définition – TRANSARCHIVISTIQUE http://transarchivistique.fr Sat, 08 Dec 2018 20:14:49 +0000 fr-FR hourly 1 https://wordpress.org/?v=5.3.6 http://transarchivistique.fr/wp-content/uploads/2013/03/cropped-désert-tunisien-eau-verte-2-32x32.jpg définition – TRANSARCHIVISTIQUE http://transarchivistique.fr 32 32 Dix sens du mot archive(s) http://transarchivistique.fr/dix-sens-du-mot-archives/ http://transarchivistique.fr/dix-sens-du-mot-archives/#comments Sat, 08 Dec 2018 19:00:00 +0000 http://transarchivistique.fr/?p=995 Continuer la lecture ]]> Chacun peut constater la polysémie du mot archives, entre le point de vue des informaticiens, celui des archivistes, celui des juristes, celui des historiens, celui du quotidien, entre le support papier et les données numériques, entre les exploitations historiques et artistiques de cette matière informationnelle multiforme. En marge de diverses lectures et écritures archivistiques, j’ai mis à jour la liste de ces acceptions ou significations à laquelle je me suis déjà attelée plusieurs fois à la fin du dernier siècle. Je distingue ici dix acceptions auxquelles j’accroche un qualificatif plutôt qu’un numéro.

Archives millénaires

A tout seigneur, tout honneur, je commence par les archives que je qualifie de « millénaires », c’est-à-dire celles qui existent depuis l’Antiquité, depuis l’invention de l’écriture, et dont la définition est restée assez stable au cours des siècles. Il s’agit des actes (titres, décisions, contrats) et des documents de gestion (comptabilité, état civil, cadastre…) que les responsables d’un territoire ou d’une communauté décident de mettre en sécurité dans un endroit contrôlé afin de pouvoir s’y reporter plus tard au cas où quelqu’un contesterait les droits fondés par ce document ou qu’il serait nécessaire de disposer des informations originales consignées dans ces documents. Cette mise en archives est avant toute chose une décision managériale, un geste de protection des documents qui engagent la responsabilité.

Le mot « archives » désigne d’abord le lieu où ces documents sont mis en conservation, puis l’ensemble des documents rassemblés dans ce lieu en raison de leur valeur (valeur d’archives, valeur de pouvoir si on retient l’étymologie grecque du mot archives). Un acte, individuellement, est un « document d’archives » c’est-à-dire un document qui a été sélection pour faire partie des archives, un document qui a été volontairement archivé. Le double sens de contenant (le lieu) et du contenu (les documents) a perduré jusqu’à aujourd’hui.

En anglais, depuis plus de cinq siècles, cette même réalité documentaire est appelée « records »: ce qui est pris en compte dans la définition anglaise est le geste de mettre en sécurité dans un lieu dédié (to record) tandis que la langue française a retenu le terme désignant le lieu dédié où les documents sont mis en sécurité (les archives).

Ces archives millénaires présentent trois caractéristiques:

elles ne sont pas leur propre finalité, c’est-à-dire qu’un document d’archives est initialement la trace délibérée d’un acte juridique ou d’une action humaine distinct du support d’information qu’il suscite, à savoir l’acte ou l’action dont les auteurs ou les protagonistes veulent garder la mémoire écrite, tangible, pour pouvoir s’y référer ultérieurement, à titre de preuve ou d’information; à ce titre, les archives s’opposent aux livres, objets de connaissance autonomes, produits « culturels » qui sont leur propre finalité;

  1. la forme et le support n’ont pas d’incidence sur la valeur de document d’archives mais ont une conséquence son exploitation et sa conservation (un mauvais support conduira à l’illisibilité de l’information au bout d’un certain temps; une mauvaise qualité de forme créera de l’ambiguïté lors de l’utilisation du contenu);
  2. la valeur d’archives est acquise par le document au moment de sa création-validation-acceptation, c’est-à-dire au moment où la portée du document est assumée par la personne qui le détient.

De ce point de vue, les données personnelles collectées et utilisées par les entreprises et les organisations publiques dans un cadre contractuel ou réglementaire tel que le décrit le RGPD (Règlement général pour la protection des données personnelles) sont des archives, même si le RGPD n’utilise pas le mot.

Archives historiques

L’expression « archives historiques » recouvre en partie le périmètre constitué par l’ensemble des archives au sens millénaire du terme, mais en partie seulement car, d’une part, toutes les archives ne sont pas historiques et, d’autre part, on a coutume de qualifier d’archives historiques des documents qui ne sont pas et n’ont jamais été les traces d’un acte ou d’une action consignée sciemment par écrit pour faire preuve ou faire mémoire. Ainsi, ne sont pas archives historiques les documents archivés puis délibérément détruits par leur détenteur comme inutiles au regard de ses intérêts (après dix, trente ou cent ans). Le facteur temps qui élime souvent la valeur des choses joue ici en faveur d’une réduction de l’utilité des archives.

De l’autre côté, le facteur temps réactive parfois la valeur des choses (besoin humain de mémoire individuelle et collective, ou simple tendance vintage) et joue donc également en faveur d’un élargissement du périmètre des archives historiques. Ainsi des objets d’information plus ou moins anciens et sans valeur de preuve ou de mémoire identifiée par leur auteur peuvent être retrouvés là où ils ont été abandonnés et être « repêchés » par une personne tierce qui leur accorde une valeur de connaissance ou de témoignage (prospectus, lettres, brouillons…). C’est ce que j’ai appelé les archives par baptême, par opposition aux archives par nature.

Il ne faut pas confondre les archives historiques avec les archives publiques (le code du patrimoine définit les archives publiques mais pas les archives historiques). On peut lier toutefois les deux notions à la création des Archives nationales au moment de la Révolution française, même si la patrimonialisation des archives se s’est imposée qu’au cours des décennies suivantes. En l’absence de définition légale des archives historiques (voir le billet Qu’est-ce que les archives historiques?), la qualité d’archives historiques est donc fluctuante. Sont archives historiques ce que l’on désigne comme archives historiques, c’est-à-dire ces documents, objets, etc. auxquels on accorde une valeur de mémoire individuelle et collective. La définition des archives historiques est essentiellement relative au locuteur.

Archives audiovisuelles

Les archives audiovisuelles recoupent aujourd’hui les deux premiers périmètres (traces engageantes d’une activité et documentation de mémoire sous forme audiovisuelle) mais elles visent originellement un ensemble de supports d’information non archivistiques.

En effet, l’expression « archives audiovisuelles » remonte à une cinquantaine d’années (seulement) et désigne au départ les productions du cinéma et de la télévision, soit à 95% des produits culturels destinés à être diffusé au public; ils sont leur propre finalité comme les livres et les journaux (les 5% restant étant les rushes ou les éléments préparatoires des émissions télévisées). On aurait aussi bien pu appeler cet ensemble « publications audiovisuelles » et si le terme archives l’a spontanément emporté, c’est sans doute à cause du caractère unique (ou du très petit nombre d’exemplaires) d’un film ou d’une émission (comme dans le cas des archives traditionnelles), alors que les journaux et les livres sont produits (dans l’environnement analogique du moins) en des milliers d’exemplaires (voir le dossier de l’INA de 2014 à ce sujet: L’extension des usages de l’archive audiovisuelle).

L’expression a été « récupérée » un temps par le vocabulaire archivistique pour désigner non seulement les images animées mais également les images fixes, ce que les archivistes appellent aussi les documents figurés (cartes postales, estampes, affiches…) mais si cette acception n’est plus vraiment usitée.

Avec le développement des technologies numériques, les producteurs d’archives audiovisuelles se sont multipliés incluant de très nombreux « éditeurs de contenus Web », à des fins de production culturelle mais aussi dans l’exercice d’une activité économique, de recherche, de formation, de soins, etc., de sorte que le sens de l’expression s’est élargi à toutes les archives (au sens millénaire) sous forme de vidéo.

Le poids de la forme et du support reste très fort dans cette notion d’archives audiovisuelles et il est parfois difficile (et peut-être inutile du reste) de distinguer les différentes acceptions. Par exemple, quand on parle des archives audiovisuelles de la Justice pour désigner l’enregistrement audiovisuel des grands procès, les sens de trace d’une activité administrative (dont le but est le jugement et non le film) et de publication officielle sont mêlés.

Archives poussiéreuses

L’image des archives, dans le quotidien des bureaux, a légèrement progressé, du fait de l’évangélisation réalisée inlassablement par les archivistes, du fait aussi de la diversification des acteurs de l’archivage dans l’environnement numérique.

Cependant, dans la langue courante, les archives ont encore une connotation poussiéreuse ou du moins vieillotte, laquelle n’est d’ailleurs pas toujours négative (voir la formule « J’adore les vieilles pierres »). Par ailleurs, l’âge inspire (quelquefois) le respect, la déférence, et on note dans d’emploi du mot archives une connotation d’authenticité, de confiance.

Tout de même, sur ce sujet, il est intéressant de noter que l’association archives-vieux trucs est en partie véhiculée par certains archivistes eux-mêmes qui, dénonçant cette expression pour se défendre de cette image de poussière dont ils sont convaincus qu’elle leur colle à la peau, l’entretiennent au contraire, ou bien qui se complaisent (consciemment ou pas?) à utiliser des mots tels que ménage ou dépoussiérage pour parler de leurs activités.

Archive unitaire

Parler d’archive, au singulier, était encore une hérésie il y a vingt ans (j’ai toujours en mémoire la lettre d’insulte que j’ai reçue d’un lecteur en 2000, via mon éditeur, Hermès-Lavoisier, pour avoir osé titrer mon livre « Le management de l’archive », avec ce singulier inhabituel, proscrit par l’Académie et du coup provocateur. On m’a encore qualifiée très récemment de « dame qui parle d’archive au singulier ». Eh bien!

En vingt ans, l’eau a bien coulé sous les ponts de Paris et tout le monde, archivistes et académiciens compris, s’est mis à cette singularité. On dit couramment « une archive » pour désigner « un document d’archives » et plus personne ne songe à s’en offusquer.

Qu’est-ce qui a provoqué cette évolution? Plusieurs facteurs vraisemblablement: l’influence de l’anglais où le singulier archive est répandu (avec d’autres sens, voir ci-dessous); l’émiettement de l’information dans l’environnement numérique, la démocratisation des archives (plus de producteurs, plus d’utilisateurs, plus de documents à valeur d’archives) et le fait que les gens, archivistes et académiciens compris, sont de plus en plus pressés et préfèrent un mot de deux syllabes à une expression de cinq…

Archive informatique

Dans les années 1990, la profession archivistique a utilisé un temps l’expression « archives informatiques » pour désigner ce que l’on a appelé « archives électroniques » dix ans plus tard, avant que les « archives numériques » ne prennent le relais. Mais ce n’est pas de cette expression (où l’acception du mot archives n’est pas nouvelle) dont je veux parler ici.

