Je poursuis méthodiquement mon étude des cahiers de doléances/cahiers citoyens de 2018-2019 en Charente-Maritime (voir les précédents billets sur les cahiers de doléances). L’analyse systématique fait ressortir un élément diffus : la participation des élus locaux aux cahiers de leur commune.

D’après les archives disponibles (Archives départementales et nationales), sur les 463 communes que compte la Charente-Maritime, 451 ont ouvert un cahier de doléances/cahier citoyens. 95 sont restés à l’état « Néant ». Parmi les 356 cahiers non vierges, 25 comportent la contribution d’un maire en exercice et 23 une ou plusieurs contributions d’adjoints au maire, de conseillers municipaux ou d’anciens élus, le tout concernant 47 communes du département, soit 13 % des cahiers. En nombre de textes, ce corpus représente 1,7 % des 3138 contributions pour l’ensemble du département. En nombre de lignes, 2,6 % (les contributions des élus étant plus longue que la moyenne).

Se sont exprimés les maires des vingt-cinq communes suivantes : Angliers, Arces, Aumagne, Beurlay, Brie-sous-Matha, Courpignac, Cravans, Grézac, La Flotte, La Laigne, Lussac, Migré, Plassay, Préguillac, Saint-Clément-des-Baleines, Sainte-Radegonde, Saint-Georges-du-Bois, Saint-Germain-du-Seudre, Saint-Jean-d’Angély, Saint-Médard-d’Aunis, Saint-Vaize, Semoussac, Villars-en-Pons, Villemorin, Virollet.

Les vingt-sept adjoints au maire, conseillers municipaux et d’anciens élus ayant signé une contribution se rattachent aux communes d’Andilly, Chaillevette, Chaniers, Épargnes, Forges, Haimps, Jonzac, Jussas, La Flotte, La Jarrie-Audouin, L’Éguille, Montguyon, Neulles, Puy-du-Lac, Rochefort, Saint-Jean-d’Angle, Saint-Médard-en-Saintonge, Saint-Savinien, Saint-Sulpice-d’Arnoult, Saint-Sulpice-de-Royan, Saint-Trojan-les-Bains, Talmont-sur-Gironde. Il faut y ajouter le texte de l’association départementale des anciens maires et adjoints de Charente-Maritime (ADAMA) sous la présidence de l’ancien maire de Saint-André-de-Lidon.

Ces contributions, éclatées dans quarante-sept documents, forment un ensemble singulier dans la mesure où elles constituent une photographie de l’expression des maires et plus généralement des élus municipaux pendant le mouvement social et le Grand débat, leur témoignage évoquant la responsabilité et l’expérience de la vie communale.

Édition intégrale des 53 contributions d’élus

Permettre l’accès à tous de ces paroles d’élus et donc éditer cette « photographie » m’a paru prioritaire sur toute autre édition de textes parmi cette collection de cahiers.

On trouvera donc sur ce blog le texte intégral de ces contributions (en PDF « cherchable » pour faciliter la consultation) :

Les textes sont donc présentés dans l’ordre alphabétique des communes concernées. En effet, compte tenu du nombre important de contributions non datées, l’ordre chronologique était inapplicable, de même qu’un classement par thème, compte tenu de la disparité des sujets. Chaque contribution est précédée d’un petit tableau de mise en contexte.

À noter que deux contributions originales de maires, figurant dans les cahiers originaux aux Archives départementales de Charente-Maritime, sont absentes dans les copies numériques conservées aux Archives nationales ; une autre est manuscrite dans la version numérique alors qu’elle est dactylographiée dans le cahier original (avec un texte un peu différent). Ceci est sans conséquence sur la constitution du corpus mais illustre le chemin parfois sinueux de la création des cahiers…

Répartition géographique

La carte ci-dessous met en évidence la répartition géographique de ces 53 contributions (point rouge foncé pour les maires, plus clair pour les autres élus) :

Les contributions d’élus sont donc réparties dans tout le département. Douze des treize intercommunalités de Charente-Maritime sont représentées dans ce corpus (il manque la communauté de communes du Bassin de Marennes). La ville de La Rochelle n’apparaît pas non plus ni la ville de Saintes mais à Rochefort trois élus et une ancienne adjointe se sont exprimés, ainsi que la maire de Saint-Jean-d’Angely et un conseiller municipal de Jonzac (pour citer les quatre villes sous-préfectures du département).

