Après être allée voir de mes propres yeux (en tant que parisienne résidant dans le centre de la capitale) la cathédrale presque millénaire en proie aux flammes ce lundi 16 avril 2019, l’idée m’est venue de réaliser une petite expérience, celle de collecter systématiquement les posts relatifs à l’incendie de Notre-Dame sur mon mur LinkedIn au cours des 48h suivant le drame. Il est généralement admis qu’un post sur LinkedIn a une durée de vie de 24h mais, vu le sujet, 48h n’étaient pas de trop. J’aurais d’ailleurs pu prolonger l’expérience car il y en a eu encore pas mal les jours suivants et à l’heure où je publie ce billet, dix jours après les faits, je vois toujours des posts relatifs à l’incendie et à ses conséquences. Mais cela n’a guère d’importance.

J’ai donc balayé consciencieusement mon « mur » toutes les heures environ (sauf la nuit) et procédé à une capture d’écran des posts sur la thématique. Face à du déjà vu, j’ai activé à plusieurs reprises la commande « Fn+F5 » pour rafraîchir la page, même s’il faut parfois répéter la formule pour être entendu… Je pourrais m’étonner aussi d’avoir remarqué que certains posts sans aucun like m’ont été reproposés plusieurs fois tandis que je n’ai aperçu qu’une seule fois d’autres posts ayant suscité de très nombreuses réactions. L’algorithme a ses raisons que la raison n’a pas…

Le résultat de ma collecte est un ensemble de 92 posts (27 pour le 1er jour et 65 pour le 2e jour).

Que faire de cette collection? Comment interroger ce genre de corpus? Selon quels critères l’appréhender? Et d’abord, quel est l’objectif de cette expérimentation?

En démarrant la constitution du corpus, je n’avais pas d’objectif prédéfini en dehors de profiter d’un événement bien circonscrit pour étudier le fonctionnement du réseau LinkedIn lui-même – ou du moins ma relation au réseau – et voir si la constitution et l’étude de ce corpus thématique pouvait m’apprendre quelque chose ou me suggérer quelques idées à approfondir.

J’ai donc observé ces données. Je les ai classées en différents lots, par agrégation en fonction de caractéristiques similaires (contenu, forme, lien avec les membres de mon réseau, etc.).

La suite du texte est illustrée par 7 montages regroupant thématiquement 29 des 92 posts, soit un peu plus d’un tiers (sélection se voulant représentative mais forcément subjective de ma part). Dans ces montages, les noms et titres des posteurs ou likeurs sont masqués (NN pour les membres de mon réseau et XX pour les autres), parce que l’extraction de ces noms de personnes et leur réutilisation dans un autre média relèvent potentiellement d’un traitement au sens du RGPD et parce que cela n’apporte rien à mon expérience.

Résultats

Quelques statistiques:

  • 91 de ces 92 posts sont issus de 65 membres de mon réseau LinkedIn qui en compte 4000 (autrement dit 1,6% de mes contacts a réagi à l’incendie dans les deux premiers jours); le 92e est un post sponsorisé du groupe LVMH auquel je ne suis pas abonnée.
  • Sur les 65 intervenants, 11 se sont exprimés 2 fois et 4 (au profil de blogueur ou d’observateur, 3 hommes et une femme) se sont exprimés entre 3 et 7 fois.
  • Au total, il y a 52 likes, 33 partages d’une photo, d’un message ou d’une publication (dont la moitié le 1er jour) et 6 commentaires.
  • 12 réactions sont en langue étrangère (9 en anglais, 1 en italien, 1 en espagnol, 1 en allemand).
  • 40 posts renvoient à l’URL d’un site ou d’une page web dont la moitié (20) sont des journaux d’information en ligne (lemonde, francetvinfo, france3, 20mn, lefigaro, le parisien, nytimes, bmftv, CNN, etc.); 3 sont les pages Récap Actu de LinkedIn; 11 sont des sites que je qualifierais de techniques (usinenouvelle, antimuseum, extremetech, fr.statistica, itespresso …; 3 sont des blogs personnels; 2 pointent sur Youtube; il n’y a qu’un article publié sur LinkedIn (pulse).

