en vigueur en 2006 stipule notamment que les archives hospitalières doivent être conservées au siège de l’établissement, même s’il est de notoriété publique qu’un bon nombre d’hôpitaux publics, par nécessité et par économie, ont recours aux services de prestataires en gestion externalisée d’archives. Mais il ne faut pas le dire…

Le coût du stockage dépend de la qualité des équipements (solidité, sécurité, performance) et du volume stocké. Le coût de la consultation dépend à la fois des besoins (nombre de demandes) et de la facilité de repérage de l’information, donc de la qualité de la gestion des données liées à ce besoin.

Ceci dit, le volume physique que représente l’information archivée est étonnamment élastique. En informatique, avec la définition de l’image et les méthodes de compression de fichiers, on peut jouer sur les volumes de façon notable. C’est vrai aussi pour le papier : il suffit que les bons de commande dont la teneur tient sur une page soient maladroitement imprimés sur 4 feuillets et l’on quadruple le besoin en stockage ; idem pour des courriers rangés dans des classeurs thématiques à raison de 100 feuilles (1,5 cm) par classeur dont le dos mesure huit centimètres de large, eux-mêmes rangés, à raison d’un classeur par boîte de dix centimètres de côté. A ce rythme, on consomme facilement cinq boîtes là où une seule suffirait à contenir l’information utile. Même si l’augmentation des coûts n’est pas strictement indexée sur le volume, on ne peut nier que stocker cinq kilomètres linéaires coûte largement plus cher qu’en stocker un.

L’autre question, plus sensible, est celle de la durée de conservation. Les locaux d’archives sont saturés. Il faut trouver une solution. En y regardant de plus près, les producteurs des documents et les experts s’accordent volontiers pour dire que 25, 50 voire 80 % de ces documents sont inutiles. « Inutiles » ne signifie pas que ces documents sont inutilisés (il faudrait alors dire 99% !) mais qu’ils ne peuvent servir à rien d’utile parce qu’ils sont périmés ou redondants. La question peut se régler rapidement si ces documents inutiles forment une masse cohérente. Mais s’ils sont répartis dans l’ensemble des boîtes, côtoyant les pièces qui, elles, sont utiles, l’opération est délicate car le tri a posteriori coûte cher et comporte toujours un risque d’erreur.

Quoi qu’il en soit, le stockage correspond généralement à 10 à 25 % des dépenses totales d’archivage. La majeure partie du coût est liée à la gestion des données et aux ressources humaines : organisation, analyse, préparation, description, recherche, contrôle de la conservation, administration du système, relation avec les utilisateurs. Les coûts de gestion sont bien sûr liés au volume mais dépendent surtout de la nature de l’information et de la qualité des données à archiver. Une information confidentielle requiert plus de soin. La préservation d’un plan dépourvu de titre, de date et de numéro de version sera plus lourde et donc plus coûteuse que celle d’un plan bien référencé. Le traitement documentaire d’un rapport produit dans un format électronique et susceptible d’être réutilisé sera facilité si ces exigences futures d’archivage sont prises en compte dès la conception et la rédaction du document.

Pour une institution ou une entreprise qui prend la question de l’archivage au sérieux, on peut placer les dépenses annuelles (archivage papier et archivage électronique), incluant le fonctionnement et l’amortissement des investissements, dans une fourchette allant de 80 000 à 240 000 euros pour 1000 collaborateurs en fonction du secteur d’activité (plus ou moins producteur de données), de l’ancienneté, de la qualité d’organisation et de la politique d’archivage.

Toutefois, pour disposer d’une vision complète de l’impact financier en la matière, les dépenses « positives » correspondant aux différentes étapes de mise en archive, de conservation et de restitution doivent être rapportées aux conséquences négatives du non-archivage.

 

Le coût du non-archivage

Pour une entreprise, l’archivage coûte toujours trop cher. C’est vrai. Jusqu’au jour où l’incapacité de produire, devant un auditeur ou un juge, la pièce prouvant son bon droit ou sa bonne foi, oblige à débourser, tête basse, une somme coquette qui aurait pu financer la conservation de plusieurs décennies de documents. Deux attitudes sont alors possibles selon les tempéraments des décideurs et la mentalité de ceux à qui ils sont censés rendre des comptes. Ou bien, on s’en moque, on paie et la vie continue. Ou bien, on regrette amèrement de ne pas avoir pris conscience plutôt des vertus de l’archivage et on s’efforce de corriger la situation.

