Archiver, après ? Marie-Anne Chabin, Djakarta, 2007

Chapitre 2 – Archiver ou conserver ?

Ce qui ce conçoit bien s’énonce clairement
Nicolas Boileau

Jadis, et naguère encore, on ne parlait pas d’archiver. Bien que le Dictionnaire historique de la langue française (Robert) signale l’apparition du verbe en 1556, son emploi est très rare en français classique, de même qu’au XIXe siècle et pendant la plus grande part du XXe siècle. Et puis voilà qu’après un demi-millénaire d’hibernation, il se réveille, prend corps et s’installe : « Est-ce que les factures ont bien été archivées ? », « Il faut archiver le web ! », « J’ai archivé mes dossiers », etc.

Autrefois, on disait les choses autrement : il était question de mettre aux archives, de classer aux archives, de verser aux archives et plus généralement de conserver les archives. Dans la pratique, on conservait plus qu’on n’archivait.

On parle toujours de conserver les documents. On parle de plus en plus de conserver les données. On parle aussi de plus en plus d’archiver les documents et les données. On parle autant d’archivage que de conservation.

Or le mot archivage, directement greffé sur le verbe archiver dont il désigne l’action (comme arrosage est le fait d’arroser, pilotage le fait de piloter ou encore espionnage le fait d’espionner) est d’un emploi relativement récent.

L’excellent Manuel d’archivistique, publié en 1970, ignore le mot archivage ; on y parle d’entrée aux archives ou de versement[1]. Quinze ans plus tard, archivage n’est encore qu’un « terme employé dans les bureaux pour le rangement des dossiers d’affaires terminés »[2], autrement dit un terme non professionnel.

Avec le tournant du siècle, l’archivage a conquis ses lettres de noblesse, grâce à l’électronique sans doute. « Archivage » apparaît de plus en plus dans le titre d’articles de presse, de livres, d’outils, de prestataires, de formations, de colloques et même d’une association créé en 2005[3]. Cela répond sans nul doute à une réalité. Laquelle ? Que veut dire archiver ? Que veut dire conserver ?

 

Ce que dit la loi

La loi française ne définit pas l’archivage. La loi sur les archives, en date du 3 janvier 1979 commence logiquement par la définition de son objet. L’article premier dit : « Les archives sont l’ensemble des documents, quels que soient leur date, leur forme et leur support matériel, produits ou reçus par toute personne physique ou morale et par tout service ou organisme public ou privé dans l’exercice de leur activité. ». Le code du patrimoine publié en 2004 intègre la loi de 1979 dans son Livre II. Le chapitre 1 reprend cette définition (article L. 211-1) et distingue les archives publiques et les archives privées. Le chapitre 2 porte le titre « Collecte, conservation et protection ». Il y est dit que « à l’expiration de leur période d’utilisation courante », les archives « font l’objet d’un tri pour séparer les documents à conserver et les documents dépourvus d’intérêt administratif et historique, destinés à l’élimination ». Ni le verbe archiver ni le mot archivage ne figure dans ce texte. Le mot collecte y apparaît trois fois tandis que conservation bénéficie de seize occurrences.

Il n’existe du reste, en tout et pour tout dans le corpus des soixante codes de loi français, qu’une dizaine d’occurrences du mot « archivage », assez marginales et de toute évidence récentes. La moitié de ces mentions se trouve dans le code de la santé publique et touche aussi bien à l’archivage papier qu’à l’archivage des résultats d’examen et des échantillons ou à la sécurité des données. Dans une dizaine de cas, le mot est associé à la notion de conservation sans qu’on distingue bien la relation entre les deux. Le code de l’urbanisme, quant à lui, souligne que « l’établissement public de coopération intercommunale est tenu d’archiver les dossiers pour lesquels il a reçu compétence » ; c’est là un des très rares emplois « légaux » du verbe archiver qui n’est cependant pas défini.

D’une manière générale, quand la loi évoque les documents dont on pourra avoir l’utilité demain, il est question de « conservation », c’est-à-dire de l’obligation faite à toute personne de conserver pendant un certain nombre d’années les documents qui portent la trace des devoirs de cette personne envers l’État ou de ses engagements ou obligations vis-à-vis d’autres personnes.

Tantôt la loi associe explicitement une durée de conservation à des documents nommément cités, tantôt elle énonce simplement un délai de prescription de l’action, laissant à l’appréciation des parties et du juge l’identification des informations qui tracent et documentent ladite action.

Ces dispositions législatives sont cependant à l’origine des opérations d’archivage, au service de la conservation, tant dans l’Administration que dans le secteur privé. Les principaux articles de loi sont les suivants : article L123-22 du code de commerce selon lequel « les documents comptables et les pièces justificatives sont conservés pendant dix ans » ; l’article 102B du Livre des procédures fiscales stipulant que les « livres, registres, documents ou pièces sur lesquels peuvent s’exercer les droits de communication, d’enquête et de contrôle de l’administration doivent être conservés pendant un délai de six ans » ; les articles 2277 du code civil relatif à la prescription « par cinq ans des actions en paiement des salaires… » et 2262 du même code qui dit que « toutes les actions, tant réelles que personnelles, sont prescrites par trente ans » (affirmation bien difficile à transposer en termes archivistiques), sans parler de la législation sur les brevets, les droits d’auteur, etc. Un décret de janvier 2006, intégré dans le code de la santé publique dispose que « le dossier médical est conservé pendant 20 ans à compter de la date du dernier séjour de son titulaire dans l’établissement ou de la dernière consultation ». On dénombre ainsi une cinquantaine d’articles de loi qui permettent d’orienter la politique d’archivage, bien que ces textes soient loin de viser toute la documentation produite par l’administration et les entreprises.

