« Bien qu’ayant reçu l’appellation de mémoire, les techniques de stockage d’information ne sont pas des mémoires au sens usuel du terme. Il manque à celles-ci des processus d’oubli et de réminiscence, à la racine de nos capacités d’abstraction, d’apprentissage et d’imagination », écrit Jean-Gabriel Ganascia dans un texte intitulé La mémoire informatique au service de l’homme.

On ne peut certes attribuer aux machines ou attendre d’elles les facultés qui caractérisent les êtres vivants. Néanmoins, le choix du mot mémoire (memory) pour les outils informatiques n’est pas si décalé. En effet, avant le stockage et la capacité (ou l’incapacité) de restituer les éléments stockés, il y a la question de savoir quelles sont ces informations et comment elles sont arrivées là.

Pour les humains comme pour les outils informatiques, le processus de mémoire commence véritablement avec l’enregistrement (chronologique) des données dans la mémoire. Toute mémoire est un dispositif composé du processus d’acquisition des données et de leur répartition dans un réceptacle (cortex, matière, disque), de la fonction de conservation avec des opérations de maintenance ou d’entretien (rafraichissement, exercice), et enfin du processus de restitution d’une information ou d’un groupe d’informations à partir d’une association entre une donnée actuelle et une donnée ancienne (la madeleine d’aujourd’hui réveille la madeleine d’antan, le mot-clé « automobile » envoyé à une base de photos patrimoniales appelle les images d’automobiles, mais aussi de « voitures » plus anciennes si le thésaurus est bien fait).

Il semble évident que la qualité de la restitution,  par laquelle on aura tendance à évaluer la qualité de la mémoire, dépend de la qualité de l’enregistrement et de la maintenance du classement avant de dépendre de la qualité de la conservation.

La mémoire informatique est en réalité une mémoire déléguée pour l’homme, un aide-mémoire comme pouvait l’être naguère une liste manuscrite de chiffres ou de mots-clés. La différence est la rapidité et le volume d’informations traitées par la machine, avec plus ou moins d’utilité future : enregistrement pléthorique de fichiers de données sur des serveurs bureautiques avec X versions sans intérêt mais tracées dans le détail, enregistrement d’images et de sons en continu  avec les caméras de vidéo-surveillance, etc.

On dit que l’informatique ne perd rien, qu’il reste toujours des traces de ce qui a été une fois enregistré mais il faudrait plus de nuance. On peut effectivement exhumer des choses étonnantes d’un ordinateur, mais des humains aussi… Et la mémoire informatique, au quotidien, montre bien des oublis et des troubles du souvenir : données impossibles à récupérer parce que l’enregistrement n’a pas été documenté, nom de fichier abscons, mot-clé de recherche inexistant dans le texte du document, image déformée, etc.

La mémoire ne se confond pas non plus avec les informations qui sont stockées dans le réceptacle et que l’on appelle, selon les cas, souvenirs ou archives. La mémoire est inséparable de la personne, du peuple, de la machine, de la maison qui en est le propriétaire, au contraire des données :

ON PEUT TRANSMETTRE SES ARCHIVES, PAS SA MÉMOIRE.

De ce point de vue, les lieux de mémoire chers à Pierre Nora devraient plutôt s’appeler lieux de re-mémoire, lieux où on initie un nouveau processus d’enregistrement en lien avec quelque chose ou quelqu’un qui a disparu

Avec LES mémoires, on change de registre (c’est le cas de le dire). Le singulier trace le présent ; le pluriel compose le passé. Les mémoires sont de la littérature : le cardinal de Retz, l’Outre-tombe ou l’âne Cadichon.

Ce billet fait partie d’un triplet : Histoire – Mémoire – Grimoire (la semaine prochaine)

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