Je tiens à exprimer ma plus vive et plus entière reconnaissance aux législateurs de tous les pays démocratiques qui ont, par leur engagement politique et leur expertise, contribué à la construction d’une réglementation fiscale solide et équitable, applicable à tous les citoyens d’un pays, comme il est logique dans un système démocratique. Si je leur suis reconnaissante, c’est parce que leur action a incité ceux qui s’estiment trop riches et trop importants pour payer l’impôt à contourner le système ; parce que ces règles fiscales ont incité les milliardaires resquilleurs à trouver des biais pour ne pas verser leur obole au pot commun ; parce que l’existence de certaines lois a excité l’imagination d’opulents personnages, handicapés du sens civique, pour escamoter leurs obligations.

Or, je suis particulièrement reconnaissante aux exilés fiscaux, ces personnalités de notre histoire contemporaine qui ont décidé de dérober leurs surplus de lingots d’or et de patrimoine aux regards de l’administration et qui ont résolument choisi de s’installer dans un pays plus accueillant. Je leur suis reconnaissante, indirectement mais reconnaissante tout de même, parce que leur désir incompressible de placer leur argent sale ou pas très propre dans un paradis fiscal a suscité l’émergence et l’épanouissement de cabinets d’avocats spécialisés dans la création de sociétés offshore et a incité des hommes d’affaires à répondre à ce besoin afin de faciliter leur vie de fraudeurs.

Car je veux dire ici toute ma reconnaissance pour ces cabinets juridiques lointains qui, grâce à ces clients peu regardants de la loi et de la morale, ont rédigé au fil des années des kyrielles de registres de sociétés-écrans, des paquets de tableaux de flux financiers, des notes juridiques avisées, et aussi une foultitude de mails anodins ou imprudents, créant ainsi de beaux dossiers qui constituent de magnifiques archives. Je leur suis reconnaissante parce que ces activités border-line ont excité la curiosité de hackeurs et de lanceurs d’alerte ; parce que ces belles archives, bien nourries, bien classées, ont incité des journalistes d’investigation à enquêter ; parce que ces révélations ont suscité l’intérêt des médias d’information.

Et je tiens à exprimer ma plus sincère reconnaissance à John Doe (pseudo du lanceur d’alerte à l’origine des Panama Papers), mais aussi aux journalistes d’investigation de l’ICIJ qui ont analysé les millions de fichiers subtilisés aux serveurs du cabinet Mossack-Fonseca, ainsi qu’aux éditeurs de logiciels qui ont permis le traitement et la protection des données. Je leur suis reconnaissante d’avoir mis à la disposition du grand public (dont je fais partie) le détail de cette affaire d’envergure.

Bref, j’adresse ma reconnaissance à tous ces acteurs. Car si la législation fiscale n’existait pas, il n’y aurait pas de fraudeurs. Sans fraudeurs, il n’y aurait pas de paradis fiscaux. Sans paradis fiscaux, il n’y aurait pas d’enquête sur les paradis fiscaux. Et je n’aurais pas pu écrire l’article « Panama papers : 4 remarques sur la forme » que j’ai publié la semaine dernière. CQFD.

Et je leur tire mon chapeau, un panama pour l’occasion (sous les tropiques, c’est de rigueur).