Un particulier, ayant surfé sur mes sites, m’écrit : « Je voudrais savoir combien de temps un organisme de sécurité sociale conserve les courriers qu’il a envoyé à un usager dans le cadre d’une radiation ainsi que la radiation elle-même ; autrement dit, quel est le délai d’archivage réglementaire au sein de l’administration ? ». Il ajoute qu’il cherche ce renseignement depuis un an…

Je subodore derrière cette innocente question une situation administrative embrouillée. De fait. L’intéressé me raconte son histoire.

Les faits

Ce monsieur est retraité d’une grande entreprise publique française qui est dotée d’un organisme de sécurité sociale spécifique… Son épouse est citoyenne d’un pays asiatique, pays dans lequel réside le couple. Ils voyagent en France de temps à autre.

En 2016, cet usager apprend que son épouse, qui était affiliée à sa caisse de sécurité sociale, a été radiée, au motif que la pièce justificative fournie (un acte de naissance) n’était pas conforme, la traduction de l’acte n’ayant pas été visée par le consulat de France du pays en question. Cette information lui aurait été notifiée par courrier du 30 décembre 2015 que l’intéressé affirme n’avoir jamais reçu.

Le temps passe et les choses ne se règlent pas.

La réglementation sur l’ouverture des droits des conjoints étrangers est assez complexe et évolutive, et je laisse de côté cet aspect juridique que je ne connais pas. La question de l’archivage des courriers administratifs est à elle seule suffisamment consistante. Je poursuis donc.

Au printemps 2018, notre usager demande à sa caisse de sécurité sociale de lui en envoyer une copie de ce courrier du 30 décembre 2015.

Première réponse de la caisse de sécurité sociale en date du 20 avril 2018: « Suite à votre demande du 13.04.2018 et après étude de votre dossier, je vous informe que les copies des courriers destinés aux assurés ne sont conservées que pendant 6 mois. Nous ne pouvons donc pas donner suite à votre demande ».

L’usager décide de multiplier les courriers. Deuxième réponse du 17 mai 2018 (signée d’un autre agent):  » Suite à votre demande du 20.04.2018, je vous informe que le délai de conservation des pièces justificatives dont l’utilité administrative a expiré (les informations étant enregistrées dans notre base) est de 33 mois (Article D. 253-44 du Code de la Sécurité Sociale) ».

Un autre courrier de la caisse, en date du 22 mai 2018, lui confirme : « Notre système d’information, commun avec celui du régime général de l’assurance maladie, ne conserve pas les courriers envoyés à nos assurés au-delà de 6 mois ».

Il décide alors de saisir la Commission de Recours Amiable à qui il demande notamment quelle est la durée de conservation des pièces justificatives des décisions en matière d’affiliation. Le responsable du service juridique de cette institution lui répond le 20 août 2018 : « S’agissant du droit à l’information et de la durée de conservation des pièces justificatives, je vous informe que cela ne relève pas de la compétence de cette Commission. Je vous précise toutefois qu’il convient de distinguer les pièces justificatives fournies par les assurés qui sont conservées 33 mois pour la plupart (article D. 253-44 du code de la sécurité sociale), des courriers sortants émanant de l’organisme qui sont conservés 6 mois et des archives historiques qui ont une autre durée de conservation (circulaire du Ministère de l’Emploi et de la solidarité et du Ministère de la Culture et de la communication du 12 janvier 2000 relative à la conservation, le traitement et la communication des archives historiques des organismes de sécurité sociale).

Parallèlement, ayant écrit à plusieurs services d’archives départementales à ce sujet, notre usager finit par recevoir une réponse, le 5 septembre 2019: « La durée de conservation doit être de 5 ans à compter de la clôture du dossier afin de répondre au délai de prescription des actions qui est de 5 ans (art. 2224 du code civil). Toutefois, si un contentieux est engagé, les documents doivent être conservés 1 an à compter de la clôture du dossier (instruction DAF/DPACI/RES/2009/018 relative au tri et conservation des archives produites par les services communs à l’ensemble des collectivités territoriales).

Vous suivez?

Le citoyen en appelle au ministre. Il invoque la loi n° 2000-321 du 12 avril 2000 relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations : « Les autorités administratives sont tenues d’organiser un accès simple aux règles de droit qu’elles édictent. La mise à disposition et la diffusion des textes juridiques constituent une mission de service public au bon accomplissement de laquelle il appartient aux autorités administratives de veiller ». Pas plus de résultats.

Dès lors, que peut penser un usager de ces réponses de l’administration à une question pourtant simple de son point de vue et du point de vue de la langue française, tout simplement: combien de temps un organisme public doit-il conserver le double d’un courrier de fermeture de droits sociaux adressés à un bénéficiaire?