Un tiers de ces contributions proviennent de communes de moins de 500 habitants localisées en Saintonge, essentiellement dans les deux intercommunalités de Vals de Saintonge-Communautés (110 communes) et de Haute-Saintonge (129 communes).

Forme, date et contexte

Quand on regarde de plus près à quel moment les élus interviennent dans le cahier, on remarque que dans les deux tiers des cas, la contribution du maire est soit la première du cahier soit la dernière, comme s’il s’agissait de donner le « la » ou bien de fermer la marche, de montrer l’exemple quand le cahier ne « démarre » pas, ou encore de conclure. C’est un peu moins vrai pour les autres élus mais les propos d’une élue de Saint-Trojan-les-Bains (1204 hab., au sud de l’Île d’Oléron) sont éloquents. Le cahier de doléances de la commune a été ouvert en mairie le 19 décembre 2018 mais ce n’est que le samedi 12 janvier 2019 que cette conseillère municipale « l’inaugure » par ces mots : « Je souhaite m’exprimer au nom de tous mes concitoyens et concitoyennes qui n’oseront pas, renonceront ou penseront que c’est inutile. Et puis, cette phrase de Lao She : « Le courage de la goutte d’eau, c’est qu’elle ose tomber dans le désert ». ».

Sur l’ensemble des cinquante-trois contributions, vingt-et-une ne sont ni datées ni datables (en tout cas à quelques jours près). Parmi celles qui le sont, trois seulement datent de décembre 2018 : celles des maires d’Arces et de Brie-sous-Matha, et celle d’un adjoint de Saint-Sulpice-de-Royan.

Dans quatre communes, le cahier ne comporte qu’une seule contribution, de plusieurs pages. C’est le cas à Lussac (la plus petite commune de Charente-Maritime avec 48 hab.) où le maire écrit manuscritement son texte le 29 janvier 2019 ; à Villemorin (107 hab.) avec une contribution du maire, également manuscrite, datée du 21 février 2019, c’est-à-dire la veille de la fermeture. À Jussas (155 hab.), un conseiller remplit trois pages de cahier, sans date. À Saint-Médard-en-Saintonge (77 hab.), un adjoint au maire enregistre trois pages dactylographiées, sans dater.

À La Flotte (2759 hab., Île de Ré), le cahier compte quatre contributions dont celle du maire, celle d’un adjoint et celle d’un conseiller.

Le cahier de Semoussac (371 hab., intercommunalité de la Haute Saintonge) ne comporte que deux contributions : la première est celle de la secrétaire de mairie qui témoigne du nombre croissant d’administrés qui demandent de l’aide à la mairie ; la seconde, celle du maire qui évoque l’accroissement des aides sociales sans contrepartie tandis que les dotations aux communes baissent.

La moyenne des cinquante-trois contributions est d’environ quarante lignes de cahier (manuscrites ou dactylographiées). Une quinzaine ont entre 4 et 15 lignes. Une autre quinzaine trois ou quatre pages manuscrites ou dactylographiées. La contribution la plus longue est celle du maire de Migré (340 hab., CC Vals de Saintonge Communauté) qui compte 5 pages, 210 lignes et 2616 mots ; sous le titre « Revendications », il s’agit d’une défense argumentée de la notion de commune et des réformes budgétaires à mettre en œuvre.

Quelques contributions se limitent à un seul sujet (la désertification médicale, la laïcité, une modification constitutionnelle…) mais le plus souvent plusieurs points sont abordés, parfois avec un plan structuré, tantôt sous forme de listes à puces, tantôt avec une rédaction plus élaborée.

À signaler le grand tableau du maire de Cravans qui structure la contribution par thème et en constats de terrain versus propositions concrètes, selon un plan qui n’est pas celui des quatre thèmes officiels.

Qui s’adresse à qui ?

La plupart des maires indiquent, en tête ou en signature, leur nom et prénom (parfois également adresse et téléphone) et leur fonction de maire. Il y a cependant quelques exceptions : deux maires (Aumagne et Saint-Germain-du-Seudre) enregistrent leur contribution sans mentionner le fait qu’ils sont maires de la commune. Un autre maire s’identifie simplement comme « maire d’une petite commune de Charente-Maritime » mais sans dire son nom (Courpignac). À Saint-Clément-des-Baleines, pas de nom non plus, juste « maire depuis 2008 ».