En février 2006, la banque Morgan Stanley a été condamnée par la Securities and Exchange Commission (SEC) américaine à payer 15 millions de dollars d’amende pour manquement à ses obligations et incohérence dans ses pratiques d’archivage de courriels. Deux ans plutôt, c’était la Bank of America qui avait dû s’acquitter d’une pénalité de « seulement » 10 millions de dollars faute d’avoir présenté à la Commission les documents que celle-ci réclamait dans le cadre de son enquête.

Rassurons-nous, les USA, c’est loin. A six heures d’avion seulement…, ce que savent bien les entreprises françaises qui sont présentes ou qui veulent s’introduire sur le marché américain.

On est loin de l’archivage-stockage, géré selon un unique critère logistique. L’archivage a partie liée aujourd’hui avec la gestion des risques. Le document ou le fichier informatique où a été enregistré avant-hier tel fait que l’on veut prouver aujourd’hui n’est pas disponible : pourquoi ? A-t-il été correctement produit et validé ? A-t-il été sécurisé ? A-t-il été archivé ? Est-il référencé de manière satisfaisante ? S’il a été détruit, selon quelle procédure et avec l’accord de qui ?

On constate aujourd’hui que le risque de divulgation, de falsification ou de destruction d’un objet archivé est finalement moins important que le risque de ne pas archiver ou de mal archiver ? Mais que faut-il sélectionner ? Et comment ?

Avec la pression des autorités de contrôle, de la judiciarisation de la société et de la guerre économique, d’un côté, avec le comportement excentrique d’une information de plus en plus pléthorique, nomade et multiforme de l’autre, la vigilance est de mise.

Le risque, si risque il y a, doit être évalué à son juste niveau. La décision à suivre fera la synthèse entre le coût et le bénéfice de l’archivage, dans un contexte qui peut lui-même évoluer. Pour les documents et les données qui sont nommément visés par des délais de conservation réglementaires, la question est binaire : on se conforme à la loi ou on ne s’y conforme pas, en prenant le risque d’être sanctionné par les autorités de contrôle. Mais pour toutes les informations, bien plus nombreuses, qui ne sont pas explicitement soumises à une durée de conservation mais qui sont susceptibles d’être requises lors d’une enquête ou d’une procédure contentieuse, l’évaluation du risque de non-disponibilité de l’information le moment venu est plus délicate, notamment en matière d’environnement et de santé publique.

Une difficulté supplémentaire tient au fait que lorsque la responsabilité civile, pénale ou morale d’un dirigeant est mise en cause, il ne lui suffit plus de se justifier de ce qu’il a fait ; il doit encore prouver ce qu’il n’a pas fait, s’il connaissait ou non l’existence des faits incriminés, s’il savait ou ignorait qu’ils n’étaient pas conformes à la réglementation en vigueur : la direction générale savait-elle que les ouvriers du chantier F6 étaient en contact avec des éléments radioactifs sans protection ? Le ministre savait-il ou ne savait-il pas que des centres de transfusion sanguine utilisaient des produits dangereux ?

La connaissance des faits a-t-elle été tracée quelque part ? Dans un message ? Dans un agenda ? Le document ou le fichier qui renferme l’information ou l’indice recherché a-t-il été archivé ? Est-il à charge ou à décharge ? N’aurait-il pas mieux valu écrire ceci et dire cela au téléphone, plutôt que l’inverse ? Le coût de l’archivage a alors partie liée avec le coût de l’innocence[2].

