Loi du 17 juin 2008 : 6e anniversaire

Publié par Marie-Anne Chabin, 17 juin 2014

La loi n° 2008-561 du 17 juin 2008 portant réforme de la prescription en matière civile a six ans.

Cette réforme ne concerne pas que les juristes. Elle est important aussi pour les archivistes dans la mesure où, en l’absence de durées légales de conservation (elles sont peu nombreuses et visent un nombre restreint de documents), les durées de conservation archivistiques (nombre d’années pendant lequel les documents archivés sont effectivement conservés, de leur création à leur destruction) s’appuient sur différents critères au premier desquels le risque de non-disponibilité des documents dans le temps (conformément à la norme ISO15489), notamment en cas de contentieux où ces documents pourraient être produits comme pièces justificatives. Et ce risque est bien sûr lié aux délais de prescription.

Pourtant, si plusieurs sites et blogs de juristes ont commenté cette loi en 2008, évoquant parfois les conséquences de la réforme pour l’archivage dans les cabinets d’avocats (cliquer ici et ), pour l’archivage électronique (ici) ou en lien avec les données personnelles (), il apparaît que les archivistes l’ont bien peu, trop peu commentée. La loi du 17 juin 2008 a été signalée par Delphine Fournier sur le forum de l’association des archivistes français le 26 juin puis la profession n’en a plus guère parlé.

Pourquoi ? Est-ce que les nouveaux délais de prescription ont été pris en compte par les archivistes dans les durées de conservation ou les durées de conservation traditionnelles ont-elles continué à être utilisées ?

Rappel des principales dispositions de la loi du 17 juin 2008

Fleur 5Tout d’abord, la prescription civile générale est rapportée de trente à cinq ans. Autrement dit, la prescription trentenaire est supprimée ou plus exactement réduite aux questions immobilières. Elle existait dans le code civil depuis 1804 et était la base de bon nombre de durées de conservation d’archives. L’article 2262 qui disait « Toutes les actions, tant réelles que personnelles, sont prescrites par trente ans, sans que celui qui allègue cette prescription soit obligé d’en rapporter un titre ou qu’on puisse lui opposer l’exception déduite de la mauvaise foi » est supprimé. L’article 2224 est nouvellement rédigé ainsi : « Les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer ».

La prescription trentenaire est en revanche introduite dans le code de l’environnement (art. L152-1): « Les obligations financières liées à la réparation des dommages causés à l’environnement par les installations, travaux, ouvrages et activités régis par le présent code, se prescrivent par trente ans ».

Ensuite, la prescription commerciale passe de dix à cinq ans (code du commerce, art. L110-4) : « Les obligations nées à l’occasion de leur commerce entre commerçants ou entre commerçants et non-commerçants se prescrivent par cinq ans si elles ne sont pas soumises à des prescriptions spéciales plus courtes ».

Les autres points concernent notamment l’action en responsabilité dirigée contre les personnes ayant représenté ou assisté les parties en justice (article 2225, cinq ans), (la responsabilité du vice caché (article 1792-4-3, 10 ans), l’action en responsabilité des huissiers de justice (nouvel article 2 bis de l’ordonnance du 2 novembre 1945, 2 ans).

On remarque, comme souvent dans les codes de loi, que certaines dispositions visent des types de document très précis qui ne concerne que certaines professions (ici les avocats et les huissiers) tandis que d’autres articles (la prescription civile et la prescription commerciale) touchent quasiment tout le monde.

Innovations et incohérences

EPSON DSC pictureLe Guide des durées de conservation des archives d’entreprise, publié en 1997 par l’Association des archivistes français et non révisé depuis, cite fréquemment l’article 2262 du code civil à l’appui de la durée de conservation de trente ans, par exemple pour les procès-verbaux de délibérations des conseils d’administration. Quant aux contrats et à leurs pièces justificatives, la durée de conservation préconisée est de dix ans (après la résiliation du contrat), conformément au code du commerce de l’époque.

