La signifiance est le fait de signifier quelque chose, la qualité d’un objet ou d’un mot de constituer un signe, d’avoir une signification, d’être porteur d’un sens, pour celui qui le voit, l’entend ou le lit. Pour un mot, c’est le fait d’être autre chose que des lettres, des sons.

Or, il y a un type de mot dont la signifiance me laisse à penser : ce sont les sigles dont notre époque use et abuse.

À l’inverse des autres mots dont la signification est liée à l’étymologie, à la morphologie, aux rudiments du langage acquis enfant ou au moment de l’étude d’une langue étrangère, le sigle est un mot que l’on n’apprend pas à l’école, qui ne fait pas appel aux règles classiques de création de nouveaux mots à partir de racines, préfixes et suffixes connus par ailleurs. Le sigle n’est pas sanctionné par une autorité linguistique. Et pourtant, il prolifère (un effet du changement climatique ?).

Abréviations d’expressions trop longues (AETL telles que DGCCRF ou FAMAS…), noms marketing d’une institution ou d’un nouveau produit (EHPAD, MIVILUDES, TNT, SVT, MOOC), moyens mnémotechniques pour retenir des formules complexes (ADN, LSD, SIDA), le sigle peut s’épeler (le DOE pour la SNCF est en PDF), ou se lire en devenant alors un acronyme (les ASSEDIC l’ont placé au SSIAD en lien avec le SAMU). L’utilisateur a parfois le choix de lire ou d’épeler (FAQ).

La siglification est très tendance. À chacun de se débrouiller dans la jungle des sigles ! Ce phénomène m’amuse et m’irrite à la fois.

J’ai toujours adoré les sigles. Il y a quelques décennies (à l’époque où on ne trouvait pas ce genre de chose en un clic sur Internet), j’avais même entrepris une collection de sigles polysémiques. Mon premier était CA (Conseil d’Administration, Courrier Arrivée, Chiffe d’Affaires, Crédit Agricole) ; le fleuron de ma collection était ARAP pour Amélioration des Relations entre l’Administration et le Public, mais aussi pour Amis des Renards et Autres Puants (l’Association pour le Rayonnement de l’Abbaye de Preuilly n’a été créée qu’en 2008).

Ce que j’aime dans les sigles, c’est leur côté multiple, fantaisiste, inattendu : le côté pliage (le mot étant fermé en forme de sigle, on découvre tout un monde en le dépliant) ; le côté pain-surprise (les morceaux se ressemblent de l’extérieur mais chacun est différent, à nous de deviner à quoi le mot est fourré) ; le côté fichier compressé qui s’épanouit comme une fleur quand on l’ouvre…

Et puis il est distrayant de deviner quels sigles prendront racine et deviendront des noms communs ; il en faut car c’est là une façon innovante et populaire de renouveler la langue française (les cégétistes smicards ne me démentiront pas !).

Pourtant, je déteste les sigles. Car si la valeur ajoutée du sigle ne fait aucun doute, son utilisation systématique et incontrôlée a un effet pervers : le sigle embrouille, le sigle exclut, le sigle communautarise.

Le sigle est très répandu dans le monde professionnel et son usage « brut » (sans indication de sa signification en tête du texte) relève du jargon. Or, chaque discipline, chaque communauté a le sien. La polysémie du sigle provoque l’ambiguïté, le quiproquo. Un ERP est-il un Entreprise Ressources Planning (PGI en français…) ou un Établissement Recevant du Public ? SAE veut-il dire Système d’Archivage Électronique, Service des Achats de l’État ou Stage d’Accès à l’Entreprise ? TMA signifie-t-il  TriMéthylAmine ou Tierce Maintenance Applicative ? HTVP renvoie-t-il à la Haute autorité pour la Transparence de la Vie Publique ou à l’Harmonisation Travail-Vie Personnelle ?

Le pire est le snobisme du sigle, la vantardise que véhicule le sigle pour le sigle (le sigle est parfois un alibi pour parler de ce qu’on ne connaît pas), le mépris sous-jacent pour celui ou celle qui ignore la signification de ce sigle et qui soit culpabilise indûment, soit décroche et passe à côté de quelque chose qui est pourtant peut-être intéressant.