Bien que l’exclamation « macache bono ! » se fasse discrète par les temps qui courent et en particulier sur le Web – il est vrai que Google préfère l’anglais à l’arabe, à l’italien ou à l’argot – je ne pouvais que la faire figurer dans mon « o-raison » car l’expression fait partie de mon vocabulaire courant depuis que mon grand-père paternel, soldat de la Grande Guerre sous divers climats, me l’a transmise en héritage.

Littéralement, cela veut dire : il n’y en a pas (makanch en arabe maghrébin), du bon (mi-italien, mi-français). Macache tout seul est concurrencé par « rien », « que dalle », « bernique », etc. Le « bono » permet d’insister : il n’y a rien de bon !

Et les occasions d’emploi ne sont pas rares.

Exemple lors d’un achat récent : j’ai décidé de changer les rideaux de mon salon. Je me rends dans un grand magasin (genre Bric-à-brac aux Horizons Verdoyants) et je trouve ce que je cherche, et plus encore, grâce à des personnes compétentes, accueillantes et à l’écoute du client. Je choisis les tissus et les matériaux et je passe commande de la façon et de la pose (chacun son métier).

Au moment de payer, on me présente « cinq bons de commande » : un pour le tissu, un pour le voilage, un pour la tringle, un pour la façon et un pour la pose ! Je m’étonne poliment et demande si je peux simplement avoir « une » facture, globale pour « mon » achat. Réponse du N+1 du N+1 de la caissière : ce n’est pas possible ! Macache ! Explication : le tissu et le voilage viennent de deux fournisseurs différents, les tringles sont fabriquées par telle société, la façon et la pose sont réalisées par deux autres sous-traitants. Donc, il y a « cinq bons de commande ». Le système est comme ça.

Je me gratte la tête puis le menton. Il me semble bien que lorsque j’ai acheté ma voiture, je n’ai pas signé un chèque pour le châssis, un deuxième pour les roues, un troisième pour le fabricant de pneus, un quatrième… mais bien un seul chèque pour le concessionnaire.

J’essaie de faire valoir que les fournisseurs sont l’affaire du magasin, pas du client qui, lui, fait un achat, certes parfois composé de plusieurs produits, mais un seul achat dans un seul et même magasin lors d’une seule et même visite (unité de temps, de lieu et d’action)  et que cela n’est pas incongru, et même plutôt courant, de payer un achat sur présentation d’une facture…  Mon interlocuteur, manifestement surpris, comme si j’évoquais les us et coutumes d’une autre planète, veut bien admettre mon point de vue pour me faire plaisir mais il ne peut rien pour moi car le système d’information est ainsi fait que c’est la transaction entre le magasin et ses fournisseurs qui est considérée. La facture client, tu peux t’accrocher (au rideau), macache bono !

Hum. Sans doute le système d’information est-il d’un autre âge et sera bientôt révisé ?

Pas du tout, le système d’information vient tout juste d’être modernisé : « Le système est comme ça ». L’informatique a dit de faire comme ça. On n’y peut rien. On est obligé. L’informatique a décidé. Il n’y a pas d’autres possibilités. C’est le système qui veut ça. On doit obéir au système. Etc.

Y a-t-il quelqu’un dans ce magasin qui sache la différence entre un client et un fournisseur ? Entre un bon de commande et une facture ? Macache ! Macache bono !

Y a-t-il un responsable dans ce magasin qui pense que l’humain devrait commander aux machines et non l’inverse ? Macache ! Macache bono !

C’est déprimant. Et il n’y a pas grand-chose à faire, sinon se mettre au niveau de son interlocuteur et affirmer d’un ton convaincu qu’on vient effectivement de Mars, que là-bas le système informatique interdit de payer une somme sans facture et qu’on n’a droit qu’à un seul chèque par an, puis attendre que ça décante … ou peut-être suggérer au responsable informatique dudit Bric-à-brac d’aller faire un stage chez un concessionnaire automobile ?