Toute personne intéressée par les cahiers de doléances / cahiers citoyens du Grand débat national de 2019 peut désormais consulter sur ce site les transcriptions des cahiers de 35 communes de Charente-Maritime. Aux 14 communes dont les cahiers ont été mis en ligne en février dernier, s’ajoutent ceux de :

Balanzac, Fontcouverte, Le Bois-Plage-en-Ré, L’Houmeau, Lonzac, Nachamps, Plassay, Saint-Dizant-du-Gua, Saint-Georges-de-Didonne, Saint-Julien-de-l’Escap, Saint-Nazaire-sur-Charente, Saint-Pierre-du-Palais, Saint-Sauveur-d’Aunis, Saint-Sulpice-d’Arnoult, Saint-Trojan-les-Bains, Saint-Xandre, Surgères, Thaims, Trizay, Vaux-sur-Mer, Villexavier.

Ce second lot a été choisi, comme le premier, en combinant des critères géographiques, démographiques et archivistiques.

Les 14 premiers cahiers regroupent 239 contributions (de 140 mots en moyenne) et les 21 nouveaux comportent également 239 contributions, deux fois plus longues en moyenne que pour le groupe précédent (en tenant compte d’une très longue contribution de près de 4000 mots). Ce sont donc au total près de 100 000 mots (99187 pour être précis) en 478 contributions (sur les 3138 pour l’ensemble du la Charente-Maritime) soit environ 15 % de la collection départementale.

À noter que les contributions manuscrites représentent 82 % des 478 contributions et « seulement » 57 % des mots de ces mêmes 478 contributions.

À noter également que 5 des 35 cahiers sont vierges mais que leur couverture ou la présentation du cahier est en soi intéressante (il y a 95 cahiers vierges sur les 451 cahiers de Charente-Maritime).

Les différents cahiers sont téléchargeables sur la page « Édition de cahiers » en cliquant sur le nom de la commune.

En attendant la réalisation de l’ambitieux projet d’une plateforme nationale pour la mise en ligne de l’ensemble des cahiers, relayée notamment le 15 avril 2024 dans Le Monde, je poursuis mes travaux d’analyse et de partage de ces analyses. J’espère que les habitants des 35 communes concernées (et plus précisément ceux et celles qui y ont contribué) pourront les consulter, de même que les élus locaux de Charente-Maritime ou d’ailleurs. Les chercheurs et curieux du contenu difficilement accessible de cette expression démocratique sans précédent pourront y trouver un échantillon utile à leurs réflexions : certes, il s’agit d’une transcription des cahiers avec très peu d’images du document original, mais ces textes sont « cherchables » (CRTL+F). Les textes ont été corrigés (orthographe, coquilles, majuscules et ponctuation) pour faciliter la lecture et la recherche plein texte ; l’inconvénient est que ce choix ne permet pas d’appréhender la maîtrise de l’orthographe chez les contributeurs et il faut pour cela se reporter aux originaux, mais, même en respectant l’orthographe, la transcription aurait de toute façon masqué l’écriture (du moins pour le manuscrit), élément tout aussi important pour appréhender le profil du scripteur.

Espérons que le projet de plateforme nationale évoqué ci-dessus donnera accès à la fois aux transcriptions et à l’image des contributions.

Confirmation de la variété et de la richesse des contributions

Ce deuxième lot de cahiers confirme les conclusions de la première analyse basée sur une description sommaire des 3138 contributions (voir les précédents billets, principalement l’analyse du premier lot) :

  • pluralité des formes de contributions, de la liste à puces de revendications à la longue dissertation, du témoignage de vie aux propositions de réforme, de l’exposé d’un souhait personnel au plaidoyer pour un monde meilleur ;
  • pluralité de ton, de la colère à la déférence, en passant par la détermination et le doute ;
  • population diversifiée avec une majorité de retraités ;
  • relation au mouvement des Gilets jaunes nuancé : soutien ou sympathie pour une part, dénonciation pour quelques-uns, neutralité pour d’autres ;
  • expressions revendicatives récurrentes, souvent issues des listes des « Gilets jaunes » (retour de l’ISF, suppression de la hausse sur la CSG, RIC, baisse de la TVA sur les produits de première nécessité, retour aux 90 km/h sur les routes départementales, etc.) et propositions rédigées en réponse aux quatre thèmes de débat fixés par le chef de l’État (fiscalité, écologie, organisation de l’État, démocratie) ;
  • préoccupations locales, nationales mais aussi européennes et mondiales ;
  • richesse des contributions en termes d’opinions et d’idées avec des suggestions parfois très originales comme le droit de vote dès la naissance (Saint-Xandre, n° 42) ou la construction nationale d’une « voiture du peuple » écologique sur la base d’un moteur à pile à combustible (Saint-Georges-de-Didonne, n° 1) ;

