Coup de gueule, coup de coeur – TRANSARCHIVISTIQUE http://transarchivistique.fr Mon, 31 Jul 2017 13:42:39 +0000 fr-FR hourly 1 https://wordpress.org/?v=5.3.6 http://transarchivistique.fr/wp-content/uploads/2013/03/cropped-désert-tunisien-eau-verte-2-32x32.jpg Coup de gueule, coup de coeur – TRANSARCHIVISTIQUE http://transarchivistique.fr 32 32 Le « tableau de gestion d’archives » : un frein à l’archivage http://transarchivistique.fr/le-tableau-de-gestion-darchives-un-frein-a-l-archivage/ Mon, 31 Jul 2017 13:42:38 +0000 http://transarchivistique.fr/?p=831 Continuer la lecture ]]> Le titre du billet met l’accent sur l’opposition essentielle entre les archives et l’archivage, entre le constat de documents accumulés qu’on appelle archives et l’acte managérial de mise en sécurité des documents qui méritent d’être conservés, acte désigné par le terme archivage.

Mon propos est de souligner cette opposition entre les archives statiques que l’on se propose de trier après coup (sur leur bonne mine ou en pensant à une certaine histoire), et l’archivage dynamique qui permet, au travers des geste managériaux et professionnels, de constituer au fil de l’eau des archives saines. Car, quoique l’actuelle loi française sur les archives et sa glose laissent entendre, il ne faut pas croire que les archives relèvent de la génération spontanée (les archives seraient tombées là de la main de quelque divinité) et que leur existence est préalable à toute démarche archivistique. Il est plus sérieux de penser, comme au temps jadis d’ailleurs, que les archives sont le fruit d’une « mise en archives » des documents jugés nécessaires à préserver par leurs auteurs, émetteurs, propriétaires et/ou gestionnaires, conscients de leur responsabilité vis-à-vis de ces documents et des informations qu’ils renferment.

L’expression « tableau de gestion » est une des expressions de base de la communauté des archivistes publics ; un archiviste est-il nommé quelque part, il se préoccupe tout de suite de savoir s’il existe un « tableau de gestion » et, s’il n’en trouve pas, d’en établir un, recensant les documents produits par l’organisation assortis de leur « durée d’utilité administrative ». Sans insister sur l’inconsistance propre de chacun des deux mots qui composent cette expression (un tableau.. la gestion…), je m’interroge toujours sur le succès du phénomène « tableau de gestion » car ce document de référence qui se veut un outil méthodologique pour organiser les archives d’une entité administrative m’apparaît surtout comme un instrument par défaut, ambigu, inadapté à la mise en œuvre de l’archivage dans une organisation, et, disons-le franchement, contraire aux pratiques du records management (archivage managérial). Cette affirmation exige, bien sûr quelques explications.

 

PETIT HISTORIQUE DU « TABLEAU DE GESTION D’ARCHIVES »

L’expression « tableau de gestion » appliquée aux archives apparaît pour la première fois dans le texte d’un document diffusé par la direction des Archives de France en 1993 (instruction relative aux archives des établissements publics nationaux conservées localement) et en 1995 dans le titre d’une circulaire de cette direction (« Tableau de gestion des archives publiques des compagnies républicaines de sécurité »). On recense par la suite 34 circulaires des Archives de France avec cette expression (source : https://francearchives.fr).

Mais ceci ne signifie pas que les instructions de l’administration des Archives ne parlaient pas avant 1993 de la « gestion des archives » ni qu’il n’existait pas de tableaux relatifs aux durées de conservation. Simplement, les mots n’étaient pas les mêmes : l’expression la plus courante, avant cette date était « tableau de tri » dont la première occurrence dans le titre d’une note date du 5 avril 1977 (projet de refonte des tableaux de tri des archives judiciaires). Le mot « triage », apparu au début des années 1960, a été abandonné ; on trouve néanmoins quatre circulaires diffusant des « tableaux de triage » entre 1988 et 1991.

Les autres expressions utilisées pour le tri et la gestion des archives dans le titre des circulaires, à partir des années 1960 sont (avec les nuances) : autorisation d’élimination – apurement des archives – conservation et tri – tri et conservation – versement, tri et conservation – tri et élimination – conservation et versement – conservation, tri et versement – traitement – tri et échantillonnage – tri et versement – tri, versement et conservation. À noter que la plupart de ces circulaires concernent les Archives départementales, et se rattachent au projet de révision du Règlement général des Archives départementales de 1921, décidé en 1958.

Les instructions les plus anciennes sont assez courtes et portent sur un type de document précis (ex : élimination des dossiers des voyageurs de commerce, en 1959). Dans les années 1970 apparaissent des annexes sous forme de tableaux (j’ai repris le titre du tableau et à défaut, celui de la circulaire) :

  • tableau de versement et de tri des archives des services extérieurs de l’Office national des forêts (16 juin 1972),
  • tableau de versement et de tri des archives des directions départementales de l’Agriculture et services rattachés (13 novembre 1972),
  • conservation et versement aux Archives départementales des archives des services extérieurs du ministère de l’environnement et du cadre de vie et du ministère des transports (22 juillet 1980),
  • tableau de tri des archives du Centre national pour l’aménagement des structures des exploitations agricoles (CNASEA) (21 mars 1984),
  • documents à verser aux Archives par les cours d’assises, cours d’appel, tribunaux de grande instance, tribunaux d’instance et de police et conseils de prud’hommes (25 janvier 1985),
  • documents à verser aux Archives par les établissements pénitentiaires (4 juillet 1985) [cette circulaire-là, j’ai eu le plaisir de la mettre en œuvre en son temps, avec le greffier de Fleury-Mérogis qui m’a beaucoup appris],
  • versement, tri et conservation des archives des services extérieurs du Trésor aux Archives départementales (10 décembre 1986),
  • tableau des délais de conservation des archives de la délégation régionale de l’Éducation surveillée (19 novembre 1987),
  • documents reçus ou tenus par les bureaux des hypothèques qui seront versés aux Archives départementales (21 juin 1988),
  • etc.

Ce qui transparaît clairement de ces titres est que l’objectif de cette réglementation est la collecte des archives historiques par les services d’archives publics. Ces tableaux ont pour but d’aider les archivistes (départementaux) a constituer des fonds d’archives historiques cohérents au plan national.

La forme des tableaux se cherche tout au long de ces années mais l’élément central est toujours la durée de conservation dans le service administratif et le devenir des documents à l’issue de cette durée, à savoir : conservation aux Archives, élimination ou tri. La durée de conservation dans le service était à l’origine, à mon avis, autant un « délai de versement » qu’une durée d’utilité administrative. Les quatre colonnes qui vont devenir la norme à la fin du XXe siècle sont :

Colonne n° 1. Catégorie de document ou de dossier concernée
Colonne n° 2. Durée d’utilité administrative des documents (DUA)
Colonne n° 3. Sort final des documents, C, D, T
Colonne n° 4. Observations

On peut remarquer qu’il n’y a pas de numéro d’ordre ou de codification dans ce modèle, alors que plusieurs des tableaux de tri des années 1980 en comportaient, permettant ainsi une identification plus facile des typologies documentaires concernées.

 

QU’EST-CE QU’UN « TABLEAU DE GESTION » AUJOURD’HUI ?

C’est la question que l’on se pose.

Et la réponse n’est pas limpide.

Ou plutôt, il existe plusieurs réponses qui mettent en évidence les différences de points de vue.