La loi du 13 mars 2000 relative à la signature électronique, à la suite d’une directive du Parlement européen, est à l’origine de la problématique de l’archivage électronique à laquelle plus personne ne peut aujourd’hui échapper. La nouvelle rédaction de l’article 1316 du code civil issue de cette loi affirme : « L’écrit sous forme électronique est admis en preuve au même titre que l’écrit sur support papier, sous réserve que puisse être dûment identifiée la personne dont il émane et qu’il soit établi et conservé dans des conditions de nature à en garantir l’intégrité. ». Là non plus, il n’est pas question d’archiver mais de conserver.

Pourtant, si l’archivage n’apparaît pas dans la loi, il est sous-jacent car il est le moyen de satisfaire à ces exigences de conservation. L’archivage est l’ensemble des opérations mises en œuvre pour garantir la conservation.

Un mot est apparu depuis peu qui fait concurrence à conservation pour ces questions de savoir quoi garder pendant combien de temps et pourquoi. C’est le mot rétention. On connaissait la rétention carcérale et la rétention d’eau chez les personnes en surpoids. Voici la rétention de données ! Veut-on parler de la rétention d’information, cette attitude condamnable qui consiste à garder indûment par devers soi des informations alors qu’on a obligation de les transmettre à qui de droit ? Non, il s’agit simplement de conservation. La « rétention de données » se rencontre principalement dans la presse informatique et chez les acteurs de l’archivage électronique. La raison en est simple : l’influence de l’anglais est grande dans ce secteur, comme dans bien d’autres, et en anglais conservation se dit retention ; conservation des documents se dit documents retention ; conservation des données se dit data retention.

Ce qui est plus surprenant, c’est de constater que les parlementaires français, qu’on aurait pu croire plus attachés à la rigueur de l’expression et à la francophonie, cèdent également au franglais. En décembre 2004, une « proposition de résolution sur la rétention de données traitées et stockées en rapport avec la fourniture de services de communications électroniques accessibles au public ou de données transmises via des réseaux de communications publics, aux fins de la prévention, la recherche, la détection, la poursuite des délits et d’infractions pénales, y compris du terrorisme » est présentée au Sénat. L’objet de ce document est ni plus ni moins la conservation des données mais le texte utilise six fois « rétention » et vingt-neuf fois « conservation », exactement dans le même sens. Rédaction trop rapide ? Influence du « globish » européen ? La proposition perd indubitablement en clarté ce qu’elle gagne en fantaisie. On ne peut s’empêcher de se demander la différence qu’il faut faire entre la rétention et la conservation. Le lecteur non averti se dit que s’il y a deux mots, c’est qu’il y a deux notions ; il les cherche, en vain…

 

Ce que suggère la tradition

Les différents titres portés au fil du temps par les personnes responsables des archives donnent un éclairage intéressant sur la perception des notions d’archivage et de conservation dans la société.

Des derniers siècles du Moyen-Age au XIXe siècle, les archives de l’État sont entre les mains du « garde des archives ». L’organisation des archives royales remonte au règne de Philippe-Auguste et tient à deux facteurs : le besoin de la chancellerie royale de centraliser les documents qui fondent les droits du roi dans un royaume qui prend de l’ampleur, et l’incident de Fréteval. En juillet 1194, Philippe-Auguste est défait par Richard Cœur-de-Lion sur les bords de l’Epte, à Fréteval. Au cours de sa retraite, il perd une partie des archives qui selon la coutume suivaient la cour dans ses déplacements. Le pouvoir royal ne pouvait prendre le risque d’une nouvelle perte. C’est ainsi que fut créé le « Trésor des chartes », attesté par les textes à partir de la première moitié du XIIIe siècle, aménagé peu après dans la Sainte-Chapelle qui l’abrite jusqu’à la veille de la Révolution française.

Le titre de garde n’est pas réservé aux archives de l’État. Lors de la création de la mairie d’Angers par Louis XI, en 1475, le corps municipal est composé « d’un maire, de dix-huit échevins, de trente-six conseillers, d’un procureur et d’un clerc comme « garde des archives », placées dans un grand coffre à triple serrure, et dont la principale tâche est d’assurer la correspondance de la ville et la tenue des registres des délibérations[4].

Avec la création des Archives nationales en 1790, le titre de garde des archives est maintenu avec toutefois un infléchissement du contenu de la fonction. L’accent est mis sur la conservation de la mémoire de la Nation, constituée par les archives de l’Ancien régime, fort volumineuses en dépit des destructions révolutionnaires.

Ce n’est qu’en 1897 que le titre de « garde général des Archives nationales » est abandonné au profit de celui de « directeur des archives » rattaché au ministre de l’Instruction publique, avec une compétence accrue puisque la tâche de conservation des archives nationales se double d’une fonction hiérarchique d’administration de tous les services d’archives français. On pense bien sûr au titre de « garde des sceaux » qui, lui, a perduré.

