CNIL – TRANSARCHIVISTIQUE http://transarchivistique.fr Mon, 29 Jan 2018 21:00:42 +0000 fr-FR hourly 1 https://wordpress.org/?v=5.3.6 http://transarchivistique.fr/wp-content/uploads/2013/03/cropped-désert-tunisien-eau-verte-2-32x32.jpg CNIL – TRANSARCHIVISTIQUE http://transarchivistique.fr 32 32 Traduction de « record » dans le Règlement européen pour la protection des données personnelles http://transarchivistique.fr/traduction-de-record-dans-le-reglement-europeen-pour-la-protection-des-donnees-personnelles/ Mon, 29 Jan 2018 21:00:41 +0000 http://transarchivistique.fr/?p=924 Continuer la lecture ]]> Le Règlement général pour la protection des données personnelles (RGPD) est la version française du General Data Protection Regulation (GDPR). Une traduction technique et juridique a priori.

C’est pourquoi il n’est pas banal de constater qu’un même mot anglais est traduit par quatre mots français différents. C’est le cas du mot « record » qui, selon les passages, devient : dossier, archives, registre et enregistrement.

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Les archives courantes, une expression logistique, confuse et contre-productive http://transarchivistique.fr/les-archives-courantes-une-expression-logistique-confuse-et-contre-productive/ http://transarchivistique.fr/les-archives-courantes-une-expression-logistique-confuse-et-contre-productive/#comments Thu, 27 Jun 2013 07:15:32 +0000 http://transarchivistique.fr/?p=99 Continuer la lecture ]]> Publié par Marie-Anne Chabin, 27 juin 2013

Ce billet entend mettre en évidence le flou archivistique (qui n’a rien d’artistique) qu’alimente depuis quelques décennies cette expression bien française d’archives courantes. Il y a déjà longtemps (notamment dans Archiver, et après ? en 2007) que je dénonce les confusions, dans les discours et sur le terrain, imputables aux « archives courantes ». Ces deux mots, ensemble mais aussi séparément hélas, désignent une réalité aux contours incertains et finissent pas décrédibiliser ceux qui les emploient. C’est pourquoi je ne les emploie plus depuis belle lurette, sauf ici, justement, pour expliquer mon point de vue.

Partant des définitions officielles, des emplois constatés de l’expression, de mes observations au cours de ma carrière, et bien sûr la théorie des trois âges et sa modification, je vais tenter de décortiquer l’expression face aux exigences d’archivage des entreprises et de l’administration aujourd’hui.

Une notion officielle qui tend vers la logistique

Les archives courantes figurent dans les glossaires archivistiques mais pas dans la loi française. Il faut le rappeler. Dans la loi sur les archives du 3 janvier 1979 comme dans celle du 15 juillet 2008 qui l’amende, l’expression « archives courantes » n’apparaît pas. On trouve évidemment la définition des archives, à savoir, dans la version 2008 : « Les archives sont l’ensemble des documents, quels que soient leur date, leur forme et leur support matériel, produits ou reçus par toute personne physique ou morale et par tout service ou organisme public ou privé dans l’exercice de leur activité ». L’adjectif « courant » n’est utilisé qu’une seule fois (article L. 212-2. du code du patrimoine) : « À l’expiration de leur période d’utilisation courante, les archives publiques autres que  celles mentionnées à l’article L. 212-3 font l’objet d’une sélection pour séparer les documents à conserver des  documents dépourvus d’utilité administrative ou d’intérêt historique ou scientifique, destinés à l’élimination ».

L’expression « archives courantes » apparaît à diverses reprises dans les décrets d’application, notamment le décret n° 79-1037 du 3 décembre 1979 qui définit la compétence des services d’archives publics. L’article 2, indique que la direction des Archives de France exerce le « contrôle de la conservation des archives courantes dans les locaux des services, établissements et organismes publics, y compris les offices publics ou ministériels, qui les ont produites ou reçues ». C’est l’article 12 dudit décret qui donne la définition : « Sont considérés comme archives courantes les documents qui sont d’utilisation habituelle pour l’activité des services, établissements et organismes qui les ont produits ou reçus. La conservation des archives courantes incombe, sous le contrôle de la direction des Archives de France, aux services, établissements et organismes qui les ont produites ou reçues ».