Une circulaire du Service interministériel des Archives de France, en date du 22 mars 2010 et visant à la centralisation et au partage des tableaux réalisés par les services d’archives qualifie les « tableaux de gestion d’archives » d’« outils précieux pour collecter les archives définitives et éliminer les documents dépourvus d’utilité administrative ou d’intérêt historique ou scientifique ». On voit que la formule est parfaitement conforme aux origines des « tableaux de gestion ».

Le Dictionnaire de terminologie archivistique des Archives de France (2002) en donne la définition suivante : « État des documents produits par un service ou un organisme, reflétant son organisation et servant à gérer ses archives courantes et intermédiaires et à procéder à l’archivage de ses archives historiques . Il fixe pour chaque type de documents les délai d’utilité administrative , délai de versement au service d’archives compétent pour les recevoir, traitement final et modalités de tri à lui appliquer ». Je note ici la nuance entre délai d’utilité administrative et délai de versement, même si le Dictionnaire note que les deux délais « coïncident en règle générale » sans autre précision. Je comprends là que le délai d’utilité est considéré ici comme un délai conventionnel, c’est-à-dire un laps de temps négocié pour des raisons pragmatiques, à distinguer d’une durée de conservation qui s’appuierait sur une règle juridique ou métier. Si durée et délai sont très souvent confondus, ce n’est pas systématique ; ainsi le délai d’utilité administrative des registres de délibérations municipales est de un an d’après une circulaire de 2009, alors que la durée de conservation est bien évidemment indéfinie, ces documents étant le document historique par excellence d’une collectivité territoriale.

Le même Dictionnaire propose une autre entrée pour « tableau d’archivage » : « document réglementaire établi par l’administration centrale des archives décrivant les types de documents produits par une administration, un service, une institution ou dans le cadre d’une fonction administrative, et fixant pour chacun d’entre eux le délai d’utilité administrative, le traitement final ainsi que les modalités de tri à leur appliquer ». La principale différence entre les deux définitions (chacune renvoie à l’autre sans détailler le pourquoi de la distinction) semble tenir dans l’auteur du tableau : n’importe quel organisme pour le « tableau de gestion », l’administration des Archives pour le « tableau d’archivage ». Cependant, la liste des titres des circulaires des Archives de France ne confirme pas cela.

Dans la présentation d’un stage intitulé « Concevoir un tableau de gestion » (programmé en mars 2017), l’Association des archivistes français indique comme objectif du stage de « savoir établir un tableau d’archivage, comprendre son utilité et sa fonction et orga­niser son application » : là, le « tableau d’archivage » n’a manifestement pas le même sens que dans le Dictionnaire de terminologie ci-dessus car le stage s’adresse à tous quand le « tableau d’archivage » devrait être réservé à l’administration centrale des Archives.

Dans le glossaire du Référentiel de gestion des archives, publié par le Comité interministériel aux Archives de France en octobre 2013 (document de présentation de l’intérêt d’une bonne gestion des archives dans l’administration ne comportant aucun tableau relatif au tri et à la conservation), le « tableau de gestion » est défini comme un « document formalisant les règles de gestion du cycle de vie (DUA et sort final) des documents et données produits par un service, rédigé en accord avec les instructions de tri, si elles existent, et validé par la personne en charge du contrôle scientifique et technique compétente ».

Les sites Internet des Archives départementales comportent parfois un glossaire ou au moins une définition du tableau de gestion. Par exemple, pour les Archives du Var : « Il s’agit d’un état de tous les documents, qu’ils soient sous forme papier ou électronique produits et reçus par un service. A ce titre, il reflète l’organisation de ce service. Il sert à gérer les archives courantes (dossiers servant à la gestion quotidienne des affaires, conservés dans les bureaux) et intermédiaires (dossiers n’étant plus d’usage courant mais conservés pour des impératifs de gestion et/ou juridiques à proximité des bureaux). Ainsi, il permet de procéder aux éliminations réglementaires ainsi qu’à l’archivage des archives définitives dites historiques qui seront, à terme versées aux Archives départementales ». Cette définition met en parallèle la destruction des documents périmés et la constitution d’archives historiques mais, malgré l’expression « il sert à gérer les archives courantes », on ne voit pas bien comment il est utilisé par les services producteurs pour autre chose que les éliminations réglementaires, ce qui est très restrictif dans la gestion documentaire et archivistique des services. Le « tableau de gestion » est avant tout et quasi exclusivement un outil d’archivistes.

Pour ma part, j’ai déjà pointé du doigt en 2014 cette ambiguïté dans la finalité du « tableau de gestion » dans le billet « Évaluation et tableau de gestion ». La question est : l’évaluation archivistique (« fonction archivistique fondamentale préalable à l’élaboration d’un tableau d’archivage visant à déterminer l’utilité administrative, l’intérêt historique et le traitement final des documents » selon le Dictionnaire déjà cité) vise-t-elle a produire le « tableau de gestion » ou n’est-ce pas plutôt le « tableau de gestion » qui doit servir de référence pour apprécier la valeur des archives que l’on rencontre ? Sur le terrain, la relation existe dans les deux sens, selon l’opération en cours (organisation en amont, traitement a posteriori). On observe toutefois ici et là la pratique d’élaborer un « tableau de gestion » pour une entité administrative supprimée, pour un fonds clos. Ceci peut surprendre car pourquoi organiser un tableau de référence qui ne servira jamais puisque l’évaluation des archives, dans ce cas de figure, porte sur un « tas » qui ne sera plus alimenté ? Ne s’agit-il pas plutôt d’une opération unique visant à la production d’un inventaire, c’est-à-dire un instrument de recherche, et à l’élaboration de règles de gestion (même si certains documents existant lors de la dissolution du service devront être éliminés à moyen terme).

À noter que l’expression « tableau de gestion » est totalement absente du rapport Une stratégie nationale pour la collecte et l’accès aux archives publiques à l’ère numérique, présenté à la ministre de la Culture par Christine Nougaret en mars 2017 (53 pages).

Quant à la page Wikipédia sur la gestion des documents d’archives, elle dit ceci : « un calendrier de conservation, appelé aussi tableau de tri, fixe la « durée de vie » des documents, en fonction de critères juridiques ou historiques. Il permet de déterminer la valeur d’un document (valeur primaire ou secondaire). La valeur primaire d’un document est la raison pour laquelle le producteur ou le détenteur d’un document doit le conserver pour des motifs administratifs, légaux ou financiers. La valeur secondaire découle de l’intérêt historique d’un document ». C’est l’expression québécoise (calendrier de conservation) qui est privilégiée. Le « tableau de gestion » n’apparaît même pas. Alors, si c’est Wikipédia qui le dit… 😉

 

TABLEAU DE GESTION ET RECORDS MANAGEMENT DOUBLEMENT ANTINOMIQUES

Il ressort de ces différentes définitions, au-delà des nuances, que le « tableau de gestion » est :

  1. un document de référence qui présente en général les documents en suivant l’organisation des services (cf supra: « documents produits par un service », « reflétant l’organisation du service ») ;
  2. qu’il est originellement et majoritairement conçu pour la sélection des archives historiques dans les Archives départementales.

Ces deux caractéristiques du « tableau de gestion » en font très clairement un instrument contraire aux principes fondamentaux du « records management ».

