Le titre de ce billet est un clin d’œil à mon dernier livre imprimé (Archiver, et après ? 2007). Il y a dix ans, le « et après » insistait sur ce que archiver veut dire, ses différentes acceptions (technique, logistique, managériale et historique), avec toutes les ramifications de ce geste complexe.

Aujourd’hui, le « et avant » veut mettre en évidence l’importance de se poser la question de la valeur des données AVANT d’archiver, par opposition à cette mauvaise pratique qui consiste à trier APRÈS coup des archives dont on ne maîtrise pas la constitution.

La gestion des archives: vision archéologique (cliché MAC, Italie centrale)

Il y a en effet deux grandes façons d’appréhender l’archivage :

  1. soit on laisse s’accumuler les papiers et fichiers au gré des processus de travail, jusqu’à avoir un gros tas auquel on donne (piteusement ou pompeusement selon le point de vue) le nom d’archives, puis, quand on a le temps ou qu’on y est obligé par une contrainte extérieure (déménagement, audit, contentieux…), on se préoccupe d’en faire le tri ;
  2. soit, au fur et à mesure que l’on s’engage par écrit (ou par mail), que l’on diffuse une idée ou une opinion, que l’on fait un constat, etc. on se pose la question de la portée de cette information, pour soi et pour son entreprise, avant de décider de l’archiver ou non (signifie ici confier sciemment et de manière responsable un objet d’information à un système approprié pour gérer son cycle de vie).

Il y a deux façons d’appréhender l’archivage comme il y a deux façons d’appréhender le jardinage : soit laisser la nature et les mauvaises herbes s’épanouir à leur guise et effectuer, après, un traitement de choc (herbicides, tronçonneuse…) ; soit entretenir régulièrement les plantations et écarter les intrus (faune et flore), au rythme des saisons et dans le respect des caractéristiques de chaque variété végétale.

Le tri des archives a posteriori présente plus d’inconvénients que d’avantages

Un des avantages du traitement archivistique décalé des documents d’entreprise est que l’on aura alors du recul sur les documents : à cinq, dix ou vingt ans de distance, on porte nécessairement sur un groupe de documents un jugement plus synthétique qui permet une évaluation plus rapide des éléments importantes dans un vrac de documents, à condition toutefois que la personne qui effectue le tri ait une bonne connaissance du  contexte de production des documents et de l’évolution de l’activité depuis (pour filer la métaphore, il s’agit en désherbant de ne pas arracher le cerfeuil en laissant prospérer le chiendent !…).

Pour le reste, le tri a posteriori des masses d’archives non contrôlées en amont présentent surtout des inconvénients dont les trois principaux sont :

  1. L’absence d’exhaustivité de la masse triée par rapport au risque documentaire auquel une entreprise est exposée par ses activités ; mon expérience m’a fait voir que, bien souvent, quand on ne trouve pas un document dans les archives, dans le cadre d’un audit ou d’un contentieux, c’est qu’il n’a jamais été archivé. Avec cette pratique, on risque de passer à côté de certaines traces importantes négligées en amont. La preuve est indexée sur l’exhaustivité du périmètre documentaire engageant.
  2. Le tri du stock coûte cher, trop cher au regard de ce qu’il rapporte ; c’est le constat que j’ai fait dans de nombreuses entreprises et établissements ; ces stocks d’archives concernent très majoritairement des données non structurées au sens informatique du terme (courriers, notes, rapports, comptes rendus, présentations…) et, outre le flou initial, leur masse est largement déstructurée puisque non gérée en entrée du système. Le tri s’apparente alors davantage à une expédition archéologique qu’à une remise en ordre : pas de nommage, pas de date, pas de contexte, pas de mention de validation ou de diffusion… Cela conduit le « trieur » à travailler au doigt mouillé ou à ne pas se mouiller du tout et à tout conserver… Et pendant que vous dépensez de fortes sommes à faire décrire par le menu des documents dont les trois quarts n’ont aucun intérêt probant ou un intérêt informationnel infime, vous n’avez plus le temps ou les moyens de gérer l’essentiel (ce qui se passe aujourd’hui et qu’il faut préserver pour demain).
  3. Et avec le numérique, c’est pire : d’une part, parce que le numérique a atomisé la production de l’information (là où on avait un dossier papier qu’un œil humain un peu exercé pouvait évaluer en cinq minutes, on a aujourd’hui 200 fichiers indépendants et je mets quiconque au défi de trier cela sérieusement en moins d’une heure) ; d’autre part, le transfert d’un document numérique vers un système sécurisé qui intervient une ou plusieurs années après la production du fichier ne garantit en rien l’intégrité de celui-ci ; or la preuve est conditionnée à l’intégrité des données.