Pour les Archives départementales, créées également en 1790, on ne parle pas de garde mais simplement d’archiviste. Le poste est systématiquement pourvu à partir de 1850 par un « archiviste-paléographe », titre (aujourd’hui encore) des anciens élèves de l’École des chartes. En dépit d’un rattachement initial au ministère de l’Intérieur, le profil de la fonction est surtout historique et érudit. Toutefois, on note que l’archiviste départemental est un notable distingué : dans certains annuaires administratifs des départements de France du début du XXe siècle, l’archiviste départemental occupe un rang privilégié lors des cérémonies officielles, parfois parmi les toutes premières personnalités du Département.

Le terme « archivaire », formé avec le même suffixe que bibliothécaire, est apparu au XVe siècle, soit plus de deux siècles avant le nom « archiviste » mais ne s’est pas maintenu, en France du moins[5].

Au cours des deux derniers siècles, le titre d’archiviste s’est imposé dans la nomenclature des fonctions administratives, avec diverses extensions : archiviste en chef, archiviste-adjoint, sous-archiviste.

Mais depuis vingt-cinq ans, on assiste à une double évolution. D’un côté, on a tendance à souligner les responsabilités dans la titulature administrative : le nom du métier s’efface devant la fonction, l’archiviste devient le « directeur des archives » ; on parle ici de « la directrice des Archives de France » tandis qu’outre-Atlantique son homologue est « l’archiviste des États-Unis » (the Archivist of the United States). D’autre part, la terminologie officielle a écarté peu à peu le titre d’archiviste au profit de celui de conservateur, qui insiste sur la conservation des fonds existants, par opposition à la démarche de mise en archive des documents à conserver. Cette tendance s’est encore accrue au cours des années 1980 avec la création d’une filière culturelle dans l’administration regroupant les différents métiers du patrimoine (archives, bibliothèques, monuments historiques, archéologie). Les jeunes diplômés ne sont plus archivistes mais conservateurs du patrimoine, attachés de conservation, assistants qualifiés de conservation. Au point que, dans les offres d’emploi, le mot archiviste se trouve relégué aux tâches de magasinage. L’administration française aurait-elle honte de ses archivistes ?

Le terme se maintient toutefois dans le nom de l’Association des Archivistes Français, association professionnelle et amicale créée en 1904.

Formé sur archiviste, le substantif archivistique (utilisé aussi comme adjectif), semble jouir en revanche d’une bonne considération, même si son public est assez restreint. Plusieurs universités françaises dispensent des formations en archivistique et ceux qui ne sont pas archivistes universitaires utilisent volontiers ce terme technique et savant pour donner du poids à leur discours.

 

Ce que propose le marché

Depuis quelques décennies, avec l’externalisation de certaines tâches de tri, de stockage et de gestion, sont apparus des prestataires en archivage que l’on appelle volontiers aujourd’hui archiveurs.

Archiveur désigne à l’origine un outil de stockage de données, dans un fichier unique dit aussi « archive », ou encore un programme spécialisé qui permet de regrouper des fichiers numériques. Il s’est imposé au cours des dernières années dans l’expression « tiers-archiveur » qui désigne un prestataire de service chargé par un client de recevoir et de conserver, à l’aide d’équipements dédiés et sécurisés, des documents électroniques en garantissant leur intégrité. La règle est que le tiers-archiveur n’a pas à connaître du contenu des fichiers qu’il met en archive. La sélection des fichiers relève du client producteur de l’information. En réalité, cet archiveur-là n’archive pas à proprement parler mais s’attache à conserver les données. Cette profession renoue en partie avec celle de garde des archives telle qu’elle était apparue au Moyen-Age, c’est-à-dire une tâche centrée sur la sécurité, loin de l’exploitation historique des contenus.

Le marché propose des services mais aussi des outils, des solutions d’archivage. Le discours des éditeurs, le plus souvent anglo-saxons, s’adapte petit à petit au vocabulaire de l’entreprise française. Cette citation d’un dirigeant du leader mondial du stockage, EMC, décrit la problématique dans un français parfaitement clair : « L’archivage et la conservation commencent à être considérés par nos clients comme des éléments essentiels de leurs processus métiers. La croissance exponentielle de l’information impose de mettre en oeuvre de solides solutions d’archivage non seulement pour libérer de l’espace de stockage primaire, mais aussi pour mettre à disposition des entreprises des outils d’accès rapide aux informations archivées (fichiers, images, documents, enregistrements, rapports, formulaires, bases de données et informations liées à des applications métiers spécifiques) »[6].

Dans le contexte électronique, la relation entre les fonctions d’archivage et de conservation se précise. Il y a obligation de conserver. Cette conservation porte sur l’intégrité de l’information. Laquelle intégrité est menacée dès la création de l’information tant les données numériques sont a priori faciles à manipuler. La conservation ne peut donc être garantie que si la sécurisation des données intervient dès la création de l’acte électronique, qu’il s’agisse d’une image, d’un contrat ou d’un courrier. L’acte doit être enregistré ou capturé dès sa validation, dès sa signature. C’est cette capture ou cet enregistrement avec la sécurité qui l’accompagne qui constitue l’archivage.

Une fois l’archivage effectué, la conservation commence.

