Classification des 3138 contributions aux cahiers de doléances de Charente-Maritime (novembre 2018-février 2019) : méthode et résultats.

Après avoir exposé ma démarche d’étude des cahiers de doléances 2018-2019,

Après avoir donné à voir à quoi ressemblent ces objets documentaires que sont les cahiers de doléances de Charente-Maritime au travers de leurs couvertures plus ou moins colorées mais totalement escamotées par les opérateurs du Grand débat national,

Après avoir présenté les listes de revendications prises comme références par les contributeurs, ainsi que les thèmes de débat avancés par le gouvernement,

J’en viens dans ce billet à esquisser une typologie des 3000 et quelques contributions aux cahiers de Charente-Maritime. Il s’agit bien d’une typologie des contributions (une contribution étant l’inscription d’un énoncé dans un cahier par un émetteur) et non d’une typologie des revendications. J’ai délibérément laissé de côté le comptage des revendications dans la mesure où a) ce comptage des revendications a été réalisé dans le cadre de l’exploitation des données du grand débat (société Cognito, Bluenove et Roland Berger) et b) l’occurrence d’une revendication est peu informative sur le ressenti de celui qui la formule ou du groupe de revendications dont elle est solidaire au sein d’une contribution.

Méthode suivie

Pour cette typologie, ma base de travail est le fichier (Excel) de dépouillement des 3000 et quelques contributions que comptent les 356 cahiers de doléances non vierges dans le département de Charente-Maritime.

Pour chaque contribution (définie donc comme une inscription par une personne à une date donnée dans un cahier donné), outre le nom de la commune, sont notés et/ou codifiés :

  1. le n° d’ordre de la contribution dans le cahier tel qu’il se présente aujourd’hui aux Archives départementales (sachant que l’ordre dans les cahiers numérisés peut varier de l’ordre du cahier original) ; à noter qu’un tout petit nombre de mairies ont numéroté elles-mêmes les contributions (je reviendrai sur cette traçabilité dans un billet ultérieur) ; à noter aussi que cette numérotation est assez évidente pour les cahiers d’écolier, beaucoup moins pour les « cahiers » reliés après coup ou agrafés, a fortiori quand il s’agit de feuilles volantes dans une chemise ; quand le cahier consulté était en désordre, j’ai scrupuleusement conservé son désordre, n’en connaissant pas l’origine ;
  2. la date, sachant que les 3/5e des contributions ne sont pas datés ;
  3. la forme d’écriture: manuscrite (inscription directe dans le cahier ou collage) ou dactylographiée (collage, envoi par courrier, envoi par mail) ; on compte, parmi les 3138 contributions recensées, 2432 contributions manuscrites et 706 dactylographiées, ces dernières étant généralement deux à trois fois plus longues que les premières ;
  4. le nombre de lignes de chaque contribution, avec une marge d’erreur évidente car on trouve tous les cas de figure entre une écriture manuscrite en grosses lettres sur un cahier de format A5 et une page A4 dactylographiée avec une police de caractère de taille 9 et des marges minimes. Je n’ai pas comptabilisé les lignes des pièces jointes mais j’ai compté celle des tracts quand il était signé par un particulier comme support de sa contribution. Cette information de longueur des contributions, toute approximative qu’elle soit, permet néanmoins des comptages intéressants ;
  5. l’émetteur, dans la mesure où celui-ci est indiqué ; en effet, rappelons ici qu’entre un tiers et la moitié des contributions sont anonymes, les autres contributeurs ne donnant que quelques informations personnelles d’identité (nom/prénom, adresse et téléphone) ; dans quelques centaines de cas sont en outre indiqués l’âge, la profession ou une étiquette ou « signature » suggestive telle que « un Gilet jaune » ou « une Gauloise ») ; parfois des éléments d’identification du profil de l’émetteur n’apparaissent qu’à la lecture de la contribution mais dans l’ensemble on a trop peu d’information pour établir valablement une typologie de l’ensemble des contributeurs ;
  6. des indications sur le contenu (pour mémoire, l’ensemble des contributions n’a pas été transcrit) : premières revendications ou revendications récurrentes (au regard des listes existantes), adresse et formules de politesses, structure du texte (puces, numérotation, titres, tableau, soulignés, majuscules, dessin, couleur…), réflexions ou informations plus personnelles, expressions des sentiments, citations…

