Les archives ont-elles un sexe ?

Voilà une question qui pour une période de campagne électorale est suffisamment neutre.

Comment ça, neutre ? !

Pour nos amis anglophones peut-être (the record and its metadata), ou pour nos amis germanophones (das Archiv) voire latinophones (archivum). Mais en français, pour sûr, les archives ne sont pas neutres. Elles sont féminines !

Archives est un féminin pluriel, comme le sont les doux mots amours, délices ou orgues, les trois mots hermaphrodites de la langue française. Sauf qu’on ne dit pas « un archive » au singulier. Archives n’existe pas officiellement au singulier ;  l’Académie ne l’autorise pas. Ou plutôt le singulier du mot archives est « un document d’archives », comme l’indique très justement le Dictionnaire des archives publié par l’Afnor en 1992, sous la direction de Bruno Delmas. Depuis, archive au singulier prolifère, avec des sens variés, dans les institutions mêmes où, il y a dix ou quinze ans, on clouait au pilori celui (ou celle…) qui osait parler « d’archive ». Autres temps, autres mœurs…

Mais revenons à la sexualité, avec ses deux volets : la reproduction et le plaisir.

La reproduction des archives est un phénomène assez bien étudié au cours des âges.

Il a fallu quelques siècles pour passer de la copie manuscrite (avec ses nuances d’écriture) à la copie auto-carbonée, pâle et dégradée. Puis tout cela a été balayé par les photocopieurs avec leur accélération de reproduction, qui fait penser aux lapins ou aux souris. Enfin la reproduction numérique a quasiment remplacé ces vieilles pratiques analogiques : avec les scanners et la messagerie électronique, les archives se reproduisent sans même avoir le temps de dire « ouf ! ». Ce n’est plus de la reproduction ; c’est du clonage industriel. La gémellité d’antan (l’original et son double) est complètement dépassée ; à l’ère numérique, on a aisément des quintuplés, des sextuplés, des  centuplés… La comparaison avec les mammifères, même les plus féconds, n’est plus de mise ; l’image du  poisson s’impose.

Et le plaisir dans tout ça ?

Oh ! Il suffit d’être un tantinet voyeur pour réaliser qu’il y a là-dedans toutes les apparences du plaisir : ici, des dossiers bien musclés  se vautrent dans les archives,  des métadonnées s’agrippent à leur fichier, d’autres  données, lassées de leur format, le quittent pour un autre… Ailleurs, des répertoires d’un jour s’emboîtent dans des arborescences  libres de toutes règles, des documents nus s’entassent dans des zips de hasard. Là, des pièces, parfois étrangères, sont attachées à des mails particulièrement  engageants et ils/elles s’empilent les uns sur les unes avec une application licencieuse alors même que l’application a perdu toute licence… Plus loin, des écrits de tous poils s’enlacent, s’entrelacent et se prélassent dans des chemises de couleur. A l’étage, des feuillets de papier se collent à la pochette plastique qui les serre de trop près, des originaux et des copies sont imbriqués les unes dans les autres de sorte qu’il devient difficile de démêler le tien du mien … Un vrai kamasutra archival !

Sans oublier tous ces documents implacablement soumis aux durées légales de conservation…

Et le poète de chanter : l’archive est l’avenir du document, la la la.

14 commentaires

  1. Les archives n’ont pas plus de sexe que les anges, car elles n’existent pas (contrairement aux anges, bien sûr…). Quand on archive un truc, on fait en sorte qu’il puisse être retrouvé. Mais on ne le transforme pas pour autant (sinon, d’ailleurs, ça ne serait plus un original) et donc ce truc reste ce qu’il était. Il ne devient pas une « archive », sous le fallacieux prétexte qu’il est archivé. Du reste, c’est pareil quand on « range » quelque chose : on ne l’appelle pas un « range ». Et nous, archivistes, on sait bien qu’en fait, on ne fait que ranger, ranger, ranger…

    • Merci Pierre. D’accord avec le premier constat. Moins avec le second, si ce n’est que range rime avec ange… car jadis et naguère, archiver produisait bien l’archive. Et écrire produit bien un écrit, sculpter une sculpture, cuisiner une cuisine (bonne ou mauvais, selon), etc.
      Pour ma part, je déteste ranger, mais suis-je archiviste ?

  2. Que se cachent-ils comme mystères au fond de mes archives?
    Certainement des trésors attrayants à conserver jalousement.
    Cela me fait penser à l’appel des sirènes à la fois redouté et tant attendu.
    En plus, en matière d’archivage, le gardien du temple et une gardienne (du moins dans nos contrées).

    Pour sûr, les archives sont féminines…

  3. Le printemps va bien à MAC qui nous signe là un joli billet de saison ! Au début donc, ce sont les manifestations suivantes: les yeux piquent, on ressent des picotements dans la gorge et le palais, parfois dans les oreilles et même dans le bas ventre. Il y a bien sûr une gêne respiratoire. On observe également des réactions sur la peau… Qu’on se rassure, ce sont évidemment des symptômes d’une allergie typique aux pollens.. un fort joli billet de saison donc !

  4. En portugais, arquivos est masculin pluriel… mais arquivo se dit au singulier pour désigner le bâtiment. Tant qu’on ne confond pas, comme les Anglais, le genre et le sexe, on s’en sortira…

  5. En Roumain c’est féminin; c’est pourquoi j’aime les archives. Dernièrement, le Kamasutra-archivistique est devenu virtuel…:)

  6. Un billet comme celui-ci, j’en rêvais, merci Marie-Anne!
    Je m’en vais de ce pas conférer avec mes compatriotes hispanophones car en espagnol, le sexe des archives est masculin. Les archives ibero-américaines seraient-elles plus viriles?
    De la sexualité à la sensualité: je crains qu’avec les supports numériques, si les conditions de reproduction sont plus faciles, en revanche nous ayons perdu en sensualité. Ah!!! Le parfum du papier quand on pénètre dans un magasin d’archives, les petits frissons quand on touche un manuscrit…
    Enfin, la sexualité des archives pouvant contaminer celle des archivistes, ne me dites pas que vous n’avez jamais fantasmé dans un dépôt d’archives !

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