Le principe de provenance est le principe fondateur de l’archivistique, formulé au milieu du XIXe siècle en Europe (principle of provenance en anglais, ce qui dit assez l’importance du concept).

Ce principe postule que « les documents d’une même provenance forment un tout et doivent être conservés groupés parce que c’est le seul moyen de rendre compréhensibles la structure et le fonctionnement de l’organisme qui les a créés » ou encore que « chaque document doit être maintenu ou replacé dans le fonds dont il provient ». C’est pourquoi le principe de provenance s’appelle aussi principe de respect des fonds. Les archivistes parlaient naguère de production organique des archives ; on parle aujourd’hui du contexte de création. C’est la même idée. Les archives dans leur contexte de création sont toujours plus fiables.

Le principe de provenance s’oppose au principe de pertinence selon lequel les archives sont organisées selon un critère de contenu, par exemple : on mélange les archives du ministère de l’écologie, celles du parti Europe-Ecologie-Les Verts (EELV) et celles des associations de défense de l’environnement pour les reclasser par thème (climat, agriculture, biodiversité…).

Cependant, le principe de provenance/respect des fonds a connu, connaît et connaîtra des évolutions. J’en note quatre :

  1. la première a été d’abandonner le regroupement physique des archives d’un même fonds, dès lors que l’inventaire des archives témoigne de la cohérence du fonds ; avec la croissance des volumes et l’informatisation des inventaires, la question de dissocier unité intellectuelle et unité matérielle ne se pose plus même;
  2. le second point est la (mauvaise) pratique de prendre à la lettre le respect des fonds et de l’appliquer à des fonds désorganisés en s’ingéniant à respecter ce désordre : on voit l’intérêt pour étudier la désorganisation des services (un vrai sujet au passage) mais c’est au détriment de la cohérence des sources historiques et de leur exploitabilité ;
  3. le troisième point est l’excès inverse quand le zèle de l’archiviste le conduit à formater le fonds à son image, en instaurant le classement qu’il estime le meilleur pour l’historien, sans prendre en compte suffisamment l’histoire de l’administration ou de l’entreprise qui a accumulé ces archives ;
  4. la quatrième évolution se remarque depuis la fin du XXe siècle : les deux opérations, naguère distinctes, de constitution des sources archivistiques puis de collecte des sources documentaires pour la recherche ont tendance à se confondre (mêmes acteurs, concomitance). Le premier exemple de ce nouveau type de fonds a été les archives LGBT, issues de la collecte par l’’Académie Gay & Lesbienne auprès du public dans le but de « préserver la vérité sur notre histoire ». Un exemple plus récent se trouve dans les actions de collecte de documents après les attentats de Charlie-Hebdo : dès janvier, les archives de Rennes ont organisé la sauvegarde des messages « Charlie » (parallèlement donc à la collecte classique des archives municipales) ; et il y a quelques semaines, la bibliothèque de l’université de Harvard a lancé un appel au don de documents autour de cet événement, spécialement les documents éphémères, est-il précisé.

On appelle ainsi archives, en plus des fonds organiques collectés dans le respect du principe de provenance, des collections documentaires qui obéissent d’abord au principe de pertinence.

Il résulte de tout cela une triple exigence pour les professionnels de la mémoire collective : connaître le passé, anticiper l’avenir et vivre avec son temps.

 

 

5 commentaires

  1. Autre évolution associée au principe de provenance : la GEDification. Ou quand le document d’archives passe par une organisation dans laquelle une fois le document mis en GED, est transmis aux Archives. Versé au compte-goutte, la provenance s’estompe et la cohérence d’un dossier d’affaires devient difficile à reconstituer. Dans un tel système, l’archiviste devra bientôt se confectionner une casquette d’archivologue.

    • L’environnement numérique donne cette impression de production au compte-goutte (en même temps, ce qui est paradoxal, que l’idée d’un fort jet continu de données), qui est très perturbante, tu as raison. Mais il me semble que la gestion émiettée des documents impacte davantage l’application du principe de provenance que le principe lui-même.
      Si on considère la GED comme un outil, ce qu’elle est je crois, on peut aussi se dire qu’il faut renforcer la qualification des documents à la création, afin de compenser cet émiettement, ou du moins le sentiment qu’on en a.

    • Merci à vous. J’ai déjà mentionné votre initiative pionnière dans mon premier essai, Je pense donc j’archive, il y a 15 ans, mais sans développer l’analyse archivistique. Avec quinze d’observations et de recul de plus, il est possible de théoriser. Il est important, au plan professionnel de formuler des hypothèses et des des théories.

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