Le fait dont on est amené à attester la réalité n’a pas toujours l’objet d’un document dédié, produit à dessein pour témoigner de ce fait-là. Il peut n’apparaître que comme information secondaire dans un document produit à l’appui d’un autre fait. Cela ne facilite pas l’identification et la gestion de ce qu’il faut archiver. C’est toute la question de la juste qualification des documents (à quoi peuvent-ils servir ?) mais aussi, en amont, la question des procédures documentaires (quels sont les documents qu’il faut produire dans le cadre de telle activité ?). Un arrêt de la Cour de cassation est à cet égard éclairant[3]. En 1998, la Société générale est condamnée au bénéfice d’une dame, ex-titulaire d’un compte d’épargne salariale clos vingt-huit ans plus tôt et qui s’estimait lésée dans cette affaire. L’action de clôture du compte, visée par le délai de prescription trentenaire, n’avait manifestement pas fait l’objet d’un écrit spécifique mais le versement du solde du compte d’épargne de ladite dame figurait dans le relevé de son compte courant. Le problème est que les relevés de comptes courants, visés par une durée de conservation décennale, sont généralement détruits après un délai de dix ans, emportant avec eux des mentions plus durables. Il aurait donc fallu, ou bien établir expressément un document de clôture de compte, ou bien conserver plus longtemps le relevé porteur de cette information précise, en modifiant sa fonction archivistique pour en faire non plus un simple relevé mais un document de clôture de compte. L’allongement de dix à trente ans de la durée de conservation des cent vingt millions annuels de relevés de compte de la Société générale n’est évidemment pas un raisonnement économiquement valable.

La recommandation d’archivage n’est pas seulement valable pour les informations porteuses d’une valeur de preuve. Tout contenu à valeur ajoutée, même s’il n’a jamais pris la forme d’un document officiel peut présenter un intérêt d’archivage. Ce sera par exemple un projet de brevet qui n’a pas été finalisé autrefois pour des raisons techniques ou économiques mais qui pourrait être mené à bien aujourd’hui ; ou encore les études chiffrées menées au cours d’une importante négociation commerciale qui n’a pas abouti mais qui peut être relancée. Disposer du dossier précédent représente un gain non négligeable : gain de temps, économies si l’on n’a pas à refaire les calculs, et gain plus sensible encore si ce gain de temps permet de gagner sur la concurrence.

Inversement, la disparition de ces informations peut engendrer une perte dommageable. Il est donc raisonnable de s’assurer contre ce risque. Mais assurer les données comme on assure un équipement ou un matériel n’a guère de sens si l’information est unique et ne peut être reconstituée valablement ou facilement. La sauvegarde (duplication) et l’archivage (maîtrise dans le temps) sont la meilleure assurance.

Enfin, le coût du non-archivage n’est pas uniquement d’ordre financier. La non-production ou la destruction intempestive de documents de trace ou de mémoire peut avoir sur l’image de l’entreprise ou de l’institution un impact non négligeable qui se traduit, éventuellement via les médias, par une mauvaise opinion du public avec tout ce que cela peut impliquer.

 

Un coût pour rien

Entre le risque et la maîtrise des coûts, on se rend compte qu’un bon archivage ne coûte pas nécessairement plus cher qu’un mauvais archivage, au contraire, bien qu’il faille parfois attendre plusieurs années avant d’apprécier le bien fondé ou l’efficacité de la mise en archive, de même que l’on peut payer l’assurance d’un immeuble ou d’un équipement pendant vingt ans avant de trouver la vingt et unième année, « grâce » à un sinistre, compensation de ses versements. Le retour sur investissement d’une démarche d’archivage s’apprécie sur le long terme.

En revanche, les dépenses engagées ne sont pas toujours justifiées faute d’une analyse suffisamment précise des besoins. D’autres fois, l’opération est justifiée mais le montant est disproportionné par rapport au résultat obtenu, parce que la méthode n’est pas adaptée, que le travail a déjà été fait mais qu’on ne le sait pas, ou bien que les traitements effectués ne s’avèrent d’aucune utilité pour aucun utilisateur, ou encore parce que le résultat de l’opération n’a pas été sécurisé, qu’il est perdu et qu’il n’y a plus qu’à recommencer, et donc à repayer.

Mal archiver revient, mutatis mutandis, à louer un semi-remorque pour transporter trois mètres cubes de marchandises, à poser le papier peint dans la maison avant d’effectuer les câblages, ou encore à laisser plusieurs semaines un matériau coûteux sans protection sur le trottoir.

Exemples.

Pour montrer qu’elle prend l’archivage au sérieux, une entreprise choisit de ranger tous ses documents papier dans des boîtes de la meilleure qualité, en carton épais, traité contre l’acidité, étudié tout spécialement pour la conservation des archives historiques, traitement qui justifie leur prix, six fois plus élevé que pour les boîtes ordinaires. Pourtant, la moitié des documents archivés ont une durée de conservation de cinq ou dix ans et se contenteraient fort bien d’un conditionnement de bureau.

