Pour qui n’a jamais utilisé ou vu utiliser une pattemouille et ignore le mot, il n’est pas si facile d’en deviner le sens. Il en va de même pour lèchefrite, chattemite, passacaille ou fumeterre. C’est un des charmes de la langue française que ces petits mots colorés dont la lecture évoque clairement quelque chose mais pas toujours ce qu’ils désignent…

Pas de pattemouille à Londres où on se sert d’un damp cloth. À Berlin, pattemouille se dit Bügeltuch, sans équivoque quand on sait que Bügel signifie fer à repasser.

La poésie des mots influe sur la magie des choses. C’est ce que je veux croire car mes souvenirs de pattemouille réveillent merveilleusement mes cinq sens. J’ai si souvent regardé, avec gourmandise, ma grand-mère et ma mère appliquer la pattemouille, avant d’avoir l’âge de tenir le fer sans me brûler pour le faire moi-même. C’est d’abord l’odeur du tas de linge qui sent bon l’air frais et qui a le goût du soleil quand on le porte à la bouche (les torchons plus particulièrement dont l’épaisseur emmagasine davantage de fraîcheur). C’est alors que la pattemouille fait son entrée et décuple les sensations : le clapotis très discret du bol d’eau où l’on trempe le mouchoir reconverti en aide-repassage, la fraîcheur sur les mains quand on déplie la pattemouille pour l’appliquer sur le tissu froissé, le pschitt de la vapeur quand le fer entre en contact avec le linge mouillé, les taches d’humidité qui disparaissent aussi vite que sur du sable chaud, le toucher lisse et tiède du linge repassé comme de la pattemouille elle-même. Et le cycle recommence, pour les vêtements fragiles que le fer brut lustrerait de manière irréversible, mais aussi pour le linge trop sec, ou simplement pour le plaisir.

Avec les progrès de l’électro-ménager (fers à vapeur, dotés de fonctions d’auto-nettoyage et de défroissage), les jours de la pattemouille ne sont-ils pas comptés ? Que disent les dictionnaires ?

Parmi les premiers résultats du moteur de recherche, je note un lien vers Wikipédia. Je clique, machinalement, et me trouve confrontée à ceci :

Cette notice creuse refroidit désagréablement mes souvenirs. Quel écran rabat-joie !

Pourtant, j’aurais pu m’y attendre car ce n’est pas la première fois que la structure d’un site web organise ses pages inexistantes ou les génère à la volée, ou bien que les algorithmes de recherche, politique commerciale aidant, remontent en tête des références inopérantes pour l’utilisateur. Tout cela a un air de publicité mensongère sans charme. C’est la même chose quand je googlise Gustave Tartempion ou Cunégonde Duchemolle, croisés dans une réunion ou sur le Net : j’apprends rapidement – au cas où je ne m’en serais pas aperçue – que Gustave Tartempion n’a rien partagé avec moi sur Google Drive et que Cunégonde Duchemolle n’est pas « encore » mon amie sur Facebook.

Ne suis-je pas trop négative ? Ne devrais-je pas au contraire me réjouir de cette invitation de l’encyclopédie en ligne à contribuer, à partager, à participer ? À défaut d’informations sur la pattemouille, cette coque vide n’est-elle pas plutôt une attention positive ? Le titre de la notice n’est-il pas déjà une reconnaissance de l’existence du mot ? L’attribution d’une étiquette n’est-elle pas déjà la moitié de l’intégration dans la grande famille des mots même s’il n’y a pas de contenu (ou dans la communauté sociale même si on s’en tient là) ? Finalement, le caractère inachevé et superficiel la démarche n’a pas d’importance. Vraiment ?