Le maire de Lussac rédige une contribution en trois parties : observation du maire / observation du citoyen / observation du chef entreprise. Celui de Saint-Médard d’Aunis précise qu’il est également vice-président de la communauté d’agglomération de La Rochelle. La maire du petit village de Sainte-Radegonde, quant à elle, indique qu’elle est maire depuis 2001 et élus depuis 1983.

Deux contributions sont collectives, l’une signée par neuf membres du conseil municipal (Grézac) ; l’autre de l’association des anciens élus du département et non signée (cahier de Saint-André-de-Lidon).

Les autres élus s’identifient systématiquement par leur nom et leur fonction ou ancienne fonction. Peut-être d’autres élus se sont-ils exprimés à titre personnel mais il est plus difficile de les identifier.

À noter que l’on compte deux femmes parmi les vingt-cinq maires et sept femmes parmi les vingt-sept conseillers ou anciens élus.

Un élément intéressant (totalement ignoré par le traitement algorithmique des cahiers) est l’adresse de la contribution. À qui s’adresse le contributeur ?

Pour mémoire (voir le billet À quoi ressemblent les cahiers de doléances 2018-2019), la majorité des cahiers ont adopté ou se sont inspirés de la couverture et du titre proposé par l’association des maires de France (AMF), à savoir : « Cahier de doléances et de propositions » avec en-dessous la formule « ce document sera transmis aux préfets et aux parlementaires ». Le texte des contributions est dans la grande majorité des cas dépourvu d’adresse et commence directement par l’exposé des revendications, parfois précédées d’un titre. Sur l’ensemble des 3238 contributions des citoyens, une dizaine seulement s’adresse aux préfets ou aux parlementaires, une cinquantaine est adressée au maire, tandis que pas loin de 200 (6 %) interpellent directement le président de la République dont une fois sur cinq directement par son patronyme (« M. Macron »). Ceci s’explique par la diffusion le 13 janvier 2019 de la « Lettre aux Français » du chef de l’État et par la médiatisation associée aux interventions et déplacements du président dans le contexte du mouvement social et du Grand débat national.

On retrouve cette place du président de la République dans les contributions des élus locaux, à cette différence près qu’il est interpellé ès fonction et jamais pas son patronyme. Neuf contributions d’élus sur cinquante-trois sont adressées directement au président de la République. En voici les premières lignes :

À l’attention de Monsieur le Président de la République. Nous, le Conseil municipal d’Angliers en Charente-Maritime, souhaitons participer activement au débat de concertation nationale lancé par le Président de la République. Bien que nos réflexions tiennent compte des thèmes retenus, nous avons néanmoins souhaité apporter des contributions sur de nouveaux enjeux…

Mr le Président, Quand est-ce que vous arriverez à équilibrer le prix du baril avec les taxes pour le prix du carburant à la pompe ? Il y a depuis des années un décalage. Bien sur, ce sont toujours les mêmes qui mettent la main à la poche… (maire de Courpignac)

Monsieur le PRÉSIDENT de la République, Au nom du peuple de ma commune rurale qui n’a pas pour habitude de s’exprimer par l’écriture mais plutôt par les paroles ; en voici quelques extraits. Redonner du pouvoir d’achat au peuple travailleur et revaloriser le travail quel qu’il soit. Arrêter les injustices sociales qui divisent la société. Revoyez le partage des richesses pour tout citoyen travailleur… (maire de Virollet)

C’est un cri d’alarme que j’adresse à Monsieur le président de la République et à son gouvernement car je vois que chaque jour notre démocratie s’efface et notre bien-être aussi. Nos territoires ruraux se dégradent au fil des ans… (élu de Jussas)

Monsieur le Président, La crise actuelle est d’une telle gravité et profondeur qu’il est permis d’affirmer qu’elle est une des conséquences du mode de gouvernance sur plusieurs décennies. Elle ne peut pas être imputée au seul exécutif d’aujourd’hui… (adjoint de La Flotte)

