Quel est l’impact de la société de l’information sur la perception de la gloire (la gloire des hommes, s’entend, car la gloire des dieux est au-dessus de ça) ?
Si on considère que la gloire est constituée par la conjonction de quatre éléments :
- l’action du sujet de gloire: un fait extraordinaire, conjoncturel (un acte de bravoure lors d’une catastrophe) ou volontariste (un exploit sportif) ;
- la propagation de l’information rapportée par les témoins oculaires et relayée par l’écrit, les ondes, les réseaux, la presse, la littérature ; on retrouve cette idée de répétition dans l’étymologie du mot renommée à l’origine de la gloire : nommer une deuxième fois, répéter le nom deux, trois, des dizaines, des milliers de fois ;
- la position relative du sujet de gloire sur l’échelle de tous les personnages glorieux de chaque admirateur, individuellement, et, collectivement, chez l’ensemble des admirateurs ;
- la durée de la gloire du sujet dans le public ( après le sujet passe au statut d’ancienne gloire) ;
il est clair que la société de l’information a un impact sur le deuxième composant et par suite sur le troisième et le quatrième voire sur le premier…
Tout cela est une affaire de temps, d’accélération et de raccourcissement.
Le réseau mondial colporte les faits glorieux en temps quasi réel avec deux cas de figure ; ou bien, le média qui relate l’événement est déjà sur le coup et piste le héros ou l’héroïne potentielle et le/la marque à la culotte ; ou bien, l’action d’éclat se produit loin des caméras et des smartphones et il faut que le public initial transmette le récit ou l’image des faits à ceux qui sont bien connectés ; c’est souvent le plus long et le plus compliqué.
La société de l’information met la reconnaissance du public à portée de main de tout un chacun. En accélérant la notoriété, elle multiplie les occasions de gloire. La gloire s’est vraiment démocratisée. Des instants de gloire comme la mort de l’empereur romain Julien l’Apostat à la bataille de Ctésiphon en 363, l’atterrissage de Charles Lindberg au Bourget en 1927 ou la remise du prix Nobel de la paix à Aung San Suu Kyi en 1991 sont noyés sous des événements autrement importants : Gégé a montré ses fesses à la caméra sur un plateau de télé-réalité, pâle et tardif épigone de Michel Polnareff ; Titine a gagné le concours en dévorant dix-sept pots de Nutella en une heure. Le monde médiatique attise les rêves de gloire !
Andy Warhol l’avait merveilleusement prédit dès 1968 « Dans le futur, chacun aura droit à 15 minutes de célébrité mondiale ». Nous y sommes, le « droit à » la gloire de chacun a conduit à sa quartdheurisation. Et dépêchez-vous, il y en a d’autres qui attendent derrière !
La gloire est devenue un bien de consommation comme un autre : packaging affriolant, contenu creux et insipide, avalé en vitesse ; on jette l’emballage pour se précipiter sur le suivant. La capacité d’absorption des faits « glorieux » par le public n’est cependant pas extensible. Il se produit tout naturellement un empilement, une saturation, puis un tri, une décantation, un rebut, à la hauteur de la production. Le glorieux personnage, complice ou non de son heure de gloire, a de plus en plus de mal à se maintenir à flot. Le temps de la gloire s’est raccourci. La gloire qui se voulait éternelle est marquée du sceau de l’éphémérité.
La gloire ne dépend plus de la hauteur de la montagne et de l’adhésion d’un large public ; elle dépend de la conviction de chaque individu que sa montagne culmine au niveau du trottoir.
Qu’en restera-t-il dans les livres d’histoire ? Faudrait-il archiver et conserver tous les récits et toutes les images de ces gloriettes ou procéder à un échantillonnage drastique ?
Sic transit gloria mundi… Le travail de l’enseignante-documentaliste est bien plus facile : elle revisite son fonds régulièrement et désherbe impitoyablement.