En effet, la démarche de « records management », expliquée dans la norme ISO 15489 parue en français en 2001 :

  1. insiste fortement sur l’exigence d’appréhender les documents à archiver dans le contexte d’une activité ou d’un processus global, et non par service, car chacun sait que les organigrammes bougent (et ils bougent encore plus vite au XXIe siècle qu’à la fin du XXe) ;
  2. exclut les archives historiques de son périmètre documentaire. le périmètre d’application du records management (de l’archivage comme acte managérial), comme l’énonce clairement la norme ISO 15489, est distinct de la sphère des archives historiques ; le records management a pour objectif de piloter le cycle de vie des documents qui engagent une organisation jusqu’à ce que ces documents ne présentent plus d’intérêt pour l’exercice des activités de cette organisation ; en revanche et bien évidemment, la mise en œuvre de ces règles peut prendre en compte la valeur historique des documents, pour les transférer à échéance dans un service d’archives historiques, ou même considérer la valeur historique des a pendant l’écoulement de leur cycle de vie (protection, pérennisation, consultation) ; des indications sur la valeur historique ou sur l’intérêt d’une analyse historienne à échéance de la durée de conservation figurent dans les retention schedules anglo-saxonnes mais l’objectif de ces tableaux est d’abord et avant tout le besoin de l’organisme producteur de disposer des documents archivés pour couvrir un risque contentieux ou répondre à une autorité, ou encore pour conforter la mémoire des équipes métier.

Heureusement, faute d’autres outils méthodologiques disponibles dans la communauté, un certain nombre d’archivistes, connaisseurs de la norme ISO 15489 ou simplement confrontés aux exigences d’archivage de leur entreprise ou de leur organisation, ont « aménagé » le tableau en ajoutant les colonnes et les données nécessaires à la mise en œuvre de durée de conservation et au suivi du cycle de vie des documents à conserver dans l’intérêt des organisations et entreprises propriétaires. Malheureusement il s’agit surtout d’initiatives individuelles (souvent réussies du reste) et je ne vois pas ce qui a été fait pour théoriser ces expériences et produire des modèles de « référentiel de conservation » pour l’ensemble de la profession. Si des études sont réalisées là-dessus, il faut croire qu’elles sont privées ou confidentielles car les réseaux n’en font pas état. Beaucoup d’autres archivistes, hélas, abandonnés à leur triste sort face à des montagnes de papier (et bientôt de fichiers numériques) toujours plus hautes, continuent à se battre avec le sacro-saint « tableau de gestion » sans oser percer l’abcès.

 

ILLUSTRATION

J’observe ce « phénomène » du tableau de gestion d’archives depuis plusieurs décennies, notamment au travers du forum des archivistes (archives-fr) créé sur Yahoo à la fin du XXe siècle (https://fr.groups.yahoo.com/neo/groups/archives-fr/info). On y trouve régulièrement des messages d’archivistes à la recherche de tableaux de gestion existants pour faciliter leurs propres travaux.

J’ai remarqué ces dernières années une tendance à des recherches de tableaux de gestion de plus en plus spécifiques. On pourra m’objecter que les questions généralistes étant déjà traitées, les archivistes sont naturellement conduits à s’intéresser à des sujets plus pointus ; certes, mais tout de même, le domaine de plus en plus resserré de la recherche et surtout l’exposé des motifs de la recherche interpellent.

J’ai constitué au fil de l’eau un petit corpus de la cinquantaine de recherches de tableaux de gestion des six dernières années. Elles concernent notamment :

  • une épicerie sociale (novembre 2011)
  • les ludothèques (janvier 2012)
  • un abattoir municipal (décembre 2012)
  • les ordures ménagères (mars 2013)
  • les aires d’accueil pour les gens du voyage (avril 2013)
  • les délégations territoriales de l’Agence nationale pour la rénovation urbaine (juillet 2013)
  • une école des Beaux-Arts (septembre 2013)
  • un syndicat intercommunal pour l’éclairage public (octobre 2013)
  • les plans locaux pour l’insertion et l’emploi (avril 2015)
  • les maisons de justice et du droit (juin 2015)
  • un crématorium (juin 2016)
  • un service municipal Information & Jeunesse (juillet 2016)
  • une association conventionnée du secteur pénal (octobre 2016)
  • les dossiers de licences de spectacles dans les DRAC (novembre 2016)
  • une association départementale de parents et amis de personnes handicapées mentales (juin 2017)
  • les activités périscolaires (juillet 2017)
  • une piscine (juillet 2017).

Si on lit de plus près les messages des archivistes, confirmés ou stagiaires, à l’origine de ces demandes, on ne peut qu’être surpris du caractère relativement passif de la demande qui se résume en général à : « dans le cadre du traitement d’un fonds d’archives en cours, je cherche un tableau de gestion sur… ». Parfois, le demandeur précise qu’il a cherché une circulaire sur sa thématique mais n’en a pas trouvé, ou bien que celle-ci n’était pas assez détaillée. Dans quelques cas, il est indiqué que « nous avons été sollicités pour établir un tableau de gestion pour… » sans autre exposé de contexte ou de démarche.

Le flou de la finalité du « tableau de gestion » (sélection des archives historiques ou gestion du cycle de vie des documents d’un organisme) transpire de cet inventaire à la Prévert. On sent de manière sous-jacente , derrière l’archiviste, le besoin des services producteurs d’archiver, de conserver ou de détruire leurs dossiers. Pourtant l’appel à l’aide au « tableau de gestion » semble figé dans son expression.

Ce qui me frappe avant tout dans ce corpus, c’est l’absence de la notion de risque qui est pourtant le b-a-ba de l’évaluation des dossiers administratifs du point de vue du producteur, selon les principes du records management : on devrait logiquement mettre en archives ce qui mérite d’être conservé pour couvrir un risque demain ou après-demain, pour assurer sa responsabilité face à un tiers, pour conforter ses droits, pour prouver sa conformité à la réglementation (et non les dossiers accumulés qui ne servent plus). Cette préoccupation légitime et naturelle d’une entité juridique apparaît déconnectée du « tableau de gestion d’archives ».

Or, le simple fait de poser cette question du risque (à conserver ou à détruire les dossiers) permettrait de savoir, dans la majorité des cas, s’il faut archiver les documents ou non. La question de la conservation historique doit être décorrélée de la gestion de l’archivage dans le service, aujourd’hui plus encore qu’hier car aujourd’hui la production documentaire dans son ensemble est déréglée, tandis qu’autrefois (il y a cinquante ou trente ans) les archivistes pouvaient encore se fier à la rigueur administrative des services pour une production de qualité sur laquelle ils pouvaient sereinement poser une analyse historique.

Je déplore également l’absence récurrente d’une vision globale des activités d’une entité juridique responsable, comme si on oubliait que le contour d’un fonds d’archives est la responsabilité juridique d’une organisation et non le cadre du bureau du sous-service de la direction du département de… Ceci transparaît également dans la présentation, au même niveau, de documents majeurs en termes de risque et de documents internes de valeur secondaire, comme si toutes les archives se valaient. Un message met ainsi sur le même plan un « compte rendu de réunion d’expression libre » et « le PV de réunion du CHSCT ». À la décharge de l’archiviste, la pression du discours public ambiant, extrapolé de la définition légale des archives, qui veut que tout soit archives, même le moindre post-it…

Enfin, je déplore le manque d’esprit critique, tout au moins dans le corpus étudié. Un seul message « ose » s’interroger sur le bien-fondé d’une règle existante qui semble inadaptée à son environnement ; l’archiviste écrit : « Je m’interroge cependant sur l’opportunité de la conservation intégrale de ces documents [registres de brocanteurs], qui sont finalement assez volumineux ». Oui, la valeur d’archives historiques d’un document n’est pas figée sur son intitulé ; le volume, le contenu, le contexte, etc. jouent un rôle dans l’espace et dans le temps. L’archivistique doit aussi analyser cela.