Je me suis arrêtée, pour la Charente-Maritime, à 3138 contributions mais ce nombre reste susceptible de variations en raison de plusieurs facteurs :

  • il existe une différence évidente de contenu entre la collection originale aux Archives départementales et la collection numérisée aux Archives nationales ; je l’estime à 5% environ (cahiers présents en local et absents de la collection numérique, cahiers numérisés dont l’original n’est pas conservé au niveau départemental, contributions tardives transmises au niveau national mais pas conservées au niveau départemental, et, plus curieusement, certaines contributions au milieu des cahiers papier qui sont absentes du cahier numérique…).
  • j’ai pris en compte comme contribution presque tout ce que j’ai vu dans les cahiers originaux, c’est-à-dire les formulaires pré-imprimés (lignes cochées) ou les impressions des questionnaires gouvernementaux remplis manuscritement, bien que ces documents soient très difficile à dépouillers (sauf à recopier les revendications ou questions du modèle). En revanche, je n’ai pas retenu les quelques comptes rendus de réunion d’initiative local qui s’y trouvaient et qu’il faudrait classer avec les autres comptes rendus de réunion ; j’y ai ajouté quelques contributions ne figurant que dans la collection numérisée, mais pas tout document (par exemple, j’ai laissé de côté un courrier adressé directement au sous-préfet et transmis à la mission du grand débat mais qui ne figure pas dans le cahier communal, pourtant transmis aux Archives par la préfecture…) ;
  • faut-il comptabiliser les doléances envoyées à l’identique à plusieurs mairies ? Pour ma part je les ai prises en compte en les signalant, mais certains individus ont inscrit leurs mêmes doléances dans plusieurs cahiers, sans que cela soit toujours facile à détecter.

Je pourrais poursuivre les nuances mais cela présente peu d’intérêt sur l’ensemble du résultat.

Ne disposant pas de typologie-type des contributions aux cahiers 2018-2019 (j’avoue ignorer si quelque chercheur en a esquissé une), il me fallait bien l’établir. La méthode pour y parvenir s’est imposée assez facilement au fur et à mesure de mes lectures, tris et relectures de la matière considérée : regrouper progressivement, par itération, les contributions présentant des similitudes, jusqu’à obtenir des ensembles significatifs.

Cinq critères ont été utilisés et combinés :

  1. l’émetteur (voir ci-dessus)
  2. le style rédactionnel, avec toutes les variantes depuis la formule lapidaire jusqu’à la dissertation amphigourique ;
  3. la nature des revendications, notamment au regard des listes existantes ;
  4. le ton de la parole citoyenne, de l’humilité à l’agressivité ;
  5. l’opinion exprimée au-delà des revendications proprement dites.

Ces critères (j’en ai bien conscience mais je l’assume, guidée par l’observation du terrain) ne se situent pas sur le même plan de sorte qu’une même contribution peut répondre à plusieurs ; il fallait alors faire un choix de critère majoritaire pour procéder à un classement exclusif. Ainsi, les résultats de mes réflexions (définition des groupes, nombre de contributions de chaque groupe, nombre de lignes moyen d’une contribution dans un groupe, etc.) donnent une idée – parmi d’autres – de ce que l’on peut trouver dans un cahier de doléances « Gilets jaunes ». Il faut espérer que les recouvrements entre les groupes, tantôt dans un sens tantôt dans l’autre, s’équilibrent. Je reconnais le caractère subjectif des résultats mais je revendique la transparence de la méthode. Tout bien considéré, la méthode officielle d’extraction d’ »idées » et de « propositions » décontextualisées de l’ensemble des contributions présente autant de biais, et peut-être davantage…

Résultats

Les 3138 contributions de Charente-Maritime sont réparties en douze groupes. L’ordre de présentation des groupes correspond à leur ordre d’apparition dans les tris et regroupements successifs auxquelles les contributions ont été soumises.