Un ministère a fait réaliser il y a cinq ans par un cabinet spécialisé une étude technique importante, d’un coût approchant les 150 000 euros. Trois ans plus tard, le sujet est à nouveau à l’ordre du jour, mais l’étude précédente est introuvable. A-t-elle été jugée trop précieuse pour être archivée ?…. A-t-elle été mise sous le coude par un lecteur intéressé puis oubliée ? Tant pis, il reste des crédits, on fait refaire l’étude, pour un prix équivalent. Deux années passent encore et, comble de malchance, le même scénario se répète ! Les crédits sont épuisés et on n’ose faire ouvertement état de ce dysfonctionnement ; on refera l’étude en interne. Est-ce que cela coûtera moins cher ?

Tel établissement doit déménager et entend en profiter pour répertorier ses dossiers qui, il faut l’avouer, ne sont pas très bien gérés. Un jeune diplômé est recruté à cet effet pour six mois. On lui demande de classer et d’établir l’inventaire d’environ 20 000 dossiers qui sont dans plusieurs salles d’archives et placards. Le travail prend la forme d’une petite base de données très pratique. Malheureusement, l’ordinateur qui la contient n’est pas sauvegardé systématiquement et, par suite d’une erreur de manipulation d’un employé, la base de données est perdue. Le fichier informatique avait fait l’objet d’une impression papier mais en un seul exemplaire et celui-ci a été égaré dans le déménagement… Retour à la case départ. C’est alors que l’on s’aperçoit que la secrétaire du vice-président possède un répertoire presque aussi complet, qu’elle a constitué discrètement au fil des années pour répondre aux nombreuses questions de son patron. Ah ! Pourquoi ne l’a-t-elle pas dit ? Mais… pourquoi ne lui a-t-on pas demandé ? Elle ignorait que cela pût intéresser quelqu’un…

Le maire d’une ville moyenne, piqué parce qu’un administré lui a fait remarquer en public que les archives de la commune étaient bien peu valorisées, débloque une somme substantielle pour l’acquisition d’un outil performant de gestion électronique des archives. Trois mois plus tard, à la veille des élections, le maire, souriant et entouré, inaugure la mise en place d’un superbe outil avec une démonstration épatante. Les mois passent et l’outil est de moins en moins utilisé car la numérisation des documents, effectuée sans cahier des charges (le temps pressait), ne s’est pas accompagnée de l’indexation appropriée des documents, de sorte que les recherches y sont fastidieuses. L’année suivante, c’est l’abandon total, aucun crédit de fonctionnement n’ayant été prévu.

Un organisme décide de se doter d’un logiciel pour la gestion de ses archives, ce qui n’est pas simple vu que, l’accumulation pluridécennale aidant, les documents sont rangés dans des boîtes de tous types et de toutes tailles, avec des cotes ou identifiants de tous poils incluant une kyrielle de bis, ter et autres indices cabalistiques. A force de développements informatiques spécifiques et tortueux, on aura la satisfaction de mettre le logiciel au diapason de cette complexité inutile et ainsi de transposer le désordre et l’approximation dans un outil inutilement complexe. Il est pourtant à parier que la normalisation des objets à gérer aurait coûté le quart du prix de cet investissement illogique. Les archives en désordre attirent les usines à gaz comme les sirènes attiraient jadis les marins oublieux du cap à suivre…

Les exemples sont nombreux mais soyons réalistes, les pertes financières sont la plupart du temps négligeables vis-à-vis du budget global de l’entreprise ou de l’organisme responsable de quelques ratés. Ce sont davantage la qualité et la crédibilité de la démarche d’archivage qui en souffrent.

 

Les archiveurs sont les payeurs

La formule est volontairement lapidaire. Il faut entendre ici le substantif archiveur non pas comme le système ou l’entreprise qui conserve les données (voir l’expression tiers-archiveur) mais au sens tout bonnement grammatical de celui qui archive, celui qui prend la décision de mettre en archive et qui supporte les conséquences financières et morales de cet acte d’archiver. L’archiveur est logiquement le propriétaire des documents archivés.

Mais à qui appartiennent les archives ?