Monsieur le président de la République, C’est en tant que conseillère municipale et citoyenne d’une petite commune que je me permets aujourd’hui, profitant de cette opportunité, de vous écrire puisque vous nous donnez la parole. Je revendique aujourd’hui le droit des citoyens de participer pleinement aux décisions qui pourraient impacter leur choix de vie, qu’ils aient choisi de vivre à la ville comme à la campagne… (conseillère municipale de Puy-du-Lac)

Monsieur le Président, Vous demandez l’avis des Français. Voici le mien, après quarante-trois ans d’activité et soixante-dix ans d’observation de notre société… (adjoint de Saint-Médard-en-Saintonge)

Monsieur le Président de la République, Veuillez trouver ci-dessous mes doléances. Je ne suis pas « révolutionnaire » mais un Français tout simplement qui souhaite que vous, Monsieur le Président, soyez le président de Tous les Français et à l’écoute de Votre peuple. La France ne se gère pas comme une entreprise… (adjoint de Saint-Sulpice-d’Arnoult)

Monsieur le Président, Élu depuis de très nombreuses années, je côtoie nombre de nos administrés. Au fil des années, nos services sociaux voient le nombre des demandes augmenter : jeunes, femmes seules avec enfants, retraités isolés. Tous nous font part de leurs difficultés au quotidien, dans un pays qu’ils aiment et qui est un des plus riches de la planète… (adjoint de Saint-Sulpice-de-Royan)

Trois autres contributions sont une lettre ouverte en réponse aux initiatives du chef de l’État d’engager le Grand débat, qu’il s’agisse d’une réponse aux quatre thèmes de débat ou d’une critique de la réponse gouvernementale à la crise.

À signaler la contribution du maire de Saint-Vaize qui est son « Discours d’accueil des Gilets jaunes « La Parole Citoyenne Saintaise » à la mairie de Saint-Vaize le 22 janvier 2019 », inséré dans le cahier de doléances.

Regards sur le mouvement social

Plusieurs maires, au début de leur contribution, évoquent le mouvement social des Gilets jaunes.

Le maire d’Arces-sur-Gironde (762 hab., CA Royan Atlantique) écrit : « en cette fin d’année 2018, un fort courant de ras-le-bol, exprimé jusqu’alors sur les réseaux sociaux, a envahi la rue, soutenu ou vu avec bienveillance jusqu’à ce jour par un grand nombre d’habitants. […] Je ne suis pas sûr que la réponse du gouvernement aux Gilets jaunes soit au niveau de ce qu’ils attendent ».

Pour le maire de Migré (340 hab., CC Vals de Saintonge Communauté), c’est « un mouvement de grande ampleur qui met en difficulté un gouvernement qui n’a pas forcément démérité plus que les précédents, permet aux citoyens de mettre au jour les difficultés ressenties notamment en milieu rural, et aussi de s’exprimer sur des pistes sérieuses à suivre pour des économies de grande ampleur au niveau national ».

Le maire de Saint-Médard-d’Aunis (2279 hab., CA de La Rochelle) relie le mouvement à une fracture territoriale : « Les manifestations actuelles émanent d’un ensemble de raisons, elles portent principalement sur le pouvoir d’achat et sur un malentendu profond en ce qui concerne l’action publique. Le constat est le suivant : sur le secteur le plus rural de l’agglo, les habitants se sentent lésés par rapport aux populations plus proches du pôle urbain. Les communes les plus distantes ne se situent qu’à 25 km maximum du centre urbain mais cela suffit à créer une fracture dans l’esprit des habitants. Les urbains ignorent les problèmes des ruraux et, à l’inverse, les ruraux pensent que tout va bien pour les urbains qui disposent de tous les services » avant d’ajouter « Bien sûr, ce n’est pas si simple ».

Dans sa contribution aux « Cahiers de doléances et de l’espoir », un conseiller municipal de Forges (1315 hab., CC Aunis Sud) constate : « Depuis la mi-novembre, plusieurs centaines de milliers de personnes crient régulièrement leurs colères et leurs revendications. À ma place de simple conseiller municipal en charge de l’action sociale et des solidarités d’une commune de 1250 habitants, je constate que la colère et le mal vivre ne concerne pas seulement ceux qu’on appelle « GJ ». Dans notre commune, les habitants éprouvant de plus en plus de difficultés à boucler les fins de mois sont en augmentation sensible, certains font régulièrement appel au CIAS pour des aides financières pour honorer leurs loyers, leurs factures de fluides ou même leurs assurances et leurs mutuelles. Les retraités n’échappent pas à ces difficultés, il n’est pas rare que certains d’entre eux s’adressent aussi au CIAS pour des aides. Pour en avoir discuté avec quelques-uns, ces administrés se reconnaissent dans le mouvement des « GJ ». ».

