Archives, archivistes, secrets d’archives

Publié par Marie-Anne Chabin, 5 octobre 2013

Archives d’archivistes

Il y a les archives. Il y a les archivistes. Et il y a les archives des archivistes.

Parmi ces archives d’archivistes, il y a les archives personnelles, les archives institutionnelles et les archives collectives.

Parmi les archives collectives, il y a les archives traditionnelles (les documents émis et reçus par les associations dans l’exercice de leur activité et conservés pour des besoins de gestion, pour la justification des droits et pour la mémoire) et les « archives » à la mode Internet, c’est-à-dire l’empilement chronologique des publications ou posts sur les forums de discussion de la profession, mais peu importe, la chronologie a toujours du bon.

Les deux plus anciens forums de discussion de la communauté des archivistes français sont :

  1. le forum Lynx créé par la direction des archives de France en 1987 et qui a fonctionné jusqu’en septembre 1998, soit onze ans. Y ont été postés plus de 6000 messages, soit grosso modo dix messages par semaine. L’intégralité de cette messagerie a été sauvegardée grâce à l’initiative personnelle d’un de ses contributeurs, Joël Surcouf, célèbre ancien directeur des Archives départementales de la Mayenne, sous la forme d’un fichier PDF cherchable, plus qu’intéressant à consulter ;
  2. le forum « archives-fr » créé par l’Association des archivistes français le 14 novembre 1998, pour faire suite au précédent en quelque sorte, et toujours actif ; en bientôt quinze ans, il totalise un peu plus de 12000 messages (environ quinze par semaine).

Toutes ses « archives » sont librement accessibles : il suffit de cliquer sur le lien : http://fr.groups.yahoo.com/group/archives-fr/

forum romainJe serais bien curieuse de savoir le nombre de fois où les abonnés à ce forum (aujourd’hui près de 2900) sont allés regarder les archives du forum, disons des archives de plus de cinq ou dix ans, et, si oui, si c’était :

  • via un lien dans un article ;
  • par le biais d’une recherche de mots clés sur un moteur de recherche, Goût-Gueule ou un autre, dont les résultats pointaient sur un message particulier ;
  • ou pour le principe et le plaisir de se promener un peu dans le passé, histoire de savoir ce que disaient les anciens naguère et jadis.

Secrets d’archives

Le premier débat sur ce forum « archives-fr » est intervenu entre le 1er mars et le 14 avril 1999 (donc quelques mois après l’ouverture du forum), à la suite du témoignage, le 11 février de cette même année, de deux archivistes des Archives Paris en faveur de Jean-Luc Einaudi dans le procès qui l’oppose alors à Maurice Papon devant la 17e chambre du tribunal correctionnel de Paris.

Bref rappel des faits : Jean-Luc Einaudi est l’auteur de La bataille de Paris (Seuil 1991) sur la manifestation du FLN algérien à Paris le 17 octobre 1961 et ses conséquences. En mai 1998, interviewé par le journal Le Monde, il parle de « massacre perpétré par des forces de police agissant sous les ordres de Maurice Papon » ; Maurice Papon, préfet de police de Paris à cette date, lui intente un procès en diffamation. Le 26 mars, Maurice Papon est débouté.

En février 1999, les deux fonctionnaires sont l’objet d’une part d’une sanction administrative, d’autre part de plusieurs pétitions de soutien.

Une vingtaine d’archivistes (j’en étais) a pris part à l’échange qui compte plusieurs dizaines de messages, avec plusieurs « conversations » dont la première porte en objet « Archiviste : un métier dangereux »… Encore une fois, tout cela est consultable, à l’adresse: http://fr.groups.yahoo.com/group/archives-fr/message/58 et suivants.

Au delà des tensions politiques et syndicales, la polémique se situe autour d’une double question :

  1. les archives judiciaires communiquées par les archivistes des Archives de Paris au chercheur Jean-Luc Einaudi, et dont il est fait état lors du procès, étaient-elles communicables ? et d’abord, quels sont exactement les documents en cause ?
  2. le témoignage d’un fonctionnaire des Archives sur l’existence et le contenu d’archives, même non communicables, devant la justice est-il une violation du secret professionnel ou non ?

Pour ma part, plus diplomatiste qu’historienne, je me suis trouvée parmi ceux qui ont souhaité à l’époque creuser la première question, mais sans doute le forum professionnel n’était-il pas le bon lieu pour le faire car la question n’a pas vraiment trouvé là de réponse très claire.

C’est en évoquant ces souvenirs lors d’une conversation à bâtons rompus avec Régis Debray qu’est née l’idée d’un article sur le secret des archives dans un numéro spécial de la revue Médium dont il est le fondateur et le directeur.

Logo RFJe me suis efforcée dans cet article, quatorze ans après les faits, de décortiquer la question de la libre communicabilité ou non des différents documents évoqués lors du procès par le témoin. Cette analyse critique (dans le respect de la tradition chartiste, du moins je l’espère) m’a conduite à une relecture encore plus attentive des lois de 1979 et de 2008 sur les archives, et à comparer leurs articles respectifs sur les délais de communicabilité des archives publiques. Stupéfiant !

Je connais quasiment par cœur les deux passages que j’ai maintes fois utilisés (loi de 1979) ou que j’utilise (loi de 2008 qui remplace la précédente) pour mes cours sur la législation archivistique ou pour les recommandations que je formule pour mes clients, mais ma grille de lecture tournait jusque-là autour des délais proprement dits (30 ans, 60 ans, 75 ans….).

L’analyse comparée des deux articles avec une grille de lecture diplomatique met en évidence une terminologie très différente entre les deux textes, tant pour parler de l’accès aux archives que pour qualifier les documents eux-mêmes. Et cette terminologie est loin d’être neutre. Il est vrai que près de trente ans séparent les deux lois. Mais ceci n’explique pas tout car les archives n’ont pas tant changé et les concepts archivistique fondamentaux non plus.

Je dois avouer que les conclusions auxquelles je parviens ne sont pas tout à fait celles auxquelles je m’attendais : la loi de 2008, présentée comme une avancée avec le raccourcissement de la plupart des délais de libre communicabilité au public, s’avère potentiellement plus restrictive que la loi de 1979…

Médium-SecretsLe numéro 37-38 de Médium (octobre-décembre 2013) vient de paraître, intitulé « Secrets à l’ère numérique : http://regisdebray.com/mediologie:medium

Le double numéro aborde aussi bien le secret d’État que le secret professionnel, les secrets intimes que les secrets littéraires. Extraits du sommaire (22 articles en tout) :

  • Hypocrites démocraties par Pierre Conesa
  • Archives par Marie-Anne Chabin
  • Merci Assange par Françoise Gaillard
  • La confession par Maurice Sachot
  • Les origines par France Renucci
  • Partager ses secrets en public par Louise Merzeau
  • Éloge du secret bancaire par Marc Bonnant
  • Secret des sources par Antoine Perraud

Paul Soriano, rédacteur en chef de la revue, introduit le dossier par ces mots : « Qu’est-ce qui fait d’un secret un secret ? Le message est par définition inconnu. Ne reste alors que le médium, support et véhicule protégés de l’information confidentielle. C’est le sceau qui fait le secret. »
Ma contribution porte le chapô suivant : Une fâcheuse confusion affecte les règles et les exceptions qui gouvernent la publication des archives. Et l’on peut craindre que les évolutions législatives récentes n’aggravent plutôt ce défaut de transparence. Pourquoi ne pas faire enfin confiance aux gens du métier, les archivistes ?

Je ne peux que vous inviter à lire cet article, à dévorer tout le numéro et à vous abonner à Médium!