archives – TRANSARCHIVISTIQUE http://transarchivistique.fr Sat, 08 Dec 2018 20:14:49 +0000 fr-FR hourly 1 https://wordpress.org/?v=5.3.6 http://transarchivistique.fr/wp-content/uploads/2013/03/cropped-désert-tunisien-eau-verte-2-32x32.jpg archives – TRANSARCHIVISTIQUE http://transarchivistique.fr 32 32 Dix sens du mot archive(s) http://transarchivistique.fr/dix-sens-du-mot-archives/ http://transarchivistique.fr/dix-sens-du-mot-archives/#comments Sat, 08 Dec 2018 19:00:00 +0000 http://transarchivistique.fr/?p=995 Continuer la lecture ]]> Chacun peut constater la polysémie du mot archives, entre le point de vue des informaticiens, celui des archivistes, celui des juristes, celui des historiens, celui du quotidien, entre le support papier et les données numériques, entre les exploitations historiques et artistiques de cette matière informationnelle multiforme. En marge de diverses lectures et écritures archivistiques, j’ai mis à jour la liste de ces acceptions ou significations à laquelle je me suis déjà attelée plusieurs fois à la fin du dernier siècle. Je distingue ici dix acceptions auxquelles j’accroche un qualificatif plutôt qu’un numéro.

Archives millénaires

A tout seigneur, tout honneur, je commence par les archives que je qualifie de « millénaires », c’est-à-dire celles qui existent depuis l’Antiquité, depuis l’invention de l’écriture, et dont la définition est restée assez stable au cours des siècles. Il s’agit des actes (titres, décisions, contrats) et des documents de gestion (comptabilité, état civil, cadastre…) que les responsables d’un territoire ou d’une communauté décident de mettre en sécurité dans un endroit contrôlé afin de pouvoir s’y reporter plus tard au cas où quelqu’un contesterait les droits fondés par ce document ou qu’il serait nécessaire de disposer des informations originales consignées dans ces documents. Cette mise en archives est avant toute chose une décision managériale, un geste de protection des documents qui engagent la responsabilité.

Le mot « archives » désigne d’abord le lieu où ces documents sont mis en conservation, puis l’ensemble des documents rassemblés dans ce lieu en raison de leur valeur (valeur d’archives, valeur de pouvoir si on retient l’étymologie grecque du mot archives). Un acte, individuellement, est un « document d’archives » c’est-à-dire un document qui a été sélection pour faire partie des archives, un document qui a été volontairement archivé. Le double sens de contenant (le lieu) et du contenu (les documents) a perduré jusqu’à aujourd’hui.

En anglais, depuis plus de cinq siècles, cette même réalité documentaire est appelée « records »: ce qui est pris en compte dans la définition anglaise est le geste de mettre en sécurité dans un lieu dédié (to record) tandis que la langue française a retenu le terme désignant le lieu dédié où les documents sont mis en sécurité (les archives).

Ces archives millénaires présentent trois caractéristiques:

elles ne sont pas leur propre finalité, c’est-à-dire qu’un document d’archives est initialement la trace délibérée d’un acte juridique ou d’une action humaine distinct du support d’information qu’il suscite, à savoir l’acte ou l’action dont les auteurs ou les protagonistes veulent garder la mémoire écrite, tangible, pour pouvoir s’y référer ultérieurement, à titre de preuve ou d’information; à ce titre, les archives s’opposent aux livres, objets de connaissance autonomes, produits « culturels » qui sont leur propre finalité;

  1. la forme et le support n’ont pas d’incidence sur la valeur de document d’archives mais ont une conséquence son exploitation et sa conservation (un mauvais support conduira à l’illisibilité de l’information au bout d’un certain temps; une mauvaise qualité de forme créera de l’ambiguïté lors de l’utilisation du contenu);
  2. la valeur d’archives est acquise par le document au moment de sa création-validation-acceptation, c’est-à-dire au moment où la portée du document est assumée par la personne qui le détient.

De ce point de vue, les données personnelles collectées et utilisées par les entreprises et les organisations publiques dans un cadre contractuel ou réglementaire tel que le décrit le RGPD (Règlement général pour la protection des données personnelles) sont des archives, même si le RGPD n’utilise pas le mot.

Archives historiques

L’expression « archives historiques » recouvre en partie le périmètre constitué par l’ensemble des archives au sens millénaire du terme, mais en partie seulement car, d’une part, toutes les archives ne sont pas historiques et, d’autre part, on a coutume de qualifier d’archives historiques des documents qui ne sont pas et n’ont jamais été les traces d’un acte ou d’une action consignée sciemment par écrit pour faire preuve ou faire mémoire. Ainsi, ne sont pas archives historiques les documents archivés puis délibérément détruits par leur détenteur comme inutiles au regard de ses intérêts (après dix, trente ou cent ans). Le facteur temps qui élime souvent la valeur des choses joue ici en faveur d’une réduction de l’utilité des archives.

De l’autre côté, le facteur temps réactive parfois la valeur des choses (besoin humain de mémoire individuelle et collective, ou simple tendance vintage) et joue donc également en faveur d’un élargissement du périmètre des archives historiques. Ainsi des objets d’information plus ou moins anciens et sans valeur de preuve ou de mémoire identifiée par leur auteur peuvent être retrouvés là où ils ont été abandonnés et être « repêchés » par une personne tierce qui leur accorde une valeur de connaissance ou de témoignage (prospectus, lettres, brouillons…). C’est ce que j’ai appelé les archives par baptême, par opposition aux archives par nature.

Il ne faut pas confondre les archives historiques avec les archives publiques (le code du patrimoine définit les archives publiques mais pas les archives historiques). On peut lier toutefois les deux notions à la création des Archives nationales au moment de la Révolution française, même si la patrimonialisation des archives se s’est imposée qu’au cours des décennies suivantes. En l’absence de définition légale des archives historiques (voir le billet Qu’est-ce que les archives historiques?), la qualité d’archives historiques est donc fluctuante. Sont archives historiques ce que l’on désigne comme archives historiques, c’est-à-dire ces documents, objets, etc. auxquels on accorde une valeur de mémoire individuelle et collective. La définition des archives historiques est essentiellement relative au locuteur.

Archives audiovisuelles

Les archives audiovisuelles recoupent aujourd’hui les deux premiers périmètres (traces engageantes d’une activité et documentation de mémoire sous forme audiovisuelle) mais elles visent originellement un ensemble de supports d’information non archivistiques.

En effet, l’expression « archives audiovisuelles » remonte à une cinquantaine d’années (seulement) et désigne au départ les productions du cinéma et de la télévision, soit à 95% des produits culturels destinés à être diffusé au public; ils sont leur propre finalité comme les livres et les journaux (les 5% restant étant les rushes ou les éléments préparatoires des émissions télévisées). On aurait aussi bien pu appeler cet ensemble « publications audiovisuelles » et si le terme archives l’a spontanément emporté, c’est sans doute à cause du caractère unique (ou du très petit nombre d’exemplaires) d’un film ou d’une émission (comme dans le cas des archives traditionnelles), alors que les journaux et les livres sont produits (dans l’environnement analogique du moins) en des milliers d’exemplaires (voir le dossier de l’INA de 2014 à ce sujet: L’extension des usages de l’archive audiovisuelle).

L’expression a été « récupérée » un temps par le vocabulaire archivistique pour désigner non seulement les images animées mais également les images fixes, ce que les archivistes appellent aussi les documents figurés (cartes postales, estampes, affiches…) mais si cette acception n’est plus vraiment usitée.

Avec le développement des technologies numériques, les producteurs d’archives audiovisuelles se sont multipliés incluant de très nombreux « éditeurs de contenus Web », à des fins de production culturelle mais aussi dans l’exercice d’une activité économique, de recherche, de formation, de soins, etc., de sorte que le sens de l’expression s’est élargi à toutes les archives (au sens millénaire) sous forme de vidéo.

Le poids de la forme et du support reste très fort dans cette notion d’archives audiovisuelles et il est parfois difficile (et peut-être inutile du reste) de distinguer les différentes acceptions. Par exemple, quand on parle des archives audiovisuelles de la Justice pour désigner l’enregistrement audiovisuel des grands procès, les sens de trace d’une activité administrative (dont le but est le jugement et non le film) et de publication officielle sont mêlés.

Archives poussiéreuses

L’image des archives, dans le quotidien des bureaux, a légèrement progressé, du fait de l’évangélisation réalisée inlassablement par les archivistes, du fait aussi de la diversification des acteurs de l’archivage dans l’environnement numérique.

Cependant, dans la langue courante, les archives ont encore une connotation poussiéreuse ou du moins vieillotte, laquelle n’est d’ailleurs pas toujours négative (voir la formule « J’adore les vieilles pierres »). Par ailleurs, l’âge inspire (quelquefois) le respect, la déférence, et on note dans d’emploi du mot archives une connotation d’authenticité, de confiance.

Tout de même, sur ce sujet, il est intéressant de noter que l’association archives-vieux trucs est en partie véhiculée par certains archivistes eux-mêmes qui, dénonçant cette expression pour se défendre de cette image de poussière dont ils sont convaincus qu’elle leur colle à la peau, l’entretiennent au contraire, ou bien qui se complaisent (consciemment ou pas?) à utiliser des mots tels que ménage ou dépoussiérage pour parler de leurs activités.

Archive unitaire

Parler d’archive, au singulier, était encore une hérésie il y a vingt ans (j’ai toujours en mémoire la lettre d’insulte que j’ai reçue d’un lecteur en 2000, via mon éditeur, Hermès-Lavoisier, pour avoir osé titrer mon livre « Le management de l’archive », avec ce singulier inhabituel, proscrit par l’Académie et du coup provocateur. On m’a encore qualifiée très récemment de « dame qui parle d’archive au singulier ». Eh bien!

En vingt ans, l’eau a bien coulé sous les ponts de Paris et tout le monde, archivistes et académiciens compris, s’est mis à cette singularité. On dit couramment « une archive » pour désigner « un document d’archives » et plus personne ne songe à s’en offusquer.

Qu’est-ce qui a provoqué cette évolution? Plusieurs facteurs vraisemblablement: l’influence de l’anglais où le singulier archive est répandu (avec d’autres sens, voir ci-dessous); l’émiettement de l’information dans l’environnement numérique, la démocratisation des archives (plus de producteurs, plus d’utilisateurs, plus de documents à valeur d’archives) et le fait que les gens, archivistes et académiciens compris, sont de plus en plus pressés et préfèrent un mot de deux syllabes à une expression de cinq…

Archive informatique

Dans les années 1990, la profession archivistique a utilisé un temps l’expression « archives informatiques » pour désigner ce que l’on a appelé « archives électroniques » dix ans plus tard, avant que les « archives numériques » ne prennent le relais. Mais ce n’est pas de cette expression (où l’acception du mot archives n’est pas nouvelle) dont je veux parler ici.

Loin de l’archivage managérial (records management), de l’histoire et des médias, le mot archives a un sens particulier dans le vocabulaire informatique, sous l’influence de l’anglais technique. Je cite Wikipédia: « En informatique, une archive est un fichier dans lequel se trouve tout le contenu d’un dossier (fichiers, arborescence et droits d’accès). Les archives sont généralement des fichiers portant l’extension .tar (format UNIX) ou .zip (sous windows) et ceux-ci sont également souvent compressés. Le but principal d’une archive est de transporter tout un dossier en un seul fichier. De plus, cela permet de profiter de la redondance entre les fichiers lors de la compression ».

Ce sens ne relève pas de l’archivistique (est-ce que je me trompe?).

Archive plateforme

Toujours sous l’influence anglo-saxonne et dans l’environnement numérique, on rencontre le terme archive au singulier pour désigner un centre d’archives (avec les données, les équipements pour les gérer et même le personnel) ou encore une plateforme regroupant des collections de fichiers (données, documents, publications, images) collectés et mis à disposition d’un public intéressé. C’est ainsi que la norme ISO 14721 (modèle de référence pour un Système ouvert d’archivage d’information) parle d’archive OAIS (systèmes et personnes). C’est le cas également de l’archive ouverte HAL pour les articles scientifiques. On peut citer aussi, en anglais la plateforme Internet Archive.

L’archive-concept

L’intégration du geste d’archiver ou de l’objet-archive à la réflexion philosophique ou sociologique s’observe chez un certain nombre d’auteurs mais on peut dire que l’archive, toujours au singulier, a été institutionnalisée comme concept philosophique d’abord par Michel Foucault dans L’Archéologie du savoir (1969) puis par Jacques Derrida dans son livre Mal d’archive: une impression freudienne (1995), essai issu d’une conférence intitulée « The Concept of the Archive: A Freudian Impression », et traduit en anglais sous le titre Archive fever….[la conférence a certainement eu lieu un samedi soir 😊]

Derrida interroge l’étymologie du mot, son genre et son nombre au fil des siècles, ses significations, entre le commencement et le commandement, l’objet et sa localisation, la consignation et l’accès, etc.

