« La chance, c’est un autre mot pour dire le destin, me reprit Maxie, ses yeux brillant d’une lueur mystique. Soit on le prend en main, soit on se le prend dans le cul ». Ce sont les propos que John Le Carré prête à un de ses personnages, un mercenaire en Afrique, dans son roman Le Chant de la mission.

Un autre Anglais expérimenté, Winston Churchill, a déclaré : « La chance n’existe pas; ce que vous appelez chance, c’est l’attention aux détails ». La sentence a un parfum de sérendipité : l’observation assidue de son environnement permet non seulement de trouver ce que l’on cherche mais aussi de trouver ce que l’on pourrait chercher, et encore (d’aventure, by any chance…) de détecter les indices d’une menace ou de repérer une opportunité à saisir.

Il est amusant de noter que le mot « chance » – formé  sur le verbe choir (tomber) pour désigner la façon dont les dés tombent de la main du joueur et plus généralement la façon dont les événements vous tombent dessus – n’a pas connu la même évolution en anglais et en français. L’anglais a conservé le caractère tantôt positif tantôt négatif de ce qui arrive ; chance en anglais se traduit fréquemment par « risque » : to take a chance signifie aussi bien tenter sa chance que prendre un risque. En français, en revanche, la connotation négative est tombée en désuétude et le mot chance est aujourd’hui utilisé avec le sens de « heureux » hasard, de bonne fortune, de succès. Du reste, il y a un mot particulier pour le hasard malheureux, c’est la malchance, en anglais bad luck ou misfortune.

La citation de John Le Carré laisse entendre que la chance est le résultat d’une confrontation entre un événement extérieur et un comportement individuel : d’un côté un danger, d’origine naturelle ou humaine, avec des probabilités de survenance selon le temps et le lieu (inondation, chute de pierres, crise financière, agression, flash de radar sur une route à vitesse limitée, maladie, revente des données personnelles sur les réseaux sociaux, etc.), de l’autre, la possibilité et la volonté de connaître ce danger, de l’anticiper, de l’éviter, de le contrer. Le curseur se promène sur le front des cas de figures…

Jean n’a pas de chance : la promotion attendue lui est passée sous le nez (y aurait-il un lien avec son tweet « mon patron est un con », abondamment retweeté ?) ; la police lui a retiré son permis de conduire après que son véhicule ait renversé un piéton dans une rue en sens interdit (pas facile le lire en même temps un SMS et le panneau indicateur) ; son ordinateur a été piraté ; son appartement a été cambriolé (ah oui, en y repensant, cette conversation l’autre jour au restau avec des amis sur les digicodes et les mesures de protection mises en place par les uns et les autres, à la table d’à-côté, ils avaient l’air d’écouter attentivement…) ; sa maison de campagne sur le bord de la rivière a été complètement dévastée par une crue ; son avion est parti sans l’attendre (la tour de contrôle ne gère pas les embouteillages automobiles) ; avec tous ces soucis, Jean a pris du poids ces derniers temps et ne rentre plus dans son jean ; son couple bat de l’aile, etc.

Jean raconte ses mésaventures à Chris qui, pour sa part, a obtenu un nouveau job, a gagné un prix à un concours d’arts plastiques ; garde la ligne en combinant intelligemment gastronomie et activité physique, a eu un bonus de son assurance pour bonne conduite et a trouvé un trèfle à quatre feuilles dans un jardin public.

Considérant l’inégalité de sa situation par rapport à celle de Chris, Jean s’exclamera immanquablement : « Oui mais toi, tu as de la chance ! » ou encore, dans une variante un tantinet argotique : « Oui mais toi, tu as le cul bordé de nouilles ! ».

Conclusion, cette histoire de chance, du début à la fin, c’est tout de même un peu cucul.