CONCLUSION

Il y a réellement un malaise autour de ces « tableaux de gestion ». Ce malaise est dû au flou entretenu collectivement sur sa finalité. C’est aujourd’hui un outil bâtard qui fait marcher les archivistes de guingois. Un des messages postés sur le forum archives-fr l’an dernier est révélateur de ce flou : une archiviste écrit : « notre groupe de travail propre d’ajouter une colonne RM [records management] au traditionnel tableau de gestion des archives » pour « l’identification des documents pouvant être qualifiés de « records » ». J’avoue que j’en suis restée comme deux ronds de flan…

Il y a surtout une grande lacune de théorie et de formation archivistiques pour adapter la profession au contexte de la société de l’information.

Naguère (il y a quelques décennies), le plus gros contingent d’archivistes travaillaient dans les archives départementales ; il y a longtemps que les communes, les établissements publics, les syndicats, les agences, les associations, etc. regroupent les plus gros effectifs d’archivistes et que, dans ces structures-là, le besoin de maîtriser la masse documentaire, le besoin d’accompagner le cycle de vie des documents engageants l’organisme et le besoin d’être conforme à la réglementation sont prioritaires à l’identification des archives historiques. Prioritaire ne veut pas dire que les archives historiques de ces organismes n’auraient pas d’importance mais simplement qu’il ne faut pas mettre la charrue avant les bœufs. L’archivage managérial doit passer avant la sélection des archives historiques.

Dans la plupart des organisations, publiques et privées, on en est encore, pour la gestion des risques informationnels, au degré zéro de l’archivage. On laisse s’entasser les produits et sous-produits documentaires des activités sans prise de conscience de la valeur des traces écrites validées et diffusées, sans prise de conscience du risque attaché à cette diffusion, sans prise de conscience du fait que toute diffusion d’un écrit, en interne ou à l’extérieur, engage son émetteur. On appelle « archives », d’un mot aussi usurpé que vague, ces tas de documents et de données et, la masse étant finalement trop lourde, on finit par se dire qu’on devrait trier avant de jeter tout ce fatras, papier ou numérique. Et tout le monde, producteurs impénitents et trieurs invétérés, semble s’en accommoder comme d’une fatalité. Non, ce n’est pas une fatalité ! L’archivistique, c’est autre chose. Encore faudrait-il définir et accepter des objectifs plus ambitieux et mieux intégrés dans la vie des organisations.

Le « tableau de gestion d’archives » a vraiment besoin qu’on lui secoue les bretelles, tout au moins qu’on lui secoue les colonnes ! Il ne faudrait pas que la nouvelle génération d’archivistes continuent de s’y attacher comme à une bouée de sauvetage dans l’océan archivistique, car cela finirait vite en une profession qui dérive loin du continent des réalités…

Post-scriptum : Je n’ai pas eu particulièrement de plaisir à écrire cet article (personnellement, j’ai résolu le problème depuis un bon moment avec la méthode Arcateg) mais j’alimente ce blog conformément aux critères qui me l’on fait créer en 2013. Ceci dit, j’aurais aimé que ce sujet de fond soit l’objet (provocation en moins, bien entendu) d’un mémoire de master d’un étudiant en archivistique. Il n’est pas interdit de rêver…

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La norme ISO 15489 s’est-elle fait hara-kiri? http://transarchivistique.fr/la-norme-iso-15489-sest-elle-fait-hara-kiri/ Mon, 13 Mar 2017 17:36:28 +0000 http://transarchivistique.fr/?p=714 Continuer la lecture ]]> La norme internationale ISO 15489, texte fondateur et prometteur pour le records management, publiée en 2001 (je m’étais alors très impliquée dans les débats et dans la traduction française du texte), ne donne plus signe de vie.

Elle n’a été ni supprimée ni officiellement condamnée. Au contraire, elle a été révisée par l’ISO en 2016. Pourtant, on n’en parle pratiquement plus en France. J’ai récemment envoyé la requête « iso 15489 2016 » à Google et à Qwant. Les résultats sont peu nombreux et renvoient tous au site de l’ISO et un peu de l’AFNOR. Je suis allée voir la page ISO 15489 sur Wikipédia : aucune mention de la nouvelle version validée par l’ISO en 2016…

Que s’est-il passé ? Pourquoi cette norme de management de l’information centrée sur le processus d’archivage des documents à risque a-t-elle sombré dans l’oubli et l’indifférence alors que les enjeux du mauvais archivage ou du non-archivage n’ont jamais été aussi prégnants ? Quelles sont les raisons de cette disgrâce, ou du moins les causes de cette décadence ? Je vois trois explications.

Tout d’abord, les excès de normalisation

Lors de la publication d’ISO 15489 en 2001, cinq ans seulement après la proposition des records managers australiens de faire profiter la communauté internationale de leur expérience, tout le monde a salué la pertinence du texte, sa qualité, sa clarté, sa sobriété. Pour la France archivistique, dont le centre de gravité se situait (et se situe encore largement) entre les archives « intermédiaires » et les archives historiques, ISO 15489 représentait une salutaire révolution avec ses deux messages essentiels :

  1.  les documents qui engagent la responsabilité et dont la non-disponibilité dans le temps présente un risque doivent être pris en charge par le management de l’organisation dès leur création ;
  2. les documents eux-mêmes doivent viser des qualités d’authenticité, intégrité, fiabilité et exploitabilité, tandis que les systèmes qui les gèrent doivent être fiables, intègres, conformes à la réglementation, exhaustifs, systématiques.

Après la publication de la norme, les instances de normalisation se sont engagées trop vite dans la production de nouvelles normes, sans se préoccuper véritablement de la diffusion des normes existantes, comme si la normalisation était une fin en soi et que la mise en œuvre des normes fondamentales (ISO 15489 est une norme fondamentale) n’était pas un objectif prioritaire ! Je me souviens avoir été sollicitée dès 2001 pour travailler sur les normes « filles » d’ISO 15489, alors que la norme n’était pas encore connue des principaux utilisateurs ; j’avais donc refusé.

En 2008, au moment de la publication de MoReq2-Exigences types pour la maîtrise de l’archivage électronique (norme de fait européenne), ISO 15489 était toujours LA norme de référence pour les projets d’archivage, notamment pour les entreprises qui rejoignait alors le CR2PA (Club des responsables de politiques et projets d’archivage) nouvellement créé. Depuis lors, le CR2PA s’est donné pour objectif, au travers de ses tables rondes et de ses référentiels, de promouvoir ces concepts majeurs de la gouvernance de l’information dans l’entreprise : implication du management, documents à risque pris en compte dès la création, caractère transverse et systématique de l’archivage, d’où la naissance de l’expression « archivage managérial » qui résume bien tout cela. Faire passer ces concepts fondateurs était prioritaire. Du reste, les adhérents du CR2PA ont toujours dénoncé le « maquis des normes ». Trop de normalisation tue la normalisation.

Ensuite, la confusion terminologique

Les traductions françaises de MoReq et d’ICA-Req (ISO 16175) s’inscrivaient dans le prolongement de la version française d’ISO 15489, avec les évolutions ou les ajouts induits par le contexte de l’archivage électronique, et tout cela était clair et progressif.