À première vue, la loi 17 juin 2008 a périmé un certain nombre de préconisations de conservation largement utilisées par les archivistes…

Certains services juridiques d’entreprise ont proposé une durée de conservation de cinq ans pour les contrats (après la résiliation, bien sûr) voire pour les registres de délibérations des conseils d’administration (après la radiation). Est-ce bien réaliste ?

Les contrats antérieurs à la loi devaient suivre la règle précédente (caractère non rétrospectif de la loi), et les contrats postérieurs au 17 juin 2008 la nouvelle règle, le tout devant se normaliser en 2013. Qu’en est-il aujourd’hui ? Les contrats sont-ils réellement détruits en entreprise cinq ans après leur résiliation ?

Les factures liées aux contrats continuent, elles, d’être conservées dix ans (à partir de la date de clôture de l’exercice) comme pièces de comptabilité (code de commerce, article L123-22: « Les documents comptables et les pièces justificatives sont conservés pendant dix ans »). On se trouve donc en situation de définir une durée de conservation basée sur la prescription commerciale pour les contrats et de les détruire avant les factures qui s’y rattachent. Ne serait-il pas utile lors d’un audit comptable de pouvoir produire les contrats avec les factures (les fausses factures sont toujours à la mode…). Il apparaît que le contrat passe d’un statut de document maître, dont l’exécution produit des factures, à un statut de pièce justificative des factures produites. Quoi qu’il en soit, il serait prudent d’aligner la conservation du contrat sur les factures qui en découlent, dans certaines affaires du moins.

Autre remarque au sujet de la durée de conservation des contrats. En application de la Loi pour la Confiance dans l’économie numérique (LCEN) de 2004, le décret n° 2005-137 du 16 février 2005 (donc antérieur à la loi du 17 juin 2008) stipule que les contrats conclus par voie électronique et portant sur une somme égale ou supérieure à 120 euros, devront être conservés dix ans par les cybercommerçants. Serait-ce donc que les contrats sous forme électronique n’ont pas la même valeur que les contrats sur support papier ? On pourrait le croire mais ce serait contraire à l’article 1316-1 du code civil. En fait, il est question d’un côté de durée de conservation et de l’autre de délai de prescription. Face à des pratiques hétérogènes autour de ces subtilités, il ne serait pas inutile de muscler le discours archivistique sur le sujet.Fleur 10

Enfin, conserver les registres de délibérations d’un conseil d’ administration seulement cinq ans après la disparition de l’ entité juridique en cause est-il opportun ? Ne faut-il pas prendre en compte, d’une part les besoins de mémoire institutionnelle (cas des réorganisations permanentes des entités juridiques), d’autre part le fait que les procès-verbaux de délibérations tracent des décisions qui ont potentiellement donné lieu à d’autres actions dans des domaines (environnement, social…) où les actions se prescrivent par beaucoup plus des cinq ans de prescription visant les simples « actions personnelles et mobilières ». Là aussi, la décision initiale est une pièce du dossier.

L’argument du coût de gestion des archives

La littérature juridique autour de la réduction de la prescription civile évoque volontiers l’impact de cette mesure sur l’archivage en termes de volumes et donc de coûts de stockage et de conservation matérielle :

« Le coût de la conservation des preuves et de la gestion des archives finit par être colossal » (Natalie Fricero)

« Conserver ses archives : un lourd boulet » (Jean Gasnault)

« Plus on archive longtemps, plus les coûts sont importants, peu importe qu’il s’effectue sous forme papier ou électronique. […] La conservation des preuves des documents papier constitue un coût très important pour les entreprises… […] la logique de l’économie de coûts d’archivage… » (Éric Caprioli)

Qu’en est-il six ans après la promulgation de cette loi ?

Les archivistes ont-ils mis en œuvre des durées de conservation réduites sur la base de la loi du 17 juin 2008 ?

Si oui, y a-t-il des réductions significatives de volumes d’archives en vue ?

Ou la réflexion sur le sujet n’a-t-elle pas au contraire exacerbé la prudence et la frilosité de ceux qui visent – ou plutôt devraient viser – les destructions de documents à échéance de leur durée de conservation, conduisant à l’effet inverse de l’effet recherché ?…