Tout ce que vous avez toujours voulu savoir sur la vraie-fausse nudité du document numérique sans jamais oser le demander…

Lors d’un stage organisé par les Archives nationales il y a près d’une décennie, une jeune femme, conservateur de musée en Belgique, faisait cette réflexion dépitée : avec les outils bureautiques, le document qui apparaît à l’écran a perdu tous les éléments visuels qui accompagnaient naguère le texte document papier : signature manuscrite avec ses courbes et ses hastes, tampons dateurs des différents services récepteurs, visas des supérieurs hiérarchiques agrémentés d’instructions plus ou moins sèches, annotations de gestion… Bref, avec le numérique on a affaire à un document nu, un document qui ne parle pas.

Que deviennent dans l’environnement numérique tous ces signes de validation, ces mentions marginales, ces éléments additionnels qui participent d’abord de la valeur de preuve attachée à un acte et, plus tard, de l’attrait visuel de l’archive historique telle qu’on la présente dans une exposition (on rejoint là le goût de l’archive d’Arlette Farge) ?

Deux questions se posent : le document numérique natif est-il vraiment nu ? A-t-il besoin d’être habillé ?

La nudité peut « revêtir » plusieurs significations. Elle est relative au contexte et à la personnalité de l’individu : passe-t-on ses vacances sur une plage naturiste ? Est-on chez soi ou dans un espace public ? Fait-il 35° C ou -10°C ? Que disent les convenances ici ?

Pareillement, les formes d’habillage du document vont, selon les choix et les circonstances, des ratures sur un brouillon de compte rendu à l’enregistrement de la minute notariale d’un acte, en passant par les commentaires sur un rapport en cours, les remarques sur un document achevé, les ajouts lors de transmission (y compris les mails qui, aujourd’hui, remplacent volontiers une apostille) et tout ce que les systèmes enregistrent chronologiquement dans la coulisse dès que l’utilisateur se connecte ou ouvre un fichier…

On doit donc se demander pour tout document numérique s’il s’agit d’un document de travail ou d’un document contractuel, s’il est émis ou reçu, s’il est destiné à être conservé longtemps ou non, etc., et choisir les apprêts et les accessoires correspondant à l’objectif et aux usages.

17-nuditeLes technologies numériques n’ont pas été inventées pour imiter les pratiques d’écriture du papier (voir le billet Numérité). Elles proposent leur propre mode et leurs propres modalités.

De ce point de vue, l’image numérique d’une signature manuscrite insérée dans un texte Word n’est qu’un pauvre cache-sexe car elle ne prouve pas grand-chose (il est si facile d’insérer une signature dans une image de contrat !).

En revanche, un document numérique engageant, associé à l’empreinte mathématique produite par la signature électronique qui le valide, au certificat du signataire et aux données d’horodatage de l’ensemble peut paraître nu à la consultation sur l’écran mais est en réalité richement vêtu.

On ne peut pas, avec la révolution numérique comme avec le reste, avoir le beurre et l’argent du beurre !

Avec le numérique, on perd certes en visibilité immédiate, mais on gagne en traçabilité avec le suivi des modifications des documents textes, le versionnage automatique, etc. L’un dans l’autre, il n’est pas sûr qu’on perde au change. Au contraire, les documents numériques auraient plutôt tendance à rajouter des épaisseurs inutiles voire indiscrètes et dangereuses… Quant aux apparences et à l’attrait visuel du document numérique historique, faisons un peu confiance aux inventeurs et aux éditeurs pour développer de nouveaux outils de consultation.

Pour résumer la comparaison vestimentaire, on pourrait dire qu’un document numérique probant est comparable à un mannequin nu sous un vison virtuel, invisible à l’œil nu (lui aussi…). Alors, chaussez vite vos e-lunettes pour voir tout ce que vous voulez voir !!!

6 commentaires

  1. Oui avec un apparatus de traçabilité, caché aux yeux du lecteur lambda, mais bien présent dans les journaux informatiques (logs) le niveau de maîtrise et de contrôle peut être élevé.

    Dans mon institution hospitalière cela nous a entre autre permis d’identifier un médecin ayant accédé à un dossier auquel il n’avait pas droit (avec les sanctions qui vont avec). On peut évidemment s’interroger jusqu’où doivent aller de tels contrôles qui ont le (des)avantage d’être souvent implicites et pas explicites (à croire que la peur du gendarme n’est plus ce qu’elle était).

    Il reste pour moi une question ouverte, les systèmes informatiques offrent une traçabilité élevée (s’ils sont conçus correctement) mais à relativement court terme (10-20 ans), au-delà il y a souvent prescription (ou inutilité) mais pour les objets numériques dignes d’être conservés à long terme il nous manque des processus digne de confiance. Je veux dire par là que ces processus existent parfois mais que leur fiabilité n’est pas encore suffisamment avérée aux yeux du public pour qu’il leur face confiance.

  2. Au début, j’ai cru à un manifeste de l’association PETA, mais aprés lecture, j’ai compris qu’il n’en était rien. Toutefois, cela entraine quelque interogation : que deviendront l’intégrité et l’authenticité du document  » abandonné » signé par son rédacteur, dés lors qu’il aura quitté l’entreprise dans laquelle il avait fait acte d’archivage ? Qui pourra se prévaloir et ouvrir un document signé par un autre, sans en altérer la valeur probante ? Les attributs sont là, mais leur exploitation n’est pas toujours chose aisée, ni toujours prévisible. Je sais, je tire la couverture à moi, mais c’est quand même mieux que de prendre une veste. Amicalement !

    • Si je lis bien MoReq (2 et 2010), quand un document signé électroniquement (donc authentique – voir le billet de lundi prochain) est déclaré à l’archivage, le système d’archivage (électronique) prend en charge l’intégrité pour toute la durée de conservation, notamment en conservant les éléments caractéristiques de signature dans les métadonnées. C’est le système et son historique qui attestera 10 ans plus tard (7 ans après le départ du collaborateur) de l’authenticité du document.
      Plus sérieusement, Philippe, faut-il lancer un appel à nos actrices préférées pour parrainer une nouvelle association PETAoctets en faveur des DNA (documents numériques abandonnés) ?

  3. Moi aussi, je les attends, le rituel du lundi ! Beaucoup de clarté dans vos billets, le sujet semble complexe au démarrage du billet puis il devient comme une évidence. Merci,

  4. Continuez, vos billets du lundi me sortent un peu la tête de l’eau pour reprendre un bol d’Oxygène.
    Cdlt

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