En 2011, la production d’une nouvelle série de normes (ISO 3030X) dédiée au management et à l’audit du système de gestion des documents archivés (management system for records) s’est accompagnée en France (AFNOR) d’une révision fantaisiste des principes de traduction débouchant sur des textes incompréhensibles par les utilisateurs. Le fait de traduire l’anglais record qui désigne le document qui, en raison de sa portée et/ou de son contenu, est mis à part (set apart) dans un système de contrôle et de conservation dédié pour une utilisation ultérieure, le fait donc de traduire record par « document d’activité » est un contre-sens, une aberration et une contre-performance :

  • un contre-sens car l’essence du mot record (qui est d’enregistrer dans un système ce qui est digne de figurer dans les archives) est complètement bafouée ; c’est comme si, voulant parler des lauréats à un concours, on utilisait le mot « candidat »… Or, il existe sur les serveurs des entreprises 70% de documents / données qui ne sont pas contrôlés et qui sont sans intérêt et qui sont tous issus des activités de l’entreprise ;
  • une aberration car « document d’activité » est une expression forgée à partir de rien de connu, que personne n’emploie au quotidien (même ses auteurs) et, loin d’éclairer l’utilisateur, elle obscurcit le paysage et désoriente celui qui cherche justement à s’orienter ;
  • une contre-performance car elle a coupé pour le public francophone le lien naturel entre ces nouveaux textes et la norme mère ISO 15489 et ainsi largement contribué à la désaffection des entreprises pour ce texte pourtant si solide.

Nul doute que ce choix linguistique malheureux a accéléré l’enterrement dommageable d’ISO 15489. La norme est morte, vive la norme ! Oui, mais laquelle ? Ce n’est plus la norme élaborée par l’expérience et l’expertise mais la norme issue du comportement du plus grand nombre, balloté par la valse des technologies et les acteurs du numérique.

Enfin le tournant de la société connectée

Le délai de révision des normes internationales est généralement de cinq ans. ISO 15489 aurait dû être révisée en 2006. On aurait pu attendre 2010, en tout cas vu de la France où l’appropriation de la norme était un vrai défi. Mais, tant pis si je me répète, le désir académique de publier de nouvelles normes l’a emporté sur le devoir d’accompagner les meilleures normes sur le terrain.

Le temps a passé et le texte révisé arrive trop tard en 2016, comme l’ont justement souligné certains experts anglo-saxons.

Il aurait fallu anticiper les impacts profonds et durables de la société connectée sur les principes fondamentaux du records management, intégrer dans le projet  de révision de la norme les nouvelles formes des échanges numériques engageants (mails, réseaux sociaux…), le nouvel environnement de production de l’information à archiver, la tendance technologique (déjà soulignée par MoReq2010 et ICA-Req, module 3) à sécuriser et conserver les documents dans leur environnement de production, la nécessité de centraliser les règles sur les archives et non les archives elles-mêmes, les contraintes qui en découlent en termes d’interopérabilité, la puissance des moteurs de recherche et des algorithmes qui périment complètement la vision de l’accès à l’information archivée, voire les questions de la territorialisation des données et de la protection des données à caractère personnel.

Ces éléments ne sont pas suffisamment pris en compte dans la révision récente de la norme. Le temps a passé et la norme a raté le coche du XXIe siècle qu’elle avait pourtant si bien inauguré. Ceux qui avaient la main pour formaliser ces évolutions inéluctables et les introduire dans le cadre de référence normatif officiel des projets d’archivage ne l’ont pas fait ou pas suffisamment tôt.

Les utilisateurs se sont donc tournés vers d’autres initiatives, plus éclatées, plus disparates. Les travaux du groupe InterPARES dont le projet n° 4 (2013-2018) vise les « digital records and data entrusted to the Internet » autrement dit les documents et données engageants dont l’archivage est confié à Internet, sont particulièrement pertinents mais ils sont malheureusement peu connus en France et ils ne sont accessibles qu’en anglais. Les deux MOOCs du CR2PA (« Bien archiver : la réponse au désordre numérique » et « Le mail dans tous ses états ») se sont efforcés d’adapter les fondamentaux d’ISO 15489 au « tsunami numérique » et ont remporté un succès certain. Mais la force d’inertie des institutions a eu raison des promesses d’ISO 15489.

Alors, ISO 15489, délaissée, a quitté le champ de bataille ; elle s’est perdue dans les nuages ou a fini par se percer le flanc… Quel que soit le mode opératoire de sa disparition, elle n’est plus là et les entreprises doivent se débrouiller avec d’autres références naissantes qui risquent de disparaître à leur tour. Cent fois sur le métier…

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Le record, la poule et l’œuf http://transarchivistique.fr/le-record-loeuf-la-poule/ http://transarchivistique.fr/le-record-loeuf-la-poule/#comments Sun, 23 Feb 2014 18:45:31 +0000 http://transarchivistique.fr/?p=331 Continuer la lecture ]]> Publié par Marie-Anne Chabin, 24 février 2014

Les records au sujet des œufs et des poules ne manquent pas : poule qui a pondu le plus d’œufs dans l’année, œuf le plus gros ou le plus petit, œuf le plus lourd, et autres événements extraordinaires dignes de figurer dans le grand livre des records.

Poule et oeufMais c’est bien sûr de l’autre sens de « records » dont je veux parler ici, celui du mot anglo-saxon que les professionnels de l’information français semblent affectionner si j’en juge par le nombre de fois où j’entends : « Quand faites-vous votre cours sur le record ? ». « Comment marquer le passage du document au record ? ». « Ce sont les métadonnées pour la conservation du record », etc.

Ce record-là se prononce en général avec un « r » qui roule un peu, un « e » tirant sur le « i » et un « d » prononcé, ainsi que le « s » final au pluriel ; il donne lieu à des variantes d’accentuation (syllabe initiale, finale), tout comme son associé « management ».

Je m’étonne toujours de l’engouement pour ce franglais et de la confusion qui l’accompagne. Est-ce pour sacrifier à la mode ? Est-ce parce que cela sonne bien ? Est-ce pour éviter de parler du fond ?

Toujours est-il que j’ai personnellement de plus en plus de mal à comprendre le sens précis que donnent à ce mot ceux qui l’emploient.

Il est vrai que, y compris en anglais, le concept peut paraître subtil et il achoppe notamment sur le moment de la « record creation ». Naît-on record ou le devient-on ? Un document est-il record par nature ou par destination ? Autrement dit, qu’est-ce qui prédomine dans le statut de record, les qualités intrinsèques du document ou le fait qu’il soit capturé ou enregistré (recorded) dans un système ? That is the question. Est-ce le record préexiste au système et que le système est créé pour accueillir le record ? Ou est-ce le système préexiste et crée les records ? C’est l’histoire de l’œuf et de la poule. Nous y voilà !

La réponse n’est pas tranchée parce que la question est mal posée.

Le record, le document et le système

Le problème vient de l’utilisation d’un même mot pour désigner deux notions distinctes : d’une part, le statut propre d’un document dans le processus métier qui le crée ; d’autre part, l’appartenance d’un document à un ensemble organisé de documents, délibérément regroupés pour constituer un fonds documentaire à des fins de preuve et de mémoire.

Plus exactement, le problème vient de ce que les deux périmètres ne se recouvrent pas alors que justement ils devraient se recouvrir. Je veux dire qu’un document qui engage celui qui l’a créé ou qui présente un intérêt dans le temps pour celui qui l’a reçu, devrait être systématiquement rattaché à un système de gestion capable d’accompagner son cycle de vie aussi longtemps que nécessaire. C’est exactement le principe du records management et c’est bien ce que beaucoup de personnes ne semblent pas avoir complètement compris dans cette démarche qui n’est pas plus anglo-saxonne que russe, allemande ou française mais relève du bon sens et du sens des responsabilités.