La question de la démocratie est rattachée à ce constat avec ces remarques que les réseaux sociaux et les manifestations de rue ne représentent pas la nation (maire de Cravans) ou que « trop souvent ce sont les minorités qui infléchissent un pouvoir qui, en voulant plaire à tout le monde, affiche sa faiblesse » (Association départementale des anciens maires et adjoints de Charente-Maritime, ADAMA).

L’amertume des maires

Bien sûr, si les maires prennent la plume, c’est aussi pour réagir non seulement à la dégradation des conditions d’exercice de leur fonction de maire mais aussi au mépris dont ils sont parfois l’objet. Plusieurs expriment leur amertume.

« Le gouvernement dans les difficultés que nous connaissons (mouvements sociaux) fait appel aux maires pour organiser les grands débats, les cahiers de doléances… Aurions-nous des vertus de proximité dans la tempête qui souffle ? Votre attitude semble le prouver. Merci de le reconnaître ! […] Les maires ne supportent plus ce double langage des pouvoirs. » (maire d’Aumagne)

« Maintenant, après les avoir pris en peu de considération, il est fait appel aux maires pour essayer d’enrayer les difficultés actuelles qui étaient prévisibles. Où est la cohérence de gouvernement ? » (adjoint au maire de La Flotte).

Dans une contribution très virulente, l’ancienne maire de La Jarrie-Audouin (269 hab., CC Vals de Saintonge Communauté) ironise sur l’attitude du président de la République qui « met les maires en première ligne, ils sont les plus qualifiés à écouter et à faire remonter les colères. Personne n’a oublié que monsieur Macron n’a pas daigné les rencontrer lors du congrès de l’Association des maires de France à Paris ».

Le premier sujet abordé par le maire de La Laigne concerne le « rôle des élus » ; c’est un témoignage amer qui dénonce la contradiction entre l’engagement sur le terrain et le peu de considération à l’égard des maires de petites communes, appelant à la création d’un « statut de l’élu ».

Extrait de la contribution du maire de La Laigne

Le maire de La Flotte, élu local depuis 1985, constate : « J’ai vu le champ de mes possibilités d’intervention en qualité de maire se réduire progressivement depuis 10 ans.

Pourtant, « le maire et son conseil municipal sont la pierre angulaire de [la] représentativité du citoyen envers l’État » souligne, entre autres, le maire de Saint-Germain-du-Seudre.

À côté de l’engagement des élus, quatre maires mentionnent le bénévolat, factuellement : « Les communes et leurs représentants sont les soldats de la République, des fantassins bénévoles et loyaux qui chaque jour servent la République, sont à l’écoute des populations, sont les amortisseurs sociaux des territoires. (Aumagne) et « … nos routes et chemins qui ne sont entretenus que par l’intermédiaire du bénévolat de quelques administrés. » (Villemorin). Mais aussi avec humeur : « Ce n’est pas à nous à faire des économies car le bénévolat chez nous ça existe toujours et ne coûte rien à la société. » (Courpignac) et « Beaucoup de bénévolat, mais les gens vont finir par se lasser ! » (Sainte-Radegonde).

Les petites communes à la peine

La notion de commune, en tant qu’échelon de la vie démocratique n’apparaît ni dans les revendications du mouvement « Gilets jaunes » ni dans les questions du Grand débat. C’est pourtant ce dont les élus qui prennent la parole ont à cœur de parler, liant la crise sociale à la fracture territoriale comme le souligne le maire de Plassay.

Tous les maires qui abordent la question de la gestion de leur commune déplore la baisse continue des dotations et des moyens alloués à l’échelon communal, au bénéfice des intercommunalités, sans pour autant apporter de meilleurs services et un assainissement des finances publiques, au contraire.

