La photo montre, au premier étage, l’auditoire du château de Charost (Cher) (re)construit au XVe ou au XVIe siècle, cadre des audiences du bailli à l’occasion des foires, et qui servit dans cette fonction jusque vers 1875 pour accueillir les citoyens de la commune, venus écouter les sentences du juge de paix. (Pour les amateurs de vieilles pierres, je précise que la couleur rouge dominante au rez-de-chaussée n’est pas celle de briques qui auraient été utilisées comme matériau de construction mais celle du fer contenu dans les pierres de la région et que l’on retrouve délicieusement dans l’église du même Charost).

L’auditoire est d’abord un lieu, le lieu-instrument de l’écoute, le lieu où les personnes qui veulent écouter se réunissent pour entendre dans des conditions matérielles propres à l’écoute (le discours du juge ne serait pas audible au milieu du champ de foire) et intellectuelles propres à former une communauté d’intérêt (une assistance qui partage le même événement et peut en discuter ou en témoigner).

Puis, comme il arrive parfois, le vocable du contenant en vient à désigner le contenu, à savoir ici l’assistance elle-même, tandis que mot auditorium (auditoire en latin) prend le relais de la dénomination du lieu, même s’il n’est guère employé dans le monde judiciaire, en français du moins.

Mais si l’auditoire-lieu, ou l’auditorium, est facile à définir par une localisation, des dimensions et des caractéristiques techniques, l’auditoire-communauté est plus difficile à apprécier car il faut distinguer : le cœur de l’auditoire qui écoute, entend et comprend, ceux qui entendent mais n’écoutent pas (distraction, soucis personnels, présence contrainte…), ceux qui écoutent mais n’entendent pas (problèmes d’ouïe ou d’acoustique), ceux qui écoutent et entendent mais ne comprennent pas…

Classiquement, l’auditoire est supposé concentrer son attention sur l’orateur (professeur, conférencier, tribun) ou l’oratrice (professeure, conférencière, tribune…) ou sur les interprètes du spectacle (acteurs –trices, musiciens – ciennes). On pourrait dessiner l’auditoire comme un nuage de points qui sont tous reliés au centre (d’où est émis ce qu’il faut écouter) et déconnectés de l’extérieur. La qualité de l’auditoire se mesure traditionnellement au degré d’attention exclusive à ce qui est dit sur l’estrade ou la scène. Le mauvais auditoire est celui-ci qui se dissipe, qui s’évade par la pensée, ou qui fait carrément autre chose en écoutant d’une oreille distraite.

Avec le numérique et ses réseaux, le comportement de l’auditoire change et, partant, les  critères d’évaluation de sa qualité également. Quel est le meilleur auditoire ? Celui qui fait mine d’écouter le professeur avec un sourire convenu et écrivant de temps à autre sur un cahier de papier des notes qui n’ont peut-être rien à voir avec ce qui est enseigné, ou celui qui vérifie systématiquement, via son smartphone, si ce que dit le prof est la même chose que ce que dit Wikipédia ? Celui qui acquiesce benoîtement aux explications du conférencier sans y réfléchir ou celui qui tweete les sentences qu’il estime les plus synthétiques, les plus pertinentes, les plus interpellantes ?

L’évolution de l’orateur est indissociable de l’évolution de l’auditoire.