Ces textes officiels disent donc :

  • que les archives sont tous les documents produits et reçus par un service dans l’exercice de son activité, ce qui est très large ; beaucoup y ont vu le sens de « tout est archive », même le plus humble gribouillis qui pourrait éclairer l’historien sur tel ou tel aspect de telle ou telle affaire ; en tout cas, ce n’est pas au service producteur d’en décider mais à l’archiviste ;
  • que la qualité d’archives courantes est liée à l’usage que le service producteur a ou fait des documents ;
  • que les archives courantes sont conservées dans (par) les services producteurs.

Ces notions sont reprises par les dictionnaires archivistiques :

Archives courantes : dossiers ouverts ou récemment clos, gardés dans les bureaux pour le traitement des affaires (current records) dans le Dictionnaire des archives, français-anglais-allemand : de l’archivage aux systèmes d’information (AFNOR, École nationale des chartes, 1991)

Archives courantes : dans le cycle de vie des archives, documents qui sont d’utilisation habituelle et fréquente pour l’activité des services, établissements et organismes qui les ont produits et reçus, et qui sont conservés pour le traitement des affaires (en : current records, records), dans le Dictionnaire de terminologie archivistique, direction des Archives de France, 2002, en ligne.

La définition de la circulaire du 2 novembre 2001 relative à la gestion des archives dans les services et établissements publics de l’État, dite circulaire Jospin, varie légèrement : «  dans le cycle de vie des archives, ce sont les documents utilisés pour le traitement quotidien des affaires et dont la conservation est assurée dans le service d’origine ».

Au cours de la dernière décennie, à l’ère du web, les glossaires privés se sont multipliés. Les définitions ne sont plus seulement émises par les institutions mais formulées et diffusées par les prestataires.

On peut lire sur le site du cabinet de conseil en dématérialisation XDEMAT : « L’âge des archives courantes correspond au moment de la création des documents et des dossiers. Il dure tant que ces documents sont immédiatement et quotidiennement utiles aux affaires qui ont nécessité leur création ».

En août 2012, le Nouvel économiste consacre un article en ligne à la fonction de records manager, avec l’interview, entre autres, du consultant Philippe Lenepveu qui conclut ceci : « Les archives papiers courantes sont rangées dans les bureaux, les intermédiaires dans les couloirs et les définitives à la cave ».

Je ne prendrai qu’un exemple. J’ai pu voir à la fin des années 1980 en haut d’une armoire du bureau du directeur départemental de l’Agriculture et de la Forêt du département où j’exerçais comme archiviste départemental, deux règlements d’eau originaux, datant de 1798 (c’est bien 1798 et non 1978 !). Ces documents étaient maintenus dans ce lieu de conservation approximatif par le fait que le fonctionnaire en question estimait qu’il pouvait en avoir besoin vu que ces règlements étaient partiellement encore en vigueur et qu’il avait assez de place dans son bureau directorial. Si je considère la définition ci-dessus, ces règlements d’eau de 1798 sont des archives courantes… Si le directeur avait un bureau plus étroit et qu’il soit contraint de réduire son espace de rangement et d’éloigner certaines boîtes d’archives, les mêmes documents, d’un coup, ne seraient plus des archives courantes. En plagiant Pascal, on pourrait dire : plaisante archivistique qu’une surface borne !

En résumé, les archives courantes sont dans le bureau parce qu’elles sont utilisées, ou encore, puisqu’elles sont dans le bureau, elles sont d’utilisation courante (histoire classique d’œuf et de poule).

Mais voilà que l’on assiste depuis quelques années à un phénomène curieux : les archives courantes sortent du bureau… Le décret du 17 septembre 2009 autorise (enfin !) l’externalisation chez un prestataire de la conservation des archives publiques. En conséquence, on voit de plus en plus d’appels d’offre pour « le dépôt, la conservation et la gestion des archives courantes et intermédiaires ». Alors, les archives courantes sont dans les bureaux ou chez le prestataire ? Seraient-elles aux deux endroits à la fois ? Auraient-elles le don d’ubiquité ? Autre explication : les archives courantes courent très vite, de plus en plus vite, et font l’aller-retour bureau-prestataire en un clin d’œil. Pourquoi pas des archives sprinteuses ?

