Je ne parle pas du petit écran ou du grand écran. Je parle de l’écran comme moyen de lire les documents numériques, de cette partie lumineuse de l’ordinateur, de la tablette ou du smartphone qui met sous les yeux du lecteur un texte reçu à une adresse électronique ou cliqué sur Internet (en supposant que le format des données n’est ni obsolète ni corrompu).

Comparé au monde de la lecture papier, l’écran numérique est un intermédiaire entre le fichier où est enregistré le document (qui se trouve quelque part, on ne sait pas bien où du reste) et le lecteur qui fait défiler les pages correspondant au contenu de ce document. L’écran est médiateur entre les disques ou les serveurs et l’œil de l’utilisateur. L’écran facilite l’accès à l’information.

Mais, toujours en comparaison des pratiques papier, l’écran est aussi un dissimulateur. Je ne parle pas de ces fenêtres de pub intempestives qui cachent ce que vous êtes en train de lire mais du fait que l’écran cache aux yeux du lecteur certaines informations qui étaient naguère visibles au premier regard sur l’objet-document. Ce sont les informations de provenance et de date (portées classiquement par l’enveloppe et/ou l’en-tête-pied de page du document papier) ; ce sont aussi le volume et le contexte de l’information (tout ce qu’apprennent intuitivement au lecteur le nombre de pages, leur taux de remplissage, la texture du papier, l’écriture, les indices d’original ou de copie, les agrafes, etc.

La transposition de ces éléments dans le monde numérique s’est bien faite dans le cas de l’imprimé et le livre numérique reste un objet soigné. Dans le domaine de la communication, les pages web qui remplacent les publications papier n’ont pas trop perdu en changeant de forme. Mais pour les documents qui sont destinés à tracer les affaires, ceux qui sont échangés entre collaborateurs, entre fournisseurs et clients, entre administration et administrés, la transition numérique est moins maîtrisée car les acteurs sont plus nombreux et personne – ou pas grand monde – ne s’est soucié de les accompagner dans cette transition.

L’écran dissimule parfois la provenance réelle d’un mail, alors qu’il n’est pas bien compliqué d’aller vérifier l’en-tête (header) qui indique la véritable adresse émettrice ou l’adresse IP.

L’écran dissimule l’état d’original ou de copie visible sur un papier  et il faut savoir lire, derrière l’écran, la trace numérique qui porte l’information équivalente (cf « L’original est mort, vive la trace numérique » d’Isabelle Renard).

L’écran dissimule le contexte du document dans le sens où le dossier auquel appartient un document numérique est virtuel. Si les données de contexte (émetteur, affaire, objectif, date, relation à un document principal, etc.) ne sont pas insérées dans le nom du fichier ou dans la page proprement dite, le document unitaire (le fichier numérique) apparaît orphelin, voire apatride. Combien de fois, en cliquant sur le lien d’un résultat de recherche sur Internet, j’ai vu s’ouvrir un document sans titre, sans référence, sans auteur et sans date… y compris émanant de professionnels de l’information (par discrétion, je ne citerai pas de nom J). L’information tronquée n’est pas exploitable.

L’écran dissimule les modifications en mode révision et les commentaires des relecteurs. Ces éléments sont en général masqués après validation du document mais masquer ne veut pas dire supprimer. Les données sont toujours là tant qu’on ne les détruit pas positivement. Quand ces documents échangés sont engageants ou porteurs d’un risque, il n’est pas neutre pour l’émetteur de n’enregistrer que ce qui doit être, et pour le destinataire de savoir lire derrière l’écran. J’ai entendu quelques histoires croustillantes de fournisseurs qui avaient laissé dans le fichier portant leur offre commerciale toutes les traces de l’élaboration et des discussions sur l’affaire, de sorte que le client pouvait, au prix d’une toute petite manipulation, voir toutes leurs hésitations et leurs sottises… Inutile de dire que ces fournisseurs n’ont pas été retenus.

Le pourcentage des utilisateurs formés à produire un document numérique de bonne qualité et propre est encore très faible.

Et le gagnant est…… celui qui est moins naïf et mieux formé que l’autre !