Une fois n’est pas coutume, j’emprunte le mot de la semaine à l’actualité, plus précisément à l’actualité judiciaire.

Le Conseil supérieur de la magistrature (CSM) vient de sanctionner deux magistrats pour avoir twitté lors d’une audience de la cour d’assises des Landes en novembre 2012. Le contenu des tweets n’est ni diffamatoire ni divulgatoire ; ce sont des plaisanteries de professionnels farceurs et impatients, à savoir : « On a le droit de gifler un témoin? » ou « Question de jurisprudence: un assesseur exaspéré qui étrangle sa présidente, ça vaut combien? ».

Un des intéressés a reconnu devant le CSM être allé trop loin dans son geste (le geste de tweeter) et s’est défendu en disant que Twitter constituait « une sorte d’exutoire » dont il usait dans les moments où il n’avait pas besoin d’être très attentif.

Le tweet comme exutoire. Le terme est parfaitement adapté soit, dans le sens figuré du terme : une activité qui sert à détourner un excès d’une énergie, d’un tempérament, d’un sentiment.

Les magistrats en cause sont assez représentatifs d’un comportement de plus en plus courant. On en a marre d’attendre son tour de parole, on est énervé par celui qui parle, on a accumulé la tension nerveuse, on a des copains avec qui on aime bien rigoler, on a des outils aussi malins qu’élégants (smart) et on se lâche, sans plus songer qu’il y a des milliers de personnes connectées, dont un bon nombre à l’affut de la petite phrase marrante pour tromper leur ennui professionnel et la sinistrose ambiante, comme ils regarderaient un film de série B. Ces tweets de magistrats ont un côté potache plutôt sympathique mais leur attitude est surtout révélatrice de la confusion croissante entre sphère professionnelle et sphère privée du fait de la sollicitation permanente des outils de communication, avec les déboires inévitables que cette confusion provoque.

Le fait qu’un magistrat, un greffier, un membre de directoire ou de conseil d’administration s’ennuie un tantinet en séance et exprime son trop plein d’idées ou de sentiments par une petite phrase ou une caricature ne date pas d’hier. Les archivistes le savent bien qui se sont trouvés face à des registres de toutes les époques présentant dans la marge ou dans la graphie la trace de ces petits écarts. La photo ci-dessous, empruntée au site des Archives de la Mayenne, montre le dessin réalisé au XVIe siècle, selon toute vraisemblance par un greffier au cours d’une audience, et signalé par Édith Surcouf lors du classement des archives judiciaires de l’Ancien régime (lesquelles constituent la série B des Archives départementales).

Ce qui a changé dans la société, ce pas le geste exutoire, c’est l’outil d’expression.

Il est intéressant de voir comment la presse a relayé la décision du Conseil supérieur de la magistrature. Europe1 choisit un titre factuel : « Pour le CSM, un magistrat ne peut tweeter à l’audience », tandis que le Nouvel Observateur commente en titrant : « Être magistrat et tweeter : 2 activités qui ne font pas bon ménage ». Ce dernier titre-commentaire est tendancieux : d’abord être magistrat n’est pas une activité mais un état, une fonction ; ensuite il ignore le contexte de production de l’information, comme si un écrit existait en soi, sans contexte (professionnel, juridique, technologique), sans destinataire (direct, indirect ou différé), sans responsabilité de l’auteur.

Quant au journaliste qui a relayé le tweet, peut-on lui reprocher d’avoir fait son travail qui est en l’occurrence de traquer l’information, ce qu’il a fait ici sans forcer l’intimité de quiconque ? Une anecdote qui montre bien que la vie publique commence quand on se trouve en présence d’un smartphone… Il faudra s’y faire.