J’aime à citer cette phrase de Derrida: « La question de l’archive n’est pas une question du passé. […] C’est une question d’avenir, la question de l’avenir même, la question d’une réponse, d’une promesse, d’une responsabilité pour demain ». J’aime particulièrement les derniers mots: « une responsabilité pour demain.

Les archives naturelles

Un autre sens d’archives, au pluriel cette fois, est le sens figuré: au sens propre, les archives sont des documents, des objets documentaires, des assets informationnels, des données, etc. c’est-à-dire des (sous-)produits de l’activité humaine, au moyen de l’écriture d’abord mais aussi de l’image, des chiffres, des signaux; au sens figuré, archives désigne donc des traces non écrites, non issues de l’activité humaine. Le sens est alors celui de traces créées en dehors l’esprit et de la main des hommes et que l’on peut cependant considérer comme des documents (voir Suzanne Briet, Qu’est-ce qu’un document?) et donc interroger et interpréter. C’est pourquoi je les appelle « naturelles »: ce sont les archives du climat, les archives de la terre, les archives du corps, qu’il faut bien entendre comme les traces laissées par le temps qui passe, décrites et traitées en tant que sources de connaissance, et non comme collections thématiques d’archives traditionnelles ou audiovisuelles sur le climat, la terre, le corps.

Archives engagées

Après avoir commencé par les archives « millénaires », documents de preuve et de mémoire qui engagent la responsabilité de celui qui les crée ou les reçoit mais surtout qui assume les conséquences de leur bonne ou mauvaise gestion – les documents engageants donc (records en anglais) – ,  je termine cette énumération, avec un clin d’œil, par les archives « engagées ».

J’entends par là des objets documentaires qui sont le sous-produit (by-product) d’une activité économique, commerciale, artistique… mais d’abord militante, et qui sont en même temps leur propre finalité. Je pense aux archives de communautés, d’associations, d’artistes, constituées de documents écrits, photographiques ou audiovisuels, délibérément collectés ou créés pour agir, pour revendiquer, pour témoigner, pour faire connaître. Des archives qui sont à la fois des archives par nature et des archives par destination, appréhendées comme un instrument proactif immédiat et non comme une trace défensive différée.

C’est une catégorie nouvelle, une notion et une expression qui mériteraient une étude plus approfondie.

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Si vous avez un onzième sens, n’hésitez pas…

PS: Quant au mot archivage, j’en ai analysé six acceptions différentes sur la base d’un corpus d’articles tirés du journal le Monde: l’analyse est sur mon blog.

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http://transarchivistique.fr/dix-sens-du-mot-archives/feed/ 4
Traduction de « record » dans le Règlement européen pour la protection des données personnelles http://transarchivistique.fr/traduction-de-record-dans-le-reglement-europeen-pour-la-protection-des-donnees-personnelles/ Mon, 29 Jan 2018 21:00:41 +0000 http://transarchivistique.fr/?p=924 Continuer la lecture ]]> Le Règlement général pour la protection des données personnelles (RGPD) est la version française du General Data Protection Regulation (GDPR). Une traduction technique et juridique a priori.

C’est pourquoi il n’est pas banal de constater qu’un même mot anglais est traduit par quatre mots français différents. C’est le cas du mot « record » qui, selon les passages, devient : dossier, archives, registre et enregistrement.

Lire la suite sur www.arcateg.fr

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L’archivage a-t-il de l’avenir ? http://transarchivistique.fr/larchivage-a-t-il-de-lavenir/ http://transarchivistique.fr/larchivage-a-t-il-de-lavenir/#comments Mon, 11 Dec 2017 13:14:32 +0000 http://transarchivistique.fr/?p=898 Continuer la lecture ]]> Évidemment la réponse est OUI, l’archivage a de l’avenir parce qu’il n’a jamais été aussi important dans la société et dans les entreprises de veiller sur le devenir des données, de leur création à leur destruction. Et pourtant, l’archivage est loin d’être une évidence pour tous.

L’archivage est un geste fort

L’archivage est ce geste managérial qui conduit à mettre en sécurité les documents ou données qui engagent dans la durée, avec une règle de vie qui pilote leur qualité, leur stockage, leur pérennisation, leur accès et leur destruction un jour, au mieux des intérêts de tous. On disait autrefois « classer aux archives », c’est-à-dire transférer délibérément les documents importants dans un lieu sécurisé, pour s’y référer plus tard, à titre de preuve et de mémoire. Les anglo-saxons parlent de records (les documents enregistrés car dignes d’être enregistrés dans un centre de conservation), et de records management.

Précisions sur les exigences incluses dans la règle de vie :

La qualité des données semble une évidence mais il n’est pas inutile de le répéter : si on archive un document de mauvaise qualité, il ne deviendra jamais un document de bonne qualité. Si le document n’est pas authentique au moment de son archivage (c’est-à-dire dont l’auteur est identifié et sûr et dont la date est certaine), il sera très difficile d’établir a posteriori son authenticité. De même, si un document n’est pas fiable parce que sorti de son contexte, farci de sigles ou de formules inintelligibles, non validé, etc. il sera hasardeux de l’utiliser. Dès lors, pourquoi le conserver ?

Le stockage – qui n’est qu’une composante de l’archivage – renvoie au fait que tout document archivé est conservé physiquement quelque part, qu’il s’agisse d’un rayonnage pour les supports physiques ou d’un disque, un data center pour les fichiers numériques. Comment gérer un objet si on ne contrôle pas sa localisation ? La question est aussi celle de la territorialisation des données, ne serait-ce que par l’exigence du fisc français de conserver sur le territoire français les données qu’il peut être amené à contrôler.

La pérennisation est le corollaire de la durée de conservation : dès que la durée de conservation dépasse un certain nombre d’années, disons 10 ans en moyenne, les supports numériques requièrent des migrations de formats et/ou de supports pour continuer d’être lisibles et exploitables.

L’accès est la finalité même de l’archivage : à quoi bon archiver si ce n’est pas dans la perspective de consulter un jour les documents archivés ? À noter que l’accès à deux volets que sont, d’une part les droits d’accès, les habilitations (à gérer également dans la durée, ce qui est souvent mal fait), d’autre part, les outils qui permettent de retrouver le document précis ou l’information recherchée.

La destruction est le destin de la majorité des documents d’entreprise, au bout de 5, 10, 30 ans ou plus sauf si leur valeur patrimoniale suggère de les conserver parmi les archives historiques (voir sur ce sujet la théorie des quatre quarts des archives historiques).

Mais ce n’est pas tout : pour que ce geste soit toujours efficace, il faut que la démarche concerne l’exhaustivité des documents et données de l’entreprise qui portent une valeur de preuve ou de mémoire. Si des documents qui engagent la responsabilité de l’entreprise ne sont pas gérés (conservés, détruits conformément à l’environnement réglementaire et à ses intérêts), l’entreprise court un risque. Si, à l’inverse, des documents ou des données sont indûment conservés dans l’entreprise (les données personnelles notamment), elle court également le risque d’une utilisation malencontreuse ou tout simplement d’une sanction des autorités pour non-conformité à la loi ou au Règlement général pour la protection des données personnelles.

Donc l’archivage est tout sauf obsolète. Et pourtant, deux courants, pour ne pas dire deux « idéologies », observables actuellement dans la société semblent le menacer. La démarche d’archivage managérial est en effet prise en étau entre deux attitudes néfastes : celle de ceux qui veulent tout mettre dans le cloud et laisser les technologies capturer, diffuser, trier, déréférencer, etc. ; et ceux qui veulent tout collecter pour être trié après par des archivistes (des archives intermédiaires aux archives historiques). Ces deux attitudes extrêmes sont le ferment d’une déresponsabilisation dommageable des entreprises sur leurs écrits, les données qu’elles traitent et les documents qu’elles reçoivent.

Tout conserver, c’est ne rien archiver

Depuis près de trente ans, le développement des technologies numériques instille chez les utilisateurs cette idée que l’on peut tout conserver en informatique et qu’il est ringard de s’occuper d’autre chose que de produire des données selon ses envies et d’accéder à l’information selon ses désirs.

Cette invitation des outils à la paresse et à la négligence des utilisateurs est très séduisante : pourquoi s’embêter et se contraindre à des tâches fastidieuses puisque les technologies permettent aujourd’hui de tout stocker pour quelques euros de plus, de tout retrouver, de tout classer ?

Il y a là un amalgame fâcheux entre la capacité technologique à soulager l’humain dans des tâches fastidieuses ou minutieuses et la responsabilité humaine de constituer une mémoire fiable, cohérente et raisonnée de ses activités, mémoire contrôlée au sein de laquelle cette capacité technologique peut donner le meilleur d’elle-même.

Les outils seront d’autant plus efficaces que les écrits éphémères ou périmés seront éliminés au fur et à mesure de leur péremption. Tout conserver, c’est ne rien archiver. Tout conserver, c’est subir le stockage. Tout conserver, c’est laisser aux outils le soin de gérer – ou de ne pas gérer – les traces humaines.

Cette inféodation à la technologie conduit les individus et les entreprises à abdiquer la responsabilité de définir les règles de vie des documents et des données qui leur appartiennent. C’est un renoncement au droit de chacun à l’archivage conscient et délibéré de ce qui a du sens à être conservé, pour la preuve, pour la conformité ou pour la connaissance.

Et c’est sans compter avec :

  • les exigences légales de protection des données personnelles portées par le Règlement général pour la protection des données personnelles ;
  • les coûts énergétiques de la conservation du rien ou du nul ;
  • l’ambition légitime d’une mémoire (débarrassée de ses scories informationnelles) à transmettre à la génération suivante.

Si tout est archive, il n’y a rien à archiver

Une autre idée s’est incrustée dans les esprits depuis quarante ans, au moins dans le secteur public : « tous les documents naissent archives ».

Cette affirmation pose question. En effet, si les archives sont (au plan linguistique) le fruit de l’archivage de documents, autrement dit la conséquence du classement de ces documents aux archives, cette « génération spontanée » d’archives court-circuite la notion même d’archivage, en tant que geste volontaire et managérial de mise en archive. Si tout est archive, l’archivage n’existe plus.

Cette conception des archives s’appuie sur la définition légale française des archives, apparue en 1979 dans la loi sur les archives (3 janvier 1979) et inscrite depuis, légèrement modifiée, dans le code du patrimoine, art. L211-1. Le texte dit : « Les archives sont l’ensemble des documents, quels que soient leur date, leur lieu de conservation, leur forme et leur support, produits ou reçus par toute personne physique ou morale et par tout service ou organisme public ou privé dans l’exercice de leur activité ».

La formulation laisse une place à l’interprétation. En effet, « dans l’exercice de leur activité » peut être vu comme restrictif et viser les documents officiellement produits au titre de l’activité ; l’expression peut aussi être considérée comme un simple périmètre géographique et temporel de production : tout brouillon produit au sein d’un organisme public ou par un des collaborateurs de cet organisme est un document d’archives publiques, même s’il n’a jamais été validé ni diffusé.

Les prises de positions du Service Interministériel des Archives de France (SIAF) de ces dernières années optent clairement pour la seconde acception. Et sur ce plan, le secteur public influence en partie de le secteur privé ou parapublic.

Dire que tout est archive, cependant, ne signifie pas qu’il faut tout conserver. Les archivistes sont les premiers à dire que toutes les archives ne doivent pas être conservées et leur mission consiste en bonne part en la mise en œuvre des circulaires de tri diffusées par l’administration des Archives ou élaborées dans leurs organismes respectifs. La nuance est que la sélection est faite par les archivistes et que les services producteurs et propriétaires des documents et données produits ou reçus sont en quelque sorte dépossédés de la responsabilité d’archiver qu’ils avaient autrefois, avant cette loi ou avant son interprétation si étroite.

Cette position exclusivement archivistique ignore l’archivage en tant que tel, en tant que sélection motivée des documents à conserver par le propriétaire, et ce au nom du droit de regard des archivistes sur toute production documentaire, au cas où il y aurait quelques traces modestes, non essentielles pour l’organisme producteur mais potentiellement éclairantes pour l’histoire de cet organisme ou l’histoire de l’époque.