Cahiers de Charente-Maritime, typologie des contributions


Doléances de Charente-Maritime, graphique répartition

1/ Contributions d’élus locaux

Le premier groupe, avec un critère relativement facile à identifier, est celui des élus locaux. Il se trouve, dans l’ensemble des 356 cahiers, les contributions de 25 maires en exercice, dont 19 de communes de moins de 1000 habitants, les 6 autres entre 1000 et 7000 habitants. Les textes ont en moyenne 44 lignes mais cela va de 7 à 210 lignes.

S’y ajoutent les contributions d’adjoints au maire et de conseillers municipaux en exercice (18) ainsi que celles d’anciens maires (6) et d’anciens conseillers (4), soit 28 contributions pour 23 communes différentes, 11 pour des communes de moins de 1000 habitants, 11 pour des communes ayant entre 1000 et 4000 habitants, et la ville de Rochefort (23 583 hab.) avec quatre contributions d’élus.

On a donc 53 contributions d’élus en tout, soit 1,7 % de l’ensemble des contributions et la présence d’élu(s) dans 49 communes soit 14% des 356 cahiers. Ces 49 communes se rattachent à 13 des 14 communautés de communes existantes en Charente-Maritime. C’est dire que ces contributions constituent un échantillon significatif de la position des élus locaux dans le mouvement des Gilets jaunes et le Grand débat national.

Le contenu et le style de ces contributions sont très variés. Elles seront prochainement éditées sur une page dédiée de ce blog et synthétisées dans un billet.

2/ Associations et contributions démultipliées

Le second groupe (115 contributions) rassemble les contributions collectives diffusées dans plusieurs communes ainsi que les contributions individuelles adressées à plusieurs maires ou insérées dans plusieurs cahiers, parfois sur des thématiques précises sans lien direct avec le mouvement social.

On y trouve notamment :

  • le texte élaboré par le « collectif des petits patrons et artisans » décliné dans les différentes antennes locales du collectif, daté du 8 décembre 2018 et présent dans 15 cahiers ; la revendication unique porte sur la suppression de la « taxe Cahuzac confiscatoire » qui soumet les dividendes des SARL à gérant majoritaire aux cotisations sociales ;
  • 36 exemplaires de la lettre-type de l’Association pour le droit à mourir dans la dignité (ADMD) revendiquant une loi sur la fin de vie ; à noter les premiers mots de la lettre-type « Je sais que les questions de société ne sont pas intégrées dans le Grand débat… Pourtant… » ; on notera que ce sous-ensemble représente plus de 1 % de l’ensemble ;
  • 12 exemplaires du tract « La parole saintaise » dont j’ai parlé dans mon précédent billet (diffusé dans 12 communes) ;
  • les revendications de plusieurs associations sectorielles présentes dans la collection en double, triple ou quintuple exemplaire : association « Antenne, Nature, Loisirs et Patrimoine » (ANLP) sur la gestion des déchets, association d’entreprises, syndicats, promotion de la « création musicale dite populaire », établissement équestre, conseil paroissial, anciens combattants, BNRI (« Boîte nationale de réclamations et d’idées ») et autres ;
  • les contributions de particuliers dénonçant simultanément dans plusieurs cahiers tel ou tel situation ou événement : question de la relaxe du prévenu dans une procédure judiciaire, un incident avec la police dans le port de la Rochelle le 5 janvier 2019, expropriation d’une entreprise, etc.