Loin de l’archivage managérial (records management), de l’histoire et des médias, le mot archives a un sens particulier dans le vocabulaire informatique, sous l’influence de l’anglais technique. Je cite Wikipédia: « En informatique, une archive est un fichier dans lequel se trouve tout le contenu d’un dossier (fichiers, arborescence et droits d’accès). Les archives sont généralement des fichiers portant l’extension .tar (format UNIX) ou .zip (sous windows) et ceux-ci sont également souvent compressés. Le but principal d’une archive est de transporter tout un dossier en un seul fichier. De plus, cela permet de profiter de la redondance entre les fichiers lors de la compression ».

Ce sens ne relève pas de l’archivistique (est-ce que je me trompe?).

Archive plateforme

Toujours sous l’influence anglo-saxonne et dans l’environnement numérique, on rencontre le terme archive au singulier pour désigner un centre d’archives (avec les données, les équipements pour les gérer et même le personnel) ou encore une plateforme regroupant des collections de fichiers (données, documents, publications, images) collectés et mis à disposition d’un public intéressé. C’est ainsi que la norme ISO 14721 (modèle de référence pour un Système ouvert d’archivage d’information) parle d’archive OAIS (systèmes et personnes). C’est le cas également de l’archive ouverte HAL pour les articles scientifiques. On peut citer aussi, en anglais la plateforme Internet Archive.

L’archive-concept

L’intégration du geste d’archiver ou de l’objet-archive à la réflexion philosophique ou sociologique s’observe chez un certain nombre d’auteurs mais on peut dire que l’archive, toujours au singulier, a été institutionnalisée comme concept philosophique d’abord par Michel Foucault dans L’Archéologie du savoir (1969) puis par Jacques Derrida dans son livre Mal d’archive: une impression freudienne (1995), essai issu d’une conférence intitulée « The Concept of the Archive: A Freudian Impression », et traduit en anglais sous le titre Archive fever….[la conférence a certainement eu lieu un samedi soir 😊]

Derrida interroge l’étymologie du mot, son genre et son nombre au fil des siècles, ses significations, entre le commencement et le commandement, l’objet et sa localisation, la consignation et l’accès, etc.

J’aime à citer cette phrase de Derrida: « La question de l’archive n’est pas une question du passé. […] C’est une question d’avenir, la question de l’avenir même, la question d’une réponse, d’une promesse, d’une responsabilité pour demain ». J’aime particulièrement les derniers mots: « une responsabilité pour demain.

Les archives naturelles

Un autre sens d’archives, au pluriel cette fois, est le sens figuré: au sens propre, les archives sont des documents, des objets documentaires, des assets informationnels, des données, etc. c’est-à-dire des (sous-)produits de l’activité humaine, au moyen de l’écriture d’abord mais aussi de l’image, des chiffres, des signaux; au sens figuré, archives désigne donc des traces non écrites, non issues de l’activité humaine. Le sens est alors celui de traces créées en dehors l’esprit et de la main des hommes et que l’on peut cependant considérer comme des documents (voir Suzanne Briet, Qu’est-ce qu’un document?) et donc interroger et interpréter. C’est pourquoi je les appelle « naturelles »: ce sont les archives du climat, les archives de la terre, les archives du corps, qu’il faut bien entendre comme les traces laissées par le temps qui passe, décrites et traitées en tant que sources de connaissance, et non comme collections thématiques d’archives traditionnelles ou audiovisuelles sur le climat, la terre, le corps.

Archives engagées

Après avoir commencé par les archives « millénaires », documents de preuve et de mémoire qui engagent la responsabilité de celui qui les crée ou les reçoit mais surtout qui assume les conséquences de leur bonne ou mauvaise gestion – les documents engageants donc (records en anglais) – ,  je termine cette énumération, avec un clin d’œil, par les archives « engagées ».

J’entends par là des objets documentaires qui sont le sous-produit (by-product) d’une activité économique, commerciale, artistique… mais d’abord militante, et qui sont en même temps leur propre finalité. Je pense aux archives de communautés, d’associations, d’artistes, constituées de documents écrits, photographiques ou audiovisuels, délibérément collectés ou créés pour agir, pour revendiquer, pour témoigner, pour faire connaître. Des archives qui sont à la fois des archives par nature et des archives par destination, appréhendées comme un instrument proactif immédiat et non comme une trace défensive différée.

C’est une catégorie nouvelle, une notion et une expression qui mériteraient une étude plus approfondie.

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Si vous avez un onzième sens, n’hésitez pas…

PS: Quant au mot archivage, j’en ai analysé six acceptions différentes sur la base d’un corpus d’articles tirés du journal le Monde: l’analyse est sur mon blog.

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Définitions d’archivistique http://transarchivistique.fr/definitions-darchivistique/ http://transarchivistique.fr/definitions-darchivistique/#comments Wed, 07 Nov 2018 18:07:15 +0000 http://transarchivistique.fr/?p=978 Continuer la lecture ]]> En préparant mon intervention au prochain colloque du GIRA (Groupe interdisciplinaire de recherche en archivistique) le 30 novembre 2018 à Montréal, sur le thème « État, conditions et diffusion de la recherche en archivistique », j’ai « révisé » les définitions du mot archivistique (archival science en anglais).

Voici, à toutes fins utiles, la liste de ces définitions, dans l’ordre de longueur des définitions (la source est mentionnée à la suite de la définition).

Science des archives.

Dictionnaire Larousse

Science de la gestion des archives.

Direction des Archives de France, Pratique archivistique française (1993)

A systematic body of knowledge that supports the practice of appraising, acquiring, authenticating, preserving, and providing access to recorded materials.

Pearce-Moses, Richard. A Glossary of Archival and Records Terminology. Chicago: Society of American Archivists, 2005, repris par InterPares

Science qui étudie les principes et les méthodes appliquées à la collecte, au traitement, à la conservation, à la communication et à la mise en valeur des documents.

Direction des Archives de France, Dictionnaire de terminologie, 2002

Archival science, or archival studies, is the study and theory of building and curating archives, which are collections of documents, recordings and data storage devices.

Wikipedia anglais

Discipline universitaire traitant des modes de collecte, d’analyse et de description, de tri et de classement, de conservation matérielle et de mise en valeur des archives.

Marie-Anne Chabin, Nouveau glossaire de l’archivage, mars 2010

XXe siècle. Dérivé d’archiviste. Ensemble des principes théoriques et des règles pratiques applicables à la collecte, à la conservation, au classement, à l’inventaire, à la communication et à l’utilisation des archives.

Dictionnaire de l’Académie française (9e édition)

L’archivistique est la discipline relative aux principes et aux techniques relatifs à la gestion des archives. Elle relève à la fois des sciences auxiliaires de l’histoire et des sciences de l’information et des bibliothèques.

Wikipédia

Discipline qui recouvre les principes et les techniques régissant la création, l’évaluation, l’accroissement (l’acquisition), la classification, la description, l’indexation, la diffusion et la préservation des archives.

Université de Montréal, École de bibliothéconomie et des sciences de l’information, “Terminologie archivistique de base proposé aux étudiants,” 1999

Science qui étudie les principes et les procédés méthodiques employés à la conservation des documents d’archives permettant d’assurer la présentation des droits, des intérêts, des savoir-faire et de la mémoire des personnes morales et physiques.

Dictionnaire des archives: de l’archivage aux systèmes d’information; Afnor-Ecole des chartes, 1992

Archival science is an academic and applied discipline that involves the scientific stydy of process-bound information, both as a product and as agent of human thoughts, emotion, and activities, in its various contexts. Its field of study encompasses personal documents, records, and archives of communities, government agencies, and other formal organizations, and archival materials in general, whether or not kept by archival institutions units, or programs. It covers both the records themselves and their contexts of creation, management, and use, and their sociocultural context. Its central questions are why, how, and under what circumstances human beings create, keep, change, preserve, or destroy records, and what meanings they may individually or jointly attribute to records and to their recordkeeping and archival operations.

Encyclopedia of archival science, sous la direction de Luciana Duranti et Patricia C Franks, Rowman & Littlefield, 2015

A noter que le « petit glossaire » du site de l’Association des Archivistes Français ne comporte pas d’entrée « archivistique ».

Il n’y a pas non plus d’entrée « archivistique » dans l’index du Manuel d’archivistique de la Direction des Archives de France, publié en 1970, et cet ouvrage ne comporte pas de glossaire.

Je termine par quelques explications données par Michel Duchein dans l’introduction de la Pratique archivistique française (1993)

« Le grand développement de l’archivistique comme science est surtout un phénomène postérieur à la seconde guerre mondiale. La cause en est, évidemment, le bouleversement apporté aux pratiques traditionnelles de la gestion des archives par les conditions nouvelles nées du développement des technologies, de l’accroissement vertigineux de la production documentaire des administrations et de l’émergence des nouvelles nations pour lesquelles le problème des archives se posait en terme très différents de ceux des pays européens ».

« Le mot archivistique est de création relativement récente. Comme adjectif (signifiant « relatif aux archives ») il remonte, en France, aux années 1950. Comme substantif (« science de la gestion des archives ») il a été utilisé en Italie en 1928 par Eugenio Casanova mais on ne le voit guère en France avant la seconde guerre mondiale. L’Académie française ne l’a introduit dans son dictionnaire qu’en 1987″.

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Si vous connaissez d’autres définitions, n’hésitez pas à m’en informer.

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http://transarchivistique.fr/definitions-darchivistique/feed/ 2
Différence entre numérisation et dématérialisation http://transarchivistique.fr/difference-entre-numerisation-et-dematerialisation/ http://transarchivistique.fr/difference-entre-numerisation-et-dematerialisation/#comments Tue, 28 Mar 2017 19:16:53 +0000 http://transarchivistique.fr/?p=795 Continuer la lecture ]]> Une jeune collègue me demande la différence entre les deux mots numérisation et dématérialisation. Je lui réponds ici d’autant plus volontiers que j’ai exposé maintes fois ces concepts dans mes cours.

La définition des mots n’est jamais simple et toujours évolutive.

Quand on cherche la définition d’un terme, le premier geste est logiquement de consulter un dictionnaire de langue ou un glossaire du domaine concerné. Cependant, si l’étymologie et l’analyse a posteriori de l’emploi de tel ou tel mot dans la littérature est peu contestable, les définitions proposées par les ouvrages ou documents de références existants ne donnent pas toujours satisfaction, pour différentes raisons : désuétude par rapport à l’évolution du concept et aux nouveaux usages, formulation linguistiquement ambiguë, vision partielle (assumée ou non), énoncé partial.