Les éditeurs de solutions d’archivage sont aussi à l’origine de l’expression « archivage légal » qui fait florès depuis deux ou trois ans, bien qu’elle soit juridiquement tout à fait inappropriée. En effet, l’étude des textes montre aisément que l’archivage proprement dit n’est pas légal. Ceci dit, si c’est le moyen d’accrocher les responsables, de sensibiliser les utilisateurs, de convaincre les décideurs qu’il faut archiver, pourquoi pas ? Peu importe le vin, pourvu qu’on ait l’ivresse !

Quelques sondages sur Google et dans la presse spécialisée mettent en évidence que, toutes proportions gardées, « archivage légal » connaît un beau succès et il apparaît même que l’expression est plus prisée en français que « legal archiving » en anglais.

Le succès de « l’archivage légal » s’explique aisément. Tout d’abord, on doit y voir l’influence des lois américaines très contraignantes pour la traçabilité des responsabilités et qui obligent les outils à se conformer à la réglementation ; cependant, la transposition en français de l’anglais legal, qui veut dire autant juridique et judiciaire que légal, donne à l’expression une connotation obligatoire excessive. Ensuite, il fallait bien distinguer cet archivage, sécurisé et fiable au regard de la nouvelle validité juridique de l’écrit électronique, de l’autre archivage, celui des éditeurs d’outils de gestion électronique de documents (GED), un archivage qui n’en est pas vraiment quand il se limite à un simple stockage de documents numérisés mis à disposition des utilisateurs, sans prise en compte des contraintes de traçabilité, d’intégrité et de destruction.

Les nécessités de la conservation de l’écrit nativement électronique conduisent à mieux cerner ce passage que représente l’archivage, à savoir le passage d’un document libre et évolutif à un document figé et contrôlé dans un système. Les Anglo-saxons ont la chance de disposer d’un mot unique, d’origine latine, pour désigner ce document figé et contrôlé : c’est un record. La langue française a conservé ce mot pour désigner les performances sportives enregistrées par les athlètes puis pour toutes sortes de performances dignes d’un enregistrement dans la mémoire collective : un record de froid, le livre des records, etc. On utilise même record comme adjectif ou plutôt comme adverbe : un bénéfice record, une amende record.

Ce petit mot donne du fil à retordre aux traducteurs. C’est que les Anglo-saxons utilisent depuis plus de cinquante ans une expression bien connue pour décrire les méthodes d’organisation et de contrôle de ces records : c’est le records management. Or le records management fait l’objet d’une norme internationale depuis cinq ans, ce que les professionnels ne peuvent ignorer. Et de fait, dans l’environnement technique et juridique actuel, ces méthodes répondent de plus en plus aux besoins des entreprises et de l’administration, car le besoin de maîtriser l’information dans le temps n’est pas spécifique aux entreprises et aux administrations anglo-saxonnes. Comment traduire ?

L’adoption du terme anglais (ce ne serait pas le premier) a la faveur de certains, mais les défenseurs de la francophonie y sont hostiles et préfèrent parler de la gestion des documents. Mais gestion des documents, en anglais, se dit document management, expression qui justement s’oppose à records management, de sorte que l’ambiguïté reste entière. Alors, d’autres transposent et parlent d’enregistrements mais la tournure passe mal dans la langue courante : « passez-moi l’enregistrement personnel de l’agent Gomez » ; « j’ai feuilleté une pile d’enregistrements sans trouver la mention que je cherchais »… les mots « dossier du personnel » ou « rapports » sont tout de même plus explicites.

C’est pourquoi, il est vraisemblable que le succès d’archivage légal en France soit en partie imputable à cette absence de traduction consensuelle de records management, car si on regarde de plus près de quoi se préoccupent les tenants de l’archivage légal et les tenants du records management, les convergences sont plus qu’évidentes. Archivage légal n’est pas la plus mauvaise traduction de records management, loin de là.

 

Ce qu’exige la réalité

En affaire, le client est roi. En archivage, c’est l’utilisateur qui est le roi.

Qu’il soit décideur, chef de projet, employé, militant associatif ou historien, ce que veut l’utilisateur, c’est trouver l’information quand il en a besoin : l’information dont il est sûr d’avoir besoin, celle dont on suppose qu’il aura peut-être besoin voire celle dont il ne soupçonne pas aujourd’hui l’intérêt mais qui pourtant lui sera utile.

Trouver ou retrouver une information présente quelques préalables. Il faut d’abord que l’archive susceptible de renfermer l’information existe. Ensuite, il faut la localiser. Enfin, quand l’utilisateur a devant lui les documents ou les fichiers qui vont répondre à sa recherche d’information, il faut encore que ceux-ci soient lisibles, interprétables, exploitables et fiables, c’est-à-dire qu’ils aient été bien conservés.

Mais l’information que cherche l’utilisateur n’est pas toujours conservée quelque part. Parfois, elle ne se trouve nulle part. Plusieurs explications sont possibles : elle a été délibérément détruite en application de procédures ou par un acte de malveillance ; elle a disparu accidentellement ; elle s’est autodétruite car elle n’était pas en mesure de s’autoconserver et que rien ni personne n’a pallié cette déficience ; elle a existé mais son support n’a jamais été mis en archive pour y être conservé de sorte qu’on ignore où elle peut être ; ou encore, les documents susceptibles de renfermer cette information n’ont jamais existé et n’ont donc pas pu être conservés.