L’holoarchivisme n’est pas le seul moyen de conjurer cette crainte de rater un document croquignolet ou symbolique dans la constitution du patrimoine archivistique d’une collectivité publique. Il est possible de préserver la collecte éclairée d’archives non essentielles à la vie du service tout en laissant à chaque entité juridique la responsabilité de gérer sa production documentaire en fonction de ses obligations et des risques externes et internes à conserver ou à détruire. Ce moyen est d’appliquer la collecte en suivant la théorie des quatre quarts des archives historiques qui dissocie la collecte des archives historiques provenant des documents archivés au nom de l’organisme (gestion du cycle de vie des documents engageants) et la collecte des archives historiques complémentaire via une prospection active de l’archiviste auprès des acteurs de la collectivité auprès de laquelle il exerce son métier, tout comme un bibliothécaire ou un conservateur de musée repère et acquiert les objets susceptibles d’enrichir ses collections. Cette distinction serait même vertueuse pour l’historien car la provenance serait plus explicite et mieux documentée.

Défense et illustration de l’archivage managérial

Entre la tendance « user centric » des nouveaux outils proposés aux entreprises (l’utilisateur est en relation directe avec le cloud comme si l’information n’appartenait qu’à celui qui la manipule) et la tendance archivistico-historique du tout archive, les dirigeants d’entreprise peuvent se sentir confortés dans leur ignorance de l’archivage et dans leur négligence du devenir des données.

Or, de déresponsabilisation à irresponsabilité, il n’y a qu’un pas.

Il y a donc lieu, encore et toujours, de les alerter sur les enjeux du non-archivage et sur la nécessité d’élaborer des règles de création-conservation-destruction des données dans leur entreprise car ces données sont des actifs informationnels dont l’entreprise est comptable (accountable) devant ses actionnaires et devant les autorités. Ces dirigeants doivent intégrer une démarche d’archivage managérial dans le cadre d’une politique globale de gouvernance de l’information, avec les concepts managériaux de proportionnalité et de raisonnabilité.

Espérons que le Règlement général pour la protection des données personnelles fera avancer les choses (voir la table ronde du CR2PA sur ce sujet).

En effet, l’exigence impérative de documentation des processus et de fixation de durées de conservation des données personnelles va s’imposer à tous dès le printemps prochain. Qu’elles se trouvent dans des bases de données ou dans des documents, les données personnelles devront être gérées de près, qualifiées en regard des activités réelles de l’entreprise, stockées dans des lieux contrôlés, accédées selon des droits justifiés, sorties ou maintenues dans l’entreprise en application de règles motivées.

Pourquoi les dirigeants n’en profiteraient-ils pas pour étendre la démarche à tout type de données au moyen d’une politique globale d’archivage managérial. Les entreprises y gagneront en investissement et en crédibilité.

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Qu’est-ce qu’un document d’archives ? http://transarchivistique.fr/quest-ce-quun-document-darchives/ http://transarchivistique.fr/quest-ce-quun-document-darchives/#comments Wed, 22 Feb 2017 18:45:53 +0000 http://transarchivistique.fr/?p=695 Continuer la lecture ]]> Récemment, dans un réseau social, réagissant à un post de Benjamin Suc sur les fonds d’archives audiovisuelles, une jeune juriste exprimait sa gêne face à l’expression « document d’archives » dans la discipline archivistique, et son choix de ne pas l’utiliser. Ceci est assez surprenant. Il est vrai que, avec la dérégulation de la terminologie archivistique ces dernières années, on peut comprendre que certaines personnes soient déroutées. Une bonne occasion, finalement, de revenir sur cette expression et son sens.

Le singulier du mot archives

Le Dictionnaire des archives, français-anglais-allemand : de l’archivage aux systèmes d’information, publié en 1991 par l’AFNOR et l’École nationale des chartes, donne pour « document d’archives » la définition suivante : « Écrit ou enregistrement qui par lui-même ou par son support a une valeur probatoire ou informative. Singulier du mot archives ». Cette dernière expression (singulier du mot archives), aussi concise que percutante, a été proposée à l’époque par Marie-Claude Delmas qui, avec Hervé L’Huillier et moi-même, constituait le groupe de travail de préparation du dictionnaire, sous l’égide de Bruno Delmas. Près de trente ans plus tard, je la trouve toujours excellente et peut-être plus importante que naguère dans un monde qui ne cesse de se focaliser sur l’élément d’information décontextualisé au détriment du groupe, de l’ensemble cohérent, autrement dit du fonds.

Revenons à chacun des deux termes de l’expression : document et archives.

document et archives

Le document

La norme internationale ISO 5127-1 définit le document comme « une information enregistrée qui peut être traitée comme une unité dans un processus de communication, quelque soit sa forme et ses caractéristiques ».

De nombreux écrits insistent aussi sur le fait que, de par son étymologie, le document supporte un enseignement. Le document présente des informations factuelles observables par tous et que chacun peut analyser, exploiter pour son activité professionnelle, la formation de son esprit ou la défense de ses droits, et transformer en connaissance, parfois en conviction. De ce point de vue, n’importe quel artefact dont on tire enseignement peut être considéré comme un document.

L’enseignement que le document d’archives est susceptible de transmettre est un jeu d’éléments de preuve ou de mémoire en relation avec l’activité de celui qui l’a produit (émis ou reçu). C’est un enseignement destiné d’abord au producteur (personne morale) et ensuite, éventuellement, à d’autres utilisateurs.

Le document d’archives n’est donc pas n’importe quel document.

Dans un contexte sociétal où le mot archives est soit connoté négativement soit connoté « histoire », les producteurs de documents ne sont pas toujours à l’aise avec cette expression un peu technique finalement. C’est pourquoi, je parle volontiers de « document à archiver » ou de « document engageant ». En effet, si le document doit être archivé (i.e. classé aux archives ou aujourd’hui enregistré dans un système d’archivage), c’est parce qu’il engage la responsabilité du producteur (preuve et mémoire). Je dirais même, pour conserver le sens profond des choses, que « document engageant » est le nom vulgaire, au XXIe siècle, du « document d’archives ».

Les archives

Les archives sont, elles, dotées d’une définition légale en France : « Les archives sont l’ensemble des documents, quels que soient leur date, leur lieu de conservation, leur forme et leur support, produits ou reçus par toute personne physique ou morale et par tout service ou organisme public ou privé dans l’exercice de leur activité. » (article L211-1 du code du patrimoine).

Le dictionnaire de 1991 donne comme synonyme d’archives l’expression « fonds d’archives », et c’est bien cela l’important : la notion d’ensemble logique, d’accumulation organique, d’assemblage volontaire et structuré, liée à l’entité juridique que représente le producteur et/ou le détenteur de ces archives. Les archives sont l’ensemble indissociable des documents de preuve et de mémoire d’une personne physique ou morale, une entité unique en termes de responsabilité civile et pénale et en termes de propriété (droit de vie et de mort sur les archives, dans le respect de la loi).

La langue française et la tradition archivistique sont là très précises en soulignant le lien entre la pièce et le fonds, entre l’élément et le tout, bref entre le document et les archives.

Voilà qui explique, voire justifie, pourquoi le mot archives est traditionnellement un mot pluriel même si le singulier est attesté ici ou là, l’exception confirmant la règle. Si on parle aujourd’hui d’archive au singulier, c’est surtout sous l’influence de l’anglais (archive comme lieu ou collection d’archives, ou archive des informaticiens pour désigner les fichiers compressés). On en vient à parler d’archive aujourd’hui pour désigner un document, une pièce, comme par raccourci de « document d’archives ». Tout le monde s’y est habitué mais c’est relativement récent. Je me souviens m’être fait conspuer en l’an  2000 pour avoir employé le mot archive au singulier dans le titre d’un livre (Le management de l’archive, Hermès).

À noter que le Dictionnaire de l’Académie française (9e édition) n’admet toujours pas le singulier.

Sens de la préposition « de » entre document et archives

Le sens de document et le sens d’archives étant exposés, il reste à commenter le sens de la préposition qui relie les deux mots, la valeur du « de » dans l’expression « document d’archives ».

document d'archivesDe est une des prépositions françaises qui présentent le plus de nuances : provenance (pierre de lune, chou de Bruxelles), composition (collier de perles, robe de taffetas), finalité (campagne de prévention, chien de chasse), qualification (soirée d’enfer, coup de théâtre), contenu (verre de vin, film de science-fiction), lieu d’exercice (garçon de café, théâtre de rue), etc.

Cette variété de nuances de la préposition se retrouve aussi dans les noms de documents d’archives :

  • billet de banque, diplôme de l’université : de signifie émis par
  • contrat de maintenance, convention de partenariat : de signifie dans le but de, pour
  • titre de propriété, justificatif de domicile, quittance de loyer : de signifie qui concerne, relatif à
  • procès-verbal de délibération, livre de compte, arrêt de quitus, registre d’état civil : de renvoie à la nature de l’acte tracé dans le document.

Évidemment, le document d’archives n’est ni un document émis par une institution archivistique ni un document qui concernent les archives ni un document qui parle des archives ni un document créé pour les archives (encore que pour ce dernier point… ; j’y reviendrai à la fin de ce billet).

Quelle est alors la nature du lien entre document et archives ? Que sous-tend la préposition de dans cette expression ?

Il y a deux façons d’appréhender cette question, selon l’angle de vue adopté.

Du côté du producteur ou du responsable de l’archivage, le document d’archives est un document qui trace une décision, une idée, une dépense, un constat, etc. auquel on aura potentiellement besoin de se référer demain et, si on n’en disposait plus, s’il était perdu ou détruit, on subirait un dommage plus ou moins important. Si le document a une valeur intrinsèque pour son producteur, on devra l’archiver. Le document d’archives est dans ce cas un document digne de figurer dans les archives. Le « de » a un sens de valeur, le sens de « digne de figurer dans »  comme dans les expressions : une pièce de collection, un morceau de choix ou un tireur d’élite.

C’est un peu différent du point de vue de l’utilisateur, lequel intervient plus tard dans le cycle de vie du document. D’une manière générale, le document d’archives est pour l’historien, le chercheur, le généalogiste, le journaliste ou le curieux un document qui est conservé dans un service d’archives. Cette localisation en fait une source fiable. Les services d’archives sont un lieu de confiance dont les ressources ont été contrôlées et traitées par des archivistes. Le document qui s’y trouve est donc une source privilégiée pour l’utilisateur. La préposition « de » a ici son sens assez fréquent de provenance. Un document d’archives est un document qui provient des archives. « Le document d’archive a l’avantage de légitimer le propos, d’intégrer un contenu de qualité et de constituer une source unique pour raconter des histoires intéressantes », écrit Benjamin Suc dans le billet cité en introduction.

Dans la réalité, on peut observer parfois un hiatus entre la valeur intrinsèque d’un document d’archives et sa conservation dans un service d’archives. C’est la question de savoir si tous les documents qui ont une valeur d’archives sont dans les services d’archives, mais aussi celle de savoir si tous les documents qui sont dans les services d’archives ont une valeur d’enseignement de preuve et de mémoire.

On a globalement trois cas de figure :

  1. les documents qui ont une valeur d’archives mais qui ne sont pas encore pris en charge par un service d’archives (déficit d’archivage) ;
  2. les documents ayant une valeur d’archives et effectivement archivés et gérés par un service d’archives (archivage cohérent) ;
  3. les documents qui se trouvent dans les services d’archives sans être stricto sensu des documents d’archives, c’est-à-dire produit ou reçu dans le cadre d’une activité dans un objectif de preuve ou de mémoire (sur-archivage).

C’est là, pour les archivistes, un enjeu permanent.

Document d’archives et image d’archives

L’expression « image d’archives » est plus populaire que « document d’archives ». Tout téléspectateur l’a vue de nombreuses  fois affichée sur son écran de télévision, lors des actualités ou dans des reportages. L’image d’archives est un extrait de film d’actualité ou d’émission diffusée dans un passé lointain ou proche, au cinéma ou à la télévision, et « sorti » des archives pour être inséré dans une nouvelle production.

Image d'archiveL’incrustation « image d’archives » signifie : ce que vous voyez en ce moment n’est ni du direct ni du différé ni du rediffusé mais un morceau de film ou d’émission ancien réutilisé. La mention est souvent accompagnée du sigle du détenteur de ces archives (INA, Pathé…) qui donne un label de fiabilité aux images en question.

Par extension, « image d’archives » peut s’appliquer à tout document audiovisuel « ancien » appartenant à un fonds d’archives public ou privé, incluant les rushes, les magazines, les émission de divertissement ou de fiction et la publicité, quel que soit le canal de diffusion, y compris le web, dès lors que ces images sont identifiées, décrites, datées.