Tant que les textes de référence utilisant ce vocabulaire restaient dans la sphère des archivistes, on pouvait se dire que le flou était circonscrit. Mais la CNIL a emboîté le pas  claudiquant de l’administration des archives et repris à son compte, en 2005 les trois âges des archives version réglementation de 1979. Ainsi, la recommandation de la CNIL du 11 octobre 2005 « a vocation à s’appliquer aux archives dites courantes, intermédiaires et définitives, ainsi définies :

  • par archives courantes, il convient d’entendre les données d’utilisation courante par les services concernés dans les entreprises, organismes ou établissements privés (par exemple les données concernant un client dans le cadre de l’exécution d’un contrat) ;
  • par archives intermédiaires, il convient d’entendre les données qui présentent encore pour les services concernés un intérêt administratif, comme par exemple en cas de contentieux, et dont les durées de conservation sont fixées par les règles de prescription applicables ;
  • par archives définitives, il convient d’entendre exclusivement les données présentant un intérêt historique, scientifique ou statistique justifiant qu’elles ne fassent l’objet d’aucune destruction.

On reste, pour les archives courantes, sur un pur critère d’utilisation, sans avancer sur la valeur de conservation par le détenteur, ce qui n’aide pas à résoudre la question de la destruction des données à caractère personnel (mais ceci est un autre débat).

Même les archivistes ne comprennent pas tous la même chose…

La « logisticité » des textes serait un moindre mal si les professionnels partageaient la même interprétation de la notion d’archives courantes et mettaient derrière cette expression la même réalité. Or, on en est loin !

Mal à l’aise depuis des lustres avec l’à-peu-près des définitions officielles et leur pauvreté archivistique, j’ai souvent discuté ce point avec des collègues archivistes, discussions qui ont conforté mon constat de confusion et de blocage. Il y a bientôt trois ans, j’ai réalisé, via le forum de l’Association des archivistes français (AAF), une petite enquête, sur le sens et l’emploi des mots archives courantes et intermédiaires. Seize collègues m’ont envoyé des contributions argumentées et détaillées. Je reprends ici les principaux points de ma synthèse, toujours en ligne dans les archives du forum de l’association (je me garderai bien de dire si ce sont des archives courantes, intermédiaires  ou définitives…) :

Le panel de répondants se répartit en trois groupes :

  1. le premier groupe se déclare en ligne avec la réglementation : théorie des trois âges liant l’âge du document à sa localisation (sans critique de la valeur du document qui n’est prise potentiellement en compte que plus tard) et/ou à son usage (consultés plus ou moins fréquemment) ;
  2. le deuxième groupe utilise la théorie des trois âges mais distingue surtout deux grands blocs : les documents qui servent aux services (sans nécessairement les qualifier de courants ou d’intermédiaires qui ne parlent pas aux interlocuteurs de l’archiviste) et les archives historiques ;
  3. le troisième groupe reconnaît que la théorie des trois âges est d’abord logistique mais considère qu’elle vient en appui de la démarche de records management basée sur la valeur intrinsèque des documents et le risque de leur non disponibilité. Pour ceux qui n’ont pas suivi une formation archivistique, la frontière entre archives courantes et archives intermédiaires n’est pas très explicite mais ils contournent tant bien que mal la difficulté.

Il ressort surtout de l’enquête des interprétations opposées de ce que recouvre l’expression « archives courantes » : ce sont pour les uns « les documents qui ne sont pas encore validés » et pour les autres les documents « dès leur signature et au moment même de leur entrée en vigueur »…

Dans le flou, il est clair que :

  • l’expression « archives courantes » n’est pas comprise par les services producteurs ; elle n’est pas naturelle ; c’est du jargon d’archiviste, une expression étrangère à leur culture générale ;
  • l’adjectif « courantes », qui évoque les affaires courantes, réduit la question à un enjeu de disponibilité matérielle des dossiers, à l’usage de l’information, sans s’intéresser à la valeur intrinsèque des documents considérés ;
  • l’acception légale pan-historique du mot archives et la gestion saine d’une entreprise au XXIe siècle sont antinomiques.

Le fait est que l’on trouve aujourd’hui en France un nombre non négligeable d’individus, archivistes ou consultants, qui affirment que le records management correspond à la gestion des archives courantes, tandis que d’autres affirment, avec non moins d’aplomb, que le records management correspond à la gestion des archives intermédiaires. Et on voudrait que la France archivistique se porte bien ! Ça me suggère plutôt d’allumer un cierge à sainte Rita…

La différence d’interprétation de ce que sont concrètement les archives courantes a-t-elle un impact sur le contrôle scientifique et technique de l’administration des Archives, et plus précisément sur le visa de destruction des archives publiques ? Si j’ose poser la question : le contrôle scientifique et technique (CST) doit-il s’exercer sur les archives courantes ?, je sens déjà sur moi l’œil noir des puristes : « Toute élimination est INTERDITE sans le visa du directeur des Archives ! ». Mais si on retient l’acception « documents de travail des utilisateurs, non validés ou copies d’autres documents », le fait de soumettre la destruction de la paperasse au contrôle de quelqu’un d’extérieur qui a parfois du mal à apporter un justificatif recevable à cette exigence. Je témoigne ici de ma propre expérience car on m’a fait boire de ce vin-là au début de ma carrière, avant que je puisse m’échapper dans le vaste monde et me dégriser dans son air vivifiant.

