La sténo est une méthode. La dactylo est une femme. La sténo-dactylo est une femme également mais de là à conclure que la femme est plus importante que la méthode, il y a un pas que je me garderai bien de franchir…

Toujours est-il que les dactylos ont quasiment disparu de l’entreprise ou se sont regroupées dans des sociétés de services pour de la saisie au kilomètre. La dactylo est devenue un personnage de roman ou de film rétro, comme dans Populaire.

La dactylo est parfois requalifiée en assistante et souvent remplacée par rien du tout, son travail étant délégué à tous ses anciens clients : les rédacteurs de notes, de courriers, de rapports et autres tableaux. La dactylo disparaît parce que le monde du travail évolue et que chaque époque voit son quota de métiers qui mutent. La dactylo disparaît mais le clavier reste et se répand. On pourrait même dire que c’est la multiplication des claviers qui a tué la dactylo. Plus exactement, c’est la généralisation de la bureautique qui a enlevé à la dactylo la justification de son poste en le redéployant sur l’ensemble des acteurs de l’écrit.

Ce billet veut attirer l’attention sur le fait que la dactylographie disparait avec la dactylo, ce qui n’est pas justifié. L’enseignement de la dactylographie se limite aux toujours plus rares écoles de secrétariat alors que l’utilisation du clavier a fait un bond gigantesque. Ceci est fort regrettable car c’est une perte caractérisée de confort à une époque où les nouveautés technologiques prétendent en apporter toujours plus (de confort).

Au cours du XXe siècle déjà,  quelques professionnels de l’écrit, travailleurs indépendants (écrivains, journalistes ou étudiants), s’étaient dotés d’une machine à écrire sans s’initier à la méthode de frappe des dactylos, se démarquant d’elles justement – statut oblige – par la frappe à deux doigts. L’arrivée de l’ordinateur individuel a totalement démocratisé l’usage de l’objet clavier sans former à son utilisation pragmatique, laissant chaque individu, du technicien au professeur et du gestionnaire au patron, aux prises avec un outil têtu. Pas facile d’apprivoiser les touches, on tâtonne avec deux ou trois doigts, les yeux rivés sur le clavier, s’échinant à se défaire du réflexe de la série alphabétique des vingt-six lettres de A à Z au profil du saugrenu AZERTY, s’obligeant à épeler mentalement chaque mot, peinant sous l’effort sans oser penser à la facilité de l’écriture manuscrite acquise à l’école primaire. On finit par matérialiser quelques phrases par petites impulsions successives et désordonnées avant de s’apercevoir que le texte qui s’est formé sur l’écran n’est pas celui qui devrait s’y trouver… Il faut alors recommencer car il faut bien que ce document parte ce soir (depuis que Simone a pris sa retraite, il n’y a personne d’autre pour le faire !). Soupir. Re-soupir…

La dactylographie est l’aptitude à saisir un texte sur un clavier à l’aide de ses dix doigts, sans regarder le clavier, efficacement et en toute quiétude. La dactylographie est bonne pour le dos car elle évite de se tenir penché sur le clavier. La dactylographie est bonne pour le stress car, grâce à elle, on peut se  concentrer mentalement sur le texte que l’on est en train de composer ou visuellement sur le document que l’on est en train de recopier, sereinement, les mains prenant en charge l’écriture, sans qu’on y réfléchisse, comme on fait avec l’écriture manuscrite. Surtout, la maîtrise de la dactylographie permet de regarder le résultat de sa saisie, ou de regarder son interlocuteur (ce qui peut être agréable) ou encore de regarder ce qui se passe autour de soi ou par la fenêtre. En un mot, c’est cool. Et c’est rapide : la vitesse moyenne de saisie d’une dactylo est de soixante mots à la minute, les championnes de concours dépassant les cent-cinquante mots/minute, tandis que l’écriture manuscrite correspondant à environ vingt-cinq mots à la minute.

À la clé, évidemment, il y a un petit investissement : il faut apprendre les touches, acquérir quelques automatismes et pratiquer jusqu’à se sentir à l’aise, exactement comme on le fait quand on apprend à conduire ou qu’on apprend à faire des gammes au piano. Le stagiaire devra par exemple taper une centaine de fois sans regarder ses mains « Portez ce vieux whisky au juge blond qui fume », phrase qui comporte toutes les lettres de l’alphabet (un pangramme) et qui est donc optimale pour s’exercer à la maîtrise du clavier. Or, tant à cause de l’alcool que du tabac, cette phrase n’est plus politiquement correcte. C’est sans doute la raison de l’abandon de la dactylographie. Sinon, quoi d’autre ?

4 commentaires

  1. Je suis ébahi depuis toujours par les écrivains (j’en suis un moi-même) qui tapent sans regarder leur clavier. Et vite. On m’a souvent dit et répété que je ferais bien de me mettre à la dactylographie. Parce que ça irait plus vite.
    – Plus vite que quoi? demandé-je chaque fois.
    – Tu écrirais à la vitesse de ta pensée, me répond-on.
    Voire… Même avec deux doigts, et en regardant le clavier, j’écris plus vite que je ne pense. Et je vous assure que, pourtant, je ne tape pas vite…
    Quoi qu’il en soit, je préfère penser comme une tortue qu’écrire comme un lièvre. Certains romanciers gagneraient sans doute à m’imiter…

    • L’essentiel est que la vitesse de ta pensée et celle de ton écriture soient à l’unisson. L’harmonie entre les deux est plus importante que chacun des deux termes de la comparaison. Il y a aussi les écrivains qui n’utilisent pas du tout le clavier car ils trouvent qu’écrire à l’ordinateur va moins vite qu’écrire avec un crayon ou un stylo, comme Max Gallo (interviewé le 7 mars 2012 sur France-Info).
      La dactylo, c’est un peu comme le robot ménager : pour râper des carottes, le robot va plus vite (si on ne compte pas la vaisselle) que la râpe manuelle. Et puis, il y a ceux qui aiment le bruit du robot, ceux qui apprécient la sensation de la râpe sous les doigts et ceux qui préfèrent croquer les carottes crues (mayonnaise, sauce cocktail ou tzatziki)…

  2. Génial ces articles, j’adore la sténo (que j’ai appris à l’école), la dactylo (qui impressionne ! mais elle ne regarde pas son clavier …) Je vais bientôt apprendre la sténotypie (ça m’interesse), bref, tout est dit dans vos articles, je vous félicite.

    Anna

    • Merci pour votre commentaire et bon courage pour vos projets. Mais comment utilisez-vous les touches de votre smartphone (si vous en avez un) ? Quant à moi, je vous donne rendez-vous lundi prochain pour finir la trilogie « Sténo-dactylo-…o ».

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