L’expression « image d’archives » (qui n’a pas à ma connaissance de définition normative) convient également pour les documents audiovisuels qui sont d’abord des documents d’archives au sens premier du terme, c’est-à-dire des documents issus d’un processus administratif, éducatif, commercial, de recherche ou de production industrielle ; ces documents ne sont pas au départ produits pour un public mais bien créés pour documenter un processus par des traces formelles qui serviront de preuve autant que de mémoire dans la poursuite de cette activité.

« Image d’archives » convient encore pour désigner des enregistrements audiovisuels créés de manière volontariste pour constituer des archives, donc sans lien direct avec la mise en œuvre d’un processus métier (autre que le métier d’archiviste) ni finalité de diffusion immédiate à un public. Ce sont par exemple les interviews de personnalités ayant vécu certains événements ou de personnes détentrices d’un savoir ou d’un savoir faire qui disparaît. Autre exemple avec l’enregistrement audiovisuel des grands procès pour crimes contre l’humanité (le premier étant celui de Klaus Barbie en 1987).

Initialement, la distinction entre document d’archives et image d’archives tient moins à l’opposition écrit/image animée qu’à la différentiation du processus de création et au destinataire du document (acte administratif, juridique ou technique pour un destinataire identifié d’un côté, publication ou diffusion pour tout un public de l’autre).

Avec l’élargissement de l’acception du vocable archives ces dernières décennies à toutes formes de documents de mémoire, bien au-delà des seuls « documents d’archives » d’antan, et avec la généralisation de l’image dans toutes les activités documentaires et de communication, les deux expressions se sont nettement rapprochées.

Et bien sûr je n’évoque pas ici les images de documents d’archives via la numérisation à grande échelle.

En résumé, l’expression « document d’archives » est riche et fort utile. Je lui souhaite longue vie !

 

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http://transarchivistique.fr/quest-ce-quun-document-darchives/feed/ 2
Records management and Records management http://transarchivistique.fr/records-management-and-records-management/ Tue, 27 Oct 2015 19:23:53 +0000 http://transarchivistique.fr/?p=604 Continuer la lecture ]]> par Marie-Anne Chabin

After my post entitled “What is a record?” two months ago, I went on thinking about records and records management.

As I did for records, I went through the ISO 14589 records management definition: “field of management responsible for the efficient and systematic control of the creation, receipt, maintenance, use and disposition of records, including processes for capturing and maintaining evidence of and information about business activities and transactions in the form of records” (refers to ISO 30300:2011).

I like this very good definition (I have repeated it and used it for fifteen years); but I decided to analyze it in relation with the world I work in and my own practice, looking for possible changes.

A good way to study a concept is to look at it after the translation of the words into others languages.

We have in French two main translations for records management, the old one and the new one:

  1. The old one, for decades and maybe even for centuries, was “gestion des archives”;
  2. The new one is “gestion de l’archivage”; it is the official translation for records management, recommended by the French Commission générale de terminologie (Cogeter) in 2009 ; this has been published in the Official Journal of French Republic (JORF n°0094 du 22 avril 2009 page 6949 – texte n° 83); the associated definition was: “Organisation et contrôle de la constitution, de la sélection, de la conservation et de la destination finale des documents d’une administration, d’une entreprise ou d’un organisme ».

In both case, management is translated by “gestion”, as it is with risk management/“gestion des risques”), even if management has become a French word too for a long time now.

The topic lies in the evolution of “archives” to “archivage”, that is the evolution from a static to a dynamic approach:

  1. Archives stands for records, those documents that are retained according to their legal or business value, and that are to be kept (or not) for ever as part of cultural heritage, according to their archival/historical value;
  2. The word archivage expresses the action of identifying valuable documents and transferring them in a record center, the appropriate place to keep them in good health and make them available during their lifetime; archivage is also used with a technical meaning in the digital environment, as a translation of “archiving”.

So, archivage is the process and archives are the objects.

In other words, the question is: what exactly is to be managed with this definition?

  1. The records themselves as information objects: records are created and then have to be managed from creation to disposition, or
  2. The process: how to create good records, before managing their preservation?

Records creation stands in the middle. So the question could also be:

  • Is the creation of records the beginning of records management? or
  • Is the creation of records the end of records management? When an electronic record is well created and documented, with appropriate metadata, the biggest part  of the job is done, from an archival science point of view at least because what happen next are technical processes; and the more complete the metadata are, the more efficient the records system is.

The answer must be: the two, but both the form of records and the way to proceed for their preservation have changed with the development of digital technologies.

A couple of decades ago, records were created through hierarchical and roughly well controlled administrative processes; the requirements for records professional were collecting, describing, storing and making them available.

The digital world changed that: a large part of valuable information comes from business applications and the way the records are created has to be prepared at the time of implementation of those applications; another part comes from e-mail boxes or networks, the content of which must be identified as soon as possible to be put aside as records, extracted from the big data mixture growing up in organizations.

I remember very well how the members of the French committee for ISO 15489 (CN11 AFNOR), at the end of the previous century, were shocked by the idea that “archivistes” could intervene in the creation of the documents in the business services.

Twenty years later, the more I work for companies (as an expert for information and records management), the more I see how the challenge lies in the creation of proper and documented records (I would say in French, la production de traces pertinentes et documentées).

Anyway, I like records management!

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Registre des délibérations municipales: inquiétudes… http://transarchivistique.fr/registre-des-deliberations-municipales-inquietudes/ Sun, 30 Mar 2014 09:51:24 +0000 http://transarchivistique.fr/?p=344 Continuer la lecture ]]> Publié par Marie-Anne Chabin, 30 mars 2014

Le registre des délibérations municipales est le document d’archives par excellence de chaque commune française. La période électorale qui s’achève est une occasion de le rappeler.

Lors de dans mon stage de fin d’études dans un service d’Archives départementales, j’ai appris qu’il convenait lors d’une inspection d’archives communales (j’ai effectué environ trois cents inspections dans les années suivantes) de porter attention à quatre documents principaux : le Journal officiel, l’état civil, les documents cadastraux et le registre des délibérations. Mais ce dernier est bien le plus important d’abord parce qu’il est unique (le Journal officiel existe en X exemplaires), l’état civil et le cadastre en deux exemplaires, mais surtout parce que les trois autres documents émanent de l’autorité administrative nationale ou départementale (le maire n’est qu’un relais de l’État dans son rôle d’officier d’état civil ou dans le fonctionnement des services fiscaux), tandis le registre des délibérations est l’expression directe de la collectivité territoriale.

Or, je m’inquiète doublement sur l’attention portée par la collectivité à ce document essentiel à sa mémoire :

  1. quand je constate que la DUA (durée d’utilité administrative) préconisée par l’administration des Archives est de un an ;
  2. quand je lis, sur divers sites Internet, des choses très floues sur la « dématérialisation » des délibérations.

DUA de 1 an !

L’instruction DAF/DPACI/RES/2009/018 du 28 août 2009, intitulée Tri et conservation des archives produites par les services communs à l’ensemble des collectivités territoriales (communes, départements et régions) et structures intercommunales, rappelle que en application du code général des collectivités territoriales, les communes ont obligation de tenir un registre des délibérations sur papier, soit en écrivant directement dans un registre coté et paraphé, soit écrivant sur les feuillets mobiles, reliés a posteriori (en fin d’année, ou tous les cinq ans pour les petites communes). L’introduction de l’instruction rappelle également les éléments minimum à consigner par écrit : un résumé des séances, les décisions (résultat des délibérations) et le détail des votes.

À noter que le décret n° 2010-783 du 8 juillet 2010 a modifié (simplifié est-il écrit) le code général des collectivités territoriales en délégant du préfet au maire la responsabilité de coter et parapher les registres et le choix d’utiliser ou non des feuillets mobiles. Ce décret n’intervient pas dans les règles de conservation.

Revenons au « tableau de tri » des archives territoriales de 2009 qui indique pour chaque « typologie de document », une « DUA » et un « Sort final ». Avant d’aller plus loin, il convient de rappeler les définitions de DUA et de sort final :

« La DUA ou durée d’utilité administrative recouvre les deux premiers âges des archives (courantes et intermédiaires). Matériellement, ces deux âges peuvent se traduire par un déplacement des documents entre les bureaux des agents traitant les affaires et un local de pré-archivage, plus éloigné des bureaux. Cette durée, qui court à compter de la clôture du dossier, correspond au temps pendant lequel les documents doivent être conservés dans les locaux des services producteurs, soit en vertu des prescriptions réglementaires, soit parce qu’ils restent nécessaires ou utiles à la bonne marche des services ou à leur information » (extrait de la même instruction).

Sort final : « expression d’usage courant pour désigner le traitement final des documents » (Dictionnaire de terminologie archivistique des Archives de France 2002) avec trois possibilités : « C » pour conservation définitive et intégrale des documents dans le service public d’archives, « T » pour tri ou « D » pour destruction intégrale et définitive.

Pour plus de précision, il faut rappeler également la définition d’archives intermédiaires, citée dans la définition de DUA : « documents qui, n’étant plus d’usage courant, doivent être conservés temporairement, pour des besoins administratifs ou juridiques |…] » (Dictionnaire de terminologie archivistique susmentionné).

Donc, en parcourant cette instruction, je remarque que les délibérations (bizarrement, le mot de registre n’apparaît pas) est classé dans la rubrique 2 « Délibérations, actes administratifs et contrôle de légalité » avec une durée d’utilité administrative d’un an, la même que les extraits de délibérations !

DUA 1 an

Et je dois avouer que je ne comprends pas. Certes le « sort final » des délibérations est la conservation intégrale et je n’ai aucun doute sur le sérieux des archivistes communaux pour conserver ce document majeur. Mais je m’interroge, une fois de plus, sur le sens archivistique de DUA. En effet, si je me réfère aux définitions ci-dessus, j’en conclus que le registre de délibérations communales n’a pas besoin d’être conservé pour des besoins administratifs ou juridiques au-delà d’un an, ce qui est tout de même violent. Qui peut croire cela ?

D’aucuns ou d’aucunes m’objecteront que le registre de délibérations a une valeur historique dès sa création. Certes ! Alors, dans ce cas pourquoi un an ? Pourquoi pas deux ans, ou un an et demi, ou un an trois quart ? Pourquoi pas « 0 » ou « immédiat » ou « dès le retour du contrôle de légalité », ce qui reviendrait à adopter véritablement la logique du records management qui considère comme « records » les documents dès leur création, c’est-à-dire dès leur validation, dès qu’ils font effet ? We should have, then, permanent records, and not archives ; that makes a difference.

Si quelqu’un peut m’expliquer la justification du « 1 an », je suis preneuse !

La notion de DUA, décidément, est bien floue. Et son utilisation dans ce cas participe d’une déresponsabilisation des conseillers municipaux face à ce document particulièrement engageant de leur activité fondamentale : celle de faire des choix d’organisation de la vie de leurs concitoyens, choix dont ils sont comptables devant la collectivité et devant l’Histoire. Avec une « DUA » d’un an pour les registres de délibérations, les élus auront beau jeu de penser : après un an, ce n’est plus mon problème. Déjà que le degré de conscience archivistique des élus n’est pas un motif de réjouissance, n’y aurait-il pas lieu au contraire de chercher à les responsabiliser un peu plus ? La DUA se révèle finalement comme une durée pour archivistes (le délai après lequel ils peuvent prendre possession des précieux registres) et non une durée destinée à alerter le producteur sur sa responsabilité de conservation.

C’est cette scission entre la vie communale quotidienne et le monde des archives qui m’inquiète.

Dématérialiser, oui, mais quoi au juste ?

Que la DUA se rassure ! Elle n’est pas seule à être dans le flou. La dématérialisation n’est pas plus claire.

Quelques phrases collectées sur Internet au sujet de la dématérialisation des délibérations municipales :

Registre des délibérations: la simplification, avant la dématérialisation?

« Dans le cadre de la dématérialisation des actes juridiques et de leur transmission, il reste des étapes de re-matérialisation obligatoires. La tenue du registre des délibérations en fait partie, mais ses modalités viennent d’évoluer, avec notamment la reconnaissance de la valeur complémentaire d’une version numérique. » ;

et, citant le décret de juillet 2010 : « La tenue des registres peut également être organisée à titre complémentaire sur support numérique. L’exemplaire sur support numérique a alors une valeur de copie ».

source http://www.e-bourgogne.fr/jsp/site/Portal.jsp?page_id=41&document_id=801&dossier_id=614

Conseil municipal numérique

Depuis la fin de l’année 2012 – début 2013 un grand pas a été fait puisqu’aujourd’hui le conseil municipal de Saint-Médard-en-Jalles est totalement dématérialisé. La mise en place d’une dématérialisation totale pour un conseil municipal tout numérique s’est fait en plusieurs phases.

