Les médias aiment les pataugeoires. Ils regardent les politiques patauger et ne refusent pas de patauger eux-mêmes un brin à l’occasion. Pataugeoire n’est-il pas en effet le terme approprié pour décrire le spectacle à trois « scandales d’État » par semaine qu’égrène une bonne partie des journaux d’information ces derniers temps ?

Il s’agit moins de la pataugeoire de la piscine municipale où les gamins s’éclaboussent en s’esclaffant de voir leurs petits camarades aspergés et pleurent quand ils reçoivent à leur tour une giclée, que d’une mare aux canards où ces messieurs-dames pataugent, patouillent, bidouillent, bredouillent et rabouillent à l’envi, voire d’un marigot dont la traversée sans précautions peut se solder par une bilharziose fatale.

Le spectacle est plutôt affligeant  mais le marigot des affaires est aussi intéressant pour le diplomatiste que la mare aux canards peut l’être pour le botaniste ou le zoologiste curieux d’observer de nouvelles espèces. Car les révélations, les petites phrases, les conversations, les enregistrements, les citations, les comptes rendus ne sont pas que des mots volatiles. Ce sont le plus souvent des traces en dur, des traces papier que l’on appelle communément archives et qui ne disparaissent pas si facilement que ça, et des traces électroniques qui se reproduisent comme des petits pains (ces petits pains que l’on jette aux canards pour leur faire faire coin-coin), et qui sont souvent archivées malgré elles, tout simplement par défaut de règles de production et d’archivage pertinentes et réalistes. Donc, le marigot médiatico-politique se révèle être un biotope archivistique très riche de contenus mais surtout de traces datées, traces des faits et dires, et plus encore traces de transmission et d’utilisation de ces traces :

  • les rapports de l’administration : l’exemplaire de l’auteur, celui destinataire primaire qui le lit ou le survole, tout de suite ou plus tard, et la copie qui n’était pas prévue et qui arrive chez un destinataire que le rédacteur imprévu ;
  • des enregistrements de conversations, officiels et publics,  ou bien officiels mais officieux car interceptés, ou encore à l’insu du plein gré des intéressés (attention, passant à gué – guéant ? – le marigot des conciliabules, de ne pas prendre un crocodile pour un vulgaire buisson…) ;
  • des courriers et mails envoyés et reçus (il peut y avoir un peu de déperdition entre le départ et l’arrivée, ça dépend du nombre d’intermédiaires entre l’expéditeur et le destinataire final), les mails reçus mais non lus pour cause de tsunami numérique et de priorités prioritaires mal évaluées(l’écart entre ce qui est envoyé et ce qui atteint sa cible se creuse un peu), et les mails lus trop vite ou mal compris, souvent parce que mal écrit ou doté d’un « objet » sans lien avec l’information transmise (là, le fossé s’élargit) ;
  • les extraits des précédents documents, contextualisés ou non  selon ce qu’on veut leur faire dire ;
  • les commentaires déclarations des uns et des autres, enregistrées à leur tour ;
  • les notes personnelles qui ne resteront pas personnelles toute leur vie;
  • etc.

On voit là s’épanouir et prospérer une multitude d’objets documentaires bruts ou travaillés, engageants ou parasites, lisses ou visqueux, inodores ou nauséabonds, dans lesquels il est vite fait de patauger. Il faudrait des palmes comme les canards pour se maintenir à flot (les palmes académiques ne sont pas d’un grand secours, hélas). Ah ! Tout le monde n’est pas Talleyrand, ce grand maître dans le maniement l’information politique.