C’est la question que je me pose à force de voir mon adresse mail personnelle refusée sur des sites de commerce en ligne au motif que sa syntaxe ne serait pas correcte…

Et cette question est plus largement celle du risque monopolistique que court Internet au fur et à mesure que les GAFAM (Google, Amazon, Facebook, Apple et Microsoft) grignotent le réseau et emprisonnent les internautes passifs dans leurs filets technico-commerciaux.

A priori, Internet est libre

Tout un chacun peut créer un site, créer une adresse de messagerie et échanger des informations avec n’importe quel internaute de n’importe quel endroit de la planète.

A priori, seulement. Les médias soulignent volontiers les restrictions apportées chez les autres à l’usage d’Internet (Facebook bloqué en Inde, accès restreint au réseau mondial en Turquie ou en Chine), faisant croire que dans les pays dit occidentaux, le régime est celui de la pure liberté, sous réserve de respecter la réglementation (contenus illicites, vie privée).

Quant à la messagerie électronique, elle s’est  affirmée depuis vingt ans comme le moyen de communication le plus démocratique car c’est une technologie indépendante de toute autre application. C’est que qu’explique l’expert britannique James LAPPIN dans le MOOC du CR2PA « Le mail dans tous ses états » (2016) : « La particularité de l’email est d’être entièrement indépendant d’une application. L’email n’est pas une application, c’est un protocole, défini au début des années 1970. C’est ce protocole qui assure la longévité de l’email : si l’email a perduré à l’ère Internet, alors que d’autres applications sont déjà passées de l’apogée au déclin, c’est parce que l’email n’est dépendant d’aucune application. Personne n’est propriétaire de l’email ».

 

A priori, tout le monde peut avoir une adresse mail indépendante

Il se trouve que, contrairement à la très grande majorité des gens (donc en accord avec une petite minorité), j’ai décidé d’utiliser une adresse de messagerie personnelle, et même doublement personnelle puisque non seulement l’intitulé qui se trouve avant l’arobase (mac – mes initiales) mais également le nom de domaine qui se trouve après l’arobase (marieannechabin.fr) me sont personnels.

Le nom de domaine sert d’abord, ou sert aussi, à créer un site Internet : marieannechabin.fr constitue l’URL explicite de mon blog. Il est dès lors facile de créer l’adresse de messagerie liée au site. Ceci dit, il n’est pas besoin d’avoir un site Internet pour avoir un nom de domaine et se créer une adresse de messagerie vraiment personnelle et indépendante. Cela coûte environ 10 € par an. Que peut-on acheter avec 10 euros ? 7 cafés ? 2 tee-shirts fabriqués à Taïwan ? 1,5 place de cinéma ?

Mais pourquoi s’embêter à créer un nom de domaine familial ou individuel quand Gmail, Orange ou Yahoo vous tendent les bras pour fabriquer votre adresse mail au sein de leur réseau? Il suffit de « s’inscrire », l’opérateur s’occupe du reste. Un nom de domaine privé, n’est-ce pas une coquetterie inutile ?

D’autres m’objectent que « tout le monde n’est pas informaticien », comme si gérer un nom de domaine demandait des compétences extraordinaires, comme si c’était plus compliqué que de changer une ampoule ou de réussir un tiramisu maison. Pourquoi du reste n’apprend-on pas à créer un nom de domaine à l’école, à côté de la conjugaison du futur antérieur et de la résolution des équations à deux inconnues ? Tant de gens cherchent à personnaliser leur logement, leur voiture, leur look…. Pourquoi pas leur adresse mail ?

Mais non, on peut constater chaque jour combien le « fast-email » ou le « prêt à mailer » fait recette auprès des consommateurs.

A posteriori, une adresse mail indépendante est suspecte pour le commerce en ligne

C’est le constat que j’ai été amenée à faire régulièrement depuis deux ou trois ans sur divers sites de commerce ; je veux créer un compte pour une opération en ligne et mon adresse @marieannechabin.fr est rejetée ; j’essaie avec mon adresse @archive17.fr dont je possède aussi le nom de domaine, mais je me fais également « jeter ». Et cela ne concerne pas seulement les entreprises internationales puisque le dernier en date est www.leboncoin.fr.