Par ailleurs, il n’est pas rare que la recherche du juge, ou celle de l’historien, vise aussi bien les preuves positives de ce qui a été que des indices qui mettent en évidence une absence d’action, un « non fait ».

La nature de la relation entre celui qui cherche l’information et celui qui l’a créée définit les responsabilités en cas de recherche infructueuse. Si l’utilisateur et l’auteur ne font qu’un, c’est une affaire privée ; l’intéressé, en cas d’échec, ne peut s’en prendre qu’à lui-même. Si l’utilisateur n’est pas l’auteur mais appartient au même groupe, à la même collectivité, la même entreprise ou la même association, c’est le groupe et ses institutions qui sont responsables de l’accès aux archives, dans le respect des règles d’organisation et des moyens que le groupe s’est donné. Si l’utilisateur est totalement indépendant du producteur, les possibilités de retrouver une trace du passé, à supposer qu’elle ait existé et qu’elle ait été archivée, sont soumises aux obligations de conservation et aux droits de communicabilité pour les archives publiques, au bon vouloir du propriétaire pour les archives privées.

La décision d’archiver une information ne suffit pas. Encore faut-il qu’elle soit archivable, c’est-à-dire digne d’être archivée, conforme à son destin d’archive.

L’information et son support doivent être équipés pour affronter l’usure du temps. Avec seulement quatre ou cinq ans d’âge, une archive inconstante et frivole peut être déjà vieille, flétrie, sourde et muette, même pour son propre auteur. A fortiori, si le voyage d’archive doit se prolonger pendant plusieurs décennies ou plusieurs siècles, voyage au bout duquel l’information devra être accessible comme au premier jour, les documents et les données sélectionnés doivent être bien préparés, physiquement et intellectuellement.

L’accès ultérieur à l’information archivée est conditionné par la qualité initiale des documents et des données et leur aptitude à traverser les années. L’information mise en archive doit donc être pertinente et solide : son contenu doit être fiable pour les différents usages envisagés et son support doit être durable, au moins pour la durée de conservation nécessaire. L’information candidate à l’archivage doit être une information saine d’esprit et de corps, scriptum sanum in tabula sana, ou en latin plus moderne (en anglo-latin en quelque sorte) : data sana in medio sano.

Pour être pertinente, l’information archivée doit être complète et cohérente. Au minimum, le document doit être achevé et explicite. Est-ce archiver que de classer dans des boîtes d’archives ou sur un serveur électronique des documents sans titre, sans légende, sans explications et dont l’auteur n’est identifié que par ses initiales : dossier 199608551, auteur JC. D’ici trois ans et parfois moins, tout le monde aura oublié qui est JC et personne ne saura de quoi il retourne. Oser détruire une information inexploitable est préférable à mettre hypocritement en archive des surplus de données inconsistants.

Pour être solide, il faut que le support matériel soit adapté à la valeur du contenu et à son utilisation ultérieure : les délibérations du conseil municipal, document historique de premier plan, seront établies dans un registre de papier neutre de préférence à du papier pelure écrit avec un feutre acide qui mangera le papier en quelques années, comme on a pu le voir dans de petites communes insouciantes. Inversement, à quoi sert de déployer une solution de stockage conçue pour la conservation à long terme pour des données ou des documents qui seront périmés dans trois ou cinq ans ? A rien, et pourtant, cela se pratique.

Pour le voyage d’archive, l’information a besoin d’un petit bagage, ou encore d’une feuille de route avec un certain nombre de précisions utiles qui l’aideront à faire face aux aléas du temps et aux interrogations des utilisateurs. C’était jadis les mentions portées en marge ou au dos du parchemin et naguère les renseignements inscrits sur la chemise du dossier ; ce sont aujourd’hui les métadonnées.

Le préfixe grec « méta » signifie généralement au-delà, après, derrière. Mais les métadonnées ne sont pas vraiment au-delà ou derrière les données, elles sont plutôt autour. Elles constituent la garde rapprochée du document tout au long de sa vie d’archive. On ne peut accéder aux données sans passer par les métadonnées. Elles indiquent tout ce qu’il faut savoir sur l’information archivée pour en user convenablement. Certaines métadonnées figurent déjà dans le document : auteur, objet, date, format, support et toute autre donnée utile à l’utilisation future de ce document. Elles en sont donc extraites et enrichies au besoin d’autres éléments qui indiquent la valeur de l’information, sa sensibilité, sa confidentialité, sa validité pour l’action, sa durée de conservation, qui a le droit de la consulter, son intérêt historique ou quel sera l’événement déclencheur de sa destruction, quand son état de conservation devra être contrôlé et, le cas échéant, restauré, etc.

Comme l’exprime très bien Jean Denègre, de l’École nationale des Sciences Géographiques : « par analogie, les métadonnées sont aux données ce que l’étiquette est à un médicament. En effet l’étiquette affiche des renseignements comme le nom du médicament, celui du fabricant, la posologie, la composition chimique, les précautions à prendre, le nombre de comprimés et la date de péremption du médicament »[7].