Dans les derniers jours d’octobre 2001, sur le forum de l’Association des archivistes français, une archiviste hospitalière non chartiste (ceci n’est pas neutre) pose la question suivante, de mon point de vue tout à fait pertinente : « Je suis à la recherche d’une définition précise de « document de travail », le document de travail étant un document qui ne serait pas soumis, lors de l’élimination, au visa des AD ».

La question récolte principalement deux réponses péremptoires de la part de collègues chartistes (ceci n’est pas neutre) qui se posent en gardiens du temps. Voici deux extraits de ces réponses :

A –«  La notion de document de travail n’est pas une notion qui a cours en archivistique pour exclure du champ des archives certains documents qui ne seraient pas des archives parce que ce serait des « documents de travail » S’il s’agit de désigner les versions intermédiaires d’un texte ou d’un rapport qui est en phase d’élaboration et si l’on exclut le cas particulier des « papiers de corbeille », ces documents-là sont des archives comme les autres, au titre de « version préparatoire », « projet », etc. Ce sont simplement des pièces d’un dossier d’élaboration ou de négociation et le sort à leur donner figure en toutes lettres dans nombre de circulaires de tri et d’élimination. Ensuite,  la loi et la réglementation française ne laissent pas en principe au producteur d’archives le soin arbitraire d’éliminer en choisissant le critère lui-même ».
B – « Je m’étonne du message de NN, concernant le « document de travail ». Sous réserve de vos remarques, il me semble que la législation française ne reconnaît que les « archives » et parmi elles les « documents administratifs » (qui sont soumis à des règles de communication particulières). En effet, selon les articles 1 et 3 de la loi de 1979, tous les documents qui sont produits dans un service administratif d’un hôpital sont des archives publiques (quel que soit le statut de l’hôpital : établissement public communal, intercommunal, etc.). Il est clair que les services peuvent détruire sans visa les « papiers de corbeille » (c’est le terme de la brochure « les archives c’est simple » de l’AAF sur les archives des administrations) : brouillon (et encore, sous réserve que le brouillon ne porte pas d’annotations d’une autorité supérieure recelant des éléments uniques quant à l’élaboration de la décision), double, formulaire vierge, prospectus, documents reçu pour information n’ayant donné lieu à aucun traitement. Ce sont à ma connaissance les seuls documents (avec la documentation) qui ne nécessitent pas le visa ».

C’était il y a douze ans mais les choses ont-elles vraiment évolué ? J’ai vu il y a quelques années un jeune directeur d’Archives départementales exiger des services du Conseil général qu’ils soumettent à son visa tous les fichiers numériques entassés sur les serveurs de la collectivité, informes et oubliés, et que le service informatique voulait purger ; il faut préciser que les serveurs stockaient déjà à l’époque 85 millions de fichiers… Des sourires se dessinèrent sur les visages autour de la table de réunion ; seul l’archiviste ne les vit pas… Ayatollisme ne rime pas avec raisonnabilité.

Enfin, on peut faire remarquer que les archives courantes sont finalement rarement considérées pour elles-mêmes, seules, en tant qu’entité indépendante. Elles sont presque toujours chaperonnées par les archives intermédiaires (qui, elles, sont plus émancipées et sortent parfois non accompagnées…) : on parle très peu d’archives courantes ; on parle souvent d’archives courantes et intermédiaires. J’en veux pour preuve le rapport « Quel avenir des Archives de France ? », présenté en mars 2011 par Maurice Quénet, dont j’ai déjà regretté le conformisme dans un autre billet. On trouve dans ce rapport 14 occurrences de l’expression « archives courantes » et les 14 fois, elle est accolée à « intermédiaires ».

Les archives courantes et intermédiaires, ce sont les Dupont et Dupond de l’archivistique, ils sont toujours ensemble et on a du mal à les distinguer ! La comparaison est-elle flatteuse ?…

Avec une grande école qui forme les archivistes depuis 1821, avec une dizaine de formations universitaires en archivistique, avec une association professionnelle créée en 1904, comment se fait-il que les concepts de base soient encore si flous en France ?