La numérisation

La numérisation est l’opération technique qui consiste à transférer le contenu et les caractéristiques formelles d’un document sur support papier ou film vers un support numérique. Cette opération se fait en général par le biais d’un scanner qui restitue une image point par point du document d’origine, en noir et blanc ou en couleur. Une autre technique de numérisation, moins fréquente et qui concerne surtout les plans, est la vectorisation qui base la transposition sur le calcul des coordonnées de chaque trait du dessin, permettant ainsi, lors de l’agrandissement de l’image, d’avoir toujours une définition parfaite, alors que l’image issue du scan perd de la netteté au fur et à mesure que l’on zoome (sauf en cas de haute définition).

Dans le langage courant, numériser équivaut à scanner. Le format le plus courant est le PDF mais il existe d’autres formats de données, notamment le TIFF (dans l’éditique par exemple) et le format image JPEG.

Se greffent ensuite sur le scan diverses technologies de traitement de l’image. La plus significative est la reconnaissance de caractères (OCR) qui retransforme l’image d’un texte en mots pour faciliter la recherche d’information et l’indexation.

La numérisation de documents papier ou film pose la question du retour sur investissement de l’opération qui peut se trouver :

  • dans une plus grande rapidité de traitement d’une l’information partagée ou d’accès à l’information dès lors qu’elle est en ligne et non plus dans des archives papier éloignées ;
  • ou bien dans le fait que l’état du support initial était tellement dégradé que la numérisation était le seul moyen de le préserver (cas de vidéos analogiques par exemple) ;
  • ou bien encore dans le gain du stockage papier (dans le cas où les documents papier sont détruits après scan) ; malheureusement, le devenir des papiers numérisés n’est pas toujours pris en compte au début de l’opération, ceci conduisant parfois à des incohérences.

Il y a une dizaine d’années, j’ai décrit la numérisation comme un épiphénomène dans l’histoire des techniques et des technologies, un procédé utilisé pendant trois décennies environ, entre les années 1980 et les années 2010. Je le pense toujours.

En effet, la numérisation s’oppose en quelque sorte à la production native de documents numériques, c’est-à-dire sans passer par la case papier. Alors que l’écrit électronique est reconnu par le droit européen depuis 1999, il faudra bien cesser un jour de fabriquer des documents papier pour les scanner, sans parler d’imprimer ensuite les scans…

La dématérialisation

Face au procédé technique de numérisation qui vise un stock ou un flux de documents, le terme dématérialisation est assez général, assez large et surtout ambigu, avec des définitions conceptuelles ou globales (voir plus loin un échantillon de définitions).

« La dématérialisation consiste à substituer à un produit physique existant, un produit n’ayant aucune existence physique ou un service » écrit Gilles de Chezelles dans son livre La dématérialisation des échanges (Hermes Science Publishing, Lavoisier, 2007). Autre explication (sur le site http://www.infogreffe.fr) : « La dématérialisation a pour objet de gérer de façon totalement électronique des données ou des documents métier (correspondances, contrats, factures, brochures, contenus techniques, supports administratifs,…) qui transitent dans les entreprises et/ou dans le cadre d’échanges avec des partenaires (administrations, clients, fournisseurs). »

La dématérialisation peut donc inclure (et inclut souvent dans le langage des utilisateurs) la numérisation mais peut aussi exclure tout lien avec un support analogique et ne manipuler que des données.

À vrai dire, je n’aime pas le mot dématérialisation. En exagérant à peine, je l’accuserais même d’avoir depuis vingt ans, paradoxalement, freiné le passage de la société au numérique dont tout le monde parle et qui va bien finir par arriver.

En effet, l’utilisation à tout va du mot « dématérialisation » pour désigner tantôt la numérisation de stocks de papier, tantôt une révision de processus pour une production numérique native des traces et des informations (soit deux démarches bien différentes dans le fonctionnement d’une organisation) est perverse. Elle est perverse car elle est anti-pédagogique : non seulement, elle n’aide pas l’utilisateur à bien distinguer les deux actions dont l’une (le numérique natif) a plus d’avenir que l’autre (le scan), mais encore elle ralentit les projets de production numérique en mobilisant certaines organisations sur des projets de scan à court terme, voire elle favorise le maintien de la production de « papier à scanner » au sein d’un cercle vicieux.

La « vraie dématérialisation » est évidemment celle du cercle vertueux qui conduit à penser numérique, à mieux comprendre les technologies numériques pour mieux les utiliser comme support ou vecteur de l’information, plutôt que continuer à « penser papier » et à tordre la technologie pour qu’elle s’adapte à cette pensée, ce qui est d’une certaine manière contre-nature (à supposer que la technologie ait une nature…) ou qui, du moins, ne va pas dans le sens de l’histoire.

Autrement dit, la « vraie dématérialisation » est la dématérialisation des processus.

Digitalisation est un anglicisme qui est employé aussi bien pour numérisation que pour dématérialisation, ce qui entretient un peu plus la confusion…

En résumé, et indépendamment des mots, il convient de faire la différence entre, d’une part, l’action de transformer un objet analogique en objet numérique et, d’autre part, la démarche de concevoir un système fiable de production, diffusion et conservation de documents (au sens large d’objets d’information qui supportent un contenu qui informe sur un fait ou une idée) nativement numériques.

Annexe. Quelques définitions de dématérialisation

Wikipédia, début de l’article Dématérialisation

La dématérialisation est le remplacement dans une entreprise ou une organisation de ses supports d’informations matériels (souvent en papier) par des fichiers informatiques et des ordinateurs. On parle aussi d’informatisation ou de numérisation car la substitution du papier par l’électronique n’est jamais complète (voir la section « Aspects environnementaux »), la création d’un « bureau sans papier » ou « zéro papier » étant encore une utopie.

Nouveau glossaire de l’archivage, Marie-Anne Chabin (2010)

Dématérialisation / Electronic data processing : Opération visant à ce que les documents gérés aujourd’hui sous forme papier le soit demain sous forme électronique, soit par le biais d’une opération de numérisation, soit par la révision des processus de production et de gestion de l’information.

Vade-mecum juridique de la dématérialisation des documents (FNTC), 7e édition (2015)

L’introduction commence par ces mots : « La dématérialisation des documents et des échanges se généralise pour tous les domaines de la vie des entreprises, des autorités administratives et des citoyens : contrats commerciaux et de consommation, documents des entreprises (factures, bulletins de paie, documents RH, …), coffres forts électroniques,  marchés publics, TVA, impôt sur le revenu, documents douaniers, téléservices, en passant par le vote dans les assemblées générales d’actionnaires ou les élections des instances représentatives du personnel (IRP). »

Il est précisé plus loin : « Si l’on s’interroge sur la notion de dématérialisation, elle consiste en la transformation d’un document ou d’un flux de documents papiers, ainsi que les traitements qui lui sont appliqués, en document, flux et traitements numériques. Pour atteindre cet objectif, la dématérialisation cherche à conserver en électronique une valeur juridique équivalente aux documents papier, quels que soient leur support et leur moyen de transmission, ainsi que leurs modalités d’archivage. »

Normes NF Z42-013 et NF Z42-026

L’introduction de la future nouvelle norme NF Z42-026 (« Définition et spécifications des prestations de numérisation fidèle de documents sur support papier et contrôle de ces prestations », 2017) débute par : « Aujourd’hui, de plus en plus d’applications de dématérialisation de processus administratifs ou de mises à disposition de documents via Internet sont utilisées. Une part non négligeable de ces applications repose sur des opérations de numérisation pour convertir des documents sur support papier en documents numériques et produire ainsi des copies électroniques. » mais le mot n’est pas défini.

À noter que le mot « dématérialisation » n’apparaît pas une seule fois dans la norme NF Z42-013 (Spécifications relatives à la conception et à l’exploitation de systèmes informatiques en vue d’assurer la conservation et l’intégrité des documents stockés dans ces systèmes).

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Qu’est-ce qu’un document d’archives ? http://transarchivistique.fr/quest-ce-quun-document-darchives/ http://transarchivistique.fr/quest-ce-quun-document-darchives/#comments Wed, 22 Feb 2017 18:45:53 +0000 http://transarchivistique.fr/?p=695 Continuer la lecture ]]> Récemment, dans un réseau social, réagissant à un post de Benjamin Suc sur les fonds d’archives audiovisuelles, une jeune juriste exprimait sa gêne face à l’expression « document d’archives » dans la discipline archivistique, et son choix de ne pas l’utiliser. Ceci est assez surprenant. Il est vrai que, avec la dérégulation de la terminologie archivistique ces dernières années, on peut comprendre que certaines personnes soient déroutées. Une bonne occasion, finalement, de revenir sur cette expression et son sens.

Le singulier du mot archives

Le Dictionnaire des archives, français-anglais-allemand : de l’archivage aux systèmes d’information, publié en 1991 par l’AFNOR et l’École nationale des chartes, donne pour « document d’archives » la définition suivante : « Écrit ou enregistrement qui par lui-même ou par son support a une valeur probatoire ou informative. Singulier du mot archives ». Cette dernière expression (singulier du mot archives), aussi concise que percutante, a été proposée à l’époque par Marie-Claude Delmas qui, avec Hervé L’Huillier et moi-même, constituait le groupe de travail de préparation du dictionnaire, sous l’égide de Bruno Delmas. Près de trente ans plus tard, je la trouve toujours excellente et peut-être plus importante que naguère dans un monde qui ne cesse de se focaliser sur l’élément d’information décontextualisé au détriment du groupe, de l’ensemble cohérent, autrement dit du fonds.

Revenons à chacun des deux termes de l’expression : document et archives.

document et archives

Le document

La norme internationale ISO 5127-1 définit le document comme « une information enregistrée qui peut être traitée comme une unité dans un processus de communication, quelque soit sa forme et ses caractéristiques ».

De nombreux écrits insistent aussi sur le fait que, de par son étymologie, le document supporte un enseignement. Le document présente des informations factuelles observables par tous et que chacun peut analyser, exploiter pour son activité professionnelle, la formation de son esprit ou la défense de ses droits, et transformer en connaissance, parfois en conviction. De ce point de vue, n’importe quel artefact dont on tire enseignement peut être considéré comme un document.

L’enseignement que le document d’archives est susceptible de transmettre est un jeu d’éléments de preuve ou de mémoire en relation avec l’activité de celui qui l’a produit (émis ou reçu). C’est un enseignement destiné d’abord au producteur (personne morale) et ensuite, éventuellement, à d’autres utilisateurs.

