Ce n’est pas une fake news!

Juste une reformulation caricaturale d’une réalité que chacun peut constater.

Une part notable des communes françaises (et bien d’autres institutions publiques également) a choisi de communiquer via les réseaux sociaux, et plus spécifiquement Facebook. « Malgré l’émergence récente de réseaux concurrents, l’emprise de Facebook confine à une telle situation de quasi-monopole que les collectivités locales l’ont désormais intégré à leur stratégie de communication« , pouvait-on lire dans le Journal des maires déjà en 2017.

Il n’y a pas lieu de s’en étonner quand on sait que le ministère de l’Intérieur, « patron » des collectivités locales, incitait dès 2014 les préfectures à « investir » le réseau social au travers d’un Guide Facebook.

On pourra m’objecter que mon billet vient un peu tard et qu’il n’est pas vraiment d’actualité, entre la perte de vitesse de Facebook dans la compétition des réseaux sociaux aujourd’hui, l’avènement du Métavers qui change les perspectives ou la menace de Zuckerberg de quitter l’Europe proférée début février 2022, mais justement, c’est le moment de faire le point sur la valeur des données collectées et stockées par Facebook, en l’occurrence les données relatives à la vie communale.

Combien de communes sont concernées?

L’article de Ludovic Galtier « Comment les réseaux sociaux transforment la relation maire-citoyen » (avril 2019) cite les chiffres de l’Observatoire social media des territoires pour 2018: 9 % seulement des communes de moins de 10 000 habitants présentes sur les réseaux sociaux en 2018 (contre 70 % des communes de 10 000 à 20 000 habitants).

On imagine une progression de ces chiffres depuis 2018, surtout avec la multiplication des « échanges dématérialisés » induits par la crise sanitaire du Covid-19.

Il serait intéressant d’avoir des statistiques plus précises et, outre la taille des communes, de connaître celles qui ont à la fois un site Internet et une page Facebook, celles qui n’ont que l’un ou l’autre, celles qui n’ont rien. Intéressant aussi de savoir si les communes facebookiennes ont également un groupe Facebook en plus de la page « institutionnelle », si elles disposent d’autres comptes sur d’autres réseaux sociaux, si les élus ont leurs propres comptes, etc.

Mais même sans données statistiques plus pointues, le phénomène est là et mérite attention.

Plusieurs sites abordent la question de l’intérêt de créer une page Facebook pour une commune par exemple ici.

Les arguments visent la politique de communication de la commune, les fonctionnalités du réseau, sa « gratuité », la facilité d’utilisation, les ressources pour l’animation. Très bien. En revanche, le principe de la sous-traitance de la diffusion du discours d’une collectivité à une entreprise privée internationale (en l’occurrence Facebook) n’est pas abordé. C’est ce principe qui est au cœur de ce billet, avec deux questions:

  1. les élus locaux et les populations ont-ils conscience de déléguer à Facebook le soin de la diffusion du discours public?
  2. quelles conséquences de cette sous-traitance pour la conservation de la mémoire collective?

Facebook, prestataire en diffusion de parole communale

Il convient de distinguer, pour une commune donnée, la page « officielle » sur Facebook et les groupes Facebook. Ils n’engagent pas au même niveau.

La page dite « officielle » (les mots sont performatifs…) diffuse les informations sur la collectivité que la mairie doit ou veut adresser à la population concernée. Cette page au mieux double, au pire se substitue au site Internet de la mairie ou encore au bulletin municipal. C’est un discours unidirectionnel des responsables de la collectivité vers les administrés, avec une dimension engageante de la parole publique. Les groupes, eux, permettent l’interaction, les discussions et tiennent à la fois de la conversation spontanée au café du Commerce et des rencontres associatives.

On pourrait définir la page « officielle » comme la transposition technologique du système de naguère composé d’une part d’un affichage dans les locaux de la mairie, d’autre part des annonces faites par le garde-champêtre dans les différents quartiers et hameaux à l’aide de son porte-voix.

La comparaison avec le garde-champêtre exige de pointer les différences. J’en soulignerai deux:

  1. la tournée du garde-champêtre a pour objectif de porter l’information à toute la population concernée là où elle vit; alors que la page Facebook incite les habitants à aller s’informer à l’extérieur du territoire communal. Certes, on peut accéder à la page « officielle » sans compte Facebook (ce qui est mon cas) mais le non-facebookien subit ce sentiment de ne pas être un citoyen à part entière puisqu’une série de pop-up l’incitent à se connecter au réseau et à accepter la politique des cookies du Gafam, une façon de culpabiliser et de marginaliser ceux qui n’ont pas encore « signé là où on leur dit de signer ».
  2. le garde-champêtre est un employé municipal; Facebook est un prestataire (pas un service public!). D’accord, il fait le job de mettre en ligne les informations communales. Mais, contrairement au garde-champêtre qui reçoit un salaire de la commune, le réseau social est « gratuit », ce qui veut dire qu’il se paie autrement, notamment en capitalisant et en exploitant les données associées au fonctionnement de la page.

En exagérant – bien sûr – cela me fait songer aux contes ancestraux où le personnage principal, pressé de jouir d’un bien qu’il convoite sans pouvoir se l’offrir, cède à la proposition d’un mauvais génie d’en disposer immédiatement et gratuitement, ou presque, juste un abandon de sa personnalité ou de sa volonté (au diable l’avenir!).

Car la gratuité, ça se paie!

Les élus municipaux concernés ont-ils conscience de cette privatisation du discours public?

Il est peut-être temps d’inscrire le coût des données et de leur aliénation dans le budget communal…

Quid de l’avenir des données communales sur Facebook?

La seconde question qui découle de la première est le devenir des données communales confiées à la gestion de Facebook. J’entends par « données communales » les informations formulées au nom de la commune et qui font donc partie de la mémoire de la collectivité, en toute logique comme aux termes de la loi sur les archives (code du patrimoine).

La disparition de ces pages hébergées et gérées par Facebook entraînera une disparition des contenus et des visuels qui ne sont pas sauvegardés ailleurs. Est-ce grave? Non, il y a bien d’autres destructions d’archives communales quotidiennes et inconscientes, mais cet abandon habitue insidieusement à un rétrécissement de la mémoire communale.

La question est plus généralement celle de l’archivage des réseaux sociaux. Pour les conversations de café du Commerce, la destruction des données ne serait pas une grande perte et le risque est plutôt le mésusage des données (cette dimension-là est un peu mieux perçue dans la société). Mais pour les informations qui engagent la collectivité, il faut être irresponsable pour ne pas se poser la question de la souveraineté des données essentielles de son institution ou de son entreprise (domaine du records management) et de la constitution d’une mémoire collective contrôlée par les intéressés (domaine de la politique patrimoniale).

Je suis surprise que ce sujet ne préoccupe pas davantage les archivistes. Il est vrai que la pratique courante consistant à ne transférer aux « Archives » que les « tas » visibles accumulés en local depuis cinq ou dix ans (en papier ou en numérique) est bien installée et noie le poisson.

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Finalement, pourquoi écrire sur ces sujets mineurs (les traces écrites de la démocratie locale, c’est mineur, non?)?. C’est comme de faire remarquer que pour avoir connaissance de certaines décisions du président de la République, il faut le suivre sur Twitter ? Allez, circulez, y a pas de sujet, y a rien à voir!