L’analyse de la valeur avant l’archivage est plus vertueuse que coûteuse

C’est donc bien AVANT d’archiver qu’il faut se poser la question de la valeur des documents, de leur portée, du risque associé, de l’intérêt à les réutiliser un jour, et non APRÈS.

Cette vision de l’archivage est celle du records management dont les principes sont exposés clairement dans la norme ISO 15489 depuis 2001 (sa version révisée a été publiée récemment).

Pour faire un bon archivage, il faut commencer par se préoccuper de la qualité des écrits et autres documents qui tracent les engagements et la mémoire métier de l’entreprise (evidential and informational value). La qualité du document produit est fondamentale : mettre dans un coffre fort un contrat qui n’est pas signé et dont on ne sait pas à qui il a été envoyé n’est pas plus efficace que d’appliquer un cautère sur une jambe de bois. Le records management insiste sur cette qualité initiale des éléments qu’il faudra conserver : précision, complétude, date, validation, références, bref tous ces ingrédients qui constituent l’authenticité, et l’authenticité sera ensuite préservée au moyen de l’intégrité de son support (papier, fichier) tout au long de son cycle de vie.

Au lieu de traiter l’ivraie et le bon grain sur le même plan puis d’investir en tris aussi coûteux qu’hasardeux, on concentre l’effort sur l’identification dès leur création des traces engageantes et mémorielles qui serviront à couvrir les risques documentaires de l’entreprise. Quel est l’intérêt d’archiver les 98 exemplaires d’une décisions ou les 350 versions de la même procédure éclatés dans les différentes composantes d’un système d’information d’entreprise ?

J’entends bien l’argument qui consiste à dire : « mais je ne peux pas savoir aujourd’hui si j’aurai besoin de ce fichier demain ! ». Cet argument ne tient pas vraiment la route : il y a toujours quelques documents imprécis qui nécessitent un traitement différé ou une révision de la règle de conservation, mais dans la grande majorité des cas, il est assez aisé pour le détenteur d’un document de dire si celui-ci a été échangé dans le cadre d’une relation contractuelle ou d’une relation d’autorité (là, on connait les durées de conservation), ou si c’est un document de travail interne, ou s’il comprend des données à caractère personnel, etc. Du reste, l’archivage consiste aussi, après avoir énoncé une règle de vie des documents à leur création, à programmer périodiquement à la fois l’audit des règles et l’audit des documents archivés.

Pratiquer l’archivage comme une prise en compte au quotidien de la valeur des actifs informationnels de l’entreprise est une démarche managériale. Elle engage la direction et responsabilise l’ensemble des collaborateurs. Elle implique le système d’information pour automatiser ou faciliter les actions simples ou répétitives. Elle implique tous les managers et tous les experts pour intégrer aux processus métier l’identification en amont des données et documents qui doivent être créés, conservés ou détruits.

La démarche est donc très différente de la première : on ne laisse plus s’accumuler informations et supports au gré des réorganisations, des changements d’outils ou de l’humeur des collaborateurs, pour déployer ensuite des trésors d’imagination pour rectifier le tir de ce qui n’a pas été bien fait. En un mot, on passe du curatif au préventif.

Il y a déjà plusieurs décennies que la société a compris que le curatif n’est pas un procédé politique pertinent si, à côté, on ne met pas en place des mesures préventives. Tout le monde l’admet dans le domaine de la sécurité routière et dans les pratiques alimentaires. L’actualité des dernières semaines a mis en lumière les progrès à faire dans le domaine de la cybersécurité. Il serait temps, à la veille de la mise en application du Règlement général européen sur la protection des données, d’en prendre aussi conscience pour l’archivage. C’est une question de formation ; si le réflexe est pris, le bon geste au bon moment n’est pas une corvée. Et le ROI (retour sur investissement) est évident !

Conclusion

C’est pour guider et faciliter cette démarche d’identification, AVANT leur archivage, des traces engageantes et mémorielles que j’ai conçu la méthode Arcateg™ :

  • d’abord s’assurer que les risques majeurs sont couverts en identifiant les principales séries décisionnelles, les contrats, les documents visés par les autorités de contrôle et la conformité de l’entreprise à l’environnement réglementaire (encore une fois, le RGDP arrive à grand pas et l’exigence de catégoriser les traitements se fait chaque mois plus pressante) ;
  • ensuite, confier les objets d’information (papier, fichier) au meilleur système capable de le gérer en fonction de sa durée de conservation, de sa confidentialité et de ses besoins d’accès ;
  • enfin, piloter la mise en œuvre avec un outil simple, facile d’utilisation et pérenne.

Et, parce que je suis réaliste et que je sais bien que ces stocks informes existent, Arcateg™ propose une déclinaison simplifiée de son référentiel qui permet de maîtriser le stock de façon intelligente et économique.