Le document d’archives n’est donc pas n’importe quel document.

Dans un contexte sociétal où le mot archives est soit connoté négativement soit connoté « histoire », les producteurs de documents ne sont pas toujours à l’aise avec cette expression un peu technique finalement. C’est pourquoi, je parle volontiers de « document à archiver » ou de « document engageant ». En effet, si le document doit être archivé (i.e. classé aux archives ou aujourd’hui enregistré dans un système d’archivage), c’est parce qu’il engage la responsabilité du producteur (preuve et mémoire). Je dirais même, pour conserver le sens profond des choses, que « document engageant » est le nom vulgaire, au XXIe siècle, du « document d’archives ».

Les archives

Les archives sont, elles, dotées d’une définition légale en France : « Les archives sont l’ensemble des documents, quels que soient leur date, leur lieu de conservation, leur forme et leur support, produits ou reçus par toute personne physique ou morale et par tout service ou organisme public ou privé dans l’exercice de leur activité. » (article L211-1 du code du patrimoine).

Le dictionnaire de 1991 donne comme synonyme d’archives l’expression « fonds d’archives », et c’est bien cela l’important : la notion d’ensemble logique, d’accumulation organique, d’assemblage volontaire et structuré, liée à l’entité juridique que représente le producteur et/ou le détenteur de ces archives. Les archives sont l’ensemble indissociable des documents de preuve et de mémoire d’une personne physique ou morale, une entité unique en termes de responsabilité civile et pénale et en termes de propriété (droit de vie et de mort sur les archives, dans le respect de la loi).

La langue française et la tradition archivistique sont là très précises en soulignant le lien entre la pièce et le fonds, entre l’élément et le tout, bref entre le document et les archives.

Voilà qui explique, voire justifie, pourquoi le mot archives est traditionnellement un mot pluriel même si le singulier est attesté ici ou là, l’exception confirmant la règle. Si on parle aujourd’hui d’archive au singulier, c’est surtout sous l’influence de l’anglais (archive comme lieu ou collection d’archives, ou archive des informaticiens pour désigner les fichiers compressés). On en vient à parler d’archive aujourd’hui pour désigner un document, une pièce, comme par raccourci de « document d’archives ». Tout le monde s’y est habitué mais c’est relativement récent. Je me souviens m’être fait conspuer en l’an  2000 pour avoir employé le mot archive au singulier dans le titre d’un livre (Le management de l’archive, Hermès).

À noter que le Dictionnaire de l’Académie française (9e édition) n’admet toujours pas le singulier.

Sens de la préposition « de » entre document et archives

Le sens de document et le sens d’archives étant exposés, il reste à commenter le sens de la préposition qui relie les deux mots, la valeur du « de » dans l’expression « document d’archives ».

document d'archivesDe est une des prépositions françaises qui présentent le plus de nuances : provenance (pierre de lune, chou de Bruxelles), composition (collier de perles, robe de taffetas), finalité (campagne de prévention, chien de chasse), qualification (soirée d’enfer, coup de théâtre), contenu (verre de vin, film de science-fiction), lieu d’exercice (garçon de café, théâtre de rue), etc.

Cette variété de nuances de la préposition se retrouve aussi dans les noms de documents d’archives :

  • billet de banque, diplôme de l’université : de signifie émis par
  • contrat de maintenance, convention de partenariat : de signifie dans le but de, pour
  • titre de propriété, justificatif de domicile, quittance de loyer : de signifie qui concerne, relatif à
  • procès-verbal de délibération, livre de compte, arrêt de quitus, registre d’état civil : de renvoie à la nature de l’acte tracé dans le document.

Évidemment, le document d’archives n’est ni un document émis par une institution archivistique ni un document qui concernent les archives ni un document qui parle des archives ni un document créé pour les archives (encore que pour ce dernier point… ; j’y reviendrai à la fin de ce billet).

Quelle est alors la nature du lien entre document et archives ? Que sous-tend la préposition de dans cette expression ?

Il y a deux façons d’appréhender cette question, selon l’angle de vue adopté.

Du côté du producteur ou du responsable de l’archivage, le document d’archives est un document qui trace une décision, une idée, une dépense, un constat, etc. auquel on aura potentiellement besoin de se référer demain et, si on n’en disposait plus, s’il était perdu ou détruit, on subirait un dommage plus ou moins important. Si le document a une valeur intrinsèque pour son producteur, on devra l’archiver. Le document d’archives est dans ce cas un document digne de figurer dans les archives. Le « de » a un sens de valeur, le sens de « digne de figurer dans »  comme dans les expressions : une pièce de collection, un morceau de choix ou un tireur d’élite.

C’est un peu différent du point de vue de l’utilisateur, lequel intervient plus tard dans le cycle de vie du document. D’une manière générale, le document d’archives est pour l’historien, le chercheur, le généalogiste, le journaliste ou le curieux un document qui est conservé dans un service d’archives. Cette localisation en fait une source fiable. Les services d’archives sont un lieu de confiance dont les ressources ont été contrôlées et traitées par des archivistes. Le document qui s’y trouve est donc une source privilégiée pour l’utilisateur. La préposition « de » a ici son sens assez fréquent de provenance. Un document d’archives est un document qui provient des archives. « Le document d’archive a l’avantage de légitimer le propos, d’intégrer un contenu de qualité et de constituer une source unique pour raconter des histoires intéressantes », écrit Benjamin Suc dans le billet cité en introduction.

Dans la réalité, on peut observer parfois un hiatus entre la valeur intrinsèque d’un document d’archives et sa conservation dans un service d’archives. C’est la question de savoir si tous les documents qui ont une valeur d’archives sont dans les services d’archives, mais aussi celle de savoir si tous les documents qui sont dans les services d’archives ont une valeur d’enseignement de preuve et de mémoire.

On a globalement trois cas de figure :

  1. les documents qui ont une valeur d’archives mais qui ne sont pas encore pris en charge par un service d’archives (déficit d’archivage) ;
  2. les documents ayant une valeur d’archives et effectivement archivés et gérés par un service d’archives (archivage cohérent) ;
  3. les documents qui se trouvent dans les services d’archives sans être stricto sensu des documents d’archives, c’est-à-dire produit ou reçu dans le cadre d’une activité dans un objectif de preuve ou de mémoire (sur-archivage).

C’est là, pour les archivistes, un enjeu permanent.

Document d’archives et image d’archives

L’expression « image d’archives » est plus populaire que « document d’archives ». Tout téléspectateur l’a vue de nombreuses  fois affichée sur son écran de télévision, lors des actualités ou dans des reportages. L’image d’archives est un extrait de film d’actualité ou d’émission diffusée dans un passé lointain ou proche, au cinéma ou à la télévision, et « sorti » des archives pour être inséré dans une nouvelle production.

Image d'archiveL’incrustation « image d’archives » signifie : ce que vous voyez en ce moment n’est ni du direct ni du différé ni du rediffusé mais un morceau de film ou d’émission ancien réutilisé. La mention est souvent accompagnée du sigle du détenteur de ces archives (INA, Pathé…) qui donne un label de fiabilité aux images en question.

Par extension, « image d’archives » peut s’appliquer à tout document audiovisuel « ancien » appartenant à un fonds d’archives public ou privé, incluant les rushes, les magazines, les émission de divertissement ou de fiction et la publicité, quel que soit le canal de diffusion, y compris le web, dès lors que ces images sont identifiées, décrites, datées.

L’expression « image d’archives » (qui n’a pas à ma connaissance de définition normative) convient également pour les documents audiovisuels qui sont d’abord des documents d’archives au sens premier du terme, c’est-à-dire des documents issus d’un processus administratif, éducatif, commercial, de recherche ou de production industrielle ; ces documents ne sont pas au départ produits pour un public mais bien créés pour documenter un processus par des traces formelles qui serviront de preuve autant que de mémoire dans la poursuite de cette activité.

« Image d’archives » convient encore pour désigner des enregistrements audiovisuels créés de manière volontariste pour constituer des archives, donc sans lien direct avec la mise en œuvre d’un processus métier (autre que le métier d’archiviste) ni finalité de diffusion immédiate à un public. Ce sont par exemple les interviews de personnalités ayant vécu certains événements ou de personnes détentrices d’un savoir ou d’un savoir faire qui disparaît. Autre exemple avec l’enregistrement audiovisuel des grands procès pour crimes contre l’humanité (le premier étant celui de Klaus Barbie en 1987).

Initialement, la distinction entre document d’archives et image d’archives tient moins à l’opposition écrit/image animée qu’à la différentiation du processus de création et au destinataire du document (acte administratif, juridique ou technique pour un destinataire identifié d’un côté, publication ou diffusion pour tout un public de l’autre).

Avec l’élargissement de l’acception du vocable archives ces dernières décennies à toutes formes de documents de mémoire, bien au-delà des seuls « documents d’archives » d’antan, et avec la généralisation de l’image dans toutes les activités documentaires et de communication, les deux expressions se sont nettement rapprochées.

Et bien sûr je n’évoque pas ici les images de documents d’archives via la numérisation à grande échelle.

En résumé, l’expression « document d’archives » est riche et fort utile. Je lui souhaite longue vie !

 

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http://transarchivistique.fr/quest-ce-quun-document-darchives/feed/ 2
What is a record? en 9 points http://transarchivistique.fr/what-is-a-record-en-9-points/ Sat, 22 Aug 2015 08:24:13 +0000 http://transarchivistique.fr/?p=548 Continuer la lecture ]]> 1/ For decades, on a regular bases, there are discussions about this question among professionals and some neophytes, people wondering which kind of thing a record is. And there is, since fifteen years, a ready-made answer with the official definition in ISO standard 15289: “information created, received, and maintained as evidence and information by an organization or person, in pursuance of legal obligations or in the transaction of business”.

2/ Involved in the standardization of records management for a long time and as a translator of the English version of ISO 15489 (2001) into French, I liked this definition. I do no more, I mean I like it not so much as before. What  is wrong with this definition ? There are too many “and” and “or”: created, received, and maintained, evidence and information, organization or person, legal obligations or transaction of business. At the end, the definition encompasses too many situations and does not focus on the main issue: the value of the information object for its owner. The preposition I like in the definition is “as” (as evidence and information).

3/ According to Barbara Reed, the new version of ISO 15489 (work still in progress) has introduced the adjective “authoritative” to enforce the concept of record. An authoritative record is an authentic and reliable record, with integrity and useability. Non-authoritative records are supposed to be this information mechanically transferred to a place of storage regardless to its value. I understand in this point that the word record is no more self-understanding to mean “important information/document to be kept and retrieved”.