• les projets de délibération sont créés sur la plateforme Webdelib

• …

• durant le conseil les votes sont également dématérialisés puisqu’ils sont directement entrés dans la plateforme webdelib ;

• les délibérations du conseil municipal sont ensuite transmis à la préfecture via la plateforme sécurisée Slow.

• les différents comptes-rendus et PV des conseils municipaux sont ensuite mis en ligne sur le site de la ville à disposition de tous les administrés.

Tout comme les délibérations, les arrêtés du maire ainsi que les décisions municipales sont édités via la plateforme Webdelib et soumis par ce biais au circuit de validation.

source http://www.saint-medard-en-jalles.fr/votre-mairie/conseil-municipal/742-conseil-municipal-numerique.html

Permettre la publication des actes sur support électronique

S’il est possible depuis 2005 de transmettre de manière dématérialisée les actes soumis au contrôle de légalité, leur publication doit cependant demeurer en version papier. L’objectif de cette mesure est de permettre aux collectivités une dématérialisation de bout en bout des actes en autorisant leur affichage électronique.

source http://www.ensemble-simplifions.fr/node/996

Signature des délibérations du conseil municipal

Réponse du Ministère chargé des collectivités territoriales à la question d’un sénateur : « L’article L. 2121-23 du code général des collectivités territoriales (CGCT) dispose que « les délibérations sont inscrites par ordre de date. Elles sont signées par tous les membres présents à la séance ou mention est faite de la cause qui les a empêchés de signer ». Ces dispositions concernent l’exemplaire original des délibérations inscrites sur un registre coté et paraphé par le maire (article R. 2121-9 du CGCT)».

source http://www.senat.fr/questions/base/2011/qSEQ111121110.html

La gestion des délibérations avec E-Délibérations

« Concrètement, e-Délibérations couvre la gestion des actes administratifs (délibérations, arrêtés) et celle des assemblées délibérantes, depuis l’établissement des actes (rédaction du projet d’acte par le service, remontée et mise en forme de l’acte par le Secrétariat de l’Assemblée), la convocation des élus au Conseil municipal (module bientôt disponible), jusqu’à l’envoi dématérialisé à la préfecture, et l’archivage dans une base de données interne».

source http://www.o-tan.fr/art_theme_ina.php3?id_article=2995&id_mot=56&debut_art=25

E-PARAPHEURS.COM : signer ou valider une délibération, comme dans un parapheur papier, mais à distance et sous forme électronique.

Le E-parapheur permet de faire circuler une délibération dans l’organigramme de la collectivité, jusqu’à la signature électronique par l’élu, et avant son transfert en Préfecture.

source http://www.e-parapheurs.com/usages-parapheur-electronique-et-deliberations

Ces lectures me titillent :

  • que veut dire « re-matérialiser » le registre vu qu’il n’a pas encore été produit ?
  • que veut dire « éditer » les décisions ? Est-ce au sens français de publier ou au sens anglais de modifier ?
  • que veut dire « publication » des délibérations ? Est-ce la même chose que « affichage » ?
  • que veut dire « archivage dans une base de données interne » ? Est-ce autre chose que du stockage ?
  • la version numérique des délibérations est qualifiée de « copie » mais (si je comprends bien) elle est produite avant le registre et sert justement à son établissement ; dès lors, ce ne peut être une « copie » mais plutôt un double ou une minute;
  • quelle différence faut-il voir dans ces citations entre les verbes signer, valider et parapher?
  • etc.

On touche ici du doigt le flou du vocabulaire utilisé par les acteurs de la dématérialisation. Comment progresser avec des mots approximatifs et polysémiques ? Comment accepter cette régression terminologique quand on pense qu’il y a quelques décennies la langue administrative française était un modèle de précision ?

Surtout, ces discours sur la dématérialisation des délibérations donnent à penser que le registre (papier) est secondaire alors qu’il continue à être considéré par les textes officiels comme le seul original. C’est vrai que si sa durée d’utilité est fixée à un an…

Loin de moi l’idée de critiquer l’apport des technologies numériques à la phase d’ établissement d’une délibération de l’ administration municipale, à la diffusion aux élus des projets avant la réunion du conseil, au processus de vote avec le vote électronique, ou à la transmission des actes au contrôle de légalité ; le gain d’une dématérialisation bien menée est largement prouvé. Mais il convient d’avoir une vue d’ensemble du processus délibératif et de ne pas marginaliser le document majeur qui en est issu, à savoir la collection des délibérations.

Certains vont jusqu’à prôner la production d’un « registre » nativement numérique, sans aucun papier ni avant ni après le vote, autrement dit d’une « base de données » (héritière du registre) originale des délibérations communales. Il n’y a pas de principe pour ou contre mais il faut rappeler que le numérique n’est pas une fin en soi. C’est un moyen. La question est donc d’analyser le retour sur investissement d’une telle opération. Or, quand on voit, d’une part, le nombre de communes françaises incapables de tenir des registres de délibérations papier dans de bonnes conditions de qualité et de conservation, quand on considère, d’autre part, le coût des migrations technologiques (formats et supports) associé à la pérennisation de ces documents historiques, on se dit rapidement qu’il est prématuré de dématérialiser le registre de délibérations (même si la loi l’autorisait) et qu’il y a bien d’autres projets de bon sens à conduire et à réussir avant celui-là.

Le numérique n’est pas le vainqueur du papier qui serait appelé à disparaître (le livre n’a pas tué le manuscrit). Le numérique et le papier doivent être utilisés conjointement, au mieux, pour préserver les traces des décisions et la mémoire collective.

 

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Le record, la poule et l’œuf http://transarchivistique.fr/le-record-loeuf-la-poule/ http://transarchivistique.fr/le-record-loeuf-la-poule/#comments Sun, 23 Feb 2014 18:45:31 +0000 http://transarchivistique.fr/?p=331 Continuer la lecture ]]> Publié par Marie-Anne Chabin, 24 février 2014

Les records au sujet des œufs et des poules ne manquent pas : poule qui a pondu le plus d’œufs dans l’année, œuf le plus gros ou le plus petit, œuf le plus lourd, et autres événements extraordinaires dignes de figurer dans le grand livre des records.

Poule et oeufMais c’est bien sûr de l’autre sens de « records » dont je veux parler ici, celui du mot anglo-saxon que les professionnels de l’information français semblent affectionner si j’en juge par le nombre de fois où j’entends : « Quand faites-vous votre cours sur le record ? ». « Comment marquer le passage du document au record ? ». « Ce sont les métadonnées pour la conservation du record », etc.

Ce record-là se prononce en général avec un « r » qui roule un peu, un « e » tirant sur le « i » et un « d » prononcé, ainsi que le « s » final au pluriel ; il donne lieu à des variantes d’accentuation (syllabe initiale, finale), tout comme son associé « management ».

Je m’étonne toujours de l’engouement pour ce franglais et de la confusion qui l’accompagne. Est-ce pour sacrifier à la mode ? Est-ce parce que cela sonne bien ? Est-ce pour éviter de parler du fond ?

Toujours est-il que j’ai personnellement de plus en plus de mal à comprendre le sens précis que donnent à ce mot ceux qui l’emploient.

Il est vrai que, y compris en anglais, le concept peut paraître subtil et il achoppe notamment sur le moment de la « record creation ». Naît-on record ou le devient-on ? Un document est-il record par nature ou par destination ? Autrement dit, qu’est-ce qui prédomine dans le statut de record, les qualités intrinsèques du document ou le fait qu’il soit capturé ou enregistré (recorded) dans un système ? That is the question. Est-ce le record préexiste au système et que le système est créé pour accueillir le record ? Ou est-ce le système préexiste et crée les records ? C’est l’histoire de l’œuf et de la poule. Nous y voilà !

La réponse n’est pas tranchée parce que la question est mal posée.

Le record, le document et le système

Le problème vient de l’utilisation d’un même mot pour désigner deux notions distinctes : d’une part, le statut propre d’un document dans le processus métier qui le crée ; d’autre part, l’appartenance d’un document à un ensemble organisé de documents, délibérément regroupés pour constituer un fonds documentaire à des fins de preuve et de mémoire.

Plus exactement, le problème vient de ce que les deux périmètres ne se recouvrent pas alors que justement ils devraient se recouvrir. Je veux dire qu’un document qui engage celui qui l’a créé ou qui présente un intérêt dans le temps pour celui qui l’a reçu, devrait être systématiquement rattaché à un système de gestion capable d’accompagner son cycle de vie aussi longtemps que nécessaire. C’est exactement le principe du records management et c’est bien ce que beaucoup de personnes ne semblent pas avoir complètement compris dans cette démarche qui n’est pas plus anglo-saxonne que russe, allemande ou française mais relève du bon sens et du sens des responsabilités.

La logique veut que les actes majeurs du pouvoir, de l’administration, de l’activité économique, de la vie familiale, etc. soient consignés quelque part, dès leur établissement, pour servir de référence et de témoignage : procès-verbaux de délibération, registre d’état civil, jugements, minutier des notaires…). Mais la production documentaire ne s’arrête pas aux actes majeurs.

Les documents qui ne sont pas des contrats ou des décisions signés, numérotés, enregistrés, diffusés, sont-ils des records ? Si non, pourquoi ? Si oui, à partir de quel moment ?

La bonne question à poser est une double question :

  1. quels sont les documents qui présentent une valeur de conservation en tant que trace d’une activité qui engage la responsabilité ?
  2. comment sont-ils pris en charge par un système qui garantit leur qualité (authenticité, fiabilité, intégrité, exploitabilité pour reprendre les exigences de la toujours excellente norme ISO 15489) ?

La question sur les documents appelle une réponse en trois étapes : pertinence du document pour l’entité juridique qui le détient, poids du document au regard des risques, recul du temps pour une révision des risques et des besoins.

1/ Tous les documents ne sont pas des records.

La première évidence quand on parle de records management est que tous les documents produits dans le cadre d’une activité, d’un processus, d’une institution, d’un projet, etc. ne sont pas, ne seront pas, n’ont pas vocation à être des records. Il faut le dire, le répéter, l’écrire car cette vérité ne semble pas partagée.

Le statut de record se définit d’abord par la valeur que présente le document pour son détenteur : est-il où non porteur de quelque chose dont la disparition serait dommageable au respect de la réglementation et à la défense des droits ? L’expression « a document is set apart AS a record », que l’on retrouve dans plusieurs normes ou textes de référence du records management, est assez explicite sur le fait qu’un record est un document dont on a estimé, en raison de ce qu’il est, en fonction de sa valeur d’actif informationnel, etc. dont on a estimé qu’il devait être placé dans un lieu protégé où l’on veillerait sur sa vie en vue d’une consultation ou d’une utilisation éventuelle. Il y a un choix humain, ou du moins une validation de cette valeur de record. C’est exactement le sens de l’expression française « classer aux archives », expression qui a eu pendant des siècles strictement le même sens que « to file in the records ». En découvrant le records management comme on découvre un nouveau continent (sinon pourquoi s’agripper ainsi à l’expression anglaise ?), les Français ne font finalement que renouer avec un comportement tout à fait classique des administrations et entreprises françaises, mis à l’écart par un demi-siècle de sur-préoccupation des archives historiques et quelques décennies de GED hyper-collaborative.

Contrairement à la fantaisie de la loi française (1979, 2008) qui décide soudain que tout est archive, les Anglo-saxons font la différence entre les records et les non-records. Les « non-archives » en France n’existent pas ; on se demande même parfois si elles ne sont pas interdites par la loi… Il n’est pourtant ni honteux ni criminel de dire que la Nième copie d’un document existant par ailleurs n’a pas de valeur d’archives, que les gribouillis d’un collaborateur sans pouvoir de décision et lisibles par lui seul n’ont pas de valeur d’archives, que les données récapitulées dans un autre document n’ont pas de valeurs d’archives, etc. (voir la très significative liste des non records de l’État du Colorado à la fin du billet sur les archives courantes).

Compte tenu de l’abondance des données, du tsunami numérique, de l’infobésité, l’urgence en matière de records management est bien de distinguer ce qui doit être archivé en priorité et non de chercher d’hypothétiques outils qui archiveraient tout. Compte tenu du coût, tout garder parce que tout pourrait peut-être un jour intéresser un historien est un comportement irresponsable. Et la traduction de « record » par « document d’activité », décidée par l’AFNOR est elle-aussi irresponsable puisque, loin d’aider à y voir plus clair, elle rajoute une couche de confusion avec un néologisme insignifiant et étranger aux pratiques des utilisateurs.