Les mots dans leur contexte

Un des premiers avantages de la transcription des cahiers est de pouvoir y faire des recherches « plein texte » et, dès lors qu’on veut être un peu sérieux, de remettre les mots dans leur contexte pour en tirer d’éventuelles conclusions.

À titre d’exemple, la recherche du mot « peuple » dans ce corpus de 35 cahiers indique une occurrence de 89 concernant 54 contributions distinctes (11 % du corpus). En considérant la phrase dans son ensemble, on note les occurrences et contextes suivants:

17 concernant la représentativité, les élections, la relation avec le gouvernement :

« La parole doit être donnée au peuple, pas seulement aux élus » (Fontenet, n° 3)

« L’interlocuteur entre l’État et le peuple doit rester le ou la député » (Saint-Césaire, n° 7).

« Abroger la loi du 3 janvier 1973 (Pompidou) qui a endetté la France alors que notre dette est illégitime pour le peuple. […] Faire en sorte que nos élus doivent pouvoir rendre des comptes au peuple » (Saint-Julien-de-l’Escap, n° 1).

« Consulter le peuple par référendum sur toute question qui aurait une incidence sur la vie des citoyens dans notre société » (Saint-Xandre, n° 18).

« En France, entre le peuple et le gouvernement, il y a les corps intermédiaires… […] Les événements « Gilets jaunes » ont court-circuité ces organisations intermédiaires, disant qu’ils représentaient le peuple » (Saint-Xandre, n° 23).

16 autour de l’écoute et du respect (par opposition au mépris) :

« Étant citoyen du peuple français accomplissant son devoir d’électeur, je vous remercie d’adresser mes doléances au gouvernement actuel qui méprise une certaine classe de son peuple » (Bourcefranc-le-Chapus, n° 10).

« Certains députés, conseillers, etc. ont des propos, des qualificatifs qui ne font qu’accroître la colère du peuple » (Nancras, n° 2)

« Je ne suis pas « révolutionnaire » mais un Français tout simplement qui souhaite que vous, Monsieur le Président, soyez le président de Tous les Français et à l’écoute de Votre peuple » Saint-Sulpice-d’Arnoult, n° 1).

« …. j’aimerais attirer votre attention sur le fait que le peuple de France n’a pas été entendu par le président de la République » (Surgères, n° 7).

10 concernant la pauvreté et l’appauvrissement :

« Je suis veuve. Je demande au nom de peuple de ne plus payer 2 fois par an la taxe sur les poubelles, et la taxe d’habitation car j’ai 83 ans » (Marans, n° 5).

« … l’argent des plus riches ne va pas se répandre sur le petit peuple par je ne sais quel miraculeux ruissellement » (Saint-Hilaire-de-Villefranche, n° 1).

« Le peuple s’appauvrit, trop de misère sociale, ça me fend le cœur. […] Le peuple s’impatiente, se met en colère, trop d’inégalités » Saint-Xandre, n° 13).

« Halte à l’organisation de la précarité et de l’appauvrissement du peuple » (Vaux-sur-Mer, n° 8).

3 concernant la liberté, la révolution :

« Il me semblait qu’en 1789, le peuple français avait aboli les privilèges !!! » (Fontenet, n° 2).

L’ordre de présentation des revendications

L’intérêt d’appréhender les contributions dans leur ensemble est de pouvoir étudier l’ordre dans lequel les participants expriment leurs doléances et revendications, que cet ordonnancement soit conscient et délibéré, fortuit ou intuitif. On peut ainsi observer comment s’articulent les priorités, si toutefois mettre telle revendication en tête plutôt que telle autre correspond à une priorité dans l’esprit du contributeur.