La logique veut que les actes majeurs du pouvoir, de l’administration, de l’activité économique, de la vie familiale, etc. soient consignés quelque part, dès leur établissement, pour servir de référence et de témoignage : procès-verbaux de délibération, registre d’état civil, jugements, minutier des notaires…). Mais la production documentaire ne s’arrête pas aux actes majeurs.

Les documents qui ne sont pas des contrats ou des décisions signés, numérotés, enregistrés, diffusés, sont-ils des records ? Si non, pourquoi ? Si oui, à partir de quel moment ?

La bonne question à poser est une double question :

  1. quels sont les documents qui présentent une valeur de conservation en tant que trace d’une activité qui engage la responsabilité ?
  2. comment sont-ils pris en charge par un système qui garantit leur qualité (authenticité, fiabilité, intégrité, exploitabilité pour reprendre les exigences de la toujours excellente norme ISO 15489) ?

La question sur les documents appelle une réponse en trois étapes : pertinence du document pour l’entité juridique qui le détient, poids du document au regard des risques, recul du temps pour une révision des risques et des besoins.

1/ Tous les documents ne sont pas des records.

La première évidence quand on parle de records management est que tous les documents produits dans le cadre d’une activité, d’un processus, d’une institution, d’un projet, etc. ne sont pas, ne seront pas, n’ont pas vocation à être des records. Il faut le dire, le répéter, l’écrire car cette vérité ne semble pas partagée.

Le statut de record se définit d’abord par la valeur que présente le document pour son détenteur : est-il où non porteur de quelque chose dont la disparition serait dommageable au respect de la réglementation et à la défense des droits ? L’expression « a document is set apart AS a record », que l’on retrouve dans plusieurs normes ou textes de référence du records management, est assez explicite sur le fait qu’un record est un document dont on a estimé, en raison de ce qu’il est, en fonction de sa valeur d’actif informationnel, etc. dont on a estimé qu’il devait être placé dans un lieu protégé où l’on veillerait sur sa vie en vue d’une consultation ou d’une utilisation éventuelle. Il y a un choix humain, ou du moins une validation de cette valeur de record. C’est exactement le sens de l’expression française « classer aux archives », expression qui a eu pendant des siècles strictement le même sens que « to file in the records ». En découvrant le records management comme on découvre un nouveau continent (sinon pourquoi s’agripper ainsi à l’expression anglaise ?), les Français ne font finalement que renouer avec un comportement tout à fait classique des administrations et entreprises françaises, mis à l’écart par un demi-siècle de sur-préoccupation des archives historiques et quelques décennies de GED hyper-collaborative.

Contrairement à la fantaisie de la loi française (1979, 2008) qui décide soudain que tout est archive, les Anglo-saxons font la différence entre les records et les non-records. Les « non-archives » en France n’existent pas ; on se demande même parfois si elles ne sont pas interdites par la loi… Il n’est pourtant ni honteux ni criminel de dire que la Nième copie d’un document existant par ailleurs n’a pas de valeur d’archives, que les gribouillis d’un collaborateur sans pouvoir de décision et lisibles par lui seul n’ont pas de valeur d’archives, que les données récapitulées dans un autre document n’ont pas de valeurs d’archives, etc. (voir la très significative liste des non records de l’État du Colorado à la fin du billet sur les archives courantes).

Compte tenu de l’abondance des données, du tsunami numérique, de l’infobésité, l’urgence en matière de records management est bien de distinguer ce qui doit être archivé en priorité et non de chercher d’hypothétiques outils qui archiveraient tout. Compte tenu du coût, tout garder parce que tout pourrait peut-être un jour intéresser un historien est un comportement irresponsable. Et la traduction de « record » par « document d’activité », décidée par l’AFNOR est elle-aussi irresponsable puisque, loin d’aider à y voir plus clair, elle rajoute une couche de confusion avec un néologisme insignifiant et étranger aux pratiques des utilisateurs.

2/ Le poids des documents

On aura beau dire et beau faire, tous les documents ne se valent pas. Les archives ne sont pas des boîtes de petits pois, précisément parce qu’elles ont des poids différents. Il y a entre pois et poids une lettre de différence, la lettre « d » : le d de document, le d de données, le d de dossier, le d de diplomatique…

Un contrat international entre deux groupes industriels portant sur des millions d’euros ou de dollars pèse objectivement plus que le projet non abouti de création d’une épicerie communale à Trifouillis-les-Oies, même si un historien de Trifouillis-les-Oies se moque du développement industriel et regrettera toute sa vie la disparition de cette note sans lendemain rédigée par un élu municipal de l’opposition un jour de pluie…

Il y a dans toute entreprise et dans toute administration des documents majeurs, généralement sous la forme de décisions, délibérations, contrats, conventions, qui sont les principaux « records ». La nécessité de les « classer aux archives » ne fait aucun doute et ne souffre aucune hésitation (sauf malveillante bien sûr).

Ces documents majeurs voient graviter autour d’eux des documents justificatifs ou explicatifs de ce qu’ils sont, de ce qu’ils disent, de ce à quoi ils servent. Le poids des documents maîtres rejaillit immanquablement sur les pièces justificatives et explicatives qui en sont solidaires.

Il faut ici attirer l’attention sur le fait que la typologie documentaire, le type ou le nom du document, est à elle seule insuffisante à déterminer la valeur d’un document. Cette valeur tient au rôle joué par le document dans la relation qu’il trace et/ou dans son impact sur d’autres personnes, d’autres actions.

Il y a ensuite des documents, beaucoup plus nombreux, qui jouent un rôle intermédiaire (attention, cela n’a rien à voir avec les archives intermédiaires) dans l’exercice des activités, et dont il faut assurer la conservation à moyen terme pour comprendre comment les choses se sont organisées et pour tracer le bon fonctionnement des organisations.

Enfin, il y a toutes sortes de papiers, fichiers, données qui entrent dans le processus, y font trois petits tours et n’ont plus qu’à s’en aller car ils ne portent rien de la décision.

Le poids au regard du risque de non disponibilité des documents dans le temps, critère majeur de l’archivage selon ISO15489, se traduit en durée de conservation, laquelle peut être très longue, longue, moyenne ou courte, en fonction des exigences réglementaires mais aussi des besoins constatés (voir le billet sur les durées de conservation).

Le caractère confidentiel ou vital, exigeant des mesures de sécurité particulières, doit être dissocié de la durée de conservation à laquelle il n’est pas corrélé : il y a des documents vitaux à conserver longtemps, des documents confidentiels à conserver peu de temps, etc. On rencontre les cas de figure. Il faut gérer le tout mais la conservation est prioritaire car comment assurer la confidentialité et la sécurité d’un document qui n’est pas conservé ?

3/ Le recul du temps

L’objection la plus courante à la détermination en amont d’une durée de conservation est que l’on ne sait pas aujourd’hui la valeur que tel document aura demain. C’est la notion de temps différé, expliquée dans le Référentiel Archivage managérial du CR2PA.

La réponse à cette objection est que la question n’est pas de savoir aujourd’hui toutes les valeurs que pourra porter ce document demain, mais de savoir au moment où il est produit quel est sa valeur primaire, c’est-à-dire pour quoi il a été produit, pour qui, dans quel cadre, avec quel objectif, avec quel risque : engagement contractuel, échange informel, notes personnelles, décision, aide à la décision, etc. Sur cette base là, il est tout à fait possible de définir une durée de conservation qui, si elle est bien gérée, ce que l’on peut espérer avec un bon système d’archivage/records management, sera périodiquement évaluée et le cas échéant révisée.