2/ Le poids des documents

On aura beau dire et beau faire, tous les documents ne se valent pas. Les archives ne sont pas des boîtes de petits pois, précisément parce qu’elles ont des poids différents. Il y a entre pois et poids une lettre de différence, la lettre « d » : le d de document, le d de données, le d de dossier, le d de diplomatique…

Un contrat international entre deux groupes industriels portant sur des millions d’euros ou de dollars pèse objectivement plus que le projet non abouti de création d’une épicerie communale à Trifouillis-les-Oies, même si un historien de Trifouillis-les-Oies se moque du développement industriel et regrettera toute sa vie la disparition de cette note sans lendemain rédigée par un élu municipal de l’opposition un jour de pluie…

Il y a dans toute entreprise et dans toute administration des documents majeurs, généralement sous la forme de décisions, délibérations, contrats, conventions, qui sont les principaux « records ». La nécessité de les « classer aux archives » ne fait aucun doute et ne souffre aucune hésitation (sauf malveillante bien sûr).

Ces documents majeurs voient graviter autour d’eux des documents justificatifs ou explicatifs de ce qu’ils sont, de ce qu’ils disent, de ce à quoi ils servent. Le poids des documents maîtres rejaillit immanquablement sur les pièces justificatives et explicatives qui en sont solidaires.

Il faut ici attirer l’attention sur le fait que la typologie documentaire, le type ou le nom du document, est à elle seule insuffisante à déterminer la valeur d’un document. Cette valeur tient au rôle joué par le document dans la relation qu’il trace et/ou dans son impact sur d’autres personnes, d’autres actions.

Il y a ensuite des documents, beaucoup plus nombreux, qui jouent un rôle intermédiaire (attention, cela n’a rien à voir avec les archives intermédiaires) dans l’exercice des activités, et dont il faut assurer la conservation à moyen terme pour comprendre comment les choses se sont organisées et pour tracer le bon fonctionnement des organisations.

Enfin, il y a toutes sortes de papiers, fichiers, données qui entrent dans le processus, y font trois petits tours et n’ont plus qu’à s’en aller car ils ne portent rien de la décision.

Le poids au regard du risque de non disponibilité des documents dans le temps, critère majeur de l’archivage selon ISO15489, se traduit en durée de conservation, laquelle peut être très longue, longue, moyenne ou courte, en fonction des exigences réglementaires mais aussi des besoins constatés (voir le billet sur les durées de conservation).

Le caractère confidentiel ou vital, exigeant des mesures de sécurité particulières, doit être dissocié de la durée de conservation à laquelle il n’est pas corrélé : il y a des documents vitaux à conserver longtemps, des documents confidentiels à conserver peu de temps, etc. On rencontre les cas de figure. Il faut gérer le tout mais la conservation est prioritaire car comment assurer la confidentialité et la sécurité d’un document qui n’est pas conservé ?

3/ Le recul du temps

L’objection la plus courante à la détermination en amont d’une durée de conservation est que l’on ne sait pas aujourd’hui la valeur que tel document aura demain. C’est la notion de temps différé, expliquée dans le Référentiel Archivage managérial du CR2PA.

La réponse à cette objection est que la question n’est pas de savoir aujourd’hui toutes les valeurs que pourra porter ce document demain, mais de savoir au moment où il est produit quel est sa valeur primaire, c’est-à-dire pour quoi il a été produit, pour qui, dans quel cadre, avec quel objectif, avec quel risque : engagement contractuel, échange informel, notes personnelles, décision, aide à la décision, etc. Sur cette base là, il est tout à fait possible de définir une durée de conservation qui, si elle est bien gérée, ce que l’on peut espérer avec un bon système d’archivage/records management, sera périodiquement évaluée et le cas échéant révisée.

Quand on parle « records management », les archives historiques ne sont pas incluses dans le périmètre ; là aussi, il faut le répéter. Toutefois, les records sont le plus gros producteur d’archives historiques (voir le billet définition des archives historiques et théorie des quatre-quarts). Il est donc légitime qu’en tant que principal client des « records », les « archives » (arkhaillevz) aient un rôle de prescripteur sur le sort final des documents à échéance de leur durée de conservation.

De même, des documents dont la valeur de conservation n’était pas identifiée au moment de leur production, peuvent, sous l’effet d’une prise de recul de la situation, acquérir une valeur de conservation ou une nouvelle valeur de conservation, plus longue ou plus courte.

C’est bien pour cela qu’il y a besoin dans les entreprises de responsables de l’archivage managérial qui sachent sensibiliser les dirigeants et les collaborateurs à l’importance du geste d’archiver ce qui le mérite, qui aident à produire et maintenir des référentiels cohérents pour la gestion des risques liés aux traces ou à l’absence de traces des actes engageants, pour bien les gérer dans le temps, quelqu’un qui pilote le dispositif logiciel approprié pour mettre en œuvre ces exigences d’entreprise.

La question sur les systèmes appelle une réponse en deux points : un point de qualité et un point de temporalité.

1/ Les fonctionnalités

La première qualité d’un système de records management (un système d’archivage pour parler français) est de posséder les fonctionnalités minimales qui garantissent la maintenance de la qualité des documents dont la gestion lui est confiée. Ces fonctionnalités, ces core records management requirements concernent:

  • d’une part la qualité matérielle des objets archivés, c’est-à-dire la prise en charge et le contrôle de l’objet à l’entrée en référence à des règles prédéfinies (vérification de la conformité aux critères d’admission car ce n’est en aucun cas le système qui crée le record !), la maintenance de la lisibilité, la mise à disposition des contenu via des métadonnées et des moteurs de recherche, la sécurité contre des accès non autorisés ;
  • d’autre part la gestion du cycle de vie du document archivé avec l’attribution obligatoire d’une durée de conservation motivée, définitive ou à réviser mais exprimée et gérable, et les moyens de piloter la fin de la destruction et les modalités de celle-ci, ou les étapes de révision. Tout ceci est bien sûr indissociable d’une qualification de la valeur et du contenu des documents archivés, en regard d’une cartographie préalable de ce que devrait être le fonds d’archives géré, cartographie appelée parfois plan de classement (mais ce terme est lui aussi tellement polysémique…).

Porte RecordsCe premier point recueil en général l’adhésion des gens qui se réclament du records management, mais beaucoup de systèmes ne répondent pas correctement au pilotage du cycle de vie. Quand on me demande la différence essentielle entre un système de GED et un système d’archivage, je réponds invariablement que c’est la capacité à piloter le cycle de vie au moyen d’un référentiel préétabli au niveau général de l’entreprise ou de l’institution. Il est bien évident que ce n’est pas chaque collaborateur qui est à même de dire, seul dans son activité et pour toute l’entreprise, la valeur collective de son document.

2/ Le moment de l’archivage

La question du moment de l’archivage est d’autant plus cruciale en France qu’elle fait face, d’un côté, à des lustres de négligence du concept de record creation et, de l’autre, à la pratique ravageuse des archives intermédiaires. Sauf quelques exceptions (le bureau d’ordre au ministère des Affaires étrangères par exemple), les archives intermédiaires ont déplacé en quelques décennies le geste responsable d’archiver de son point de départ initial (la création du document) au moment où le document n’est plus utilisé couramment par son producteur. Cette cassure, d’ordre logistique, est lourde de conséquences car elle a en quelque sorte « plié » le cycle de vie du document au mauvais endroit. Et comme elle est inscrite dans la réglementation des archives, on se demande comment on va sortir de ce mauvais pli. Pourtant, en français comme en anglais, et comme dans toutes les langues, le sens du verbe archiver, ou de l’expression « classer aux archives », insiste dans son essence sur la mise en sécurité du document, en raison de sa valeur et donc dès sa production. La record creation correspond au moment où le document est finalisé, figé, approuvé, signé, diffusé. J’insiste ici sur la notion de diffusion ou de transmission car elle aussi importante que négligée en général dans les pratiques actuelles.

C’est bien au moment où un document acquiert sa valeur engageante par la validation et surtout la transmission (et ses conséquences éventuelles), qu’il « devient » record, et par conséquent qu’il doit être géré en sa qualité de record, autrement dit qu’il doit être archivé, au sens originel du terme.

Étymologiquement, c’est l’enregistrement qui crée le record mais c’est parce qu’il a une valeur de record que le document est enregistré; c’est la signature et l’envoi qui crée l’archive, parce que c’est à ce moment là que la responsabilité de ce qu’on a dit et fait est tracée. C’est ce moment qui initie la durée de conservation.

En résumé

Les records sont des documents qui possèdent une valeur qui justifie leur conservation et ils doivent être archivés dès qu’ils acquièrent cette valeur, le plus souvent au moment de leur production, parfois en différé en fonction de leur rôle dans un dossier ou du contexte qui actualise cette valeur.

En aucun cas, le simple fait de mettre n’importe quel papier ou fichier dans un système de records management n’aura pour effet de créer un record au sens du records management.

Pour revenir à l’œuf et à la poule, il en ressort que, si l’œuf précède la poule, l’œuf est le record qui, grâce aux bons soins de la fermière-responsable de processus, va donner naissance au système. Et si la poule précède l’œuf, la poule est le processus qui va « pondre » le record lors de l’étape clé de validation. Il y a deux poules, celle qui pond l’œuf et celle à laquelle l’œuf va donner naissance une fois couvé. Il y a deux processus : le processus métier qui donne naissance au document à risque ; le processus d’archivage qui gère ce risque.

Un bon système de records management est :

  1. un système où les documents qui présentent une valeur de conservation à l’échelle de l’entreprise ou de l’organisme sont archivés dès l’acquisition de cette valeur ; et
  2. un système où tous les documents conservés ont été qualifiés et que cette qualification justifie la conservation.

Inversement, un système de records management perfectible est un système où une partie des actes et des traces des responsabilités n’a pas été enregistrée et où sont conservés des documents qui ont perdu leur statut de record ou qui ne l’ont jamais eu.

Les solutions logicielles d’archivage doivent être au service des principes du records management et non artificiellement rattachées à lui.

 

 

Publié par Marie-Anne Chabin, 24 février 2014

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Archives, archivistes, secrets d’archives http://transarchivistique.fr/archives-archivistes-secrets-darchives/ Sat, 05 Oct 2013 12:30:05 +0000 http://transarchivistique.fr/?p=236 Continuer la lecture ]]> Publié par Marie-Anne Chabin, 5 octobre 2013

Archives d’archivistes

Il y a les archives. Il y a les archivistes. Et il y a les archives des archivistes.

Parmi ces archives d’archivistes, il y a les archives personnelles, les archives institutionnelles et les archives collectives.

Parmi les archives collectives, il y a les archives traditionnelles (les documents émis et reçus par les associations dans l’exercice de leur activité et conservés pour des besoins de gestion, pour la justification des droits et pour la mémoire) et les « archives » à la mode Internet, c’est-à-dire l’empilement chronologique des publications ou posts sur les forums de discussion de la profession, mais peu importe, la chronologie a toujours du bon.

Les deux plus anciens forums de discussion de la communauté des archivistes français sont :

  1. le forum Lynx créé par la direction des archives de France en 1987 et qui a fonctionné jusqu’en septembre 1998, soit onze ans. Y ont été postés plus de 6000 messages, soit grosso modo dix messages par semaine. L’intégralité de cette messagerie a été sauvegardée grâce à l’initiative personnelle d’un de ses contributeurs, Joël Surcouf, célèbre ancien directeur des Archives départementales de la Mayenne, sous la forme d’un fichier PDF cherchable, plus qu’intéressant à consulter ;
  2. le forum « archives-fr » créé par l’Association des archivistes français le 14 novembre 1998, pour faire suite au précédent en quelque sorte, et toujours actif ; en bientôt quinze ans, il totalise un peu plus de 12000 messages (environ quinze par semaine).

Toutes ses « archives » sont librement accessibles : il suffit de cliquer sur le lien : http://fr.groups.yahoo.com/group/archives-fr/

forum romainJe serais bien curieuse de savoir le nombre de fois où les abonnés à ce forum (aujourd’hui près de 2900) sont allés regarder les archives du forum, disons des archives de plus de cinq ou dix ans, et, si oui, si c’était :

  • via un lien dans un article ;
  • par le biais d’une recherche de mots clés sur un moteur de recherche, Goût-Gueule ou un autre, dont les résultats pointaient sur un message particulier ;
  • ou pour le principe et le plaisir de se promener un peu dans le passé, histoire de savoir ce que disaient les anciens naguère et jadis.