Il existe par ailleurs quelques contributions collectives de « Gilets jaunes » (identification d’un groupe ou signatures multiples) qui, en raison de leur contenu, sont rattachées au groupe suivant.

3/ Listes standards

Doléance du cahier de Rivedoux-Plage

Le groupe des « listes standard » concerne les revendications qui s’inspirent très visiblement des listes de revendications « Gilets jaunes » en circulation, qui se présentent sous forme de listes à puces ou d’énumérations de demandes, ainsi que certains formulaires complétés manuscritement.

J’ai classé plus d’un quart des contributions de Charente-Maritime dans cette catégorie (880 textes, 28% de l’ensemble). Elles sont assez courtes (une douzaine de lignes en moyenne avec, bien sûr des variations notables).

C’est le groupe le plus important numériquement. L’ensemble des 880 contributions ainsi « typées » concerne 222 communes (sur 356 cahiers non vierges et 463 communes dans le département. Les 14 communautés de communes de Charente-Maritime sont bien représentées et la répartition géographique de ces « petites » listes n’est pas flagrant, même si certaines communes en comportent beaucoup et qui se suivent, ainsi à Aigrefeuille-d’Aunis, Bourcefranc-le-Chapus (Bassin de Marennes), Châtelaillon-Plage, Marans, Marennes-Hiers-Brouage, Nieul-sur-Mer, Périgny, Rivedoux-Plage, Royan, Saint-Jean-d’Angély, Saint-Pierre-d’Oléron, Saint-Xandre et Tonnay-Charente.

90 % de ces contributions sont manuscrites et écrites directement dans le cahier (à part une dizaine de cas où la page manuscrite est collée sur le cahier) ; c’est donc sensiblement plus que pour l’ensemble des 3138 inscriptions du département où la part de contributions manuscrites est de 75 %.

Les quatre revendications les plus mentionnées, avec la même formulation, sont :

  • le retour de l’ISF,
  • le RIC,
  • l’indexation des retraites sur le coût de la vie,
  • la suppression de la CSG pour les petites retraites (ou du moins la dernière augmentation).

Viennent ensuite : baisse des taxes, augmentation du pouvoir d’achat, baisse de la TVA sur les produits de première nécessité, hausse du SMIC, justice sociale et fiscale, baisse du nombre de parlementaires, suppression ou diminution des avantages des anciens présidents, parlementaires et hauts fonctionnaires (baisse du train de vie de l’État, vote blanc, proportionnelle, CICE, lutte contre la fraude fiscale et l’évasion fiscale, retour du 90 km/h, etc.

Doléance du cahier de Marans

Toutes ces revendications les plus fréquentes sont présentes dans les listes de référence.

Doléance du cahier de Bourcefranc-le-Chapus

4/ Listes personnalisées

Doléance du cahier de Beauvais-sur-Matha

Les listes personnalisées constituent le second groupe en importance avec 830 contributions, c’est-à-dire un second gros quart de l’ensemble (encore une fois, ces chiffres sont approximatifs vu la difficulté de ventilation de textes très hétérogènes dans leur rédaction selon des critères qui se télescopent dans la définition des groupes).

Ont été rattachées à cette catégorie les contributions qui, en plus de s’inspirer des listes préexistantes, comportent d’autres revendications moins fréquentes ou plus personnelles et argumentées. Surtout, elles sont généralement rédigées (par opposition aux énumérations d’expressions de la catégorie précédente) et davantage structurées. Leur longueur moyenne est le triple des listes standard (36 lignes).

Les sujets abordés sont extrêmement variés. Outre les thèmes déjà cités, on trouve par exemple de manière récurrente mention de la désertification rurale et médicale (qui n’apparaît dans aucune liste de référence), l’immigration (qui est citée dans la lettre du président de la République du 13 janvier 2019 mais ne figure pas dans les revendications « Gilets jaunes), ainsi que de nombreux souhaits relatifs à la transition énergétique, à la cour des comptes, à la peine de mort à la loi de 1905 (laïcité), au moteur à hydrogène, à l’épouse du président de la République ou encore à la devise républicaine, avec des opinions contradictoires qui pourraient nourrir le débat.