De nombreuses « petites listes » sont composées de revendications introduites par un verbe (augmenter, baisser, supprimer, rétablir…) ou par les substantifs correspondant (augmentation, baisse, suppression, rétablissement…). Certaines revendications visent à obtenir plus pour soi ou pour sa catégorie sociale (augmentation des salaires et des retraites, baisse de la TVA) tandis que d’autres visent à ce qu’une autre catégorie de personnes obtienne moins, en l’occurrence les élites (élus, ministres, présidents) et dans une nettement moindre mesure les étrangers.

Ce qui est notable est que la première revendication est assez régulièrement pour que d’autres obtiennent moins, ce qui pose la question de la valeur symbolique de la réclamation car, comptablement, donner moins à certains groupes (par exemple, la baisse de la rémunération des députés) ne permettrait pas d’abonder de beaucoup les revenus des salariés ou retraités (les deux opérations ne sont du reste quasiment jamais chiffrées).

Voici 5 « petites listes » représentatives de cette remarque :

Corme-Écluse (n° 7) :

Rétablir ISF.

Stop à la hausse des taxes.

Augmentations des salaires et des retraites. Contrôles fiscaux.

Casier judiciaire / pour le gouvernement.

Stop des augmentations des salaires des ministres, députés.

Rochefort (n° 88) :

Diminuer le nombre de députés par 2, ainsi que les sénateurs.

Indexer les retraites sur l’indice du coût de la vie.

Enlever la CSG sur les retraites.

Que les pensions demande réversion ne soient pas diminuées.

Plassay (n° 1) :

1/ Fin des retraites après le mandat.

2/ Augmentation du SMIC.

3/ Arrêt immédiat des impôts indirects (TVA, carburant, etc.)

4/ Diminution du train de vie exagérée de nos élus (service de table).

5/ Et arrêt immédiat de prendre l’argent où il y en a plus.

6/ Arrêt de taxer les retraités.

Saint-Xandre (n° 11) :

Indexation des retraites sur l’inflation.

Diminution on suppression des privilèges des politiques.

Baisse de la TVA sur l’énergie.

Surgères (n° 19) :

Arrêt des privilèges des anciens présidents (voiture de fonction, police en garde devant les entrées des résidences) : ceux-ci sont redevenus simples citoyens.

Augmentation des retraites.

Moins de députés et suppression des avantages, diminution de leurs rémunérations.

Vitesse de 80 h à 90 km heure.

Arrêt du RSA aux personnes chez eux à ne pas cherche de travail et j’en connais…

Ces extraits donnent une petite idée de ce qu’on pourrait faire. Un algorithme approprié permettrait d’aller plus loin. À suivre.

Les longues contributions manuscrites

Pour terminer la présentation du corpus, je veux mettre en avant les longues contributions manuscrites que l’on trouve dans les cahiers et qui ont été les plus maltraitées lors de l’exploitation des « données » par les prestataires du gouvernement dans l’hiver 2019 (découpage des textes, en phrases ou « idées » rattachables ou pas au référentiel prédéfini, mise à l’écart des opinions et ressentis, marginalisation des écritures manuscrites jugées illisibles).

On compte 12 contributions, sur les 478, comportent 1000 mots ou plus. Quatre d’entre elles sont manuscrites :

1] La plus longue est la contribution unique de la commune de Thaims, rédigée par un homme qui ne donne pas ses coordonnées et ne date pas son texte. Intitulée « Réflexions dans le cadre des cahiers de doléances », elle remplit 14 pages du cahier (3914 mots) et commence par un constat assez sombre de la situation avant de détailler les souhaits de l’auteur, pour conclure :

Finalement, je pense qu’il faut :