Tout cela n’est-il pas trop contraignant ? La question n’est pas de connaître dans l’absolu le poids de telle ou telle tâche mais de savoir si l’investissement est approprié, s’il est rentable, si le jeu en vaut la chandelle. Stocker et conserver ce qui existe ne suffit pas. Le but de retrouver l’information et de l’exploiter valablement ne saurait être atteint sans que l’information archivée ait été sérieusement soupesée et apprêtée. Il faut bien archiver pour bien conserver. C’est la même chose en cuisine. Le meilleur des chefs ne pourra produire une cuisine excellente si les produits qu’il utilise ne sont pas bien sélectionnés et bien accommodés.

 

Archivage et archivage

Les mots eux-mêmes et les usages de la formation des mots dans la langue française laisseraient penser que les archives sont le résultat de l’archivage : on archive et les documents ou les données ainsi archivés constituent les archives. L’archivage fait les archives : quoi de plus logique ?

En réalité, le couple archives/archivage entretient des relations plus complexes.

Le mot « archivage », on l’a vu, n’apparaît pas dans la loi, non plus que dans ses décrets d’application. En revanche, le terme « préarchivage » est utilisé à plusieurs reprises dans le décret qui précise la compétence des services publics d’archives[8], notamment dans l’article 2 qui indique que l’administration des archives assure « la conservation ou le contrôle de la conservation des archives intermédiaires dans les dépôts publics de préarchivage ».

La notion de préarchivage n’est pas définie en tant que telle mais les dépôts de préarchivage sont associés à la gestion des archives qui ne sont plus « d’utilisation habituelle pour l’activité des services ». Par ailleurs, le préfixe « pré » suggère que le préarchivage intervient avant l’archivage.

Il apparaît donc, si l’on suit les textes à la lettre, que les archives existent dans les bureaux où elles ne sont pas archivées puisque, plus tard, elles seront préarchivées avant d’être véritablement archivées. Un document peut donc être archive avant d’avoir été archivé… subtile discipline que l’archivistique qui prend ses libertés avec la grammaire !

Dans cette approche l’archivage correspond à l’entrée aux archives historiques. L’archivage, par défaut, est l’archivage historique. Comme cet archivage historique ne peut s’improviser, il est conduit à prospecter en amont, d’où le préarchivage. En attendant l’archivage historique, les archives n’ont qu’un statut « intermédiaire », inférieur au seul et vrai statut qu’elles atteindront peut-être un jour…

Pour d’autres, l’archivage renvoie au fait d’enregistrer et de classer les documents administratifs selon des règles communes, dans un souci de bon fonctionnement de l’institution, sans que la valeur historique des contenus soit nécessairement prise en compte.

Il y a donc deux archivages. Encore faut-il le préciser et savoir duquel on parle.

L’enregistrement et le classement au sein même des services sont une pratique ancienne en France, bien que le mot archivage, lui, soit apparu récemment (il y a quelques décennies).

Sous l’Ancien régime, la chancellerie royale enregistrait les actes sitôt signés et les classait aux Archives. Sous la Révolution française, les décisions portaient régulièrement la mention d’un exemplaire « pour les archives », pratique qui a perduré près d’un siècle et demi. Mais surtout, l’administration française du XIXe siècle a développé les bureaux d’ordre, cellules de centralisation, d’enregistrement et de classement du courrier entrant et sortant et, par là même, mémoire vivante du service.

Les bureaux d’ordre ont disparu en France, pour des raisons qu’il serait trop long de développer ici, sans être remplacés. L’exception qui confirme la règle est le ministère des Affaires étrangères où ils ont été délibérément maintenus et même renforcés en raison de leur importance pour l’activité diplomatique. En 1983, les bureaux d’ordre du ministère ont été regroupés sous le nom de « Centre d’archives et de documentation ».

Il existe toutefois quelques cas d’organismes français où un système de bureau d’ordre a été mis en oeuvre, même s’il n’en porte pas le nom. Le Port de Marseille en offre un exemple intéressant. Lors de la création de l’établissement Port autonome de Marseille en 1966, la direction du port a sollicité l’assistance de la société de conseil Sema Organisation pour mettre en place un système de gestion de l’information de la nouvelle structure. Une procédure intitulée « Modalités concernant la circulation et le classement du courrier » a été adoptée, complétée par divers « modes opératoires » fort bien conçus dans l’environnement papier des années 1960. En application de cette procédure, l’original de tout courrier entrant était immédiatement enregistré et classé aux Archives centrales tandis qu’une copie était diffusée aux services concernés pour traitement de l’affaire. De même, la minute de tout courrier sortant ou circulant dans le port était adressée aux Archives centrales pour enregistrement et classement selon le même plan de classement descriptif des activités du port. Le système a donné toute satisfaction pendant une vingtaine d’années, dans une période relativement stable du point de vue des pratiques administratives. Malheureusement, la procédure et le plan de classement n’ont pas été mis à jour au cours des décennies suivantes, ce qu’auraient exigé les évolutions de l’activité portuaire, des réorganisations de plus en plus fréquentes et l’apparition successive de la photocopie, des ordinateurs et des réseaux de communication. La procédure, outil de management fort à l’origine, a perdu du terrain du fait de son décalage progressif avec la réalité de la vie des services. Son abandon partiel s’est évidemment accompagné d’une baisse de fiabilité des Archives centrales dont elle était le pourvoyeur. Cependant, pour répondre à ce constat d’une perte de maîtrise de la mémoire utile du port, une récente « procédure d’enregistrement et d’archivage des documents à valeur juridique » vise à restaurer en partie une pratique qui s’était avérée efficace dans la gestion de l’information pour peu qu’elle soit appliquée avec rigueur.