Il convient de préciser que la notion de propriété des archives ne doit pas être confondue avec l’utilisation du mot « propriétaire » (en anglais owner) par les applications et logiciels d’archivage pour désigner le responsable de la gestion de l’information, c’est-à-dire l’auteur, le chef de projet ou le chef de bureau. Ni avec cette tendance, déjà évoquée, qu’ont les employés depuis quelques décennies, à s’approprier les dossiers créés dans le cadre professionnel et à considérer comme des dossiers personnels (« Mes documents », « Mes archives ») les documents qui procèdent non pas d’une action personnelle mais bien d’une action collective déléguée contractuellement à un individu.

Dans ce sens-là, le terme de propriétaire est juridiquement impropre. Le propriétaire n’est pas le gestionnaire mais la personne morale qui a produit ou reçu cette information dans le cadre de son activité et qui l’a archivée. Elle a le droit d’en jouir et d’en disposer, dans le respect de la loi.

L’État, les collectivités territoriales, les établissements publics et les organismes chargés d’une mission de service public sont des personnes publiques. L’archivage de leurs documents et de leurs données est donc financé par des fonds publics. Les autres entités juridiques sont des propriétaires privés d’archives à qui revient de subvenir ou non à leurs besoins d’archivage.

Dans le cas d’un document établi en plusieurs exemplaires, par exemple un contrat, chacun des co-contractants est propriétaire de son exemplaire. Si le contrat a été passé par devant notaire, celui-ci en conserve en outre la minute qui a le statut d’original du contrat ainsi que le statut d’archives publiques (en tout cas depuis 1979).

La technologie numérique conduit à réviser légèrement le principe de propriété multiple d’originaux multiples. En effet, la multiplication des copies n’étant pas informatiquement pertinente, l’établissement en plusieurs exemplaires peut se traduire par des droits spécifiques d’accès à un fichier unique sécurisé, ces droits formalisant une sorte de « copropriété de l’archive ». Compte tenu de la législation sur la signature électronique et de la création très récente du minutier électronique des notaires (décret du 10 août 2005), cette pratique est à peine émergente.

Une même archive peut changer de propriétaire au cours de sa vie, bien que cela ne concerne qu’une minorité de documents. Par exemple, en cas de cession d’une entreprise à une autre, en cas de nationalisation ou de privatisation, les dossiers utiles à la bonne conduite des affaires et nécessaires à la poursuite de l’activité, changent de propriétaire avec l’ensemble des actifs vendus ou transférés. Avec les bouleversements que connaît le monde des entreprises, le volume d’archives qui passent d’un propriétaire à l’autre est en pleine croissance, avec une traçabilité parfois floue.

La propriété des archives et la responsabilité de l’archivage qui en découle se posent également en cas de sous-traitance : sait-on bien à qui appartiennent (et donc qui est comptable de l’archivage et de la destruction) les documents produits par un sous-traitant, voire par le sous-traitant du sous-traitant ? Une entreprise reste juridiquement comptable de la conformité réglementaire de son activité, même si celle-ci est sous-traitée. Prenons le cas d’un organisme caritatif qui sous-traite l’expédition par avion de médicaments à destination de pays africains ; c’est le sous-traitant qui effectue les déclarations en douane et l’affrètement ; tout se passe bien et l’organisme lui fait confiance jusqu’au jour où le bailleur de fonds de l’organisme vient auditer l’emploi de ses subventions et réclame toutes les pièces justificatives depuis dix ans car après tout, qu’est-ce qui prouve que ces médicaments ont bien été acheminés en Afrique en toute légalité ? Or, le sous-traitant vient justement de déménager et en a profité pour envoyer à la déchetterie les « vieux » dossiers de plus de trois ans, sans autre forme de procès. L’archivage de ces dossiers était-il à la charge de l’organisme ou du sous-traitant ? Les contrats de sous-traitance éludent trop souvent le problème de l’archivage des dossiers.

La question des privatisations d’entreprises publiques mériterait d’être approfondie car les textes de référence sont peu bavards sur le sujet. Le seul cas explicite est la loi de privatisation de la chaîne TF1, en 1986, qui précise que les archives des quatre années précédentes, publiques la veille, deviennent la propriété de la nouvelle chaîne privée, avec les droits d’exploitation afférents. A noter au passage que cette disposition législative est plus facile à appliquer pour des documents datés à la journée comme le sont les archives télévisuelles, que dans le cas de dossiers d’affaires actifs pendant des années voire des décennies.

