Que ce soit dans son acception de vide (0 = rien) ou dans son usage de notation des grands nombres (1 000 000 000 000 de livres ou de rials), sous sa forme chiffrée (0) ou littérale (zéro), le zéro fait partie de la vie quotidienne. Il poursuit même une brillante carrière dans divers slogans politiques : le défi « Faim Zéro » des Nations-Unies, le risque zéro, la « tolérance zéro » ; ou encore la théorie du zéro défaut, l’objectif zéro carbone ou l’ambition du zéro papier.

On remarque au passage que le zéro, qui est initialement un substantif, prend une valeur d’adjectif ou d’adverbe, et qu’il figure aussi bien avant qu’après l’objet appelé à disparaître, comme en d’autres temps la patrouille romaine ou la romaine patrouille…).

Revenons au zéro papier. La formule, succédant au « bureau sans papier » a eu ses heures de gloire dans les années 1990, à l’époque ou le mirage informatique laissait entrevoir un monde virtuel, stratosphérique, un monde où on serait libéré de la pesanteur du papier, des piles de photocopies en nombre pour tous les destinataires ou tous les participants à la réunion, des déplacements d’un bureau à l’autre pour distribuer ou rechercher un document, de la lourdeur des cartons d’archives de la cave au grenier. Le rêve ! Vous êtes confortablement installé dans votre fauteuil et l’information vient à vous ; les documents que vous voulez diffuser s’élancent vers leur cible sur simple clic ou commande vocale.

Ce n’est pas un rêve. La technologie, stricto sensu, permet cela. Alors, comment ce fait-il que trente ans plus tard, le zéro papier soit toujours un mythe et que, pire, les volumes de documents et d’archives papier soient toujours en hausse (même s’il y a des exceptions, notamment le courrier postal) ? Parce que, comme toujours, on a oublié une composante dans le dispositif, en l’occurrence l’éducation.

Parce que économie sans éducation n’est que ruine de l’homme.

On apprend, à l’école ou sur le terrain, à manipuler des outils par le petit bout de la lorgnette sans avoir appris à quoi les outils peuvent servir, comme si on apprenait à manipuler une tronçonneuse sans avoir appris les essences des arbres ; on utilise les technologies numériques sans avoir appris ce qu’est un fichier numérique et comment il remplace ou pas un document papier, comme si on souscrivait à un régime amaigrissant en avalant consciencieusement tous les midis six gélules d’artichaut de Laon hyper-concentré au sortir d’un restaurant gastronomique (et il y a de bonnes adresses à Laon) ; on dématérialise à tout va sans avoir appris à produire, à lire et à archiver un document numérique, comme si on conduisait une voiture de course sans avoir appris ni le code de la route ni l’impact du choc à 200 km/h sur un passant imprudent.

Une des dernières e-publicités des hypermarchés Leclerc est assez symptomatique de la tendance actuelle :

Le message caresse la fibre écologique du consommateur dans le sens du poil (i.e. dans le sens de la fibre) et surfe sur les idées reçues sur l’environnement numérique. Comme si le prospectus ne pouvait être que papier…

Ceux qui croient qu’il suffit de numériser le papier et d’imprimer les mails en sont au degré zéro de l’archivage.

Et ceux qui déchaînent les zéros et les uns sans discernement et sans vergogne méritent un zéro de conduite !