Secrets d’archives

Le premier débat sur ce forum « archives-fr » est intervenu entre le 1er mars et le 14 avril 1999 (donc quelques mois après l’ouverture du forum), à la suite du témoignage, le 11 février de cette même année, de deux archivistes des Archives Paris en faveur de Jean-Luc Einaudi dans le procès qui l’oppose alors à Maurice Papon devant la 17e chambre du tribunal correctionnel de Paris.

Bref rappel des faits : Jean-Luc Einaudi est l’auteur de La bataille de Paris (Seuil 1991) sur la manifestation du FLN algérien à Paris le 17 octobre 1961 et ses conséquences. En mai 1998, interviewé par le journal Le Monde, il parle de « massacre perpétré par des forces de police agissant sous les ordres de Maurice Papon » ; Maurice Papon, préfet de police de Paris à cette date, lui intente un procès en diffamation. Le 26 mars, Maurice Papon est débouté.

En février 1999, les deux fonctionnaires sont l’objet d’une part d’une sanction administrative, d’autre part de plusieurs pétitions de soutien.

Une vingtaine d’archivistes (j’en étais) a pris part à l’échange qui compte plusieurs dizaines de messages, avec plusieurs « conversations » dont la première porte en objet « Archiviste : un métier dangereux »… Encore une fois, tout cela est consultable, à l’adresse: http://fr.groups.yahoo.com/group/archives-fr/message/58 et suivants.

Au delà des tensions politiques et syndicales, la polémique se situe autour d’une double question :

  1. les archives judiciaires communiquées par les archivistes des Archives de Paris au chercheur Jean-Luc Einaudi, et dont il est fait état lors du procès, étaient-elles communicables ? et d’abord, quels sont exactement les documents en cause ?
  2. le témoignage d’un fonctionnaire des Archives sur l’existence et le contenu d’archives, même non communicables, devant la justice est-il une violation du secret professionnel ou non ?

Pour ma part, plus diplomatiste qu’historienne, je me suis trouvée parmi ceux qui ont souhaité à l’époque creuser la première question, mais sans doute le forum professionnel n’était-il pas le bon lieu pour le faire car la question n’a pas vraiment trouvé là de réponse très claire.

C’est en évoquant ces souvenirs lors d’une conversation à bâtons rompus avec Régis Debray qu’est née l’idée d’un article sur le secret des archives dans un numéro spécial de la revue Médium dont il est le fondateur et le directeur.

Logo RFJe me suis efforcée dans cet article, quatorze ans après les faits, de décortiquer la question de la libre communicabilité ou non des différents documents évoqués lors du procès par le témoin. Cette analyse critique (dans le respect de la tradition chartiste, du moins je l’espère) m’a conduite à une relecture encore plus attentive des lois de 1979 et de 2008 sur les archives, et à comparer leurs articles respectifs sur les délais de communicabilité des archives publiques. Stupéfiant !

Je connais quasiment par cœur les deux passages que j’ai maintes fois utilisés (loi de 1979) ou que j’utilise (loi de 2008 qui remplace la précédente) pour mes cours sur la législation archivistique ou pour les recommandations que je formule pour mes clients, mais ma grille de lecture tournait jusque-là autour des délais proprement dits (30 ans, 60 ans, 75 ans….).

L’analyse comparée des deux articles avec une grille de lecture diplomatique met en évidence une terminologie très différente entre les deux textes, tant pour parler de l’accès aux archives que pour qualifier les documents eux-mêmes. Et cette terminologie est loin d’être neutre. Il est vrai que près de trente ans séparent les deux lois. Mais ceci n’explique pas tout car les archives n’ont pas tant changé et les concepts archivistique fondamentaux non plus.

Je dois avouer que les conclusions auxquelles je parviens ne sont pas tout à fait celles auxquelles je m’attendais : la loi de 2008, présentée comme une avancée avec le raccourcissement de la plupart des délais de libre communicabilité au public, s’avère potentiellement plus restrictive que la loi de 1979…

Médium-SecretsLe numéro 37-38 de Médium (octobre-décembre 2013) vient de paraître, intitulé « Secrets à l’ère numérique : http://regisdebray.com/mediologie:medium

Le double numéro aborde aussi bien le secret d’État que le secret professionnel, les secrets intimes que les secrets littéraires. Extraits du sommaire (22 articles en tout) :

  • Hypocrites démocraties par Pierre Conesa
  • Archives par Marie-Anne Chabin
  • Merci Assange par Françoise Gaillard
  • La confession par Maurice Sachot
  • Les origines par France Renucci
  • Partager ses secrets en public par Louise Merzeau
  • Éloge du secret bancaire par Marc Bonnant
  • Secret des sources par Antoine Perraud

Paul Soriano, rédacteur en chef de la revue, introduit le dossier par ces mots : « Qu’est-ce qui fait d’un secret un secret ? Le message est par définition inconnu. Ne reste alors que le médium, support et véhicule protégés de l’information confidentielle. C’est le sceau qui fait le secret. »
Ma contribution porte le chapô suivant : Une fâcheuse confusion affecte les règles et les exceptions qui gouvernent la publication des archives. Et l’on peut craindre que les évolutions législatives récentes n’aggravent plutôt ce défaut de transparence. Pourquoi ne pas faire enfin confiance aux gens du métier, les archivistes ?

Je ne peux que vous inviter à lire cet article, à dévorer tout le numéro et à vous abonner à Médium!

 

 

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Le mètre linéaire, unité de mesure des archives http://transarchivistique.fr/le-metre-lineaire-unite-de-mesure-des-archives/ http://transarchivistique.fr/le-metre-lineaire-unite-de-mesure-des-archives/#comments Sun, 26 May 2013 18:49:50 +0000 http://transarchivistique.fr/?p=73 Continuer la lecture ]]> Publié par Marie-Anne Chabin, 26 mai 2013
Je m’étonne toujours que « mètre linéaire » soit le mot-clé le plus utilisé par les internautes qui consultent mon blog www.marieannechabin.fr, même si j’ai évoqué le sujet plusieurs fois. Ce constat m’a inspiré le billet Rigolo mais j’avais gardé l’idée de creuser le sujet dans un cadre plus archivistique. Ce que je fais aujourd’hui.

J’aborderai successivement la définition du mètre linéaire d’archives et son usage, sa valeur archivistique limitée, les métrages de référence, l’équivalence avec les archives numériques et les autres indicateurs de mesure.

Une unité de mesure logistique

Les dirigeants qui se sont penchés sur la question de l’archivage aiment à dire qu’ils savent que les archives se comptent en mètres et en kilomètres. C’est la preuve qu’ils ont fait l’effort d’utiliser le vocabulaire des archivistes et qu’ils ont pris conscience du volet logistique de l’archivage, car un kilomètre d’archives nécessite pour le stocker une surface non négligeable, c’est-à-dire, en standard, une salle de 170 m² ; dix kilomètres nécessiteront une surface de stockage d’environ 1700 m². Les Archives nationales conservent plusieurs centaines de kilomètres. Certaines administrations déployées sur l’ensemble du territoire français ont aujourd’hui à gérer plusieurs milliers de kilomètres d’archives…

On trouve ici et là plusieurs définitions du mètre linéaire appliqué aux archives, certaines plus rigoureuses que d’autres. Je retiens celle du Dictionnaire de terminologie archivistique des Archives de France de 2001 : « Unité de mesure des archives correspondant à la quantité de documents rangés sur une tablette d’un mètre de longueur ». Une armoire de bureau permet de ranger 5 à 6 mètres linéaires de documents.

mètre linéaire 1

Le mètre linéaire est utilisé pour l’organisation du stockage en prenant en compte la hauteur des archives (par exemple, boîtes en carton de 32 à 33 cm de haut ou registres reliés de 60 cm), le sens dans lequel les objets sont posés sur le rayonnage (à la française quand les boîtes sont « debout », à l’italienne quand elles sont « couchées ») et de leur poids afin de respecter la résistance des planchers. Un mètre linéaire d’archives pèse en moyenne 50 kg.

Pour du stockage plus massif, on peut estimer les volumes en mètres cubes, avec une équivalence de 10 à 12 mètres linéaires par mètre cube.

Le mètre linéaire est l’unité de base pour calculer les coûts de stockage des archives par les prestataires spécialisés, avec des variations de tarifs dues à la localisation géographique (coût du m²), à la nature et la qualité des équipements (solidité, sécurité, fonctionnalités), à la granularité du conditionnement des documents et aux modalités de gestion. Le stockage d’un mètre linéaire coûte de 3 à 15 € en fonction des options retenues.

Unité de mesure des volumes, le mètre linéaire est également utilisé pour décrire les opérations de traitement des archives, rapporté à l’unité de temps qu’est la journée. Le ratio pour un relevé sommaire du contenu de boîtes d’archives est ainsi de 20 mètres linéaires par jour ou de 10, l’inventaire plus détaillé allant de 5 ml par jour à moins d’un mètre, la différence venant de la nature des documents, de leur état de classement, du détail de la description ou du traitement matériel, et de l’habileté de l’archiviste. Les coûts de traitement étant liés au nombre de jours, on obtient ainsi des ratios allant de 20 à 150 € HT le mètre linéaire inventorié.

Le mètre linéaire est encore la façon de mesurer la taille d’un gros dossier, indépendamment de son rangement. Ainsi, Cour européenne des droits de l’homme mentionne-t-elle que son dossier judiciaire le plus volumineux est l’affaire Irlande c. Royaume-Uni (1978) avec 791 mètres linéaires. De quoi poser sa candidature au livre des records (au sens français du terme of course).

Élasticité du mètre linéaire d’archives

mètre linéaire 2Le mètre linéaire désigne la quantité d’archives stockées sur un mètre de rayonnage, sans distinguer le contenant et le volume « utile » d’archives, c’est-à-dire les documents eux-mêmes. C’est dans ce sens que l’on peut parler d’élasticité (voir le billet sur le sujet).  En effet, les mêmes documents archivés peuvent occuper un volume final qui va facilement du simple au quadruple selon les conditionnements utilisés (pochettes, sous-chemises, chemises, classeurs, boîtes) et le coefficient de tassement des documents à l’intérieur.

Il existe d’autres facteurs, liés à la production des documents, qui ont un impact sur le volume final déposés dans les rayonnages, notamment :

  • le grammage du papier : 6 grammes environ pour une feuille de papier 21 x 29,7 de qualité 80 gr, moitié moins pour du papier pelure, plus pour les chemises,
  • la pratique du recto-verso qui produit un écart du simple au double,
  • la taille de l’écriture (pour les manuscrits mais pas seulement) et la mise en page, avec les débordements imprimantes mal réglées qui impriment la dernière ligne d’un formulaire sur une 2e page.

Le même contenu peut donc s’incarner dans des métrages largement extensibles. La place occupée par les supports d’un même nombre de mots peut aisément aller du simple au décuple, de sorte que le contenu « utile » est assez difficile à évaluer.

L’équivalence la plus courante entre le nombre de feuilles et le mètre linéaire est de 7000 feuillets dans un mètre, avec un nombre de pages qui peut aller jusqu’à doubler (5000 à 10000), et un nombre de « documents » ou de « pièces » qui, lui, peut varier de quelques dizaines à plusieurs milliers.

Le mètre linéaire n’est donc pas très parlant pour décrire les archives, a fortiori pour le grand public qui n’est pas coutumier de ces évaluations. C’est pourquoi les journalistes utilisent plus volontiers d’autres termes. Lors du procès AZF en 2008-2009, plusieurs journaux on évoqué l’épaisseur du dossier d’instruction : « 105 tomes de documents dont 7 mille procès verbaux et 9 mille pièces » (Mediapart) , « un dossier d’instruction qui compte pas moins de 53.820 pages »( Les Echos)

ce qu’on peut traduire par 16000 documents de 3 ou 4 pages de moyenne, soit environ 8 mètres linéaires (à vérifier) mais l’expression journalistique signifie surtout « volumineux » pour un public profane en la matière, un peu comme au Moyen âge, on parlait d’une armée ennemie de 666 guerriers…

Métrage et valeur : des petits pois et des archives

On mesure le linéaire d’archives comme on mesure le linéaire de produits manufacturés, par exemple des petits pois. C’est bien ce qu’il faut faire d’un point de vue logistique de pur stockage et d’occupation de l’espace. Cependant, les archives présentent une différence majeure d’avec les produits manufacturés : tandis que ceux-ci sont produits et gérés en nombre, par centaines ou par milliers, dans les linéaires d’entrepôts ou de gondoles, celles-là sont uniques. Le contenu de chaque dossier, de chaque boîte, de chaque carton est unique. S’il peut arriver qu’il y ait des « clones documentaires », c’est une erreur de gestion.