Sur le plan de l’image (qui est ce que l’œil capte en premier sur un post), j’ai dénombré:

  • 37 photos et vidéos de Notre-Dame en flammes et après: 29 dont 5 de l’intérieur de la cathédrale et 7 vidéos,
  • 4 photos ou vidéos de pompiers luttant contre l’incendie
  • 30 photos anciennes de Notre-Dame: 21 de l’extérieur et 9 détails (charpente, rosace…),
  • 13 illustrations diverses (dessins, personnes, objet…),
  • 8 posts sans illustration (commentaires, poème, témoignage, tweet)

Sur le plan du message, je note (avec la même subjectivité inévitable dans les regroupements):

  • 22 messages factuels, tout au long de la déclaration du sinistre jusqu’à l’extinction par les pompiers et les premiers constats
  • 16 messages d’incrédulité, de compassion, de tristesse
  • 10 témoignages de professionnels du patrimoine (architectes, compagnons, chercheurs, étudiants) et d’appel aux dons pour le patrimoine
  • 14 messages annonçant les dons des grandes familles et des grandes entreprises (BNP Paribas, LVMH, L’Oréal…) ou d’entreprises plus modestes, y compris les dons en nature (chênes) et en expertise (matériaux, informatique)
  • 10 messages relatifs à la reconstruction (espoir, conseil, usage du numérique)
  • 7 commentaires d’ordre historique (Napoléon ou de Gaulle à Notre-Dame), technique (Notre-Dame en chiffres), littéraire (citations de Victor Hugo) ou artistique (dessin)
  • 3 commentaires critiques: hacking émotionnel, dérapage de Youtube qui confond incendie de Notre-Dame et attentat du 11 septembre à New-York, déclaration méprisante d’un responsable de l’UNEF
  • 3 divers: frappe d’une médaille par la Monnaie de Paris, tweet humoristique sur l’appel de Victor Hugo à donner aussi pour Les Misérables (cité deux fois).

A noter que, pour cette analyse centrée sur mon mur et non sur l’exhaustivité du réseau, je n’ai pas tenu compte de certaines informations inexploitables:

  • le nombre de likes et de commentaires: ces nombres évoluent sans cesse et sont liés à des paramètres que je ne maîtrise pas (nombre d’abonnés des émetteurs et « réacteurs », interactions sur le réseau, impact de l’algorithme);
  • l’heure du post qui apparaît sur la capture d’écran, donnée liée à l’heure de ma visite sur le site et non significative quand il s’agit d’un like ou d’un partage puisque dans ce cas c’est l’heure du like ou du partage qui a été prise en compte et non l’heure du post initial;

So what? Quelle conclusion tirer ?

Il y a des expériences qui ne sont guère concluantes. Cette observation de mon mur LinkedIn à propos de l’incendie de Notre-Dame en fait partie… Mais je ne regrette pas de l’avoir menée car j’en tire quand même quelque chose.

Je commence par les « non-conclusions », c’est-à-dire ce que je n’ai pas appris ou ce qui a simplement confirmé ce que je savais déjà (mon réseau est diversifié avec une composante non négligeable liée au patrimoine) ou que j’ai pu entendre, voir et lire sur d’autres sources d’information (radios, abonnements de presse, échanges personnels et professionnels). LinkedIn est un réseau professionnel, ce n’est pas un lieu privilégié d’information sur l’actualité générale.

Il m’est venu à l’esprit, au cours de cet exercice, que, sur cette thématique, j’avais « récolté » une proportion de posts sponsorisés (non sollicités) moindre qu’à l’ordinaire mais c’est une impression qu’il est bien difficile de vérifier. En revanche, j’ai remarqué en confectionnant les groupes thématiques que mon mur LinkedIn n’avait pas affiché de posts relatifs à la thèse de l’attentat contre la cathédrale, alors que je peux témoigner que lorsque je me suis mêlée à la foule regardant les flammes depuis les quais de la Seine, il était question pratiquement à part égale dans l’assistance de tristesse et de soupçon d’attentat. J’ai toutefois suivi ces thèses ailleurs et j’ai relayé sur LinkedIn l’article du Monde sur la confusion entre une statue de saint Denis et un terroriste marchant sur le toit…

Le principal écueil de l’expérience est l’absence fatale de point de comparaison du résultat de mon corpus initial. Est-ce beaucoup? Est-ce peu? Est-ce « normal »?… Que conclure de quoi que ce soit si l’on ne peut le comparer ni à un modèle préexistant ni à d’autres données comparables?