Quand on parle « records management », les archives historiques ne sont pas incluses dans le périmètre ; là aussi, il faut le répéter. Toutefois, les records sont le plus gros producteur d’archives historiques (voir le billet définition des archives historiques et théorie des quatre-quarts). Il est donc légitime qu’en tant que principal client des « records », les « archives » (arkhaillevz) aient un rôle de prescripteur sur le sort final des documents à échéance de leur durée de conservation.

De même, des documents dont la valeur de conservation n’était pas identifiée au moment de leur production, peuvent, sous l’effet d’une prise de recul de la situation, acquérir une valeur de conservation ou une nouvelle valeur de conservation, plus longue ou plus courte.

C’est bien pour cela qu’il y a besoin dans les entreprises de responsables de l’archivage managérial qui sachent sensibiliser les dirigeants et les collaborateurs à l’importance du geste d’archiver ce qui le mérite, qui aident à produire et maintenir des référentiels cohérents pour la gestion des risques liés aux traces ou à l’absence de traces des actes engageants, pour bien les gérer dans le temps, quelqu’un qui pilote le dispositif logiciel approprié pour mettre en œuvre ces exigences d’entreprise.

La question sur les systèmes appelle une réponse en deux points : un point de qualité et un point de temporalité.

1/ Les fonctionnalités

La première qualité d’un système de records management (un système d’archivage pour parler français) est de posséder les fonctionnalités minimales qui garantissent la maintenance de la qualité des documents dont la gestion lui est confiée. Ces fonctionnalités, ces core records management requirements concernent:

  • d’une part la qualité matérielle des objets archivés, c’est-à-dire la prise en charge et le contrôle de l’objet à l’entrée en référence à des règles prédéfinies (vérification de la conformité aux critères d’admission car ce n’est en aucun cas le système qui crée le record !), la maintenance de la lisibilité, la mise à disposition des contenu via des métadonnées et des moteurs de recherche, la sécurité contre des accès non autorisés ;
  • d’autre part la gestion du cycle de vie du document archivé avec l’attribution obligatoire d’une durée de conservation motivée, définitive ou à réviser mais exprimée et gérable, et les moyens de piloter la fin de la destruction et les modalités de celle-ci, ou les étapes de révision. Tout ceci est bien sûr indissociable d’une qualification de la valeur et du contenu des documents archivés, en regard d’une cartographie préalable de ce que devrait être le fonds d’archives géré, cartographie appelée parfois plan de classement (mais ce terme est lui aussi tellement polysémique…).

Porte RecordsCe premier point recueil en général l’adhésion des gens qui se réclament du records management, mais beaucoup de systèmes ne répondent pas correctement au pilotage du cycle de vie. Quand on me demande la différence essentielle entre un système de GED et un système d’archivage, je réponds invariablement que c’est la capacité à piloter le cycle de vie au moyen d’un référentiel préétabli au niveau général de l’entreprise ou de l’institution. Il est bien évident que ce n’est pas chaque collaborateur qui est à même de dire, seul dans son activité et pour toute l’entreprise, la valeur collective de son document.

2/ Le moment de l’archivage

La question du moment de l’archivage est d’autant plus cruciale en France qu’elle fait face, d’un côté, à des lustres de négligence du concept de record creation et, de l’autre, à la pratique ravageuse des archives intermédiaires. Sauf quelques exceptions (le bureau d’ordre au ministère des Affaires étrangères par exemple), les archives intermédiaires ont déplacé en quelques décennies le geste responsable d’archiver de son point de départ initial (la création du document) au moment où le document n’est plus utilisé couramment par son producteur. Cette cassure, d’ordre logistique, est lourde de conséquences car elle a en quelque sorte « plié » le cycle de vie du document au mauvais endroit. Et comme elle est inscrite dans la réglementation des archives, on se demande comment on va sortir de ce mauvais pli. Pourtant, en français comme en anglais, et comme dans toutes les langues, le sens du verbe archiver, ou de l’expression « classer aux archives », insiste dans son essence sur la mise en sécurité du document, en raison de sa valeur et donc dès sa production. La record creation correspond au moment où le document est finalisé, figé, approuvé, signé, diffusé. J’insiste ici sur la notion de diffusion ou de transmission car elle aussi importante que négligée en général dans les pratiques actuelles.

C’est bien au moment où un document acquiert sa valeur engageante par la validation et surtout la transmission (et ses conséquences éventuelles), qu’il « devient » record, et par conséquent qu’il doit être géré en sa qualité de record, autrement dit qu’il doit être archivé, au sens originel du terme.

Étymologiquement, c’est l’enregistrement qui crée le record mais c’est parce qu’il a une valeur de record que le document est enregistré; c’est la signature et l’envoi qui crée l’archive, parce que c’est à ce moment là que la responsabilité de ce qu’on a dit et fait est tracée. C’est ce moment qui initie la durée de conservation.

En résumé

Les records sont des documents qui possèdent une valeur qui justifie leur conservation et ils doivent être archivés dès qu’ils acquièrent cette valeur, le plus souvent au moment de leur production, parfois en différé en fonction de leur rôle dans un dossier ou du contexte qui actualise cette valeur.

En aucun cas, le simple fait de mettre n’importe quel papier ou fichier dans un système de records management n’aura pour effet de créer un record au sens du records management.

Pour revenir à l’œuf et à la poule, il en ressort que, si l’œuf précède la poule, l’œuf est le record qui, grâce aux bons soins de la fermière-responsable de processus, va donner naissance au système. Et si la poule précède l’œuf, la poule est le processus qui va « pondre » le record lors de l’étape clé de validation. Il y a deux poules, celle qui pond l’œuf et celle à laquelle l’œuf va donner naissance une fois couvé. Il y a deux processus : le processus métier qui donne naissance au document à risque ; le processus d’archivage qui gère ce risque.

Un bon système de records management est :

  1. un système où les documents qui présentent une valeur de conservation à l’échelle de l’entreprise ou de l’organisme sont archivés dès l’acquisition de cette valeur ; et
  2. un système où tous les documents conservés ont été qualifiés et que cette qualification justifie la conservation.

Inversement, un système de records management perfectible est un système où une partie des actes et des traces des responsabilités n’a pas été enregistrée et où sont conservés des documents qui ont perdu leur statut de record ou qui ne l’ont jamais eu.

Les solutions logicielles d’archivage doivent être au service des principes du records management et non artificiellement rattachées à lui.

 

 

Publié par Marie-Anne Chabin, 24 février 2014

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Traduction du terme anglais « record » http://transarchivistique.fr/traduction-du-terme-anglais-record/ http://transarchivistique.fr/traduction-du-terme-anglais-record/#comments Wed, 25 Sep 2013 15:41:54 +0000 http://transarchivistique.fr/?p=222 Continuer la lecture ]]> Publié par Marie-Anne Chabin, le 25 septembre 2013

J’ai été choquée ce début de semaine par le titre et une ou deux phrases du dernier billet d’Arnaud HULSTAERT, billet par ailleurs tout à fait pertinent et dont, nonobstant ce billet-ci, je recommande la lecture : http://blogresearch.smalsrech.be/?p=5983.

Le titre : Gestion des documents d’activité : enjeux documentaires et fonctionnels.

