Le climat socio-politique de la France chauffe, à défaut de se réchauffer.

L’administration a du mal à suivre et est de plus en plus sujette aux atermoiements et palinodies bureaucratiques pour lequel les chercheurs n’ont pas encore trouvé de vaccin.

Après mon billet de l’an passé sur la gestion et la réception de la première attestation, je n’espérais pas y revenir de sitôt. Mais le nouveau vrai-faux-confinement-couvre-feu décrété jeudi 18 mars pour seize départements français dont ceux d’Ile-de-France provoque un nouvel épisode « attestatoire » à documenter.

Le vice en première ligne

Le nouveau modèle d' »attestation » est sorti du ventre du ministère de l’intérieur vendredi 19 mars au soir. Malheureusement, le bébé présente une malformation handicapante.

Un vice de forme s’étale en effet à la première ligne du texte. L’attestation de mars 2021 se réfère à l’article 4 du décret n°2020-1310 du 29 octobre 2020 prescrivant les mesures générales nécessaires pour faire face à l’épidémie de COVID-19 dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire. Or, ces nouvelles restrictions annoncées par le Premier ministre reposent sur un texte qui n’est pas le décret cité – lequel est périmé – mais le décret n° 2021-296 du 19 mars 2021 modifiant ce décret n° 2020-1310 du 29 octobre 2020 et qui est paru au Journal officiel du 20 mars 2021. Il eût fallu écrire a minima « le décret n°2020-1310 du 29 octobre 2020 modifié ».

Précisons que les versions raccourcies qui ont été substituées aux versions initiales dans la journée de samedi présentent le même vice.

J’ai regardé une vingtaine de médias, tous à l’affût de la nouvelle attestation printanière et je n’en ai trouvé aucun qui ait remarqué cette anomalie dérisoire. Ai-je mal cherché ? Il est vrai que le site du ministère de l’intérieur oublie lui aussi d’évoquer le décret, source de la contrainte.

C’est pourtant la première chose à regarder : la légitimité de la mesure. Bien sûr, le Premier ministre s’est exprimé publiquement jeudi soir et personne n’irait penser que c’était pour rigoler. Mais alors, pourquoi le « confinement » n’était-il pas immédiatement applicable ? Pourquoi a-t-il fallu attendre le samedi matin ? Pour avoir le temps de préparer les « attestations » ? Allons donc ! Certains mauvais esprits pensent peut-être qu’il fallait laisser le temps aux Parisiens, entre autres, de quitter Paris, à la SNCF de se refaire une petite santé avec le plein de quelques TGV, aux autoroutes de se réhabituer aux bouchons ? Non. Cette fois encore, c’est simplement en application de la règle en vigueur (on pourrait la changer mais pour l’instant elle s’applique) qui veut qu’une mesure gouvernementale n’entre en application qu’après sa publication au Journal officiel de la République.

C’est curieux, cette absence de curiosité pour les sources du droit qui nous gouverne.

On peut y voir les prémices d’un nouveau mode de gouvernance : foin du Journal officiel et de ces paperasses d’un autre âge ! L’expression orale sur les réseaux, avec ses millions de spectateurs, ne peut-elle pas avantageusement tenir lieu de publication officielle ? On l’a vu lors de la fronde des maires contre la fermeture des commerces non essentiels en novembre 2020 : certains arrêtés visaient au même niveau l’allocution du président de la République et le code des collectivités territoriales.

Un allongement record

Passant d’une page a deux pages, le modèle d’attestation de base a connu – l’espace d’un matin – un doublement de sa longueur (100% !), plus forte encore que l’allongement des fils électriques sous l’effet de la canicule ! Puissent les décisions publiques être aussi efficaces pour réduire de moitié les excès du réchauffement de la température !

Cette initiative a suscité de la part de Carlito des prédictions alarmantes pour 2023 :

L’administration a rétropédalé mais si le formulaire de sortie après le couvre-feu est revenu à une page dans la journée du samedi 20 mars, « l’attestation de déplacement mesures renforcées » en format Word, elle, du fait d’un traitement de texte mal maîtrisé, en compte trois ! En effet, la signature est décalée sur une troisième page. S’il n’y avait que la signature, on pourrait croire que c’est délibéré afin d’éviter de re-signer à chaque sortie, mais non, la « date et heure du début de sortie » sont aussi décalées sur cette dernière page. Ce qui conduit Jérôme Prod’homme à constater sur son compte Twitter: « N’empêche qu’on aurait sorti cette #attestation y a 30 ans, on sauvait l’industrie papetière des Vosges ».

Police instable

Je m’étais amusée dans un précédent billet de la disparition de la police de caractère Marianne, fleuron de la charte graphique adoptée par le gouvernement début 2020. Le grand public avait pu découvrir Marianne dans les modèles d’attestation du premier confinement. Mais elle était absente des modèles d’attestation de novembre 2020.

On ne l’a pas retrouvée.

Dans ce troisième lot de modèles, balbutiements compris, on retrouve en revanche une valse-hésitation dans le choix des polices bien que, si on en croit les propriétés des fichiers bureautiques, tous les modèles aient été confectionnés par la même personne. Sans doute ce fonctionnaire est-il un adepte d’Antoine Houdar de la Motte (« L’ennui naquit un jour de l’uniformité »).

 

 

Cependant, j’ai fait à cette occasion une découverte intéressante : la police « MS Outlook » disponible dans Word (et dans PowerPoint) donne des résultats visuels suggestifs qui pourrait faire l’unanimité. L’illustration ci-dessous montre, à gauche les mots ATTESTATION, COUVRE-FEU et JUSTIFICATIF en police Arial (majuscules), à droite les mêmes mots transposés en MS Outlook (j’ai juste rajouté un peu de couleurs pour fêter le printemps…) :

 

Je n’ai parlé que de la forme mais c’est ma spécialité (la diplomatique). Sur le fond, tout a été déjà dit, ou presque.