4/ Focusing on the value should help to make the difference between the intrinsic value (what is the object useful for?) and extrinsic status (it has been transferred to a record center, so it is a record). There are three possibilities: a) information/document with record value is located in the record center; b) information/document with record value is outside or not yet in the record center; c) information/document without any record value is kept in the record center. Among the three, only the first one is relevant for good records management. The issue is exactly the same with the French word “archives” which has been the translation for records for seculars”; the word “archives” is nowadays often understood as “historical archives”, “useless old papers” or (electronic) archives files…

Record25/ Another comment on the current ISO definition is that it should be designed to be clearly understood everywhere, so that the right word (or expression) to translate “record” could be easy to find out in any language. Whatever you name them, records exist everywhere. But the fact is that a couple of years ago, the French Agency for standardization, AFNOR, choose “document d’activité” as the French word for “record”. Despite French is my mother tongue and records management my business for years, I don’t understand what a “document d’activité” is… All documents are linked to an activity, aren’t they? It means everything, i.e. it does not mean anything. During my professional life, in the one hundred organizations I worked for, I have never heard this expression. The only results of this translation are that a) I do not trust AFNOR anymore; b) I am still awaiting a better definition to make it clearer to everybody.

6/ Looking after some news words to explain the concept, I noticed in one of the latest discussions, the following sentence from Luciana Duranti: a record is “a byproduct of [business], in a fixed form and stable content”. I like the word “byproduct”; it is very expressive (I think the best French word to translate it in this context is “trace”). Byproduct underlines that a record does not exist by itself but in relation to the process it comes from. This byproduct is the written evidence of an event. It is non only “maintained” as evidence or information; it states as evidence from the beginning; maintenance comes after. The fixed form and the stable content are the way to maintained this evidence. This is diplomatics.

lucky-records7/ Going on, I wonder if it would not be more relevant to define a record in a subjective way than to look for an objective description. I agree with Luciana Duranti when she says (cf the same discussion) that “a record is what you consider as a record”. The question is: “Why should you consider this object as a record? And the answer is, in my opinion and experience: “because the lack of it pose a risk, or because its bad quality (lack of accuracy, completeness, fixity, metadata…) could be troublesome in the future.

8/ During the last decade, I have listen to French speaking people outside the field of records management (I mean engineers, lawyers, managers, technicians, assistants, and so on) and to the words they used to mean “this set of information likely to help in the course of business, in connection with regulatory environment and risk of litigation. The most frequent expression I have met in France and European entities is “document engageant” (the CR2PA members are familiar also with this expression).

9/ That is the reason why, for an efficient records management, I prefer to use the following definition of “record”: (first in French) La trace écrite d’une action qui engage la responsabilité et dont la mauvaise maîtrise (conservation, accès) engendre un risque. I attempt to translate my definition in English: “The written byproduct of an accountable action, the mismanagement (retention/preservation and access) of which put you at risk” (to be improved).

Recors_Trésor langue française-extrait

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Les archives courantes, une expression logistique, confuse et contre-productive http://transarchivistique.fr/les-archives-courantes-une-expression-logistique-confuse-et-contre-productive/ http://transarchivistique.fr/les-archives-courantes-une-expression-logistique-confuse-et-contre-productive/#comments Thu, 27 Jun 2013 07:15:32 +0000 http://transarchivistique.fr/?p=99 Continuer la lecture ]]> Publié par Marie-Anne Chabin, 27 juin 2013

Ce billet entend mettre en évidence le flou archivistique (qui n’a rien d’artistique) qu’alimente depuis quelques décennies cette expression bien française d’archives courantes. Il y a déjà longtemps (notamment dans Archiver, et après ? en 2007) que je dénonce les confusions, dans les discours et sur le terrain, imputables aux « archives courantes ». Ces deux mots, ensemble mais aussi séparément hélas, désignent une réalité aux contours incertains et finissent pas décrédibiliser ceux qui les emploient. C’est pourquoi je ne les emploie plus depuis belle lurette, sauf ici, justement, pour expliquer mon point de vue.

Partant des définitions officielles, des emplois constatés de l’expression, de mes observations au cours de ma carrière, et bien sûr la théorie des trois âges et sa modification, je vais tenter de décortiquer l’expression face aux exigences d’archivage des entreprises et de l’administration aujourd’hui.

Une notion officielle qui tend vers la logistique

Les archives courantes figurent dans les glossaires archivistiques mais pas dans la loi française. Il faut le rappeler. Dans la loi sur les archives du 3 janvier 1979 comme dans celle du 15 juillet 2008 qui l’amende, l’expression « archives courantes » n’apparaît pas. On trouve évidemment la définition des archives, à savoir, dans la version 2008 : « Les archives sont l’ensemble des documents, quels que soient leur date, leur forme et leur support matériel, produits ou reçus par toute personne physique ou morale et par tout service ou organisme public ou privé dans l’exercice de leur activité ». L’adjectif « courant » n’est utilisé qu’une seule fois (article L. 212-2. du code du patrimoine) : « À l’expiration de leur période d’utilisation courante, les archives publiques autres que  celles mentionnées à l’article L. 212-3 font l’objet d’une sélection pour séparer les documents à conserver des  documents dépourvus d’utilité administrative ou d’intérêt historique ou scientifique, destinés à l’élimination ».

L’expression « archives courantes » apparaît à diverses reprises dans les décrets d’application, notamment le décret n° 79-1037 du 3 décembre 1979 qui définit la compétence des services d’archives publics. L’article 2, indique que la direction des Archives de France exerce le « contrôle de la conservation des archives courantes dans les locaux des services, établissements et organismes publics, y compris les offices publics ou ministériels, qui les ont produites ou reçues ». C’est l’article 12 dudit décret qui donne la définition : « Sont considérés comme archives courantes les documents qui sont d’utilisation habituelle pour l’activité des services, établissements et organismes qui les ont produits ou reçus. La conservation des archives courantes incombe, sous le contrôle de la direction des Archives de France, aux services, établissements et organismes qui les ont produites ou reçues ».

Ces textes officiels disent donc :

  • que les archives sont tous les documents produits et reçus par un service dans l’exercice de son activité, ce qui est très large ; beaucoup y ont vu le sens de « tout est archive », même le plus humble gribouillis qui pourrait éclairer l’historien sur tel ou tel aspect de telle ou telle affaire ; en tout cas, ce n’est pas au service producteur d’en décider mais à l’archiviste ;
  • que la qualité d’archives courantes est liée à l’usage que le service producteur a ou fait des documents ;
  • que les archives courantes sont conservées dans (par) les services producteurs.

Ces notions sont reprises par les dictionnaires archivistiques :

Archives courantes : dossiers ouverts ou récemment clos, gardés dans les bureaux pour le traitement des affaires (current records) dans le Dictionnaire des archives, français-anglais-allemand : de l’archivage aux systèmes d’information (AFNOR, École nationale des chartes, 1991)

Archives courantes : dans le cycle de vie des archives, documents qui sont d’utilisation habituelle et fréquente pour l’activité des services, établissements et organismes qui les ont produits et reçus, et qui sont conservés pour le traitement des affaires (en : current records, records), dans le Dictionnaire de terminologie archivistique, direction des Archives de France, 2002, en ligne.

La définition de la circulaire du 2 novembre 2001 relative à la gestion des archives dans les services et établissements publics de l’État, dite circulaire Jospin, varie légèrement : «  dans le cycle de vie des archives, ce sont les documents utilisés pour le traitement quotidien des affaires et dont la conservation est assurée dans le service d’origine ».

Au cours de la dernière décennie, à l’ère du web, les glossaires privés se sont multipliés. Les définitions ne sont plus seulement émises par les institutions mais formulées et diffusées par les prestataires.

On peut lire sur le site du cabinet de conseil en dématérialisation XDEMAT : « L’âge des archives courantes correspond au moment de la création des documents et des dossiers. Il dure tant que ces documents sont immédiatement et quotidiennement utiles aux affaires qui ont nécessité leur création ».

En août 2012, le Nouvel économiste consacre un article en ligne à la fonction de records manager, avec l’interview, entre autres, du consultant Philippe Lenepveu qui conclut ceci : « Les archives papiers courantes sont rangées dans les bureaux, les intermédiaires dans les couloirs et les définitives à la cave ».

Je ne prendrai qu’un exemple. J’ai pu voir à la fin des années 1980 en haut d’une armoire du bureau du directeur départemental de l’Agriculture et de la Forêt du département où j’exerçais comme archiviste départemental, deux règlements d’eau originaux, datant de 1798 (c’est bien 1798 et non 1978 !). Ces documents étaient maintenus dans ce lieu de conservation approximatif par le fait que le fonctionnaire en question estimait qu’il pouvait en avoir besoin vu que ces règlements étaient partiellement encore en vigueur et qu’il avait assez de place dans son bureau directorial. Si je considère la définition ci-dessus, ces règlements d’eau de 1798 sont des archives courantes… Si le directeur avait un bureau plus étroit et qu’il soit contraint de réduire son espace de rangement et d’éloigner certaines boîtes d’archives, les mêmes documents, d’un coup, ne seraient plus des archives courantes. En plagiant Pascal, on pourrait dire : plaisante archivistique qu’une surface borne !

En résumé, les archives courantes sont dans le bureau parce qu’elles sont utilisées, ou encore, puisqu’elles sont dans le bureau, elles sont d’utilisation courante (histoire classique d’œuf et de poule).

Mais voilà que l’on assiste depuis quelques années à un phénomène curieux : les archives courantes sortent du bureau… Le décret du 17 septembre 2009 autorise (enfin !) l’externalisation chez un prestataire de la conservation des archives publiques. En conséquence, on voit de plus en plus d’appels d’offre pour « le dépôt, la conservation et la gestion des archives courantes et intermédiaires ». Alors, les archives courantes sont dans les bureaux ou chez le prestataire ? Seraient-elles aux deux endroits à la fois ? Auraient-elles le don d’ubiquité ? Autre explication : les archives courantes courent très vite, de plus en plus vite, et font l’aller-retour bureau-prestataire en un clin d’œil. Pourquoi pas des archives sprinteuses ?