Les archives courantes, un machin contre-productif pour l’archivage…

Pendant ce temps, les services producteurs se demandent : « Mais, parmi tous ces documents, que faut-il archiver ? ».

Il y a nécessité pour une entité juridique d’archiver les documents qui l’engagent et constituent sa mémoire institutionnelle, par opposition aux documents informels, redondants, pléthoriques, qui ne présentent pas d’intérêt pour l’institution, qui ne sont ni authentiques, ni fiables, ni exploitables. Or, cette partie de l’ensemble des données circulant dans l’entreprise est, du fait des outils de reproduction et des réseaux, toujours plus large dans l’entreprise. Ma pratique de l’entreprise ne me laisse aucun doute là-dessus.

Le néologisme « documents d’activité » pondu par l’Afnor il y a deux ans ne change rien à l’affaire ; ce n’est pas une question de traduction, c’est une question de compréhension !

On assiste à un dialogue de sourds entre le dogme « tout est archive » et la vraie vie dans les entreprises. D’un côté, le slogan « il est interdit d’éliminer quoi que ce soit sans le visa de l’administration des archives » parfois empreint d’un complexe de supériorité ; de l’autre les monceaux de dossiers ventrus, entassés sans hygiène documentaire, engraissés par le tsunami numérique des réseaux et de la messagerie.

Le records management est à la mode en France. On m’objectera que c’est plus qu’une mode, que c’est une nécessité pour maîtriser l’information numérique. Oui, en soi, c’est bien cela. Mais c’est aussi une mode dans le sens où certains se parent d’un surplis « RM » par-dessus de vieux oripeaux pour faire croire qu’ils sont dans le coup. Ils ne trompent que ceux qui aiment à se laisser abuser par des formules anglo-saxonnes ou que le jargon rassure.

Ce qui caractérise avant toute autre chose le records management, c’est qu’il commence par distinguer ce qui est « record » de ce qui ne l’est pas, sur la base de la valeur que porte le document pour celui qui le détient. Sont reconnus ou déclarés « records » les documents qui engagent l’auteur et le destinataire et/ou qui présentent une valeur métier à être conservés par l’entreprise ou l’institution productrice. Par opposition, les autres documents, ce qui relève de la documentation de travail sans valeur justificative ou explicative (copies de documents externes ou éléments intermédiaires non validés de fabrication des documents définitifs) ne doivent pas être archivés.

La réglementation française ne dit pas cela ; elle dit même le contraire. Ce point est capital car c’est là le fond du problème.

Le schéma ci-dessous, capturé d’un site néo-zélandais il y plusieurs années (il n’est plus en ligne), illustre parfaitement le moment de la record creation, le moment où le document, du fait d’un workflow prédéfini ou du fait d’un choix humain, passe de l’environnement utilisateur (user controlled) à l’environnement d’entreprise (corporate controlled), moment où il est pris en charge par des règles d’entreprise (et les outils associés, le cas échéant).

Flèche rouge néozélandaise

Le records management, donc, distingue les records des non records. Ce principe est essentiel et pourtant il est quasiment absent de la pratique française.

A titre d’exemple, voici la liste des « non records » que l’on trouve dans les pages web « records management » de l’État du Colorado (US) et que mes étudiants connaissent bien : « Il n’y a aucune obligation de conserver les types de documents suivants; ils peuvent être détruits dès qu’ils n’ont plus d’utilité pour leur détenteur :

  • Journaux et imprimés reçus de l’extérieur, publicité commerciale
  • Copies de correspondance, etc. n’ayant qu’une valeur de diffusion
  • Bordereaux d’envoi sans information additionnelle
  • Notes et mémos qui ne tracent aucune responsabilité
  • Brouillons des lettres, notes, rapports, etc. qui ne comportent pas d’éléments significatifs pour la production des documents engageants.
  • Fiches de circulation des documents, post-it, mémos
  • Stocks de publications périmés.
  • Messages téléphoniques sans valeur ajoutée.
  • Livres ou objets de musée acquis à des fins culturelles.
  • Copies de documents déjà archivés.
  • Notes manuscrites ou enregistrements qui ont été transcrits.
  • Documents temporaires ou intermédiaires sans lien avec la décision ».

Cette liste ne soutient pas la comparaison avec l’expression d’antan « papier de corbeille ».