Ailleurs, la constitution centralisée de dossiers d’affaires a fait place à un éclatement de la gestion du courrier dans les divers secrétariats, avec des règles plus ou moins adaptées à l’archivage en fonction de la formation et de l’expérience des secrétaires. Puis les secrétariats ont commencé à disparaître, tandis qu’entraient en lice les qualiticiens et les outils informatiques…

 

Les âges de la vie

Archives courantes, intermédiaires et définitives. Ce sont les mots clés de la théorie des trois âges des archives, principe archivistique fondamental dans la formation des archivistes français. Cette théorie trouve son origine dans les travaux du prospectif et clairvoyant archiviste du département de la Seine du début des années 1960, Yves Pérotin. Attentif à son environnement, Pérotin s’était donné pour objectif de réduire le fossé grandissant entre des services d’archives tournés vers les archives historiques et des services administratifs producteurs de dossiers de plus en plus nombreux, abandonnés à leur triste sort dans une cave ou un grenier dès qu’ils n’étaient plus utilisés au quotidien, potentiellement perdus tant pour la gestion d’un contentieux que pour la constitution d’une mémoire historique. Pérotin alla donc étudier la façon de traiter cette question aux États-Unis et en Grande-Bretagne où le records management était déjà bien développé.

Il y observa comment, dans les pays anglo-saxons, l’activité administrative produit des écrits qui sont de simples documents ; certains de ces documents tracent une obligation, une décision ou une intention et sont validés et enregistrés en tant que tels d’où le nom spécifique qu’on leur donne : les records ; ces records sont des documents achevés qui ne peuvent plus être modifiés ; ils sont utilisés dans le cadre des affaires pendant quelques temps (active or current records) puis peuvent être stockés à l’écart quand on n’a plus besoin d’y accéder souvent (semi active or non current records) ; quand la valeur de preuve ou de témoignage (evidence) est échue, ces records sont soit détruits, soit deviennent archives.

Yves Pérotin formula le concept des trois âges en 1961 dans la revue Seine et Paris[9], en utilisant les expressions « archives courantes », « archives intermédiaires » et « archives archivées » pour désigner les entités nommées en anglais « current records », « non current records » et « archives », afin d’inciter les archivistes à intervenir plus tôt dans l’organisation des archives. Pour le premier âge, Pérotin indiquait qu’« il faut seulement obtenir que les bureaux fabriquent de bonnes archives et constituent des dossiers que n’encombrent pas les inutilités »[10].

Une vingtaine d’années plus tard, la réglementation issue de la loi sur les archives de 1979 reprend à son compte les expressions « archives courantes » et « archives intermédiaires », que prolongent les « archives définitives », tandis que la loi elle-même déclare « archives » tout document produit ou reçus par les services dans l’exercice de leur activité.

Et c’est là qu’apparaît l’ambiguïté.

Dans l’esprit de Pérotin, archives courantes correspondait à current records. Mais dans la réglementation de 1979, les choses ont curieusement changé : les archives courantes englobent à la fois les documents qui servent au travail de bureau et ceux qui sont validés, enregistrés et classés selon des règles pré-établies. Or, à la fin du XXe siècle, ces documents de bureau sont beaucoup plus volumineux qu’en 1960, ce volume accentuant encore la nécessité d’une identification précise de ce qu’il faut archiver.

Il est regrettable que les textes officiels glissent sur cette transition fondamentale du document géré librement par son seul auteur au document contrôlé dans un système. L’expression française « archives courantes » recouvre à la fois les mots documents et records sans que le passage de l’un à l’autre, pourtant essentiel, soit véritablement identifié. La terminologie archivistique proposée aujourd’hui par la Direction des Archives de France reconnaît même explicitement que les trois âges des archives sont « caractérisés par la fréquence et le type d’utilisation qui en est faite »[11], les archives courantes étant les « documents qui sont d’utilisation habituelle et fréquente pour l’activité des services »[12]. Rien n’est dit sur la portée juridique de ces documents, sur la distinction entre les documents validés et ceux qui n’ont qu’une valeur préparatoire.

La théorie française des trois âges des archives, au sens de la loi, a été ravivée et promue récemment par une recommandation de la Commission nationale de l’informatique et des libertés sur « l’archivage électronique dans les entreprises »[13]. Dans l’environnement informatique, les archives courantes sont « les données d’utilisation courante », les archives intermédiaires sont « les données qui présentent encore pour les services concernés un intérêt administratif, comme par exemple en cas de contentieux » et les archives définitives sont « les données présentant un intérêt historique, scientifique ou statistique justifiant qu’elles ne fassent l’objet d’aucune destruction ». Le texte insiste sur l’archivage sur de longues périodes mais évoque aussi des moyens d’archivage adaptés aux différentes catégories de données ; il parle des données archivées mais la relation entre les « données d’utilisation courante » et les « données archivées » (archivées au sens de la preuve et de la gestion) reste absconse car l’archivage n’est pas défini clairement.