Et encore des centaines de souhaits et de propositions particulières qu’il est intéressant de maintenir dans le contexte de la contribution tout entière. En effet, c’est précisément là que réside la valeur ajoutée d’une étude des contributions comme l’expression globale d’un citoyen ou d’une citoyenne. Or, le traitement automatique de phrases isolées, ajoutées à d’autres phrases isolées sorties du contexte de leur émetteur, ainsi qu’il a été procédé par la mission du Grand débat et ses prestataires, ne permet pas d’appréhender les profils des contributeurs. Affaire à suivre.

Les contributions qui constituent les cinq groupes suivants auraient pu être comptabilisées parmi les listes personnalisées voire parmi les listes « standard » mais elles en ont été retirées pour des raisons de contenu (témoignages de vie, revendication unique) ou de ton de la contribution et de l’opinion exprimée face à la situation sociale (colère, soutien aux Gilets jaunes, soutien au président de la République).

5/ Revendications uniques

Il s’agit de 340 revendications (11% du total) comptabilisées à part du fait qu’elles n’évoquent qu’un seul sujet, parfois deux. La longueur moyenne de ces contributions est de 9 lignes mais la moitié tient en 1 à 5 lignes. 87% sont manuscrites ; les autres sont envoyées par mail à la mairie ou collées sur le cahier.

La plupart de ces contributions abordent les thématiques générales (retraites, salaires, fiscalité, RIC, vote blanc, immigration, fin de vie…) mais on trouve aussi des revendications plus personnelles et locales : fermeture de classes, installation d’un banc dans le quartier, état des routes, transports collectifs, accès à Internet, désert médical, dénonciation de l’éolien, handicapés, compteur Linky, ordures ménagères, etc.

Doléance du cahier de Rochefort

6/ Témoignages de vie

Environ 250 contributions (8% de l’ensemble) présentent la particularité d’apporter un témoignage de vie. Si quelques dizaines de contributeurs seulement indiquent en tête de la contribution leur âge ou leur date de naissance à la suite de leurs coordonnées, beaucoup d’autres le font dans le corps du texte avec des données plus précises sur leurs revenus et leur imposition, leur état de santé, leur amertume et parfois leur galère (les témoignages de satisfaction existent aussi mais se comptent sur les doigts d’une seule main).

Ces informations personnelles constituent parfois la totalité de la contribution ; d’autres fois, elles n’en forment qu’une petite partie, en tête généralement, tandis que la suite reprend les revendications et doléances déjà connues.

La constitution de ce groupe est motivée par deux raisons : d’une part, ce sont des éléments « citoyens » qui ont été réduits par le traitement algorithmique gouvernemental à quelques rares verbatim ; d’autre part, ces personnes qui se sont déplacées à la mairie pour témoigner, qui ont fait ce choix de mettre à nu une partie de leur vie privée, l’ont fait manifestement pour que cela soit lu et su ; or, l’application stricte du RGPD (Règlement général pour la protection des données personnelles) à ces pages de cahiers par les autorités a invisibilisé ces témoignages à « l’insu du plein gré » des personnes concernées. Bref, une sorte de double peine que je veux contrebalancer ici.

La majeure partie de ces témoignages est le fait de retraités, pauvres ou relevant de la classe moyenne, qui dénoncent, chiffres à l’appui, la baisse de leur pouvoir d’achat. On y trouve aussi quelques enseignants, des « petits » fonctionnaires, des parents, des artisans, des médecins, des employés et bien d’autres profils qui exposent leurs difficultés au quotidien face au coût de la vie, aux moyens de transport ou encore au handicap voire au racisme (un cas d’une enseignante de collège).