Il me faut maintenant revenir à l’origine de l’expression française « archives courantes » et à la formation de la non moins française théorie des trois âges des archives. Je ne saurais affirmer que l’expression « archives courantes » n’existait pas avant les articles d’Yves Pérotin (toujours difficile de prouver une non-existence…) mais il est certain que c’est à Yves Pérotin que l’administration des Archives l’a empruntée. Malheureusement, la définition a été biaisée, charcutée, et surtout la pensée d’Yves Pérotin a été trahie.

Que proposait Yves Pérotin ?

Pérotin était l’archiviste du département de la Seine à la fin des années 1950. À cette époque, les bureaux de l’administration commençaient déjà à déborder, au moins à Paris, et Pérotin eut à cœur de proposer des solutions adaptées pour les archives de ces services. Il alla donc faire du « benchmark » aux États-Unis et en Grande-Bretagne, où des procédures de « records management » se mettaient en place. En 1961, il formula la théorie des trois âges. Voir plus de détail : http://www.marieannechabin.fr/archiver-et-apres/2-archiver-ou-conserver/.

Il transposa en français les expressions anglo-saxonnes current records, non current records et archives en archives courantes, archives intermédiaires et archives archivées (au passage, l’opposition records/archives est toujours aussi difficile à restituer…). Mais dans l’esprit de Pérotin la notion de records était clair.

Pérotin explique que, pour le premier âge des archives, « il faut seulement obtenir que les bureaux fabriquent de bonnes archives et constituent des dossiers que n’encombrent pas les inutilités ». Il prêche donc pour une intervention dans la production des dossiers limités aux seuls documents pertinents.

On est loin du tri a posteriori. On est loin de « À l’expiration de leur période d’utilisation courante, les archives […] font l’objet d’une sélection pour séparer les documents à conserver des  documents dépourvus d’utilité administrative ou d’intérêt historique ou scientifique, destinés à l’élimination » (article L. 212-2. du code du patrimoine).

On est proche en revanche de cette exigence de produire de bonnes archives (to create relevant records) sans cesse rappelée dans les normes internationales sur le records management et dans de nombreux documents de référence, par exemple dans ce Records Management Maturity Model que propose le site britannique JISC.InfoNet qui énonce: “Institutions should decide – and staff must know – what records need to be created and kept to protect the interests of the organisation and its stakeholders”. La vision de la loi française sous-tend cette idée que seuls les archivistes seraient habilités à dire ce qui est important pour l’histoire. Les producteurs disent si c’est utile pour eux ou pas, puis les archivistes déménagent ce qui n’est plus utile et en font leurs choux gras. On navigue entre hypocrisie et défiance.

Par ailleurs, il est tout à fait possible pour un archiviste curieux et attentif de sélectionner pour les archives historiques des documents qui n’ont jamais été archivés as records, par leur producteur; c’est ce que j’ai essayé de démontrer avec la théorie des quatre-quarts dans mon billet sur les archives historiques.

Conclusion

Les promoteurs de la loi française sur les archives n’ont pas compris ou pas voulu comprendre ce qu’Yves Pérotin s’est efforcé d’expliquer à l’administration française. La loi de 1979 est une loi « orientée histoire » (celle de 2008 tout autant) et à ce titre elle a sa place dans le code du patrimoine.

Ce qui manque en France, c’est une loi sur l’archivage, par opposition à une loi sur les archives. Une loi sur l’archivage des documents qui ont une valeur d’archives pour l’administration qui les produit ou reçoit, ces documents qui engagent la responsabilité de l’administration, des établissements publics, des collectivités voire des entreprise, une loi qui donne un cadre à la production, au classement et à la conservation des documents publics dont les services publics sont comptables, propriétaires et responsables. On a des bouts ; on n’a pas de politique publique sur l’archivage.

Mais l’espoir n’est pas perdu quand on voit que de jeunes archivistes font l’effort de relire Pérotin cinquante ans après et qu’ils comprennent tout à fait normalement ce que Pérotin expliquent ; voir à ce sujet le billet de Lourdes Fuentes Hashimoto et Pierre Marcotte.

Supprimez les archives courantes !

Libérez les archivistes !

Réhabilitez l’archivage !

Il n’y a pas sur ce blog le petit « like » qu’on trouve habituellement ni de « unlike » ; je l’ai enlevé car ce petit pouce me fait trop penser au cirque romain… Mais vous pouvez-vous exprimer pour dire, non pas si vous aimez ou pas, mais les points avec lesquels vous êtes en phase ou en désaccord (bouton « Réagir » en haut de la page). Sinon, merci de répondre au sondage (anomyme).

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