Viande, Pologne, avariée, frauduleuse, abattoir, scandale. Ces mots caractérisent la couverture médiatique d’un événement dans l’agro-alimentaire européen au début de ce mois de février 2019.

Mes oreilles et mes yeux ont été titillés par l’alternance des adjectifs « frauduleuse » et « avariée » accolés au substantif « viande » au fil des news et bulletins d’information consacrés à l’affaire. Echantillon.

Equipe n° 1 (frauduleuse):

Viande polonaise frauduleuse: près de 800 kilos expédiés en France dans 9 entreprises (Boursedirect)

Les questions qui se posent après le scandale de la viande polonaise frauduleuse (Le Figaro)

Plusieurs pays européens traquent un stock de viande frauduleuse importée de Pologne (Capital)

Viande polonaise frauduleuse : la traque de plusieurs pays européens (L’Obs)

Pologne Viande frauduleuse, certains lots ont déjà été vendus aux consommateurs en France (La Voix du Nord)

Vu de Pologne L’affaire de la viande frauduleuse est-elle un cas isolé ? (Courrier international)

Viande polonaise frauduleuse. Une ministre française veut une force d’inspection européenne (Ouest France)

800 kg de viande polonaise frauduleuse vendus en France (Destination santé)

Equipe n° 2 (avariée):

Viande avariée de Pologne : saisies dans plusieurs pays européens (Le Parisien)

Viande avariée de Pologne : 800 kilos retrouvés en France (Le Point)

[Reportage] Viande avariée polonaise: que se passait-il à l’abattoir de Kalinowo? (RFI)

Sept questions sur le scandale de la viande avariée polonaise (France Info)

Viande avariée polonaise : au moins 150 kilos vendus aux consommateurs en France (LCI)

Viande polonaise avariée : au moins 150 kg vendus aux consommateurs en France (Le Monde)

De la viande avariée importée de Pologne découverte en France (Les Echos)

Viande polonaise avariée. La FNSEA « révoltée » par une fraude « terrible » (Ouest France)

A noter que le site d’Europe1 hésite entre les deux versions puisque l’URL est https://www.europe1.fr/societe/viande-avariee-polonaise-quels-risques-en-france-3849785 lié au titre « Viande frauduleuse polonaise : faut-il s’inquiéter pour nos assiettes ? », ce qui ce qui indiquerait que le titre initial comportait « avariée » (d’où le permalien), corrigé ensuite en « frauduleuse ».

Le doute s’est emparé de moi. Cette viande est-elle plutôt avariée ou plutôt frauduleuse?

J’interroge mes amis dictionnaires en ligne:

Avarié (pour des aliments): Abîmé, gâté. Qui présente des signes de putréfaction (par exemple la viande).

Frauduleux: Qui est fait avec fraude ; qui est entaché de fraude. Falsifié. Qui est faux, trompeur.

Le terme « avarié » n’est donc pas le qualificatif approprié dans cette affaire. La viande en cause provient d’un animal qui n’a pas été déclaré propre à la consommation mais il n’est pas dit explicitement dans la presse que la viande exportée est gâtée ou pourrie. Dit-on que la viande d’une bête malade est avariée? Le même adjectif désignerait alors la dégradation de l’état d’un produit après sa production (effet du temps, mauvaises conditions de conservation) et la mauvaise qualité de la matière dont il est issu. Cela dit, que la viande ne soit pas avariée ne veut pas dire pour autant qu’elle soit consommable. Ce sont deux notions distinctes.

Cette viande est bien, en revanche, entachée de fraude, falsifiée, car ceux qui l’ont exportée ont cherché à la faire passer pour de la viande légalement abattue. La fraude, c’est-à-dire le fait d’avoir contourné la réglementation, est imputable aux personnes qui, dans l’abattoir, ont procédé au dépeçage de ces animaux ou l’ont autorisé. La viande issue de cet abattage frauduleux peut donc être elle-même taxée de frauduleuse, par extension.

Au lieu d’utiliser des mots imprécis pour racoler le lecteur, on pourrait simplement dire dans le titre d’accroche que cette viande polonaise est « schtroumphée » pour signaler qu’il y a un problème et expliquer les choses plus posément dans l’article. L’information rigoureuse du public exige d’utiliser des mots rigoureux. La lutte contre les infox commence là: Qui déforme un œuf déforme un bœuf dit le proverbe…

Ces flottements linguistiques me rappellent divers cas où la presse parle de faux quand il s’agit de documents authentiques mais établis sur la base de faux justificatifs, comme dans l’affaire zu Guttenberg en 2012.

Et maintenant, que diriez-vous d’une bonne entrecôte de Charolais? Ou d’un rosbeef de Limousine?

Bon appétit!