Il ne faut pas réduire l’inconsistance à l’incohérence, sous prétexte que le mot anglais inconsistency signifie incohérence en français.

L’inconsistance est plus large que la seule incohérence, que le seul manque de logique entre les parties d’un tout. L’inconsistance conjugue plusieurs manques : manque de solidité, manque de fermeté, manque de soin, manque de profondeur, manque d’intérêt.

Sur le plan de l’information, l’inconsistance se caractérise par deux absences : l’absence de syntaxe et l’absence de contenu. Au lieu de propositions explicites avec sujet, verbe et compléments qui décrivent des faits ou exposent des idées, on entend ou on lit des bribes de discours, des morceaux de phrases, des verbes désaccordés, des suites de mots désarticulés. À la place d’une analyse structurée ou d’une opinion argumentée, on trouve quelque chose de mou, d’informe, de bossu, de creux et de plat tout à la fois.

L’inconsistance fait partie du paysage informationnel. Tout ne saurait être consistant. Il faut souffler un peu, soit. Et cela ne change pas avec le numérique, sauf que les technologies d’enregistrement et de diffusion de l’information donnent sur l’inconsistance un coup de projecteur immérité. Les conversations ne s’envolent plus ; elles s’écrivent et restent. Les réactions épidermiques s’enregistrent. L’inconsistance des échanges quotidiens est tracée.

À côté de l’inconsistance documentaire traditionnelle (citations tronquées, copiés-collés sans queue ni tête, prose gratuite), la nouveauté est que ce qu’on se disait naguère entre soi, en toute légèreté, à la maison ou au café, s’étale lourdement sur les réseaux sociaux aux yeux de tous. Sur les sites des médias, les commentaires sont constitués le plus souvent d’imprécations fumeuses, de sentences absconses, de formulations qui, pour le lecteur, défient aussi bien le sens commun que la grammaire, quand ils ne se réduisent pas à des exclamations ou à des onomatopées (Wouah ! Pouah !) sans qu’on sache précisément quel est l’objet de l’admiration ou du dégoût. Les serveurs de messagerie et les répertoires des smartphones sont engorgés de messages télégraphiques, fades, mous, mal bâtis et mal léchés, quand ils ne sont pas porteurs de risque…

Lire ou écouter un discours inconsistant, c’est comme manger du fromage blanc à 0% : c’est flasque ; c’est insipide ; ça ne profite pas à l’organisme. Même avec un coulis d’émoticônes, l’effet gustatif et nourricier est plus qu’éphémère.

Ceci rejoint la notion d’« information guimauve » décrite par Catherine Leloup : « Guimauve, parce que cela colle, c’est sucré – donc apparemment inoffensif, comme le bonbon qu’on donne à un gamin, donc facile à absorber – mais sur le fond redoutable, au moins en ce qui concerne la transmission du savoir ».

Cette inconsistance est reposante, voire agréable dans un cercle restreint et à petites doses. En grandes quantités, elle fait perdre du temps à ceux qui cherchent un sens à ce qui n’en a pas et qui parfois culpabilisent de ne pas en trouver ; elle envahit l’espace numérique comme la mousse envahit un gazon insuffisamment soigné.

Sur le plan de la gestion de l’information dans le temps, l’accumulation de traces numériques inconsistantes finit par poser des problèmes de stockage et de pertinence. Il serait judicieux de s’en débarrasser après usage, genre kleenex.

J’attends donc avec impatience l’algorithme qui saura déterminer la consistance ou l’inconsistance d’un écrit afin d’automatiser sa conservation ou sa destruction : consistant : je garde, inconsistant : je jette.

 

 

2 commentaires

  1. Tout est une question de surface en somme. Néanmoins les algorithmes c’est comme les désherbants : c’est pratique mais il faut faire attention aux effets secondaires, notamment à long terme, et se méfier des souches résistantes, sans compter que mal utilisés cela peut nuire à la biodiversité. Un tri numériquement aidé mais raisonné me semble plus intéressant qu’un algorithme qui prendrait tout en charge tel une baguette magique.

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