Bref, quand on ne veut plus de son chien, on dit qu’il a la rage…

Alors, de guerre lasse, estimant qu’interrompre la transaction serait encore plus compliqué que me soumettre aux exigences de la confrérie commerciale, je m’exécute et je saisis mon adresse Yahoo, ou mon adresse Gmail car, bien sûr, j’en ai aussi (comment y échapper si on ne veut pas être marginalisé ?). Et là, évidemment ça marche… Ma résistance s’en trouve émoussée.

Une adresse mail indépendante est pourtant un des moyens de mieux contrôler le stockage de ses données personnelles. Évidemment, si j’échange un message avec une personne qui a une adresse gmail, les contenus liés à mon adresse ont également stockés chez Gmail. Mais les messages échangés entre deux adresses vraiment privées ne seront stockés que sur les divers serveurs qui hébergent ces messageries et sous le contrôle des propriétaires des noms de domaine concernés.

Cela n’exclut pas un piratage, évidemment. Mais les données dispersées dans des milliers de fichiers (autant que de noms de domaines) sont moins faciles à exploiter que des bases centralisées de mots de passe Yahoo ou de messages Facebook. Ce n’est pas une question de cloud ; c’est une question de droit d’accès et on sait bien que les GAFAM ont tous les droits.

A posteriori, les jours de la messagerie indépendante sont comptés

De plus en plus, les entreprises subissent l’influence de leur fournisseur dominant en terme d’outils de messagerie. C’est ce qu’observe Jean-François Perret, Directeur Associe PAC/CXP Group – toujours dans le MOOC « Le mail dans tous ses états » : « Côté entreprise, la plupart des entreprises adoptent aussi les outils collaboratifs de leur fournisseur dominant (ça peut être Microsoft, ça peut être Google, ça peut être Yahoo, ça peut être… ce qu’on a choisi, et on est un peu (un peu beaucoup d’ailleurs) dans une contrainte d’utiliser à un moment donné, l’outillage préféré de son fournisseur dominant ».

On pourrait imaginer que les individus aient plus l’esprit d’indépendance que les entreprises car ils ne sont pas sous la pression du business. Mais non, il semble bien que la domination des plus grands soit très bien acceptée par les internautes. Servitude volontaire à la mode ou simple abandon à la facilité ?

La toile d’araignée des géants du net se tisse inexorablement…

La grande araignée mangera-t-elle vraiment toutes les petites ?

Bon, rendez-vous dans dix ans, comme dirait Patrick Bruel…

Publié par Marie-Anne Chabin, 27 septembre 2017

4 commentaires

  1. Il ne faut pas oublier qu’il y avait (et encore maintenant), les domaines de messagerie ‘offerts’ par les fournisseurs d’accès (Orange, Free…). Pas simple à gérer quand on sait qu’on peut changer facilement de FAI…

    Autrement, je ne souhaite pas faire de publicité mais il existe des messageries « indépendantes » mais peut être est-ce un peu ringard ?
    Je citerai notamment Laposte.net

    Qui offre en plus un système d’archivage intéressant 😉
    En tout cas, si ce message est posté, c’est que le site de Marie-Anne accepte mon email de résistant, Ouf 😉 !

  2. Ce qui est étonnant n’est pas la volonté de la minorité de « sortir » du carcan, mais bien l’acceptation fortement majoritaire, y compris de ceux qui « savent », de renoncer à leur indépendance. Frédéric Gros dans son dernier ouvrage Désobéir ne dit pas autre chose : la règle est d’obéir.

    • Merci Bruno.
      Oui, c’est confortable d’obéir, soit. Mais c’est utile de désobéir.
      Et quand on joint l’utile à l’agréable… Personnellement, je n’hésite pas .

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