C’est un mot moche mais il fait son chemin.

L’employabilité est définie comme la capacité d’un individu à trouver et conserver un emploi « dans des délais raisonnables tenant compte de la situation économique ». Ce qui suppose des qualités personnelles (mobilité, sociabilité, adaptabilité…) et que la formation des futurs employés corresponde aux emplois réels et potentiels offerts par le monde du travail.

23-employabiliteSi vous étiez poinçonneur du métro, vous trouverez peut-être un nouvel emploi de figurant dans un film sur Gainsbourg (si vous habitez Les Lilas, ce sera un plus !). Si vous vous destinez à travailler dans les centraux téléphoniques parce que votre arrière-grand-tante était demoiselle du téléphone et qu’elle fourmillait d’histoires amusantes, vous avez intérêt à émigrer au Maroc ou en Inde car l’emploi dans ce secteur s’est déplacé, en espérant que vous ne redoutez pas le stress.

Les systèmes scolaire et universitaire sont en décalage avec le monde réel. C’est un peu normal car il y a un temps nécessaire de répercussion des évolutions. Mais quand ce décalage est « beaucoup normal », on se demande ce que font les pouvoirs publics, les responsables éducatifs et les médias.

Le décalage est à la fois plus accusé et moins visible dans les domaines où les technologies numériques révolutionnent les usages et redistribuent en profondeur les responsabilités. L’archivage est de ceux-là.

Lors d’une récente manifestation du CR2PA, un expert en sûreté illustrait les enjeux de l’archivage par ce témoignage : un constructeur automobile est mis en cause lors d’un accident de voiture survenu en Amérique pour défaut de conception d’un véhicule mis sur le marché près de vingt ans auparavant. Pas moyen de retrouver le compte rendu des tests dans les archives ; plus exactement, on trouve bien un PV de tests mais qui fait état de test négatifs… Les ingénieurs savent bien que la pièce incriminée a passé avec succès les tests de qualité ; seulement voilà, on ne peut pas le prouver. Ce n’est pas qu’on ait oublié d’archiver le PV ou qu’on l’ait détruit trop tôt. C’est tout bonnement qu’il n’a jamais existé ! Les premiers tests étaient négatifs, on en a fait un compte rendu et les ingénieurs ont travaillé et corrigé les dysfonctionnements ; les seconds tests ont été positifs mais, dans la joie de la réussite, personne n’a songé à consigner ce constat par écrit…

Cette anecdote est symptomatique des enjeux de l’archivage et des compétences requises aujourd’hui pour y répondre de façon satisfaisante et prospective, c’est-à-dire en prenant le problème à la racine et non au bout des branches. Hélas, force est de reconnaître que la formation dans ce domaine oscille entre l’outrageusement poussiéreux et l’exagérément technologique. Ici on se propose de vous former à faire consciencieusement le tri des pièces en double dans les dossiers d’archives du XIXe siècle des petites communes (wouahh ! quel métier d’avenir !). Là, vous apprendrez à tout numériser, à appliquer des sceaux électroniques à droite et à gauche, et à tout envoyer dans les nuages du côté de Saint-Cloud ou d’ailleurs.

Comment se fait-il qu’il n’y ait pas en France un seul master (ni même un seul projet de master) consacré à la gestion de l’archivage (records management) alors que des dizaines de milliers d’entreprises, d’établissements publics, d’administrations, sont confrontés aux risques de défaut d’archivage et subissent les bouleversements introduits par le numérique dans la gestion et la conservation des documents engageants ?

Le CNAM a eu la bonne idée de créer en 2008 un « certificat » pour « La maîtrise de l’archivage à l’ère numérique », le CS32 en jargon CNAM, valorisé à 180 heures et 15 crédits ECTS, avec 24 reçus à ce jour (5 en 2010 et 19 en 2011) mais il faudrait aller plus loin.

En attendant que cette lacune générale percute les neurones des grands décideurs, les cours du CS32 reprennent fin février 2012. Venez nombreux !

9 commentaires

  1. 100% d’accord avec vous Marie-Anne ! le CS32 est vraiment une réussite et m’a donné la sensation à la fois de rassembler des pièces manquantes à un puzzle et m’a ouvert des horizons nouveaux… Le Master répondrait je pense à un vrai besoin car les entreprises ne savent abolument pas comment gérer tous ces flux électroniques, et quant à la notion de « définir les documents engageants à produire », elle est hélas très peu répandue.

  2. Dans la suite et la logique du certificat CS32, à quand le master2 en archivage électronique du CNAM / INTD ?
    A titre personnel, après l’obtention de ce certificat, j’ai continué les cours du CNAM pour approfondir le sujet avec des UE de droit (DRA001, DRA002, DRA104). Il faudrait compléter avec un contenu juridique plus affiné (environnement réglementaire) et technique (sécurité, pérennisation). Je soutiens avec intérêt la position de Marie-Anne Chabin pour la création d’un diplôme dont l’utilité apparaît évidente.
    Chantal Berger
    DRA001 : présentation générale du droit
    DRA002 : initiation aux techniques juridiques fondamentales
    DRA104 : droit des NTIC

  3. Bonjour,

    Il ne s’agit certes pas d’un master, mais il existe à Lille 3 une licence pro « Chargé de valorisation des ressources documentaires » avec un parcours « Gestion de systèmes d’information archivistiques » dont je suis responsable, et qui fait la part belle, entre autres, à la gestion des archives, du document numérique, aux systèmes d’information, à la gestion de projet et enfin au Records Management : http://formations.univ-lille3.fr/ws?_cmd=getFormation&_oid=FR_RNE_0593561A_PR_SOF-22783&_redirect=voir_fiche_program&_oidProgramAnnexe=&_lang=fr-FR&_onglet=Programme (voir le 2e parcours).