Doléance du cahier de La Gripperie-Saint-Symphorien

7/ Expression de la colère

De même que les témoignages personnels, l’expression de la colère a été marginalisée du traitement officiel des cahiers de doléances car elle relève plus du ton que du contenu. Les deux sont pourtant indissociables pour apprécier la température de l’opinion.

Une petite centaine de contributeurs expriment nettement leur colère, soit en se présentant (voir l’illustration ci-dessous), soit en introduction de la contribution ou soit en conclusion. Cela représente environ 3% de l’ensemble, ce qui peut paraître peu si on songe au retentissement médiatique des actions « Gilets jaunes » à l’époque mais doit être mis en regard du ton policé ou courtois de nombreux autres contributeurs. Par ailleurs, ce groupe doit être rapproché du suivant intitulé « Soutien aux Gilets jaunes ».

La colère se manifeste un peu partout sur le territoire, avec toutefois une mention spéciale pour la commune des Mathes dont le cahier est le plus virulent pour la Charente-Maritime.

Doléance du cahier de Vaux sur Mer

8/ Soutien aux Gilets jaunes

Près de 80 contributeurs apportent explicitement leur soutien aux Gilets jaunes, parmi lesquels une dizaine se déclare elle-même « Gilet jaune » et une autre dizaine précise qu’elle soutient les revendications mais pas la violence.

Doléance du cahier de Trizay

9/ Soutien au président de la République

Environ 25 contributeurs expriment non moins explicitement leur soutien au président de la République et plusieurs soulignent leur soutien aux forces de l’ordre, ce qui ne les empêchent pas d’être critique et de faire des suggestions.

Ce groupe est le plus restreint mais il n’en est pas moins pertinent car il montre, aussi bien que les chiffres des deux groupes précédents, le non-recouvrement entre la population qui a contribué aux cahiers de doléances et la population qui a participé aux manifestations dans l’espace public, aspect qui n’a sans doute pas été assez étudié, faute d’une exploitation appropriée des données personnelles fournies par les cahiers ; il est vrai que ces données sont particulièrement difficiles à exploiter (discours libre, textes manuscrits, part importante de l’anonymat, etc.).

Doléance du cahier de Saintes

10/ Analyse de la situation

Le groupe « Analyse de la situation » constitue un sous-ensemble des listes personnalisées, avec cette caractéristique que la contribution va plus loin que l’expression de revendications ou de suggestions. La caractéristique des 335 éléments de ce groupe (11% du total) est que le contributeur s’efforce de comprendre « comment on en est arrivé là » et fait part de ses conclusions, soit dans un préambule soit tout au long du texte. Les constats récurrents sont : la crise remonte à 40 années, fracture sociale, trop de taxes et trop de privilèges, il n’y a plus de corps intermédiaires, manque d’écoute, etc.

Ces contributions figurent parmi les plus longues de toute la collection, avec une moyenne de près de 50 lignes de texte. À noter une petite différence entre les contributions manuscrites qui sont les plus nombreuses (214 textes, 38 lignes de moyennes) et les contributions dactylographiées (121 textes, 67 lignes en moyenne). Ce sont parfois de véritables dissertations (34 contributions entre 100 et 400 lignes).

Doléance du cahier de La Rochelle

11/ Référence à des valeurs universelles

Il est apparu au long des lectures des cahiers qu’un nombre non négligeable de contributions (une centaine, environ 3 %) comporte, de façon plus ou moins détaillée, un plaidoyer pour un monde meilleur : remettre l’humain au centre, droit de vivre dignement, protéger la planète éducation au respect de l’environnement, justice climatique, redonner envie de croire en la politique, etc., avec cette question récurrente de savoir « Quelle planète laissons-nous à nos petits enfants ? ».

Ces contributions comptent 35 lignes en moyennes ; on trouve parmi les auteurs qui s’identifient un tout petit peu plus de femmes que d’hommes (comme dans la population).