La loi NOTRe est très critiquée pour avoir retirer nombre de compétences aux communes au profil des intercommunalités (Angliers, Beurlay, La Flotte et Migré). L’exonération de la taxe d’habitation non compensée est également dénoncée à plusieurs reprises.

Ainsi, le conseil municipal de Saint-Georges-du-Bois « s’inquiète de l’évolution de ses recettes et notamment de la DGF », chiffres à l’appui, dénonçant les injustices entre collectivités : « La baisse entre 2013 et 2017 a été sensible, passant de 27% des recettes réelles à 21% sur la même période. Au-delà de cette réalité, le montant même de cette dotation, ramené à l’habitant, nous questionne de longue date : en 2017, elle était de 106€/hab. alors que la moyenne départementale de la même strate est de 154, et la moyenne régionale de 163 €/hab. ».

Extrait de la contribution d’une conseillère municipale du Puy-du-Lac

Par ailleurs, plusieurs maires se plaignent d’être marginalisés dans les prises de décisions. Le maire de Saint-Clément-des-Baleines (île-de-Ré), évoquant les blocages dans les relations État-commune lors de la tempête Xynthia, conclut : « À quoi ça sert d’être élus si ce sont les fonctionnaires qui commandent ? ». Avec une colère contenue, une conseillère municipale de Puy-du-Lac (500 hab., CC Vals de Saintonge Communauté) raconte comment le conseil municipal a été manipulé par ses interlocuteurs dans un projet d’installation d’éoliennes sur le territoire communal. « Nous serons un jour ou l’autre obligés de payer pour des décisions que nous n’avons pas prises » regrette le maire de Villemorin (107 hab., CC Vals de Saintonge Communauté).

Les intercommunalités sont souvent mal vécues par les maires. « La dernière réforme des collectivités territoriales, qui a transformé leurs périmètres, a encore amplifié les inégalités », se désole le maire de Saint-Médard-d’Aunis (2279 hab., CA de La Rochelle).

Plus particulièrement en Saintonge, les maires ruraux estiment avoir été floués par l’incitation aux regroupements de communautés de communes. Dans sa liste de revendications, une conseillère municipale de Haimps (457 hab., CC Vals de Saintonge Communauté) demande de « renoncer aux « usines à gaz » que représentent les trop grandes régions, les trop grandes CDC : elles ne font qu’isoler un peu plus les habitants des zones rurales ». Même type de commentaire du maire de Migré (340 hab., CC Vals de Saintonge Communauté) : « La communauté de communes n’agit que pour les centres importants, sans aucun espoir de retour pour les habitants des petites communes rurales qui sont invitées à contribuer à une hauteur insupportable (330 €/hab/an pour notre commune). Le poids des maires y est inexistant au niveau décisionnel (1/142° dans notre CDC). ».

« Maintenir l’échelon communal, suppression des interco forcées ; égalité de dotation entre toutes les communes » résume le maire de Brie-sous-Matha (176 hab., CC Vals de Saintonge Communauté), par ailleurs président de l’association des maires ruraux (AMRF) en Charente-Maritime.

Il faut rappeler que le département de Charente-Maritime comprend deux des plus grosses intercommunalités de France : la communauté de communes de la Haute Saintonge regroupe 129 communes et celle de Vals de Saintonge Communauté en compte 110 ; elles regroupent à elles deux plus de la moitié des communes (463).

C’est une question de vision politique : « La priorité, ce n’est pas le développement à tout prix des métropoles mais le développement économique des zones rurales, condition indispensable à l’équilibre écologique, économique et social de notre pays » affirme le maire de Lussac (la plus petite commune de Charente-Maritime).

La question des finances publiques est aussi abordée plus globalement. Ainsi, la très longue contribution du maire de Migré (340 h., CC Vals de Saintonge Communauté) contient un réquisitoire argumenté contre le gaspillage des dépenses publiques face aux difficultés budgétaires toujours plus grandes des communes.

Extrait de la contribution du maire de Villars-en-Pons

Autres sujets

Les autres sujets évoqués par les élus locaux, notamment à titre personnel, rejoignent les thématiques générales que l’on retrouve dans l’ensemble des contributions, notamment les listes standard et les listes personnalisées.

