Un des documents cités dans mon billet de la semaine dernière est un « relevé d’observations provisoires » de la Cour des comptes. Ce document est prévu par le code des juridictions financières (article R.141-8). Il désigne la mise en forme, après discussion collégiale au sein de la juridiction, des premières observations formulées par les rapporteurs de la Cour des comptes ou des chambres territoriales des comptes sur la gestion des organismes audités. La procédure prévoit que ces observations provisoires sont communiquées aux personnes concernées pour recueillir leurs réponses aux questions soulevées ainsi que leurs remarques. La prise en compte de ces réponses et remarques donne lieu à la production d’observations définitives. Les observations provisoires sont confidentielles. Les observations définitives sont publiques.
À noter que le code de loi ne précise pas le nom de ce document, appelé tantôt relevé tantôt rapport (l’abréviation ROP utilisée par la Cour des comptes convient dans les deux cas, ce qui est bien pratique). Cela n’a pas d’importance car ce qui est provisoire, puis définitif, n’est pas le relevé ou le rapport mais les observations. L’adjectif qualificatif est d’ailleurs accordé à observations : relevé d’observations provisoires, rapport d’observations définitives.
Les observations sont provisoires mais le rapport ne l’est pas. C’est le point que je veux souligner. Le caractère provisoire qualifie la teneur du document, non sa forme. L’utilisation de l’expression « document provisoire » est pourtant courante. Si on y regarde de près, elle a deux sens bien différents mais également contestables. D’un côté, elle désigne un document de travail, un brouillon, un draft, c’est-à-dire un document en cours d’élaboration, inachevé et surtout ni validé ni diffusé à son destinataire final, non engageant. De l’autre côté, l’expression renvoie, par métonymie en quelque sorte, à un document tout à fait officiel (achevé, validé et diffusé) mais qui porte une décision d’ordre provisoire, autrement dit liée dès le départ, du fait de la procédure, à une révision de sa teneur : relevé d’observations provisoires, permis de conduire provisoire, autorisation provisoire de séjour, plan d’aménagement provisoire, etc.
Au fond, ce qui caractérise la mesure (discours ou installation) provisoire n’est pas tant sa durée d’existence ou de validité que sa valeur d’étape dans une procédure globale. Il y a un objectif à atteindre mais il n’est juridiquement ou matériellement pas possible de l’atteindre d’un seul coup ; on procède donc en deux étapes. On annonce le terme définitif et on « provisionne » une première étape avec les premiers éléments disponibles avant de pouvoir compléter, ajuster, consolider la réponse. La réponse provisoire dure deux mois (le temps de recueillir l’avis du président de la collectivité auditée, dans le respect du débat contradictoire), six mois (temps de fabriquer l’implant et d’observer la gencive confrontée à la dent provisoire), ou deux ans (durée d’usage du pont Bailey – provisoire – de Sully-sur-Loire dont le pont suspendu s’était écroulé sous l’effet du froid en 1985).
Quand le provisoire dure, c’est que l’on a séparé le couple « provisoire-définitif » ou qu’on l’a purement et simplement ignoré.
Finalement, l’image ci-dessous qui, au premier regard, relèverait plutôt d’un bêtisier, résume bien la question. Une fermeture définitive est envisagée et, pour l’organiser, on prend une première mesure – transitoire – pour organiser la fermeture en bonne et due forme. C’est ma conclusion, provisoirement.
Ce billet appelle quelques réminiscences (une terminaison à utiliser ultérieurement…) quelque peu perturbantes.
Le premier est un dicton de ma jeunesse (je ne précise pas laquelle) qui dit « il n’y a que le provisoire qui dure ».
Je le comprenais alors que comme un paradoxe humoristique en rapport aux aléas de la volonté de graver dans la pierre des futilités, mais je peux le lire aujourd’hui comme le provisoire dure parce qu’il est vivant alors que le définitif est mort. L’expérience commune est que la seule chose définitive que nous connaissions soit notre mort.
Le deuxième, issue de la première, est que l’on parlait, en son temps (ou once upon a time, proche de l’expression « il était une fois » (encore un souvenir d’enfance), d’archives mortes. L’expression à disparu de l’usage et il est peut-être temps d’en faire l’historique car nous avons remplacé le mort par le définitif. Que signifie se glissement terminologique, je ne le sais, mais cela mérite enquête.
Merci Jean-Daniel. Oui, le monde est plein de paradoxes, c’est ce qui fait son charme…
J’aime beaucoup l’idée qu’il faut être vivant pour durer, parce que durer est une activité qui requiert de l’énergie. Ce qui me fera dire que les archives sont vivantes ou rien.
Sur les archives mortes versus définitives, je vous suis moins car il me semble, mais vous me corrigerez si je me trompe, que ceux qui parlent d’archives définitives ne sont pas les mêmes que ceux qui parlaient (ou qui parlent encore, dans l’entreprise) d’archives mortes. Il faudrait effectivement analyser plus loin le glissement terminologique si les deux expressions sont le fait des même personnes.
PS : et merci pour la suggestion de désinence…