Les phrases :

1/ « …tout d’abord d’identifier les documents qui sont engageants pour l’organisme, documents que l’on qualifiera de documents d’activité conformément à la nouvelle norme en la matière (ISO 30300) ».

[Je tiens d’emblée à rectifier cette expression fautive: il n’y  a pas de nouvelle norme qui imposerait les « documents d’activité » comme on impose une nouvelle monnaie ou un nouvel impôt; il y a juste une mauvaise traduction AFNOR d’une très bonne norme ISO qui poursuit son activité pluridécennale de normalisation sur le « records management » autrement dit une gestion managériale de l’archivage.]

2/ « Les documents d’activité ont une valeur probante importante ».

Trois choses me choquent dans cette affaire que je veux exprimer avant de revenir à la fin de ce billet sur le sens de « record ».

Les records sont des documents qui engagent

La première chose qui m’a choquée est d’avoir vu cette expression diffusée sur le groupe Linkedin du CR2PA (Club des responsables de politiques et projets d’archivage) où l’expression documents engageants est assez naturelle et l’expression « documents d’activité » notoirement inexistante ; voir en particulier le livre blanc «Archivage des mails : l’utilisateur face aux mails qui engagent l’entreprise» rédigé en 2009 sous la houlette de Daniel COLAS : http://blog.cr2pa.fr/publications/.

Pour être dans l’actualité, nous discutions ce matin même avec le DSI d’une entreprise de 10000 collaborateurs, sans aucun projet d’archivage à cette heure, qui a eu cette formule : « La messagerie est de plus en plus utilisée pour engager l’entreprise ». Si ce n’est pas ce que les Anglo-saxons appellent « e-mails records », je veux bien être pendue !

« Documents d’activité » est une erreur de traduction

La seconde chose est que l’expression « documents d’activité » ne traduit pas la notion anglo-saxonne de record. Je ne suis pas a priori contre les inventions linguistiques (j’en commets suffisamment) mais encore faut-il que les mots évoquent quelque chose, qu’ils servent à faire comprendre le concept. Or, ce n’est pas le cas. Cette expression n’a aucun relief pour aider les entreprises et les organismes à comprendre les enjeux de l’archivage.

Je m’en suis déjà plusieurs expliquée dans au moins trois écrits ; je ne fais donc que renvoyer à ces trois sources :

Pétition d’octobre 2010 contre la traduction française des normes ISO/DIS 30300 et 30301 proposée par l’Afnor (CN11)

Billet Traductibilité (octobre 2011)

Article Le records management : concepts et usages, avril 2012

Oser prendre parti

La troisième chose qui me choque se situe en dehors de l’archivistique et de l’archivage. C’est le conformisme craintif face à des textes issus d’organisme de normalisation qui se révèlent incompréhensibles et confusionnels ? Pourquoi, si une traduction de norme n’est pas explicite et n’est pas comprise, veut-on s’obstiner à s’y conformer ? Je ne m’explique pas cette attitude qui consiste à adopter une expression que l’on ne cautionne pas (en l’occurrence les documents d’activité) tout en la faisant suivre d’une autre expression explicite (en l’occurrence les documents engageants) pour être compris, surtout quand on sait que ledit organisme de normalisation a délibérément rejeté l’expression « documents engageants » en 2010.

Ces commissions de normalisation sont constituées d’un petit groupe de professionnels dont la représentativité (et donc la légitimité) me paraît de plus ou plus difficile à démontrer. Ces professionnels peuvent avoir raison ; ils peuvent aussi se tromper. Des siècles de peinture ont représenté Moïse avec des cornes à cause d’une erreur de traduction de saint Jérôme dans la Vulgate. C’est sympathique, cela alimente la petite histoire mais est-ce un modèle à suivre dans les textes de références qui organisent la gestion documentaire et l’archivage ? Tout respectable qu’il soit, le bon saint Jérôme a néanmoins commis une erreur…

Je renvoie aussi aux commentaires de Richard CAZENEUVE et de Nathalie MORAND-KHALIFA lors de la même discussion sur notre groupe Linkedin.

Records et non records

La question de fond est la compréhension de ce qu’est un « record ». Si les gens savaient faire la différence entre records et non records, l’archivage se porterait mieux en France. Or, on n’est loin du compte. J’en veux pour preuve toutes les sottises archivistiques que j’ai pu lire sous la plume de société de conseil, de prestataires mais aussi d’archivistes, tandis que les autorités de l’État (CNIL, Archives de France) surfent sur le sujet dans l’aborder…

On peut s’exprimer maladroitement – je ne prétends pas être toujours claire et explicite – mais avec les « documents d’activité », trop, c’est trop!

Ce qui est important dans un « record », c’est sa valeur de responsabilité, ce qu’il trace, ce qu’il prouve et qui justifiera une action future, ce qu’il dit que d’autres documents ne disent pas, etc., ce qui fait que ce document doit être classé dans les archives (pour utiliser une terminologie ancienne mais saine) ou doit être capturé et enregistré (recorded) dans le système d’archivage électronique (formulation de ce siècle).

L’enjeu de l’archivage est de faire la distinction entre ce qui doit être archivé et ce qui ne doit pas être archivé, entre les documents qui engagent la responsabilité et la mémoire institutionnelle (autrement dit la responsabilité de l’entreprise aujourd’hui vis-à-vis de l’entreprise demain), et les documents sans intérêt pour la constitution de cette mémoire.

L’environnement numérique a provoqué une inflation sans précédent des données avec X versions et Y copies de sorte que moins de 20 % des documents/données mérite d’être archivé, et donc 80% doit être détruit. Le tsunami numérique, pour reprendre l’expression du CR2PA, met cette distinction entre documents à archiver / documents à ne pas archiver au cœur du processus d’archivage. Le problème n’est pas l’activité dont l’information procède. Le problème est le statut probant ou original du document face aux informations inéligibles au statut d’archives (pour la dimension « archives historiques », voir le premier billet de ce blog).

Dans les guides anglo-saxons pour le records management, on distingue volontiers les records des non records, les documents à archiver des documents qu’il n’y a pas lieu d’archiver.

Voici un exemple de ces non records, extraits du site de l’État du Colorado

« Il n’y a aucune obligation de conserver les types de documents suivants; ils peuvent être détruits dès qu’ils n’ont plus d’utilité pour leur détenteur :

  • Journaux et imprimés reçus de l’extérieur, publicité commerciale
  • Copies de correspondance, etc. n’ayant qu’une valeur de diffusion
  • Bordereaux d’envoi sans information additionnelle
  • Notes et mémos qui ne tracent aucune responsabilité
  • Brouillons des lettres, notes, rapports, etc. qui ne comportent pas d’éléments significatifs pour la production des documents engageants.
  • Fiches de circulation des documents, post-it, mémos
  • Stocks de publications périmés.
  • Messages téléphoniques sans valeur ajoutée.
  • Livres ou objets de musée acquis à des fins culturelles.
  • Copies de documents déjà archivés.
  • Notes manuscrites ou enregistrements qui ont été transcrits.
  • Documents temporaires ou intermédiaires sans lien avec la décision. »

Cette liste que j’utilise très volontiers dans mes cours has been updated on the website and is downloadable here.

On voit bien là que ce qui est essentiel pour traduire la notion de record est la valeur de preuve ou de trace que porte ou non le document considéré.

En résumé, je pense sincèrement que les documents d’activité sont :

  1. une erreur de traduction,
  2. une ineptie,
  3. un parasite dans les projets d’archivage.

Il y aurait encore beaucoup à dire sur le sujet mais il faut en garder pour la prochaine fois…

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