Tant que les textes de référence utilisant ce vocabulaire restaient dans la sphère des archivistes, on pouvait se dire que le flou était circonscrit. Mais la CNIL a emboîté le pas  claudiquant de l’administration des archives et repris à son compte, en 2005 les trois âges des archives version réglementation de 1979. Ainsi, la recommandation de la CNIL du 11 octobre 2005 « a vocation à s’appliquer aux archives dites courantes, intermédiaires et définitives, ainsi définies :

  • par archives courantes, il convient d’entendre les données d’utilisation courante par les services concernés dans les entreprises, organismes ou établissements privés (par exemple les données concernant un client dans le cadre de l’exécution d’un contrat) ;
  • par archives intermédiaires, il convient d’entendre les données qui présentent encore pour les services concernés un intérêt administratif, comme par exemple en cas de contentieux, et dont les durées de conservation sont fixées par les règles de prescription applicables ;
  • par archives définitives, il convient d’entendre exclusivement les données présentant un intérêt historique, scientifique ou statistique justifiant qu’elles ne fassent l’objet d’aucune destruction.

On reste, pour les archives courantes, sur un pur critère d’utilisation, sans avancer sur la valeur de conservation par le détenteur, ce qui n’aide pas à résoudre la question de la destruction des données à caractère personnel (mais ceci est un autre débat).

Même les archivistes ne comprennent pas tous la même chose…

La « logisticité » des textes serait un moindre mal si les professionnels partageaient la même interprétation de la notion d’archives courantes et mettaient derrière cette expression la même réalité. Or, on en est loin !

Mal à l’aise depuis des lustres avec l’à-peu-près des définitions officielles et leur pauvreté archivistique, j’ai souvent discuté ce point avec des collègues archivistes, discussions qui ont conforté mon constat de confusion et de blocage. Il y a bientôt trois ans, j’ai réalisé, via le forum de l’Association des archivistes français (AAF), une petite enquête, sur le sens et l’emploi des mots archives courantes et intermédiaires. Seize collègues m’ont envoyé des contributions argumentées et détaillées. Je reprends ici les principaux points de ma synthèse, toujours en ligne dans les archives du forum de l’association (je me garderai bien de dire si ce sont des archives courantes, intermédiaires  ou définitives…) :

Le panel de répondants se répartit en trois groupes :

  1. le premier groupe se déclare en ligne avec la réglementation : théorie des trois âges liant l’âge du document à sa localisation (sans critique de la valeur du document qui n’est prise potentiellement en compte que plus tard) et/ou à son usage (consultés plus ou moins fréquemment) ;
  2. le deuxième groupe utilise la théorie des trois âges mais distingue surtout deux grands blocs : les documents qui servent aux services (sans nécessairement les qualifier de courants ou d’intermédiaires qui ne parlent pas aux interlocuteurs de l’archiviste) et les archives historiques ;
  3. le troisième groupe reconnaît que la théorie des trois âges est d’abord logistique mais considère qu’elle vient en appui de la démarche de records management basée sur la valeur intrinsèque des documents et le risque de leur non disponibilité. Pour ceux qui n’ont pas suivi une formation archivistique, la frontière entre archives courantes et archives intermédiaires n’est pas très explicite mais ils contournent tant bien que mal la difficulté.

Il ressort surtout de l’enquête des interprétations opposées de ce que recouvre l’expression « archives courantes » : ce sont pour les uns « les documents qui ne sont pas encore validés » et pour les autres les documents « dès leur signature et au moment même de leur entrée en vigueur »…

Dans le flou, il est clair que :

  • l’expression « archives courantes » n’est pas comprise par les services producteurs ; elle n’est pas naturelle ; c’est du jargon d’archiviste, une expression étrangère à leur culture générale ;
  • l’adjectif « courantes », qui évoque les affaires courantes, réduit la question à un enjeu de disponibilité matérielle des dossiers, à l’usage de l’information, sans s’intéresser à la valeur intrinsèque des documents considérés ;
  • l’acception légale pan-historique du mot archives et la gestion saine d’une entreprise au XXIe siècle sont antinomiques.

Le fait est que l’on trouve aujourd’hui en France un nombre non négligeable d’individus, archivistes ou consultants, qui affirment que le records management correspond à la gestion des archives courantes, tandis que d’autres affirment, avec non moins d’aplomb, que le records management correspond à la gestion des archives intermédiaires. Et on voudrait que la France archivistique se porte bien ! Ça me suggère plutôt d’allumer un cierge à sainte Rita…

La différence d’interprétation de ce que sont concrètement les archives courantes a-t-elle un impact sur le contrôle scientifique et technique de l’administration des Archives, et plus précisément sur le visa de destruction des archives publiques ? Si j’ose poser la question : le contrôle scientifique et technique (CST) doit-il s’exercer sur les archives courantes ?, je sens déjà sur moi l’œil noir des puristes : « Toute élimination est INTERDITE sans le visa du directeur des Archives ! ». Mais si on retient l’acception « documents de travail des utilisateurs, non validés ou copies d’autres documents », le fait de soumettre la destruction de la paperasse au contrôle de quelqu’un d’extérieur qui a parfois du mal à apporter un justificatif recevable à cette exigence. Je témoigne ici de ma propre expérience car on m’a fait boire de ce vin-là au début de ma carrière, avant que je puisse m’échapper dans le vaste monde et me dégriser dans son air vivifiant.

Dans les derniers jours d’octobre 2001, sur le forum de l’Association des archivistes français, une archiviste hospitalière non chartiste (ceci n’est pas neutre) pose la question suivante, de mon point de vue tout à fait pertinente : « Je suis à la recherche d’une définition précise de « document de travail », le document de travail étant un document qui ne serait pas soumis, lors de l’élimination, au visa des AD ».

La question récolte principalement deux réponses péremptoires de la part de collègues chartistes (ceci n’est pas neutre) qui se posent en gardiens du temps. Voici deux extraits de ces réponses :

A –«  La notion de document de travail n’est pas une notion qui a cours en archivistique pour exclure du champ des archives certains documents qui ne seraient pas des archives parce que ce serait des « documents de travail » S’il s’agit de désigner les versions intermédiaires d’un texte ou d’un rapport qui est en phase d’élaboration et si l’on exclut le cas particulier des « papiers de corbeille », ces documents-là sont des archives comme les autres, au titre de « version préparatoire », « projet », etc. Ce sont simplement des pièces d’un dossier d’élaboration ou de négociation et le sort à leur donner figure en toutes lettres dans nombre de circulaires de tri et d’élimination. Ensuite,  la loi et la réglementation française ne laissent pas en principe au producteur d’archives le soin arbitraire d’éliminer en choisissant le critère lui-même ».
B – « Je m’étonne du message de NN, concernant le « document de travail ». Sous réserve de vos remarques, il me semble que la législation française ne reconnaît que les « archives » et parmi elles les « documents administratifs » (qui sont soumis à des règles de communication particulières). En effet, selon les articles 1 et 3 de la loi de 1979, tous les documents qui sont produits dans un service administratif d’un hôpital sont des archives publiques (quel que soit le statut de l’hôpital : établissement public communal, intercommunal, etc.). Il est clair que les services peuvent détruire sans visa les « papiers de corbeille » (c’est le terme de la brochure « les archives c’est simple » de l’AAF sur les archives des administrations) : brouillon (et encore, sous réserve que le brouillon ne porte pas d’annotations d’une autorité supérieure recelant des éléments uniques quant à l’élaboration de la décision), double, formulaire vierge, prospectus, documents reçu pour information n’ayant donné lieu à aucun traitement. Ce sont à ma connaissance les seuls documents (avec la documentation) qui ne nécessitent pas le visa ».

C’était il y a douze ans mais les choses ont-elles vraiment évolué ? J’ai vu il y a quelques années un jeune directeur d’Archives départementales exiger des services du Conseil général qu’ils soumettent à son visa tous les fichiers numériques entassés sur les serveurs de la collectivité, informes et oubliés, et que le service informatique voulait purger ; il faut préciser que les serveurs stockaient déjà à l’époque 85 millions de fichiers… Des sourires se dessinèrent sur les visages autour de la table de réunion ; seul l’archiviste ne les vit pas… Ayatollisme ne rime pas avec raisonnabilité.

Enfin, on peut faire remarquer que les archives courantes sont finalement rarement considérées pour elles-mêmes, seules, en tant qu’entité indépendante. Elles sont presque toujours chaperonnées par les archives intermédiaires (qui, elles, sont plus émancipées et sortent parfois non accompagnées…) : on parle très peu d’archives courantes ; on parle souvent d’archives courantes et intermédiaires. J’en veux pour preuve le rapport « Quel avenir des Archives de France ? », présenté en mars 2011 par Maurice Quénet, dont j’ai déjà regretté le conformisme dans un autre billet. On trouve dans ce rapport 14 occurrences de l’expression « archives courantes » et les 14 fois, elle est accolée à « intermédiaires ».

Les archives courantes et intermédiaires, ce sont les Dupont et Dupond de l’archivistique, ils sont toujours ensemble et on a du mal à les distinguer ! La comparaison est-elle flatteuse ?…

Avec une grande école qui forme les archivistes depuis 1821, avec une dizaine de formations universitaires en archivistique, avec une association professionnelle créée en 1904, comment se fait-il que les concepts de base soient encore si flous en France ?

Les archives courantes, un machin contre-productif pour l’archivage…

Pendant ce temps, les services producteurs se demandent : « Mais, parmi tous ces documents, que faut-il archiver ? ».

Il y a nécessité pour une entité juridique d’archiver les documents qui l’engagent et constituent sa mémoire institutionnelle, par opposition aux documents informels, redondants, pléthoriques, qui ne présentent pas d’intérêt pour l’institution, qui ne sont ni authentiques, ni fiables, ni exploitables. Or, cette partie de l’ensemble des données circulant dans l’entreprise est, du fait des outils de reproduction et des réseaux, toujours plus large dans l’entreprise. Ma pratique de l’entreprise ne me laisse aucun doute là-dessus.

Le néologisme « documents d’activité » pondu par l’Afnor il y a deux ans ne change rien à l’affaire ; ce n’est pas une question de traduction, c’est une question de compréhension !

On assiste à un dialogue de sourds entre le dogme « tout est archive » et la vraie vie dans les entreprises. D’un côté, le slogan « il est interdit d’éliminer quoi que ce soit sans le visa de l’administration des archives » parfois empreint d’un complexe de supériorité ; de l’autre les monceaux de dossiers ventrus, entassés sans hygiène documentaire, engraissés par le tsunami numérique des réseaux et de la messagerie.

Le records management est à la mode en France. On m’objectera que c’est plus qu’une mode, que c’est une nécessité pour maîtriser l’information numérique. Oui, en soi, c’est bien cela. Mais c’est aussi une mode dans le sens où certains se parent d’un surplis « RM » par-dessus de vieux oripeaux pour faire croire qu’ils sont dans le coup. Ils ne trompent que ceux qui aiment à se laisser abuser par des formules anglo-saxonnes ou que le jargon rassure.

