Des intérimaires d’un site de l’entreprise Leroy-Merlin ont découvert début octobre sur un serveur partagé un fichier Excel, sans restriction d’accès apparemment, comportant la liste des contrats d’intérim de l’entreprise. Jusque-là, pas de quoi crier au feu, bien qu’on se demande pourquoi une liste de contrats se promène comme ça, librement, dans le système d’information.

Le problème est que, en marge de cette liste figurent des appréciations désobligeantes sur les personnes des intérimaires. Ce genre de commentaire qu’on pouvait trouver jadis sur le verso de la feuille de notation des salariés ou des fonctionnaires, jusqu’à ce que, dans les années 1980, la réglementation exige que le supérieur hiérarchique montre le recto et le verso à l’intéressé venu « signer sa note ». Ce genre de jugement de valeur (par exemple sur la fainéantise supposée ou avérée de tel ou tel) qui « échappe » parfois à des collègues, à des managers et même à des présidents…

Les médias (notamment FranceInfo) ont rapporté l’étonnement et la colère de ces intérimaires (on se met parfois en colère pour moins que ça). Mais on ne sait pas en quels termes ceux-ci ont exprimé leur mécontentement. Un coup à lâcher quelques jurons. Sapristi ! Palsambleu, Diantre !… Compte tenu de la connotation religieuse et du caractère désuet de ces expressions, cela est peu probable.

Cornegidouille, peut-être ? Ils auraient pu s’exclamer, par exemple : « Oh, les abrutis, ils se foutent de nous, cornegidouille ! »

En effet, cette interjection quadrisyllabique et imagée est parfaitement adaptée au contexte. Forgé par Alfred Jarry pour son père Ubu, le juron est toutefois rare en dehors des scènes théâtrales et c’est bien dommage car il interpelle et ponctue explicitement une déclaration.

Le patron du site aurait pu l’utiliser aussi : « Bandes d’incapables de la pire espèce, cornegidouille ! On avait bien besoin de cette publicité ! Je vais vous faire voir trente-six chandelles, moi. Et des vertes ! ».

Et le directeur des systèmes d’information : « Tas de zozos ! Ça gère les fichiers numériques n’importe comment, cornegidouille ! Et quand il y a un problème, on dit que c’est de ma faute ! ».

Et le directeur juridique : « J’ai dit de faire la liste des contrats, pas de dégoiser de traviole sur les péquins, cornegidouille !

Cette situation n’est pas propre à l’enseigne de bricolage ; les ingrédients de l’affaire (des données relatives à la vie de collaborateurs, inappropriées et/ou non protégées) sont au contraire en germe dans bien des entreprises et je m’étonnerais plutôt qu’il n’y ait pas plus d’incidents de ce genre.

Il faut hélas déplorer que :

  • les responsables d’entreprise croient encore trop volontiers que la gestion des données numériques est une affaire d’outil et de sécurité des systèmes, alors que le maillon faible est presque toujours l’humain ;
  • les collaborateurs en général n’ont pas suffisamment conscience que tout le monde est émetteur d’informations sensibles et que l’environnement numérique décuple les possibilités de diffusion et de conservation de ces données ;
  • on fait des efforts pour contrôler le cycle de vie des données a posteriori mais à quoi bon si on ne contrôle d’abord la production des traces numériques ?

Assez de bricolage de données sensibles, cornegidouille !