Logiquement, en cas de cession ou de privatisation d’entreprise, les dossiers utiles à la poursuite et à la justification des activités, qui sont par ailleurs qualifiés par la réglementation « d’archives courantes et intermédiaires », changent nécessairement de main avec le changement de statut, y compris s’il s’agit d’une entreprise publique. Pourtant, le code du patrimoine stipule que les archives publiques sont imprescriptibles, a priori pour les trois âges des archives. Pour ce qui est des archives historiques, les entreprises privatisées qui revendiquent leur patrimoine archivistique et financent sa conservation et sa mise en valeur peuvent conserver la gestion des archives historiques identifiées comme telles au moment du changement de statut de l’entreprise, comme cela a été le cas pour France Télécom et la Seita, voire récupérer les archives déjà versées à un service d’archives public, ce qui s’est produit par exemple pour Renault.

Dans le cas d’archives privées porteuses d’une valeur de mémoire nationale et que le propriétaire envisagerait de détruire ou d’exporter, la loi française a prévu le classement des fonds au titre des monuments historiques, décision qui instaure un droit de contrôle de l’Administration compensé par une participation financière de l’État à la conservation, comme cela se pratique depuis Mérimée pour les châteaux. Une bonne vingtaine de fonds ont ainsi été classés archives historiques depuis 1979, parmi lesquels les archives de l’Imagerie d’Epinal qui restent la propriété de la société mais sont conservées aux Archives départementales des Vosges, ou les archives du château de Breteuil dans les Yvelines.

Des archives privées peuvent également être données ou en déshérence et récupérées par un service d’archives publiques et devenir ainsi propriété publique.

 

La part du contribuable

Autre question, le coût de l’archivage est-il différent selon que les informations archivées appartiennent à un propriétaire public ou à un propriétaire privé ? A priori non, car le coût de l’analyse dépend du contenu, le coût du stockage est lié au volume et au support, le coût de gestion tient à la fois à la fréquence des consultations et aux outils utilisés. Or, aucun de ces éléments n’est spécifique de l’information d’entreprise ou de l’information publique.

On pourrait cependant le croire en constatant les différences de pratiques et d’usages : l’entreprise se caractérise par une externalisation fréquente du stockage, par une réflexion nouvelle sur l’archivage au travers de la problématique de la conservation des données numériques et par une sensibilité croissante à la sécurité et au risque attaché à la gestion de l’information dans le temps. L’Administration, pour sa part, assure une gestion interne de l’archivage, met l’accent sur la dématérialisation des échanges avec les usagers, tandis que l’administration des Archives axe son intervention sur la valeur historique et patrimoniale des documents.

En réalité, le premier critère pour apprécier la pertinence des coûts est la valeur de l’information et le motif de son archivage : valeur probante et interne ou valeur historique. Et ces valeurs ne recouvrent pas les notions de support, de propriétaire ou d’âge de l’information.

Que le contexte soit celui d’une entreprise ou d’une institution, les objectifs de l’archivage des documents de preuve et de traçabilité et ceux de la constitution et de la mise en valeur d’une mémoire collective sont assez différents. C’est essentiellement une question de public, au sens des utilisateurs des informations archivées qui se succèdent dans le temps : dans un premier temps, les collaborateurs de l’entreprise, l’administration, les administrés qui ont besoin d’une information pour argumenter, justifier, prouver ; puis les historiens, les étudiants, les journalistes, les citoyens en quête de connaissance du passé.

Les exigences des deux domaines ne sont pas les mêmes et les budgets en principe non plus : d’un côté, on gère des risques et les conséquences financières de la non-disponibilité de l’information dans le temps, avec des coûts qui relèvent de l’assurance, de la qualité et de la logistique ; de l’autre, on construit et on valorise une mémoire collective et c’est une dépense culturelle et de communication.

On note qu’il existe deux vocabulaires distincts : dans les entreprises et chez les prestataires de service, on parle de « classement/archivage, stockage, accès/restitution » tandis que la réglementation des archives publiques parle de « collecte, conservation, communication ». L’emploi de ces termes reflète davantage une ligne de partage public/privé alors que la distinction pertinente serait probant/historique ou actif/historique.