      • de l’écoute,
      • du respect,
      • une représentation nationale non partisane doublée d’
      • une démocratie directe faisant appel au référendum,
      • des dirigeants, des administrations pragmatiques,
      • bannir la technocratie,
      • une politique sans influence de réseaux divers,
      • des mesures assumées et non justifiées de faux motifs,
      • une politique financière plus équilibrée et plus juste,
      • faire attention à ne pas créer des fossés entre les générations, entre actifs et retraités,
      • ne pas faire porter sur la classe moyenne la majeure partie des dépenses de l’État et des prélèvements sociaux,
      • ne pas sanctionner les retraités et supprimer l’augmentation de la CSG, et rétablir l’indexation des pensions à l’augmentation du coût de la vie,
      • revoir la suppression de l’ISF, et aménager un système qui permette aux grosses fortunes de participer aussi à l’effort national fiscal,
      • redonner du pouvoir d’achat à la classe moyenne,
      • favoriser l’économie, et non la finance,
      • encourager l’emploi par notamment une réglementation plus simple,
      • éviter la mort des petites zones rurales,
      • mieux équilibrer les dessertes routières, ferroviaires, aériennes,
      • maintenir des services publics en milieu rural,
      • faire attention que certaines mesures écologiques freinent trop voire nuisent à l’économie et au pouvoir d’achat,
      • revoir la politique de sécurité routière, très contestée et perçue comme une pompe à fric.

2] Un habitant de Marans qui donne son nom inscrit une contribution de 1040 mots, datée du 18 janvier 2019 (Marans, n° 28).

L’auteur précise dans un préambule : « Je comprends la révolte des Gilets jaunes. Je suis juste surpris qu’elle n’ait pas eu lieu plus tôt » mais il en dénonce les excès et la violence. Sa contribution aborde les thèmes suivants, en décalage avec les thèmes officiels :

  • Pouvoir d’achat. Économique et social.
  • Environnement
  • La dette
  • Fracture numérique. Diagonale du vide et lien social
  • Le RIC
  • L’Europe
  • La violence
  • Immigration

Et de citer un poète et un philosophe pour conclure : René Char (« Évite le plus possible les hommes dans leur énigmatique maladie à faire des nœuds ») et Cornelius Castoriadis (« Il y a deux périls à éviter : la résignation et l’insignifiance ».

3] Une contribution anonyme et plurielle, non datée, figure dans les dernières pages du cahier de Rochefort donc sans doute en février 2019 (Rochefort, n° 97).

Elle consiste en deux grandes feuilles collées dans le cahier, écrites à l’encre bleue avec de nombreuses lignes ou expressions surlignées en jaune (1465 mots). Elle est accompagnée d’un petit mot à l’adresse du Maire : « N’ayant pas Internet, vous êtes notre seul relais vers la synthèse nationale du site www.granddebat.fr. Même si les revendications ne sont pas dans vos idées politiques, j’espère que vous aurez la courtoisie de les faire remonter. Merci de votre contribution à cette pétition multiple ».

Le texte est structuré en 15 points qui n’ont pas tous de titres. Les sujets abordés sont : les injustices fiscales et sociales en France, la TVA, les salaires et retraites, les taxes et impôts, les privilèges, les services publics dans la ruralité, l’écologie, l’Europe, la politique, l’immigration, le gaspillage de l’argent public, les prisons, les mises à l’écart sociales.

4] La seconde contribution (sur 4) du cahier de Saint-Pierre-du-Palais occupe la majeure partie de ce cahier avec ses 8 pages (sans marges) et 1589 mots. Elle est rédigée par une femme qui donne son nom et indique la date du 20 février 2019 (la toute fin de la période d’ouverture des cahiers). C’est une longue lettre sans titres intermédiaires ou numérotation.

Cette femme analyse la situation, depuis l’élection légitime du président de la République en 2017 : déconnexion des élites, inégalités, pression sur la classe moyenne, isolement des campagnes, isolement des personnes âgées, artificialisation des sols, etc. Elle pose certaines questions auxquelles est donne sa réponse, par exemple : « Le général de Gaulle avait prévu la présence des anciens présidents de la République au Conseil constitutionnel pour offrir une compensation à René Coty dont le mandat était écourté par la création de la Ve République. Est-ce justifié aujourd’hui ? Non. »

L’analyse se conclut par ces mots : « Les cahiers de doléances de 1789 montrent que les Français aimaient Louis XVI et ne souhaitait pas la fin de la monarchie ; ils voulaient la fin des privilèges et des réformes. Comment en est-on arrivé à l’abolition de la monarchie en 1792… ? Il y a une France d’en bas qui n’a pas enfilé de gilet jaune, qui réprouve la violence hebdomadaire. Cette France-là qui a des difficultés respectera la démocratie, elle montrera son mécontentement grâce a son bulletin de vote ».

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Et il y a encore beaucoup à dire, et à faire.

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