En matière de politesse épistolaire, nous sommes passés en guère plus deux siècles de l’humilité à la cordialité, via la fraternité et la distinction.

Pendant longtemps, dans l’Occident chrétien, tout le monde était officiellement le serviteur de son interlocuteur, à commencer par le pape (servus servorum Dei). On terminait donc naturellement ses lettres par « Je suis… » ou « J’ai l’honneur d’être, Monsieur, votre très humble et très obéissant serviteur », formule systématique et donc assez démocratique.

La Révolution française marque une rupture : « Salut et fraternité » écrivait Danton, volontaire et expéditif. La France a conservé la fraternité dans les frontons républicains mais pour ce qui est de s’adresser au préfet ou au ministre, la déférence a rapidement repris ses droits. Le profond respect et la considération distinguée se sont imposés, au moins dans la correspondance administrative (bien que l’humble serviteur ait perduré jusque dans la seconde moitié du XIXe siècle), avec des nuances selon les circonstances comme le montrent les ouvrages du préfet Gandouin régulièrement réédités depuis les années 1960.

Un site Internet actuel qui offre 8000 modèles de lettres propose toujours des formules soigneusement codifiées selon le titre ou la fonction du destinataire : les « salutations distinguées » sont de mises pour un professeur d’université, un sous-préfet ou un docteur, mais les « cordiales salutations » suffisent pour un responsable de l’assurance maladie ou un professeur des écoles… (subtilités que l’Ancien Régime ignorait).

Depuis une quinzaine d’années, la messagerie électronique fait prendre un tournant radical à la correspondance. Comme on écrit aujourd’hui vingt mails pour un échange qui naguère se contentait de deux courriers papier (mis en forme par une secrétaire), le raccourcissement des formules était inévitable. « Cordialement », adverbe jusque-là peu usité dans les formules de politesse, s’est répandu assez vite, équivalent de l’anglais sincerely, avec de petites variantes : « Bien cordialement », « Très cordialement » voire « Cordialités », plus rare mais propre, étymologiquement, à vous stimuler le cœur pour toute la journée, à la manière d’un cordial roboratif. Et c’est vrai qu’on en reprendrait bien un petit verre !

Il est curieux d’observer comment l’outil façonne les mœurs et le rôle que jouent la langue et la culture dans l’affaire, le français réagissant assurément différemment de l’anglais, du russe ou du japonais…