Les propriétaires d’archives publiques ont obligation de verser leurs dossiers de valeur historique au service d’archives public dont ils relèvent (Archives nationales, régionales, départementales ou communales). La réalité est très nuancée : on trouve des archives historiques dans les services producteurs et des archives à valeur de gestion dénuées d’intérêt historique dans les services patrimoniaux, bien que l’administration des Archives s’efforce de corriger ces disparités. Une des explications de cette situation est sans doute que les textes ne prévoient pas de participation financière des services producteurs à l’archivage public. Le financement est public, en tout état de cause, mais il est difficile d’être plus précis : quels budgets pour quelles archives ?

Il serait également intéressant de distinguer ce qui correspond à la chaîne d’archivage (ou au non-archivage) et ce que représente la conservation et la valorisation du patrimoine archivistique dans le budget de l’État. Plus généralement, il serait sain de séparer les budgets d’archivage actif et d’archivage historique et de répercuter ces coûts sur les administrations bénéficiaires du service rendu.

Ceci va dans le sens d’une des conclusions du rapport Stirn sur l’organisation administrative des Archives nationales, remis au ministre de la Culture et de la communication le 19 octobre 2005. Le conseiller d’État préconise (p. 25 du rapport) le rattachement des Archives nationales au Premier ministre et non au ministre de la Culture comme c’est le cas depuis la création de ce ministère en 1959 : « Une tutelle de ce type pour les archives de France pourrait se justifier, en toute logique, par le caractère à la fois régalien et interministériel de la mission poursuivie. Par ailleurs, comme le relevait justement le rapport Braibant (p. 114), la finalité culturelle – d’ailleurs plus scientifique que patrimoniale – de l’archivage est tout à fait secondaire pour les services producteurs qui sont les premiers utilisateurs de leurs archives ; ce n’est qu’avec le temps que la recherche historique devient la finalité déterminante de la conservation ». Dans un ouvrage récent, Bruno Delmas, professeur d’archivistique contemporaine à l’École des chartes, plaide dans le même sens[4].

Par ailleurs, dans l’évaluation de ces coûts (et surtout dans la recherche de réduction des dépenses publiques), il faudrait tenir compte du manque de mutualisation des études préalables à l’archivage, études de faisabilité, rédaction de règles ou choix de logiciels. Pourquoi voit-on N préfectures et N conseils généraux lancer, parallèlement et chacun pour son compte, les mêmes consultations ou appels d’offres pour évaluer la faisabilité de la dématérialisation de leurs dossiers respectifs comme s’il ne s’agissait pas des mêmes contenus ?

Cette question conduit à évoquer le Service central d’organisation et méthodes (SCOM), créé par une circulaire d’Antoine Pinay à la fin de 1959, afin d’étudier et d’expérimenter les équipements de gestion de l’information, de tester les appareils de micrographie, de simplifier les procédures et l’organisation des bureaux (notamment la fonction « classement » ou « archives ») et de former les personnels, ce qui donna lieu à quelques brochures très pédagogiques toujours valables. L’action de ce service était, au regard du discours actuel sur le cycle de vie de l’information, particulièrement moderne. Le mot « archivage » n’existait pas encore mais on était au cœur du sujet tant il est vrai que l’archivage, c’est d’abord de l’organisation et de la méthode.

Le SCOM a été supprimé par décision du ministre des Finances en 1985 au motif (illusoire) que « son maintien n’était plus nécessaire », chaque ministère étant dès lors responsable de son organisation et de son développement informatique… Regrettable décision car, vingt ans après, le vide laissé par la disparition du SCOM n’a pas été comblé. Pour être positif, on pourrait voir dans la Direction générale de la modernisation de l’État (DGME), rattachée récemment au ministère de l’Économie et des Finances, une lointaine héritière du SCOM.

 

Dépenser mieux

Nul besoin d’établir la liste exhaustive des coûts directs et indirects de l’archivage et du non-archivage pour percevoir que les dépenses pourraient être mieux ciblées et mieux réparties.

Il ne s’agit pas de passer en revue les coûts existants afin d’évaluer la justification de chacun, de rechercher le même service à moindre coût ou de fusionner les tâches car ce ne serait qu’un traitement de surface qui soignerait l’effet et non la cause.

La question essentielle est de savoir non ce qu’on archive de fait aujourd’hui mais quelles informations on doit et on veut archiver, parce qu’on y a un intérêt élevé ou particulier, immédiat ou potentiel, durable ou temporaire. Le support de cette information à archiver (papier, film, numérique), sa forme structurée ou non, sa dimension ou son format sont secondaires face à cette première question, non pas que ces éléments ne soient pas importants, bien au contraire, mais parce qu’il ne convient de s’en préoccuper que si l’information a lieu d’être archivée.