    André Davignon

  4. Autrement dit, le CNAM remet aujourd’hui en selle, sinon le vieux métier, du moins l’antique fonction de « recordeur » dans le sens de personne habilitée à attester de la véracité d’un fait. Une des dernières mentions de ce terme dans un dictionnaire remonte à 1803 (2ème édition du « Dictionnaire universel de la langues française » de Boiste), avec le sens de « témoin oculaire ». Boiste mentionne aussi d’autres termes de la même famille, qui partagent tous une identité étymologique avec le « record » de « records management » : « recors » dans le sens de témoin quasi officiel qui accompagne un huissier lors d’une saisie (de mémoire, je crois qu’on trouve cette acception du mot dans Balzac, mais je ne sais plus où), « record » dans le sens d’ « attestation » -mais ce n’était déjà plus qu’un « terme de palais » -, et « recorder » dans le sens technique de « faire signer par des témoins ». A distinguer complètement de l’autre « recorder », toujours en usage, notamment chez les luthiers et les violonistes, et qui se rattache à la racine « corde ».
    Se souvenir et pouvoir attester : voila bien des actions utiles dans une société, et qui méritent que l’on s’occupe des « emplois » idoines pour les accomplir correctement !
    Mais si l’ « employabilité » ne se préoccupe d’abord que de « trouver et conserver un emploi », sans se soucier d’abord de l’utilité sociale de cet emploi, ni de la meilleure manière de le remplir et d’en évaluer l’efficience, on comprend que l’offre de formation correspondante puisse, d’un certain point de vue, laisser à désirer !
    On pourrait aussi, peut-être, se poser la question de l' »employabilité » des archives, en commençant par essayer de calculer la proportion, dans les masses aujourd’hui conservées à grands frais, aussi bien dans les dépôts en béton que dans les mémoires numériques, entre ce qui est vraiment utile et ce qui est redondant ou obsolète ? Vaste programme…comme aurait dit…

    • Merci Michel, ton commentaire aborde de multiples aspects de la question qu’il faut creuser, notamment la dernière remarque sur l’employabilité des archives, sujet un tantinet tabou si on en juge par l’absence de débat là-dessus. Cela ferait un bon thème de colloque pour les journées de réflexion archivistique toujours percutantes de l’Université Catholique de Louvain.

      La question de la formation en archivage/records management ne se pose pas qu’en France. Je lis ce matin dans la lettre d’information de l’ARMA : « There is a sense of frustration in the records management profession. An informal show of hands in a session on professional education at the recent ARMA conference showed that most of the attendees had college or university degrees in library sciences or archival studies. Few had degrees in business or technology.
      « The problem? Records management in the 21st century is all about business and technology. Over the last generation a disconnect has developed between the skills developed and the skills needed to be a successful, strategic manager of corporate records. »
      http://www.cmswire.com/cms/information-management/not-sitting-at-the-grownups-table-the-problem-with-records-management-013264.php
      Je suis d’accord sur le malaise mais pas sur le fait que l’archivage ne serait que « business and technology » ; comme le rappelle souvent Luciana Duranti, le records management trouve ses racines dans la diplomatique (« the management of electronic records, or records management theory is archival diplomatics »):

  5. Arrivé dans le monde des archives par hasard, étant archiviste d’entreprise aujourd’hui je suis à l’affut de toutes formations pouvant élargir mes connaissances et faire reconnaître le métier. Je suis bien évidement forcé de faire le même constat!

  6. Oui, oui, oui!!!!!
    Je reviens juste de l’autre côté des Pyrénées, où j’ai parlé de ces problèmes avec la coordination des associations espagnoles, entre autres l’absence de formation dans le domaine de l’archivage (à une exception près) et le décalage enseignement/marché de l’emploi. L’ Europe existe bien au niveau des problèmes, pourrait-elle aussi exister au niveau des solutions?

  7. Bonjour,
    Travaillant dans un cabinet d’avocat, je souhaiterais effectivement faire un Master 2 dans le domaine des archives en validation des acquis. Après de multiples recherches, je n’ai pas trouvé de Master 2, qui soit d’une part, destiné principalement aux archivistes d’entreprise, et qui, d’autre part, soit spécialisé en Records Management. Peut-être ai-je mal cherché mais je n’en ai pas trouvé.
    J’ai pris contact avec des Universités pour un Master 2 mais je ne sais si je pourrai y prétendre, étant donné que je dois faire par exemple de la paléographie et de la diplomatique médiévale. Etant historienne de formation, ces matières m’intéressent énormément et je pense trouver des cours et des formations. Mais dans la pratique de mon métier, ces matières ne me serviront strictement à rien !
    C’est bien dommage.

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