Parler d’invariance dans ce monde qui change en permanence, est-ce bien raisonnable ?

D’autant plus que la variance ne date pas d’hier : « Souvent femme varie » dit le proverbe (comme si l’homme ne variait pas et ne changeait pas d’idée comme de chemise…° ; le paysage que l’on regarde n’est jamais le même, de même que le mur de l’internaute sur Facebook ou Linkedin qui change à chaque minute.

C’est que l’invariance ne s’applique pas aux choses et aux gens, mais aux lois de la nature telles que les savants les décrivent et les analysent. Le mot invariance appartient d’abord au vocabulaire de la physique et des mathématiques où elle caractérise des lois.

Invariance me semble donc bien adapté pour qualifier deux « lois » archivistiques que j’observe depuis des décennies maintenant.

Tout d’abord, l’invariance de la bi-fonctionnalité de l’écrit.

Depuis l’invention de l’écriture il y a cinq millénaires, son usage se répartit invariablement entre deux grands objectifs :

  1. noter le savoir et les idées pour les transmettre, à des proches ou aux générations futures, qu’il s’agisse de transmission d’une connaissance ancestrale, de science, de littérature ou de création artistique ;
  2. tracer les actes effectués par les humains dans leurs relations réciproques, dans le but de prouver ce qui a été fait, parce que l’on devra rendre des comptes, ré-exploiter les données, défendre ses droits.

Dans les deux cas, il y a enregistrement de l’information sur un support physique (on retrouve là la définition classique du document), support choisi en fonction de la technologie du moment mais aussi de la nature de l’information. L’invariance de ces deux fonctions de l’écrit a été portée pendant des millénaires par deux couples de mots : livre et document (pour l’objet) et bibliothèque et archives (pour le lieu de conservation). Les deux mondes ont toujours vécu et vivent en harmonie (quand il y a querelle, ce n’est souvent que polémique corporatiste entre les agents chargés de l’écrit).

Le numérique a fait éclater tout cela, m’a-t-on déjà objecté. Je n’en crois rien et je l’ai longuement expliqué dans un article publié par le Bulletin des Bibliothèques de France en 2012 sous le titre « L’opposition millénaire archives/bibliothèques a-t-elle toujours un sens à l’ère du numérique ? », en ligne ici. Certes la « documentation » en tant que discipline et pratique professionnelle dédiée à l’utilisateur s’est immiscée entre le livre et le document d’archives mais cela ne change rien au fondement de la bi-fonctionnalité.

Ensuite, l’invariance de la bi-directionnalité des documents engageants.

Je dis volontiers à mes interlocuteurs qu’il n’y a finalement que deux types de documents à archiver :

  1. les documents liés à une relation hiérarchique (dimension verticale) incluant les décisions évidemment (loi, arrêté, délibération, jugement…), mais aussi les documents qui s’y rattachent (comptes rendus, rapports…) ;
  2. les documents issus d’une relation contractuelle (dimension horizontale) qui englobent les actes co-signés (les contrats) et plus généralement tout document échangé qui se trouve opposable à un tiers.

Là encore, on va me dire que la société connectée chamboule tout cela. Non.

Les données, l’information numérique constitue soit un produit d’information ou de connaissance ; soit une trace informative avec valeur commerciale, administrative, juridique (le clic vaut contrat, la touche « entrée » vaut signature, etc.).

Ce qui change est la façon de nommer les concepts, par suite des évolutions technologiques et des modes sociétales qu’elles induisent, mais pas les concepts eux-mêmes. Jusqu’à preuve du contraire…