Ce qui caractérise avant toute autre chose le records management, c’est qu’il commence par distinguer ce qui est « record » de ce qui ne l’est pas, sur la base de la valeur que porte le document pour celui qui le détient. Sont reconnus ou déclarés « records » les documents qui engagent l’auteur et le destinataire et/ou qui présentent une valeur métier à être conservés par l’entreprise ou l’institution productrice. Par opposition, les autres documents, ce qui relève de la documentation de travail sans valeur justificative ou explicative (copies de documents externes ou éléments intermédiaires non validés de fabrication des documents définitifs) ne doivent pas être archivés.

La réglementation française ne dit pas cela ; elle dit même le contraire. Ce point est capital car c’est là le fond du problème.

Le schéma ci-dessous, capturé d’un site néo-zélandais il y plusieurs années (il n’est plus en ligne), illustre parfaitement le moment de la record creation, le moment où le document, du fait d’un workflow prédéfini ou du fait d’un choix humain, passe de l’environnement utilisateur (user controlled) à l’environnement d’entreprise (corporate controlled), moment où il est pris en charge par des règles d’entreprise (et les outils associés, le cas échéant).

Flèche rouge néozélandaise

Le records management, donc, distingue les records des non records. Ce principe est essentiel et pourtant il est quasiment absent de la pratique française.

A titre d’exemple, voici la liste des « non records » que l’on trouve dans les pages web « records management » de l’État du Colorado (US) et que mes étudiants connaissent bien : « Il n’y a aucune obligation de conserver les types de documents suivants; ils peuvent être détruits dès qu’ils n’ont plus d’utilité pour leur détenteur :

  • Journaux et imprimés reçus de l’extérieur, publicité commerciale
  • Copies de correspondance, etc. n’ayant qu’une valeur de diffusion
  • Bordereaux d’envoi sans information additionnelle
  • Notes et mémos qui ne tracent aucune responsabilité
  • Brouillons des lettres, notes, rapports, etc. qui ne comportent pas d’éléments significatifs pour la production des documents engageants.
  • Fiches de circulation des documents, post-it, mémos
  • Stocks de publications périmés.
  • Messages téléphoniques sans valeur ajoutée.
  • Livres ou objets de musée acquis à des fins culturelles.
  • Copies de documents déjà archivés.
  • Notes manuscrites ou enregistrements qui ont été transcrits.
  • Documents temporaires ou intermédiaires sans lien avec la décision ».

Cette liste ne soutient pas la comparaison avec l’expression d’antan « papier de corbeille ».

Il me faut maintenant revenir à l’origine de l’expression française « archives courantes » et à la formation de la non moins française théorie des trois âges des archives. Je ne saurais affirmer que l’expression « archives courantes » n’existait pas avant les articles d’Yves Pérotin (toujours difficile de prouver une non-existence…) mais il est certain que c’est à Yves Pérotin que l’administration des Archives l’a empruntée. Malheureusement, la définition a été biaisée, charcutée, et surtout la pensée d’Yves Pérotin a été trahie.

Que proposait Yves Pérotin ?

Pérotin était l’archiviste du département de la Seine à la fin des années 1950. À cette époque, les bureaux de l’administration commençaient déjà à déborder, au moins à Paris, et Pérotin eut à cœur de proposer des solutions adaptées pour les archives de ces services. Il alla donc faire du « benchmark » aux États-Unis et en Grande-Bretagne, où des procédures de « records management » se mettaient en place. En 1961, il formula la théorie des trois âges. Voir plus de détail : http://www.marieannechabin.fr/archiver-et-apres/2-archiver-ou-conserver/.

Il transposa en français les expressions anglo-saxonnes current records, non current records et archives en archives courantes, archives intermédiaires et archives archivées (au passage, l’opposition records/archives est toujours aussi difficile à restituer…). Mais dans l’esprit de Pérotin la notion de records était clair.

Pérotin explique que, pour le premier âge des archives, « il faut seulement obtenir que les bureaux fabriquent de bonnes archives et constituent des dossiers que n’encombrent pas les inutilités ». Il prêche donc pour une intervention dans la production des dossiers limités aux seuls documents pertinents.

On est loin du tri a posteriori. On est loin de « À l’expiration de leur période d’utilisation courante, les archives […] font l’objet d’une sélection pour séparer les documents à conserver des  documents dépourvus d’utilité administrative ou d’intérêt historique ou scientifique, destinés à l’élimination » (article L. 212-2. du code du patrimoine).

On est proche en revanche de cette exigence de produire de bonnes archives (to create relevant records) sans cesse rappelée dans les normes internationales sur le records management et dans de nombreux documents de référence, par exemple dans ce Records Management Maturity Model que propose le site britannique JISC.InfoNet qui énonce: “Institutions should decide – and staff must know – what records need to be created and kept to protect the interests of the organisation and its stakeholders”. La vision de la loi française sous-tend cette idée que seuls les archivistes seraient habilités à dire ce qui est important pour l’histoire. Les producteurs disent si c’est utile pour eux ou pas, puis les archivistes déménagent ce qui n’est plus utile et en font leurs choux gras. On navigue entre hypocrisie et défiance.

Par ailleurs, il est tout à fait possible pour un archiviste curieux et attentif de sélectionner pour les archives historiques des documents qui n’ont jamais été archivés as records, par leur producteur; c’est ce que j’ai essayé de démontrer avec la théorie des quatre-quarts dans mon billet sur les archives historiques.

Conclusion

Les promoteurs de la loi française sur les archives n’ont pas compris ou pas voulu comprendre ce qu’Yves Pérotin s’est efforcé d’expliquer à l’administration française. La loi de 1979 est une loi « orientée histoire » (celle de 2008 tout autant) et à ce titre elle a sa place dans le code du patrimoine.

Ce qui manque en France, c’est une loi sur l’archivage, par opposition à une loi sur les archives. Une loi sur l’archivage des documents qui ont une valeur d’archives pour l’administration qui les produit ou reçoit, ces documents qui engagent la responsabilité de l’administration, des établissements publics, des collectivités voire des entreprise, une loi qui donne un cadre à la production, au classement et à la conservation des documents publics dont les services publics sont comptables, propriétaires et responsables. On a des bouts ; on n’a pas de politique publique sur l’archivage.

Mais l’espoir n’est pas perdu quand on voit que de jeunes archivistes font l’effort de relire Pérotin cinquante ans après et qu’ils comprennent tout à fait normalement ce que Pérotin expliquent ; voir à ce sujet le billet de Lourdes Fuentes Hashimoto et Pierre Marcotte.

Supprimez les archives courantes !

Libérez les archivistes !

Réhabilitez l’archivage !

Il n’y a pas sur ce blog le petit « like » qu’on trouve habituellement ni de « unlike » ; je l’ai enlevé car ce petit pouce me fait trop penser au cirque romain… Mais vous pouvez-vous exprimer pour dire, non pas si vous aimez ou pas, mais les points avec lesquels vous êtes en phase ou en désaccord (bouton « Réagir » en haut de la page). Sinon, merci de répondre au sondage (anomyme).

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http://transarchivistique.fr/les-archives-courantes-une-expression-logistique-confuse-et-contre-productive/feed/ 11
Qu’est-ce que les archives historiques? Définitions et théorie des quatre-quarts http://transarchivistique.fr/definition-archiveshistoriques/ Wed, 24 Apr 2013 11:46:13 +0000 http://transarchivistique.fr//?p=1 Continuer la lecture ]]> Publié par Marie-Anne Chabin, 24 avril 2013

Il n’existe pas de définition légale des archives historiques

La loi française définit les archives comme « l’ensemble des documents, quels que soient leur date, leur lieu de conservation, leur forme et leur support, produits ou reçus par toute personne physique ou morale et par tout service ou organisme public ou privé dans l’exercice de leur activité » (code du patrimoine , article L211).

La loi ne définit pas les archives historiques mais laisse entendre ce qu’elles sont dans les derniers mots de l’alinéa qui suit la définition : « La conservation des archives est organisée dans l’intérêt public tant pour les besoins de la gestion et de la justification des droits des personnes physiques ou morales, publiques ou privées, que pour la documentation historique de la recherche ». On peut en déduire une définition des archives historiques liée à leur fonction, leur usage, à savoir servir de sources documentaires aux chercheurs. On serait tenté d’ajouter : « quand la recherche porte sur les choses du passé, récent ou ancien » mais ce serait réducteur car on peut tout à fait utiliser les archives historiques pour étudier le présent ou l’avenir (je dirais même que c’est recommandé…).

signatures rPar ailleurs, le code du patrimoine décrit plus précisément un des modes d’entrée dans les archives historiques. C’est le « classement parmi les archives historiques » par analogie avec le classement parmi les monuments historiques institué par Mérimée au XIXe siècle (article L212-15). Ce classement ne concerne toutefois que des archives privées dont l’autorité administrative estimerait a) qu’elles « présentent pour des raisons historiques un intérêt public », et b) que l’attitude de leur propriétaire les met en danger de destruction ou de sortie du territoire français.

Sur la question de savoir à partir de quand des archives sont historiques, s’il y a un âge pour les archives, un délai pour bénéficier de ce qualificatif ou le revendiquer, la réglementation est peu explicite. Qu’est-ce qui est historique dans ce domaine ? Les archives qui ont plus de cent ans ? Sans doute. Les archives qui ont plus de cinquante ans ? Plus de dix ans ? Plus d’un an ?…

Dans la réglementation française, le facteur temps n’entre pas dans la définition ; seul l’intérêt des documents compte. Divers textes d’application de la loi évoquent toutefois le moment charnière où les archives (telles que définies ci-dessus) « font l’objet d’une sélection pour séparer les documents à conserver des documents dépourvus d’utilité administrative ou d’intérêt historique ou scientifique, destinés à l’élimination ». Les archives retenues par cette sélection constituent les archives historiques, quel que soit le moment où cette sélection intervient, en général « à l’expiration de leur période d’utilisation courante », expression assez floue elle-même quant à l’âge des documents concernés. On peut constater sur le terrain que cette affirmation réglementaire (le texte dit : les archives « font » l’objet d’une sélection et non « doivent faire l’objet ») n’est pas rigoureusement observée.

Le chapitre du code du patrimoine relatif au régime de communication des archives publiques (article L213) définit les différents délais au-delà desquels les archives sont communicables. Ces délais, outre la communicabilité immédiate, s’étende de 25 à 100 ans mais le terme « archives historiques » n’est pas utilisé dans ce chapitre ; on en déduit que les délais s’appliquent également à des documents qui auraient une valeur administrative mais pas de valeur historique, ce qui se conçoit.

