L’ère de la cybersurveillance constitue assurément l’un des épisodes les plus fantastiques de l’histoire de la compétition que se livrent depuis des siècles la technique/la technologie et le droit.

Un article récent et très documenté du Temps rapporte plusieurs cas de surveillance publique du territoire par des drones à des fins fiscales, dans divers pays (Espagne, Suisse… mais pas en France).

Il s’agit de repérer les constructions immobilières (vérandas, garages, piscines…) que leurs propriétaires auraient « oublié » de déclarer à l’administration des impôts. Résultats pour l’Espagne : 1,7 million de constructions illégales localisées et 1,25 milliard d’euros collecté en regard. Impressionnant ! Les drones du fisc argentin ne sont pas en reste. La Grèce, après s’être appuyée sur Google Earth, veut maintenant avoir aussi ses drones fiscaux. Un vrai filon. Fini le bon temps de la resquille car les caisses des États sont vides.

Est-ce légal ? Non. Est-ce illégal ? Pas davantage. C’est juste « hors-la-loi » car la loi ne comporte pas de liste limitative des outils de l’administration fiscale (les outils sont rarement de ressort de la loi). Cela existe parce que la technologie le permet et que cela correspond à un besoin ou à une envie. Ce qui n’est pas interdit est autorisé…

C’est alors qu’entrent en scène les défenseurs de la vie privée et de la protection des données personnelles (notamment en Suisse), et on ne peut nier que la propriété d’un bien soit une donnée personnelle, qu’on l’ait déclaré au fisc ou non.

Quel est le cadre réglementaire de cette collecte de données ? La procédure est-elle documentée ? Les intéressés ont-ils été prévenus par une publicité officielle ? L’opération est-elle présentée sous couvert de cartographie du territoire ou d’emblée comme contrôle fiscal ? Qui détient les données (sachant que des entreprises sous-traitantes interviennent dans la manipulation et l’exploitation des drones) ? Que deviennent ces données personnelles en images géolocalisées après le redressement fiscal (i. e. la finalité supposée) ? Combien de temps sont-elles conservées ? Comment sont-elles détruites (s’il est réellement possible de les détruire, ce qui reste peut-être à démontrer). Quel accès à ces archives dans le temps ?

Cet exemple nous change agréablement de la seule surveillance des mails des salariés par l’employeur qui représente au moins 90% des articles relatifs à la cybersurveillance sur le web français. Approche restrictive, voire monomaniaque de la cybersurveillance.

Car la cybersurveillance vise « tout moyen de contrôle technique, sur une personne ou un processus, lié aux nouvelles technologies et plus particulièrement aux réseaux numériques de communication » écrit Murielle Cahen. Cette définition est particulièrement pertinente, contrairement à d’autres ici ou , car elle met en avant les deux composantes du monde numérique : les outils d’une part, le réseau d’autre part, les uns et l’autre formant un couple potentiellement diabolique.

C’est que le numérique est diablement efficace et les humains diablement inconscients quand ils jouent avec le feu. Le numérique, c’est fun. Allons-y !

Puis les bévues suscitent des craintes ; les abus suscitent des plaintes. On juge. On légifère. De nouveaux outils contournent les interdictions ou investissent de nouvelles activités non encore investies par le droit. Un jeu de chat et de souris.

Que penser de tout cela ? Que les technologies numériques auraient finalement accouché d’une simple variante orthographique : on est passé d’une perspective de séjour éprouvant aux Enfers avec Cerbère-surveillance à une vie quotidienne exténuante sous Cyber-surveillance. Même plus besoin d’attendre d’être mort.

Quand on vous dit que tout va plus vite avec le numérique !