La définition de la cible d’archivage est de la compétence du propriétaire qui assume la responsabilité du document vis-à-vis des tiers et la charge financière de l’opération. Comme le souligne la norme internationale ISO 15489, la politique d’archivage est une affaire de direction générale.

Il faut d’abord définir à quelles contraintes légales, à quels risques, à quelles exigences de traçabilité et de sécurité, à quels besoins d’accès, à quelles attentes de mémoire on veut répondre avant d’évaluer le coût de la mise en œuvre. C’est seulement quand on a identifié la part de production documentaire à mettre en archive, quand on dispose de volumes concrets, répartis par priorités, que l’on peut faire chiffrer ce que coûtent les différentes étapes de la chaîne d’archivage : identification, qualification, capture dans le système, conservation, consultation, destruction.

Seule une démarche globale peut permettre une étude pertinente d’opportunité et de faisabilité de l’archivage. Et cette démarche globale vaut à la fois pour l’archivage probant et pour les archives historiques. On a dans les deux cas un périmètre et un public auxquels il faut s’adapter au gré des évolutions institutionnelles, technologiques et sociétales, même si les deux périmètres et les deux publics sont bien distincts.

Les dépenses de maintenance des systèmes, aussi bien les outils techniques que les procédures, exigent une attention critique à ces évolutions, ainsi qu’une évaluation récurrente du fonctionnement du système exposé à de multiples éléments perturbateurs. Hélas, la veille et l’audit sont deux aspects plutôt discrets dans le monde actuel de l’archivage, du moins en France. C’est que pour auditer valablement, il faut disposer d’un système de référence, ce qui n’existe pratiquement pas dans ce domaine. Le référentiel reste à établir.

Plus généralement, il faut souhaiter une meilleure identification et une meilleure visibilité des compétences liées à l’archivage, ce qui passe manifestement par une amélioration de la relation entre l’université et l’entreprise. C’est ce qu’on se dit en observant les efforts croisés des directions informatiques et des éditeurs de solutions d’une part, des archivistes de l’autre.

Les premiers s’investissent dans l’archivage, allant jusqu’à considérer que « l’archivage est une mission historique des directions des systèmes d’information (DSI) »[5]. D’aucuns s’efforcent d’affiner les concepts et d’employer le mot juste, comme la société Cecurity.com qui réhabilite le mot « ampliation » au moment où l’administration s’en éloigne. Le cabinet de conseil BSM (Business Service Management) a créé le concept de « donnétique », une méthode d’organisation et de classification des données, en fonction de leur importance, évolutive tout au long de leur cycle de vie. La donnétique, issue du monde économique, présente d’intéressantes convergences avec la diplomatique des archivistes (voir chapitre 3) mais les deux mots ne se sont jamais rencontrés.

De leur côté, les archivistes sont rompus par leur formation initiale aux subtilités du document, de ses composantes, de la valeur absolue et relative de l’information dans le temps, habitués à analyser la valeur intrinsèque et la portée de l’écrit. Pourtant, ils cherchent fort peu à exercer leurs talents sur l’information numérique et les réservent aux archives patrimoniales. D’aucuns pensent en revanche qu’ils doivent se mettre à l’informatique, afin de devenir « archiviste-informaticien », comme si c’était un métier de demain. Ils se trompent, au moins dans la façon de poser le problème.

Il flotte ici et là une petite odeur de poudre réinventée, fort sympathique au demeurant mais on se plaît à imaginer la fertilisation croisée entre les héritiers de l’archivistique classique et les spécialistes de la criticité des données…


[1] Conférence de l’Atelier BNP Paribas sur la gestion du cycle de vie de l’information, 4 avril 2006, voir http://www.atelier.fr

[2] Paul Chen, « Do You Know What is in Your Employees’Inbox? » article published in DM Direct Newsletter, May 20, 2005 Issue, http://www.dmreview.com/editorial/newsletter_article.cfm?articleId=1028055

[3] Cass.Comm, du 29/10/2003, SG c/Valin

[4] Bruno Delmas, La société sans mémoire. Propos dissidents sur la politique des archives en France, François-Bourin, 2006.

[5] Sur le site www.atelier.fr en avril 2006