La souffrance au travail.

Vue par les documents.

Tenez, cette lettre en souffrance depuis des mois ; elle peut témoigner.

Oh, il ne s’agit pas de souffrance physique. Je suis allongée sur ce bureau à longueur de journée et de nuitée; ce n’est pas inconfortable. Personne ne me dérange, en dehors de la femme de ménage le soir qui me pousse délicatement dans un autre coin du bureau avant de me ramener dans mon coin initial. Elle ne me dérange pas d’ailleurs, c’est même la seule attention dont je bénéficie de la part d’autrui. À croire qu’il n’y a pas de responsable dans ce bureau. Pourtant, je les entends arriver le matin, en rigolant des inepties qu’ils ont vues à la télé la veille ou en échangeant leur plan pour le prochain viquende. Mais sur le fond des choses, sur le travail, sur la documentation à étudier, sur les contacts à établir, sur les informations à transmettre, sur les réponses à faire aux clients ou aux administrés qui attendent douloureusement une décision, rien. Voyez mon cas : je suis un projet de lettre d’agrément pour une association ; voilà des jours et des jours que j’ai été rédigée par une personne compétente et attentionnée de ce service. Mon message est positif. Il respecte l’esprit de la procédure sans en respecter la lettre car le texte date du siècle précédent et est obsolète dans le contexte actuel. C’est sans compter sur le petit chef qui a le pouvoir de signature. Celui-ci, sans doute pour compenser son incompétence, se raidit sur la lettre de la loi et est incapable de faire preuve d’esprit (de synthèse ou d’initiative). Si je me trouve sous son nez, il me saisit d’une main moite et me remet sous la pile. Alors, comme mon destinataire, j’attends, j’attends. Et je souffre, je souffre.

Et voici un dossier entier, en souffrance depuis des semaines lui aussi. Là, c’est une souffrance collective. Toute l’équipe de documents souffre à sa manière :

–       On nous a abandonné au milieu du gué, dit la lettre de demande. Voilà si longtemps qu’on nous a fait venir ici et rien ne se décide. Nous sommes des laissés pour compte.

–       Tu veux dire qu’on nous a abandonnés au milieu de nulle part, poursuit le rapport d’enquête. Nous avons bossé pour résoudre ce problème et puis on nous plante là, sans savoir si on allait dans la bonne direction ou pas, sans savoir si la situation a évolué et, le pire, sans savoir pourquoi personne ne décide ni ne fait rien.

–       Ouais, soupire le projet de décision, c’est comme si on n’existait pas. C’est dur….

–       J’ai entendu parler d’un projet pour le service, renchérit le compte rendu de réunion. Il paraît qu’ils vont tous nous passer dans un scanner puis nous mettre dans un centre spécialisé.

–       Je crains le pire, s’exclame l’avis reçu de l’expert. J’ai déjà vu un truc comme ça. Ça s’appelait CherPouin. On est tous parqués dans des espaces aux allures attractives, avec des haut-parleurs qui diffusent des messages de bien-être : « Vous êtes tous merveilleux, nous sommes tous amis, nous travaillons tous ensemble pour le bonheur de tous… ». Et au final, on est bloqué là-dedans ; on ne s’occupe pas plus de nous et on est encore plus isolés.

Chers amis, dit la note de synthèse, ne vous découragez pas ; évacuez cette souffrance. Ne restez pas plantés là à vous lamenter. Ignorez le mépris des autres et agissez ! Il y a une réponse à faire à ces gens qui vous étouffent. Et de déclamer, un peu théâtral :

–       Souffrez, Monsieur le Chef, qu’on fasse fi de vous !

 

 

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