Doléance du cahier du Douhet

12/ Divers

Le dernier groupe, intitulé classiquement « divers », rassemble quelques dizaines de contributions isolées ou inexploitables (environ 1% du total) : simple mot de remerciement, question pratique, humour, insulte, formulaire non exploitable.

Suite de l’étude

Cette typologie des 3000 et quelques contributions aux cahiers de doléances de Charente-Maritime, en dépit de ses défauts inévitables de classification, met en évidence la variété des contributions et la spécificité de cette collection de cahiers.

Parmi les rédacteurs qui s’identifient peu ou prou (environ la moitié de l’ensemble), on trouve 800 hommes, 600 femmes, 150 couples (sans compter les collectifs). Malgré le peu d’éléments d’identification et en s’appuyant sur les contenus, on peut affirmer que la majorité des contributeurs sont des retraités, population à la fois concernée par la question du pouvoir d’achat et susceptible de préférer l’inscription manuscrite ou dactylographiée dans le cahier communal à la participation à une plateforme numérique ou à l’épanchement sur les réseaux sociaux.

Quelques sondages sur l’évolution de la typologie des contributions en fonction de la date (de mi-novembre à fin février) ne font rien ressortir de significatif : les variations de répartition des différentes catégories identifiées entre contributions datées (un peu moins de la moitié) et non datées d’une part, et entre 2018 et 2019 d’autres part sont de quelques pourcents, avec une marge d’incertitude. Bien sûr, on trouve un peu plus de listes lapidaires en début de période et un peu plus de dissertation argumentée en 2019 mais cela n’a rien pour surprendre et ne nous apprend rien.

Sur le fond des revendications, on constate une progression (mais difficile à tracer dans le temps compte tenu du peu de dates) depuis la liste « brute » de revendications « Gilets jaunes » à l’expression d’une opinion personnelle sur la situation sociale, en passant par l’expression de multiples doléances couvrant tout le spectre de préoccupations d’une population, au quotidien et au-delà. Ces 3000 contributions forment une photographie de l’opinion d’une certaine partie de la population de Charente-Maritime :

  • moins représentative que le panel que pourrait élaborer un institut de sondages mais autrement plus riche que les résultats d’une enquête par questionnaire en termes d’information du fait de la liberté d’expression,
  • et sans doute pas moins digne d’intérêt que celle des ronds points ou celle de la plateforme numérique du Grand débat.

On peut se demander si 3138 contributions aux cahiers est peu ou beaucoup ? À titre de comparaison, un rapide traitement des fichiers de réponses aux quatre questionnaires officiels sur le site du Grand débat national, en se basant sur les répondants qui ont renseigné la case « code postal » fait ressortir les chiffres de participation de participation suivants pour la Charente-Maritime : environ 1800 pour le thème fiscalité, 1400 pour la transition écologique, 1300 pour la démocratie/citoyenneté et 1250 pour État/services publics.

Il serait vraiment intéressant d’avoir les données équivalentes pour les autres départements mais existent-elles ?

Les thématiques abordées dans les cahiers sont globalement les mêmes que dans les autres moyens d’expression. Ce qui caractérise surtout les cahiers papier, c’est la palette de tons et de styles utilisés, lesquels en disent peut-être plus que ce dont ils parlent.

Il y a donc lieu de poursuivre l’analyse. Les prochains billets concerneront (liste non exhaustive) :

  • les contributions des élus municipaux de Charente-Maritime (53 textes),
  • les groupes de contributions les plus caractéristiques en termes de forme,
  • l’expression plurielle sur certaines thématiques (par exemple, la devise républicaine, la gestion des ordures ménagères ou l’exemplarité),
  • l’édition de certains cahiers représentatifs,
  • mais aussi la traçabilité administrative des cahiers,
  • ou encore l’opinion des contributeurs sur les cahiers eux-mêmes ou sur le Grand débat.