Quelques exemples :

  • Si l’on met des taxes sur les carburants, les carburants pour avions et bateaux doivent également être taxés
  • Une échelle des salaires et des retraites fixée dans des proportions beaucoup plus raisonnables qu’elles ne le sont aujourd’hui
  • Les grandes fortunes étrangères (GAFA) et françaises doivent être imposées comme tous les citoyens qui, eux, ne peuvent échapper à l’impôt.
  • Tous les citoyens doivent être assujettis à l’impôt quelles que soient leurs sources de revenu
  • Réduire le nombre de députés
  • Le vote doit être obligatoire, le vote blanc comptabilisé
  • Baisse du train de vie de l’État (parc automobile, réceptions)
  • Fin des indemnités présidentielles à vie (voiture, garde du corps, etc.)
  • Mettre fin aux privilèges des élus. Plafonner les salaires et retraites à des niveaux « décents ».
  • Traquer les fraudeurs à l’ANPE, aux ASSEDIC, c’est bien, mais se donner les moyens de traquer les fraudeurs détournant l’argent dans les paradis fiscaux, ce serait mieux et rapporterait plus pour financer vos mesures !!
  • Supprimer les pesticides le plus rapidement possible
  • Les Français font beaucoup d’efforts sur le tri des déchets ; la phrase qui revient : « plus on trie et plus on paie de taxes sur les ordures ménagères ».
  • Décider une TVA à 0 % sur 50 produits de 1ère nécessité (lait, farine, beurre, légumes, fruits, pain…).
  • La laïcité ne doit pas être citée comme une opposition aux religions
  • Redonnons sa valeur au travail en faisant en sorte que les salaires correspondent au travail fourni
  • La baisse de la vitesse de 90 km/h à 80 km/h est incomprise par beaucoup d’automobilistes. Cet acte doit être réglé par nos préfets et sous-préfets
  • Nous demandons au gouvernement de prendre ses responsabilités et d’obliger les médecins à s’installer dans les communes déficitaires en médecins
  • Soutenons d’abord les femmes et les hommes qui travaillent ; il n’est pas normal de voir de pauvres gens « habiter » dans leurs voitures…
  • Remettons l’humain au centre des débats, les disparités sociales nous éloignent de la justice sociale.

Certaines de ces thématiques seront développées dans des billets ultérieurs.

Extrait de la contribution d’une adjointe au maire d’Épargnes

Conclusion

Vingt-cinq maires pour la Charente-Maritime, cinquante-trois élus locaux ou anciens élus en tout pour le département, ce n’est pas négligeable. Or, ces paroles d’élus sont diffuses dans les différents cahiers de doléances lesquels ne sont que difficilement accessibles à ce jour.

Elles sont à partir d’aujourd’hui disponibles sur ce blog.

Un maire que j’informais de mon intention de publier sa contribution au cahier de doléances de sa commune m’a d’abord répondu qu’il n’avait jamais rien écrit de tel… Je lui ai envoyé son texte pour lui rafraîchir la mémoire et il a non seulement reconnu en être l’auteur mais a ajouté qu’il le signerait de nouveau aujourd’hui !

En cinq ans, tant d’autres événements et préoccupations sont venus s’ajouter aux soucis des maires ruraux (et pas seulement ruraux il est vrai) que l’on peut comprendre l’oubli relatif de cette période de revendications et de propositions. Cela n’enlève rien à la pertinence des témoignages des élus locaux fin 2018-début 2019, au contraire. La (re)lecture des documents du passé oblige à la prise de recul, toujours salutaire. Ces archives publiques locales constituent une documentation utile à plus d’un titre, par exemple pour enseigner le respect de la parole des uns et des autres ou pour des projets éducatifs relatifs à la démocratie ou à l’histoire des mouvements sociaux. On discute avec les élèves autour des cahiers de 1789 ; pourquoi ne pas utiliser aussi les cahiers de 2019 ?

Quelle est la contribution des élus aux cahiers dans les autres départements ? Si j’extrapole à partir données de Charente-Maritime, cela ferait près de 2000 maires et environ 4000 élus pour toute la France : un beau panel !

Verra-t-on un jour l’édition de toutes les contributions d’élus ? Un beau projet, non ?

Je termine en reprenant la citation de Bergson par laquelle Gilbert Bernard, conseiller municipal de Forges, conclut sa contribution : « L’avenir n’est pas ce qui va arriver mais ce que nous allons en faire ».