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Or, si on conserve les archives, c’est bien pour cette valeur unique et non pour leur volume. De sorte que parler de mètres linéaires d’archives sans les qualifier n’a pas grand intérêt.

Ce point est d’autant plus important à souligner que a) les volumes d’archives (ou supposées telles) sont aujourd’hui faramineux et que cela est coûteux ; b) l’échelle de valeurs et des risques associés est assez large.

Si un mètre linéaire d’archives pèse environ 50 kilogrammes, un mètre linéaire de pièces justificatives de remboursement de prestations sociales n’a pas le même « poids archivistique » qu’un mètre linéaire du fonds d’un président de la République après traitement par les conservateur des Archives nationales.

L’information sur la valeur est partielle si on ne connaît pas les dates correspondant à la production de ces archives, intéressantes ou banales, afin de comparer les volumes produits pendant telle période à la production de la période précédente ou suivante, comparaison particulièrement  instructive pour quiconque veut véritablement gérer les fonds d’archives dont il a la charge. Par exemple, un service d’archives écrit dans son rapport annuel 2010 qu’il a reçu en 2009 50 ml de boîtes d’archives de la direction de l’Agriculture. Fort bien mais :

  • s’agit-il de la série des comptes rendus de réunion des comités agricoles depuis vingt-cinq ans ou des formulaires de l’enquête sur la mécanisation des exploitations réalisée il y a trois ans ? S’il s’agit des comptes rendus de réunion, sont-ils exhaustifs ? Concernent-ils tous les comités agricoles ayant siégé au cours de la période dans la circonscription en cause ? Y a-t-il des lacunes dans la série ?
  • s’agit-il des dossiers dont la direction ne veut plus ou, au contraire de ceux qu’elle veut voir conservés en toute sécurité ?
  • quel métrage cette direction a-t-elle versé aux archives l’année précédente ? Et l’année d’avant ? Les contenus sont-ils comparables ?

Il est vrai que si les versements aux archives se font à l’occasion des déménagements, englobant tout ce qui reste dans les bureaux après que les gestionnaires aient transportés les dossiers en cours dans les nouveaux locaux, la comparaison est difficile…

Y a-t-il des métrages de référence ?

Pour être autre chose qu’une donnée logistique, le métrage linéaire « absolu » doit donc être qualifié en relation avec le processus producteur des archives (décisions officielles, contrats avec leurs pièces justificatives, correspondance, études, copies d’élèves, dossiers patients, etc.) et comparé ou comparable au métrage d’une période de production équivalente ou d’un producteur similaire.

N’existerait-il pas des métrages de référence, des standards, pour guider les archivistes dans l’évaluation des opérations de versement et dans les prévisions de collecte?

Jean Favier, directeur général des Archives de France (du temps révolu où les Archives de France étaient une direction de ministère) avait coutume de dire, lors de ses brillants discours d’inauguration de bâtiments d’archives départementales – et ils furent nombreux dans les années 1980 – Jean Favier avait coutume de dire qu’un agent de l’administration produisait en moyenne un mètre linéaire d’archives par an.

Un mètre linéaire par an et par agent. La formule est simple et efficace. Il est évident qu’il s’agit plus d’un slogan inspiré que d’un constat de terrain mais il y avait besoin d’énoncer cette équivalence, ce repère, tant pour les archivistes que pour les décideurs. Sur ce point, Jean Favier n’a pas été officiellement démenti. À noter que cette équivalence est aujourd’hui introuvable sur Internet et on serait tenté de croire qu’elle n’a  jamais existé mais j’en ai été à plusieurs reprises le témoin oculaire et je peux donc la rapporter.

Je dois avouer que j’ai souvent repensé à cette formule au cours des missions de conseil de mon cabinet Archive 17 [lien], quinze à vingt ans plus tard, quand j’ai été amenée à calculer ce type de ratio. Le chiffre moyen calculé récemment pour une administration regroupant plus de 100 000 agents est de 3,5 mètres linéaires par an et par agent, ce qui est beaucoup mais cette moyenne n’est pas pertinente car elle fusionne deux chiffres distincts : 4,2 mètres linéaires par agent et par an pour les services qui gèrent de nombreuses pièces justificatives ; 1,8 mètre linéaire par agent pour les autres services. Au regard de la moyenne Favier, il y aurait donc inflation (de 1 à 1,8 ml), ce qui n’est pas surprenant, les dernières décennies ayant connu une inflation notable de la paperasse et la fameuse « dématérialisation », axée sur le support, n’ayant pas ou pas encore produit des résultats significatifs sur les volumes papier.

Les chiffres ci-dessus concernent le volume de  documents archivés par une administration pour assurer ses besoins de mémoire et la gestion des risques contentieux. Peut-on en déduire un ratio de production pour les archives historiques ? À partir du moment où les archives historiques représentent un pourcentage des documents archivés dans un premier temps pour les intérêts du producteur (1% ? 5% ?), on peut en déduire mathématiquement un ratio mètre linéaire / agent administratif. Mais l’opération de sélection de ce qui présente un intérêt pour la mémoire collective ou la recherche éloigne les archives des acteurs individuels et il est plus logique d’évoquer un ratio institution/mètre linéaire, a posteriori forcément.

mètre linéaire 3

Il n’existe pas de référence officielle là-dessus mais on peut en extraire de la publication des inventaires, notamment des archives nationales ou départementales.

En comparant le métrage linéaire des fonds de la présidence  de la République française sous Georges Pompidou, Valéry Giscard d’Estaing et de François Mitterrand, traitées avec la même rigueur par les conservateurs des archives nationales, et en rapportant ces métrages au nombre d’années de leurs mandats respectifs, on obtient une moyenne annuelle de 29 ml pour G. Pompidou et de 86 ml pour chacun de ses deux successeurs.

Dans mon billet « Linéarité »,  je me suis interrogée des métrages de cabinets ministériels figurant dans le rapport du conseiller d’État Maurice Quénet intitulé « Quel avenir des Archives de France ? » (2011). 20,8 mètres linéaires d’archives ont été collectés pour le cabinet d’Alain Richard et 70 ml pour celui de Michèle Alliot-Marie, pour une même période (cinq ans). La moyenne annuelle, à savoir 18,16 mètres linéaires d’archives de cabinet par ministre de la Défense a-t-elle du sens ? Comment expliquer que le cabinet d’un ministre produit trois fois plus d’archives que son prédécesseur ? Cela existe la curiosité : équipe plus paperassière que l’autre ? Documents de natures différentes ? Autre raison ?

On constate toutefois, de Pompidou à Alliot-Marie, une inflation continue. Quousque tamdem ?

Cette disparité entre des fonds d’archives a priori comparable n’est pas récente. Dans mon livre Je pense, donc j’archive (L’Harmattan, 1999, chapitre 3), je revenais sur les volumes de la série X des Archives départementales qui regroupe, pour chaque département, les archives relatives à prévoyance sociale et d’administration hospitalière pour la période 1800-1940. Les métrages de série X, cités dans une très intéressante enquête réalisée par Isabelle Delabruyère-Neuschwander et présentée lors d’une journée d’étude organisée en 1994 par l’Association des archivistes français sur les archives de la santé, sont étonnamment hétérogènes : 13 mètres linéaires pour les Pyrénées-Orientales, 350 mètres pour la Côte-d’Or, 725 mètres pour l’Eure. Les chiffres ne sont proportionnés ni au nombre de communes ni à la population et leur explication, à étudier de plus près, relève sans doute de critères multiples. Quoi qu’il en soit, il est bien difficile d’établir un lien fiable entre les volumes d’archives et leurs producteurs.

Métrage linéaire et archivage numérique

Il est sans doute toujours possible d’approfondir cette notion de métrage linéaire de référence selon les types d’archives ou les types de producteurs. Mais la question perd de sa pertinence avec la dématérialisation progressive même si nous en avons pour encore une bonne dizaine d’années à voir des boîtes d’archives remplies de dossiers papiers dans les bureaux, tant les mentalités évoluent lentement et sont perturbées par des idées reçues diverses et variées : l’archivage numérique est cher, l’archivage numérique est bon marché, il n’y a que le papier qui fait foi (il y a des gens qui sont très en retard dans leur lecture de la réglementation et qui n’ont pas encore lu le journal officiel de mars 2000…), etc.

La production numérique native s’impose toutefois progressivement. Et les unités de mesure ont changé : le Gigaoctet a remplacé le mètre linéaire. Avec une difficulté nouvelle due à l’élasticité de la chose mesurée, bien pire qu’avec le papier. Le grammage du papier, l’impression recto-verso ou l’insertion de nombreuses sous-chemises a un effet sur le volume des archives papier. Mais le procédé de numérisation ou de création numérique, l’utilisation croissante d’images numérique ou d’objets animés, l’impact de la facilité numérique sur le nombre de fichiers produits et archivables, le développement des capacités de stockage, font que la courbe du poids numérique des archives grimpe bien plus vite que la courbe du nombre de documents.

métrage linéaire num

Les équivalences proposées entre papier et numérique au début des années 2000 sont largement périmées par l’évolution des technologies et les options de format et de définition :

  • un cédérom de 650 Mo (20 grammes) permet de stocker  250 000 pages de texte, ou 2 à 100000 photos couleurs, ou 20 000 pages scannées, ou 2 heures de vidéo ;
  • un document de 100 pages (1 cm) occupe 1 mégaoctet ; par conséquent, 1 Go = 10 ml.
  • etc.

Le poids des fichiers numériques a bien sûr un impact sur le volume stocké mais on peut observer que les volumes archivés et conservés sciemment et à bon escient ne constituent qu’une petite partie du grand magma stocké sur les kyrielles de serveurs (à proximité ou dans le nuage), de sorte que le problème du poids des « vraies archives » n’est pas le principal problème des coûts de stockage. En revanche, cette instabilité des poids des fichiers numériques ne permet pas de définir un poids numérique de référence pour la production des documents et pour l’archivage.

Or, comme le dit, fort bien, la loi du 3 janvier 1979, le support n’est pas discriminant dans la définition des archives. On devrait donc logiquement pouvoir disposer pour l’archivage et la gestion des archives d’unités de mesure proprement archivistiques, c’est-à-dire qui transcendent le support. Dans un deuxième temps, pour tels ou tels documents, on pourra s’interroger sur leur support d’archivage ou leur volume et sur les possibilités d’amélioration en termes de pertinence et de coûts de gestion de l’ensemble.

Développer des indicateurs de mesure archivistiques

Il serait donc utile de développer d’autres indicateurs de mesure des archives, des indicateurs de la valeur archivistique des documents archivés.

Il me semble que les deux principaux indicateurs pourraient être :

  1. le nombre et la nature des actes : j’emploie délibérément le mot « acte » au lieu de document, bien que les archives soient loin de ne comporter que des actes au sens fort du terme (loi, contrat) car je veux insister sur les archives en tant que traces d’une action engageante vis-à-vis d’autrui ou jugées importantes pour la gestion ou la mémoire; et aussi pour souligner l’importance de la structure de ces traces, organisées soit en collections chronologiques d’actes (registre, base de données, chrono), soit en série de dossiers répondant aux objets gérés (clients, immeubles, projets…); ce qui mérite d’être archivé se caractérise par un statut (décision, contrat, compte rendu …) avec un document majeur (document maître) qui agrège autour de lui un certain nombre de documents périphériques et solidaires; cette réflexion est à relier avec les « six types of records » du projet InterPARES sur lesquels je reviendrai un autre jour;
  2. le degré d’exhaustivité de la série : l’évaluation de l’exhaustivité des archives par rapport à l’activité qu’elles tracent ou sont censées tracer apparaît une donnée particulièrement  instructive pour caractériser les archives; le fait de savoir que des documents ont été perdus ou détruits, ou qu’il s’agit d’un échantillon, ou encore qu’on a affaire à des dossiers intégralement conservés mais nativement lacunaires est plus qu’utile pour appréhender un fonds.

Il est plus important de savoir que l’on a archivé tous les registres du conseil d’administration de telle entreprise ainsi que l’exhaustivité des études techniques pendant telle décennie, que de savoir que l’on dispose de 75 mètres linéaires d’archives de cette entreprise sans savoir ce qu’elles tracent ni s’il s’agit de séries complètes. Il est bien évidemment utile d’avoir les deux mais, le volume n’intervient qu’en second, en comparaison des volumes que représentent les lots d’archives comparables dans le temps ou dans l’espace.

Jusqu’à preuve du contraire.

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