Le Dictionnaire de terminologie archivistique, élaboré en 2002 par la direction des Archives de France ne va pas plus loin dans sa double définition de l’expression « Archives historiques » :

http://www.archivesdefrance.culture.gouv.fr/static/3226

  1. Documents conservés ou à conserver sans limitation de durée pour la documentation historique de la recherche.
  2. Archives privées ayant fait l’objet d’une mesure de classement par arrêté du ministre chargé de la culture.

Pour la première définition, le dictionnaire renvoie à l’expression « Archives définitives » qui recouvrent l’ensemble des documents conservés à l’issu d’un tri, que ce soit « pour les besoins de la gestion et de la justification des droits des personnes physiques ou morales, publiques ou privées » ou « pour la documentation historique de la recherche ».

On relève cependant que « archives historiques » est un concept plus large car il englobe non seulement les documents « conservés » mais aussi les documents « à conserver », ce qui renvoie bien à l’intérêt que présentent les documents, traités ou pas.

Les règlements européens

En 1983 puis en 2003, le Conseil de l’Union européenne arrête un règlement relatif à l’ouverture au public des archives historiques de la Communauté économique européenne et de la Communauté européenne de l’énergie atomique. Ce règlement est particulièrement  intéressant car il associe à la définition d’archives historiques la notion de temps.

Dès le premier article, le texte dit que les institutions européennes doivent établir des archives historiques et qu’elles doivent les rendre accessibles après trente ans à compter de la production des documents.

L’article précise : « les termes « archives historiques » désignent la partie des archives des Communautés européennes qui a été sélectionnée, dans les conditions prévues à l’article 7 du présent règlement, pour une conservation permanente ».

virementL’article 7 introduit un nouveau critère temporel dans le processus de constitution des archives historiques : « Quinze ans au plus tard après leur production, chaque institution transmet à ses archives historiques tous les documents contenus dans ses archives courantes. Selon des critères à établir par chaque institution en vertu de l’article 9, ces documents font ensuite l’objet d’un tri destiné à séparer ceux qui doivent être conservés de ceux qui sont dépourvus de tout intérêt administratif ou historique ».

Le tri dont résulteront les archives historiques intervient « au plus tard » entre l’âge de quinze ans et l’âge de trente ans. On peut en déduire que les archives historiques sont a minima les archives de plus de trente ans, et que le statut d’archives historiques s’acquiert à cette date ou à l’âge de 15 ans voire avant.

L’accessibilité des archives au public, dont la règle générale est de trente ans, connaît aussi des exceptions pour des raisons de protection de la vie privée, des intérêts commerciaux et des procédures juridictionnelles. À noter que l’accessibilité n’intervient pas dans la définition des archives historiques. Elle intervient dans leur gestion et leur utilisation.

Ce qui est nouveau dans ce règlement est la date butoir de versement au fonds des archives historiques des documents de plus de quinze ans, avec les quinze années de plus pour effectuer le tri, avant cette seconde date butoir de trente ans qui correspond à la mise à disposition du public.

Pour qui connaît les tris d’archives, ce texte est ambitieux. Il y a là une obligation de résultat qui interroge sur les moyens à mettre en œuvre, mais aussi sur la méthode de tri.

L’article 9 du règlement, qui fait obligation aux institutions de « publier annuellement une information concernant ses activités en matière d’archives historiques » est également assez nouveau et contraignant au regard des pratiques existantes d’une manière générale (en dehors des institutions européennes). Le fait de devoir communiquer, un tant soit peu sur le fonds d’archives historiques oblige à mesurer non seulement les volumes mais encore la nature des documents et leurs dates, la proportion qui est communicable ou non communicable, l’état de classement et d’inventaire.

Essai de définition des archives historiques

Dans mon Nouveau glossaire de l’archivage (2010), je donne la définition suivante des archives historiques : Documents qui constituent les sources originales de la connaissance du passé d’une institution, d’une entreprise, d’une famille ou d’une personne ».

actionPar comparaison avec les définitions précédentes, j’insiste sur deux points :

  • d’une part le caractère original des documents (je ne précise pas mais on peut comprendre original par opposition à copie, mais également original en termes de contenu, quelle que soit la forme diplomatique) ;
  • d’autre part, le « complément d’objet » de l’expression « archives historiques » : les archives historiques de quoi ? Ou plus exactement de qui ? Je considère qu’il n’est pas pertinent de parler des archives historiques en général, en soi, mais bien en lien avec l’entité juridique productrice de ces archives, ou au moins de la communauté ou de la personne qui en assume l’héritage : les archives historiques de la France, de l’entreprise Renault, du département de la Creuse, de la ville d’Étampes, de la commune d’Aubervilliers, de la famille d’Ormesson, de Guy Debord, etc..

Cette définition exclut délibérément les documents divers et variés collectés sur un thème donné, car ce n’est pas le thème dont parlent les archives qui font les archives mais leur provenance, leur producteur (je n’ose dire leur géniteur) dont les archives tracent l’activité.

Il n’est pas question dans cette définition non plus d’âge des archives, d’une limite temporelle qui apporterait la consécration du statut historique, une forme de « majorité historique » en quelque sorte. C’est que le caractère historique d’un document n’est pas intrinsèquement lié à son âge.

La valeur historique d’un document, en tant que source de connaissance du passé, « n’attend pas le nombre des années ». Elle peut s’apprécier au moment même de la production du document comme elle peut n’apparaître que plus tard, à la lumière d’événements ultérieurs.

projet tour EiffelLa définition de ce qui est historique ou non relève parfois de critères objectifs mais plus souvent de critères  subjectifs ou relatifs. Les décisions des instances dirigeantes ou les brevets d’une entreprise sont historiques du simple fait qu’ils jouent un rôle majeur dans l’exercice des activités de l’institution ou de l’entreprise. En revanche, des dossiers d’études ou des correspondances n’auront pas la même couleur selon la politique du propriétaire ou du gestionnaire des archives, ou en fonction de l’éclairage donné par les  tendances de l’historiographie, laquelle évolue avec les générations. De même, le poids historique d’un dossier isolé n’est pas le même que le poids historique d’un dossier dans une série de 1000 dossiers issus du même processus.

En résumé, est historique ce que le responsable des archives historiques a estimé être historique, avec trois facteurs-clés :

  1. le caractère officiel ou non des documents (les documents officiels sont beaucoup faciles à trier) ;
  2. le rattachement hiérarchique du responsable qui opère la sélection (archives historiques gérées dans l’institution ou archives historiques recueillies dans un service public d’archives) ;
  3. le temps qui s’est écoulé entre la production et la sélection (atout du recul).

Ainsi que je l’ai mentionné plus haut, la qualité d’archives historiques est complètement dissociée des critères d’accessibilité (au sens de droit d’accès et non de possibilité technique de repérage) ; le terme de communicabilité serait d’ailleurs plus approprié ici.

Ceci dit, peut-on se contenter de qualifier un ensemble de documents d’archives historiques sans décrire davantage la nature de la collecte et de la sélection ?

La théorie des quatre-quarts

C’est en m’efforçant de répondre à cette question que j’ai élaboré la théorie des quatre-quarts dans la constitution d’un fonds d’archives historiques.

Ma première réflexion, qui remonte à 2005, m’avait conduite à diviser tout fonds d’archives historiques en fonction de la provenance des documents, avec deux grandes composantes :

  • les trois-quarts des archives sont des documents de preuve, de traçabilité ou de mémoire métier issus des activités de l’entreprise ou de l’organisme producteur, autrement dit des documents soumis à des durées de conservation énoncées et gérées par le producteur, que ces durées soient échues ou non ;
  • le dernier quart est constitué par des documents « périphériques », qui auraient pu ne pas exister, ou qui auraient pu ne pas être conservés, potentiellement produits ou reçus hors de l’institution  ou de l’entreprise en question et que le responsable du fonds d’archives (l’archiviste) collecte dans son réseau, grâce à son expertise et à son intuition : dossiers personnels ou semi-personnels de dirigeants, de secrétaires, d’agents techniques ou de chercheurs, ou documents collectés à l’extérieur de l’institution ou de l’entreprise.

C’est pourquoi j’avais d’abord appelé ma théorie la théorie des 75-25.

Mais en analysant plus à fond le mode de collecte des 75%, je parviens à trois parts distinctes :

  1. les documents officiels (engageants, probants) majeurs, historiques par nature et publics (librement accessibles ou communicables) dès leur production ;
  2. les documents engageants ou stratégiques et donc la valeur historique est détectable dès la création mais confidentiels (les contrats, les courriers, certains rapports) ;
  3. les documents secondaires sont la valeur historique potentielle ne peut apparaître qu’avec le recul du temps et les documents sériels qui ne présentent pas d’intérêt à être conservés en totalité.

Avec les documents « périphériques », il y a donc bien quatre-quarts d’archives historiques.

Il est évident que les quatre quarts ne sont pas et n’ont pas à être équivalents en termes de volumes physiques. La théorie vise à structurer la constitution du fonds d’archives historiques et les modalités de mise en œuvre de la collecte et de la conservation. Plus précisément, cette approche veut mettre en évidence les compétences et les responsabilités associées à la gestion archivistique de chaque quart.

Théorie des quatre-quarts et modalités d’application

1. Documents officiels majeurs et publics

Ces documents sont constitutifs des archives historiques dès leur publication ; ils peuvent éventuellement rejoindre physiquement le fonds d’archives historiques très vite dans la mesure où il y a soit plusieurs exemplaires à la production, soit on peut considérer que l’original va aux archives et que les services travaillent avec une copie.

2. Documents engageants et confidentiels

Ces documents sont gérés conformément au référentiel de conservation de l’entreprise ou de l’organisme, selon la politique d’archivage mise en œuvre ; ils rejoindront les archives historiques quand leur caractère confidentiel sera levé ou, plus facilement, à la fin de leur durée de conservation en application des risques de non-disponibilité ou des besoins métiers.

Le conseil de l’union européenne a fixé cette intervention à trente ans après la production, sauf cas spécifique de protection des personnes et institutions.

3. Autres documents à valeur de preuve ou d’information

C’est le « quart » le plus délicat à gérer ; les documents sont identifiés, pendant leur cycle de vie au sein de l’entreprise ou de l’organisme, comme portant une éventuelle valeur historique, ce qui soumet leur sort final à échéance de la durée de conservation au regard expert d’un archiviste qui opérera la sélection.

Le conseil de l’union européenne a fixé cette intervention à quinze ans après la production.

4. Documents « périphériques »

Collecte active, comparable à celle d’un conservateur de musée qui doit repérer les plus belles pièces qui valoriseront sa collection, car les archives historiques sont une collection, dans un périmètre délimité par la provenance.

appel électeurs 1924

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