On peut dire que le ridicule se porte bien. Les politiques qui étalent sans honte leur incivisme et les people qui exhibent leur niaiserie n’occupent heureusement pas toute la place. Il en reste pour tous ceux qui sont pris au piège de leurs contradictions, laissent voir leurs hésitations et s’obstinent dans l’erreur. Je me classe dans cette dernière catégorie de personnes dans un domaine particulier (mais non exclusif) et très pointu, à savoir la typographie de la ponctuation.

Exposé du problème.

Les règles typographiques de la langue française en France indiquent que certains signes de ponctuation, plus précisément le point d’interrogation, le point d’exclamation, les deux-points et le point virgule, ne doivent pas coller directement au mot qui précède mais en être séparés par une espace. Oui : une espace car, dans ce sens, le mot est féminin ; l’expression exacte est d’ailleurs : « espace fine ».  Précisons qu’en typographie anglaise cette espace n’est pas requise.

Les mêmes règles indiquent que cette espace doit être insécable, c’est-à-dire que si elle se trouve en fin de ligne, elle embarque le groupe « mot + espace + signe de ponctuation » à la ligne suivante.

Le logiciel Word, que j’utilise quotidiennement, gère cela fort bien, dès lors qu’il ne lui prend pas la fantaisie de basculer tout seul dans une autre langue de référence, le plus souvent l’anglais ou le français du Canada, en fichant par terre ladite règle.

Excel, PowerPoint et HTML, que j’utilise également quasi-quotidiennement, sont beaucoup moins coopératifs. Ils ignorent superbement l’insertion de l’espace fine quand je tape « : » ou « ? », et ils ignorent aussi la plupart du temps l’insécabilité de l’espace. Si je crée délibérément une espace, au moyen de la barre d’espacement, le signe de ponctuation est renvoyé tout seul à la ligne suivante. Le raccourci clavier de l’espace insécable «  MAJ+CTRL+barre d’espacement » ne marche pas.

Ce n’est pas un problème informatique. Il y a longtemps que ces questions ont été résolues grâce à l’Unicode qui a codifié tous les caractères typographiques. Cela peut être résolu par un paramétrage ad hoc mais avouons que c’est lassant de ne pas pouvoir disposer d’outils simples à utiliser et, malheureusement, ça ne s’arrange pas avec les années, quoi qu’en dise la pub.

Cette situation me met devant un choix cornélien :

  • adopter les règles typographiques anglaises et abandonner l’espace fine dans mes textes ; ou
  • ajouter manuellement l’espace insécable dans mes documents Excel, PPT ou HTML chaque fois que je ponctue mes phrases.

Jusqu’à présent, je me suis évertuée à tenir bon, intervenant courageusement à chaque renvoi de ligne intempestif, rusant parfois en remplaçant un adjectif par un autre plus long, afin de déjouer le piège. De l’influence de la typographie anglaise sur l’usage des qualificatifs en français…

Mais mon obstination n’est-elle pas ridicule ?

N’est-il pas temps de jeter l’éponge et de cesser de perdre un temps chaque année plus précieux à ces enfantillages ? Je crois que je vais céder à la tentation (mes aïeux me pardonnent !).

Mais quoi ! L’espace est pourtant à la mode : l’espace intersidéral, l’espace culturel Louis Vuitton, l’espace numérique de travail (ENT), mon espace personnel sur www.lassuranceretraite.fr et bien d’autres. Je ne demande pourtant qu’une moitié d’espace. Est-ce trop peu ? Incompréhensible !

Encore un coup d’informaticiens machistes contre les espaces féminines ?

4 commentaires

  1. Un léger vide typographique est-il capable de nous faire ressentir le vertige ?
    Une espace, si fine soit-elle, peut-elle renverser l’Union dans la diversité ?
    L’insécable serait-il ferment de discorde ?

  2. Pour écrire en français, le mieux est d’utiliser la disposition clavier « bépo » qui permet d’écrire en respectant les règles du français sans avoir à compter sur des bidouilles au niveau des programmes.
    De plus, cette disposition est bien plus ergonomique que la disposition azerty.

    • Merci de votre suggestion. Je suis intellectuellement ravie de découvrir le clavier bépo dont j’ignorais tout. Cependant, je ne pense pas que je l’utiliserai car je tape allègrement sur mon clavier Azerty avec mes dix doigts depuis quelques décennies et je me vois mal refaire l’apprentissage du « Portez ce vieux whisky au juge blond qui fume » (cf le billet Dactylo) avec le clavier Bépo, d’autant plus je crains que cela ne règle pas le problème soulevé dans l’utilisation d’Excel et de PPT.

Commentaires fermés