La théorie française des trois âges des archives n’est pas universelle comme on l’enseigne aux étudiants en archivistique. Elle est même en décalage notable avec les pratiques anglo-saxonnes qu’il convient de connaître, afin de comparer valablement les cultures.

L’approche française est avant tout logistique, tandis que le records management s’appuie sur le statut juridique de l’information, que souligne un vocabulaire différencié : document, record, archive[14].

Quoi qu’il en soit, tous les événements de la vie de l’information ne sont pas à mettre sur le même plan. Une naissance ou un mariage ne sont pas des événements de la vie que l’on peut mettre sur le même plan qu’un déménagement : aux premiers sont attachés des droits et des devoirs tandis que le dernier est un événement de la vie personnelle qui ne modifie pas ces droits ni ces devoirs, même s’il peut en faciliter l’application.

Compte tenu de l’environnement de production, de diffusion et d’utilisation de l’information au XXIe siècle, on pourrait opposer aujourd’hui à la théorie des trois âges version 1979 une « théorie des trois statuts de l’information » plus structurante et plus efficace.

Le premier statut est un statut de production. L’information, qu’elle se présente sous la forme d’un document traditionnel ou de données dans une base de données, est sous la coupe de son ou ses rédacteurs qui élaborent et mettent en forme jusqu’à la validation et la diffusion.

Le second statut est un statut de trace. L’information validée et donc datée et figée (faute de quoi l’authenticité initiale serait remise en cause) est préservée aussi longtemps qu’elle présente un intérêt de preuve, de gestion ou de mémoire pour celui qui l’a créée et validée. Le lien organique entre l’information archivée et son auteur est ici essentiel.

Le troisième statut est un statut de source de connaissance. L’information n’est plus considérée au premier chef pour le lien ombilical qui la rattache à son auteur (bien que cette donnée soit indissociable du document), mais en tant qu’élément de connaissance pour un public, pour une communauté afin d’étudier, de se cultiver, de s’informer sur un thème, un événement, une histoire.

Toute information possède au minimum le premier statut. Après quoi, elle peut tout bonnement disparaître, ou acquérir le statut de trace, ou celui de source, ou les deux, successivement et parfois concomitamment[15].

Cette analyse s’inscrit parfaitement dans la démarche de maîtrise du cycle de vie de l’information telle qu’elle s’impose aujourd’hui dans les entreprises sous le sigle ILM (Information Lifecycle Management). L’information est gérée d’abord en fonction de sa valeur intrinsèque, ensuite en fonction de son utilisation.

Le cycle de vie de l’information se trouve donc divisé en trois intervalles qui sont la phase de production, la phase de trace et la phase de source de connaissance. Ces trois intervalles sont séparés par deux bornes qui représentent les deux archivages, l’archivage actif et l’archivage historique. Malheureusement ni la langue ni la pratique françaises ne mettent en relief ces deux bornes.


[1] Manuel d’archivistique, Théorie et pratique des Archives publiques en France, ouvrage élaboré par l’Association des archivistes français, avant-propos d’André Chamson, de l’Académie français, directeur général des Archives de France, Paris, Archives nationales, 1970, réimpr. 1991

[2] Vocabulaire des archives, Afnor, Les dossiers de la normalisation, 1986

[3] FedISA : fédération de l’ILM, du Stockage et de l’Archivage, www.fedisa.eu

[4] « Les archives d’Angers : sept siècles de mémoire », par Sylvain Bertoldi, conservateur en chef des archives d’Angers, http://www.angers.fr/page/p-194/art_id-512/

[5] Collectif des archivaires de l’Université de Montréal, http://www.ebsi.umontreal.ca/archivaires/accueil.html

[6] « EMC présente sa stratégie complète d’archivage de l’information annoncé lors de Momentum 2005 », article publié le 07/11/2005, in http://www.itiforums.com/articles.php3

[7] « Les métadonnées », par Jean Denègre, Ecole Nationale des Sciences Géographiques, http://seig.ensg.ign.fr

[8] Décret n°79-1037 du 3 décembre 1979 relatif à la compétence des services d’archives publics et à la coopération entre les administrations pour la collecte, la conservation et la communication des archives publiques

[9] Yves Pérotin, « L’administration et les «trois âges» des archives », dans Seine-et-Paris, 1961

[10] voir Marcel Caya, La théorie des trois âges en archivistique. En avons-nous toujours besoin ? conférence donnée à l’Ecole nationale des chartes en décembre 2004, http://elec.enc.sorbonne.fr/document72.html

[11] Dictionnaire de terminologie archivistique de la Direction des Archives de France (projet en ligne). www.archivesdefrance.culture.gouv.fr

[12] Décret n°79-1037 du 3 décembre 1979, cf supra.

[13] Recommandation de la CNIL du 11 octobre 2005

[14] Des théoriciens pourront objecter que cette différenciation linguistique est excessive, en se réclament du concept de records continuum qui souligne justement les convergences entre record et archive, concept particulièrement développé en Australie et au Canada. Sans doute, mais il est surtout question ici de la différence entre document et record.

[15] Marie-Anne Chabin, « Document trace et document source. La technologie numérique change-t-elle la notion de document ? » dans la Revue I3 . 4(1):141-158. 05 juillet 2004, http://archivesic.ccsd.cnrs.fr/