A tout hasard, j’ai lancé sur LinkedIn une requête thématique (tous les posts relatifs à Notre-Dame) à l’aide de la fonctionnalité « recherche » mais, outre le fait que les résultats changent notablement à chaque rafraichissement de la requête (mise en avant des likes ici, priorité aux articles LinkedIn toutes audiences confondues là), la comparaison n’est pas pertinente; mélanger le périmètre d’émission avec le périmètre de réception ne convient pas puisque c’est le périmètre de réception (mon mur) qui m’intéresse.

Une autre question qui restera sans réponse est: lesquels de ces 92 posts aurais-je vu si j’avais consulté mon compte LinkedIn comme d’habitude, c’est-à-dire deux fois par jour seulement?

Cela dit, j’aimerais bien recommencer l’expérience, mais en groupe, au plutôt en parallèle, 5 à 10 personnes faisant le même exercice pendant la même période afin d’échanger les données et les impressions, dans le but d’affiner le regard de chacun sur son mur qui n’est jamais celui du voisin (si vous êtes intéressé, merci de me contacter).

En résumé, l’intérêt de cet exercice était double:

  1. exercer son regard sur la forme de l’information (un exercice de diplomatique donc) et prendre un peu de recul sur son propre comportement devant le déferlement des images, des mots et des likes;
  2. s’immerger volontairement dans le réseau social dont l’algorithme reste (restera) mystérieux pour mieux toucher du doigt ce nouvel environnement d’information, fait d’éclats imprévisibles et désordonnés qui sont là et ailleurs en même temps, loin des repères habituels de l’information stable, hiérarchisée et dont les biais étaient plus faciles à appréhender. Donc une tentative pour contrôler l’immersion afin de mieux maîtriser la salutaire émersion.

2 commentaires

  1. Bonjour Mme Chabin,
    Je vous lis toujours avec intérêt et je me félicite de même que des personnes « capées » comme vous l’êtes, et avec votre parcours public/privé partagent leur passion du métier.

    Je retire de votre billet que LinkedIn se démarque comme une plateforme ne permettant pas d’avoir d’approche quantifiable et mesurable d’un évènement d’importance quand celui-ci agite son réseau.
    (Je pense aux deux paragraphes-clés à mon avis : « Le principal écueil de l’expérience est l’absence […] de réception (mon mur) qui m’intéresse »).

    Mais ce n’est tout simplement pas le but de LinkedIn.
    Il n’est pas là pour rendre ce genre de service comme : restituer gratuitement de la donnée objective ; ce n’est pas de l’open-data gouvernementale ou d’ONG ; ce n’est pas « the Way-back Machine » : c’est une machine capitaliste qui soumet ses utilisateurs à un CLUF léonin sous couvert de gratuité – et personnellement, je lui ai abandonné, le cœur gros, ma seule vitrine officielle parce que j’ai besoin de gagner mon pain.
    Je ne vous renvoie pas aux propriétaires de LinkedIn, ni aux usages faits des données collectés par les GAFAM, ni aux backdoors consentis par ces mêmes GAFAM aux agences nord-américaines, ni au RGPD, etc.

    Bref : utiliser une plateforme comme LinkedIn est un pis-aller pour moi, et je ne lui demande rien de plus que de me donner une visibilité accessible aux recruteurs, agents Pôle Emploi et autres DRH.

    J’y fais certes de belles découvertes de temps en temps, c’est vrai – mais alors, c’est seulement quand je ne travaille pas : je fais en effet de l’abattage contractuel en W (mais ça ne cesse de me passionner et j’essaie de le faire bien ; alors tout va bien, au bout du bout !).

    Merci beaucoup de vos partages !

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