Qu’on se fiche de lui !…

Analyse

Il ressort de ce récit un certain flou dans les textes réglementaires et une approximation certaine dans la pratique de l’archivage chez les différents acteurs.

Il est difficile de croire, pour un simple usager, qu’il n’existe pas un texte précis organisant la conservation des pièces justificatives des décisions de radiation d’un organisme de sécurité sociale. Et pourtant, c’est vrai. La réglementation existante est absconse, dans la mesure où :

  • la prescription civile générale de 5 ans (art. 2224 du code civil, citée par la réponse des Archives départementales) est pertinente, à défaut d’autres prescriptions spécifiques mais aucun texte régissant l’archivage des courriers de la sécurité sociale ne vise cet article général ;
  • le code de la sécurité sociale indique les délais de prescription en matière de cotisation et en matière de prestation. C’est l’article D253-44 cité par un des agents de la caisse mais un courrier notifiant une radiation de bénéficiaire n’est ni une pièce justificative de cotisation ni une pièce justificative de prestation ;
  • le texte dédié aux archives de la sécurité sociale évoqué par une autre réponse a pour objectif la constitution d’archives historiques, ce qui a peu de choses à voir avec la gestion des droits des usagers (hélas, cette remarque est valable dans d’autres domaines aussi). Les 9 pages de ce texte énumérant les différents documents à conserver ne contiennent pas une seule occurrence du mot « radiation » ou « fermeture de droits ». Un passage, cependant, est intéressant : les rubriques C4 à C7 concernent les « chronos de courriers » des présidents, directeurs, médecins ou bénéficiaires de délégation de signature; la durée de conservation préconisée au sein de l’organisme de sécurité sociale pour ces courriers (que l’on suppose classés chronologiquement – là j’ai un doute…), la durée de conservation donc est de 5 ans et comporte un commentaire : « Une durée plus longue peut être retenue pour certains courriers en fonction de leur intérêt administratif ou probatoire » mais malheureusement aucune référence réglementaire n’accompagne cette observation de bon sens. Du point de vue des organismes de sécurité sociale, ce texte est étiqueté « archives historiques »; il ne les regarde pas et ne les intéresse pas (cf le ton distancié du courrier cité évoquant « des archives historiques qui ont une autre durée de conservation »…).

Par ailleurs, comment expliquer l’hétérogénéité des réponses et surtout l’ingénuité (je pourrais parler aussi d’amateurisme) dans la formulation des réponses à l’usager ? L’explication est simple : la complexité des textes d’une part (voir supra), le manque de formation des fonctionnaires d’autre part. On sent dans les réponses apportées que le rédacteur recopie des informations sans bien comprendre ce qu’elles signifient concrètement, sans que le bon sens dont tout être humain, disait Descartes, est doté ne soit véritablement utile et utilisé dans la gestion de la demande de l’usager. On a le sentiment qu’un poids énorme pèse sur ces agents et qu’ils sont dépassés par les événements. Ils gèrent l’archivage au doigt mouillé…

Et ils se mettent le doigt dans l’œil !

Mais, me dira-t-on, l’archivage, c’est compliqué…

NON !

Mes quarante années de pratique de l’archivage me persuadent chaque jour davantage que l’archivage est un acte managérial simple et efficace si on veut bien le prend par le bon bout. Le fait d’identifier la valeur d’une décision et le risque à ne pas la gérer dans la durée n’est pas compliqué. Toute personne sensée et respectée dans son travail, quel que soit sa fonction, sait faire cela. Savoir identifier une pièce justificative et la rattacher à la décision qu’elle justifie ne requiert pas d’avoir un doctorat de l’université. S’assurer que les documents sont bien conservés pendant la durée correspondante au risque identifié ne compte pas parmi les tâches les plus difficiles d’un décideur courageux. Malheureusement, d’aucuns s’ingénient à ignorer demain et à fuir leur responsabilité, tandis que d’autres s’ingénient à entretenir un jargon répulsif qui freinent les meilleures volontés.

Dans l’affaire de ce retraité expatrié, il semble que le courrier ait été perdu ou détruit, sans trace, peut-être même sans conscience des choses, tristement. Donc, la caisse, étant dans l’incapacité de produire son propre courrier du 30 décembre 2015 ou de justifier sa destruction, devrait assumer les conséquences de ce manquement à ses obligations.

Cette histoire m’en rappelle une autre, celle de la caisse primaire d’assurance maladie de la Marne, condamnée par arrêt de la cour de cassation du 4 décembre 2008, pour avoir été incapable de fournir une preuve acceptable de l’envoi d’un courrier à une entreprise dans le cadre d’une procédure de prise en charge d’un accident du travail. Cette affaire a été excellemment commentée par Isabelle Renard en 2009.

Bien sûr, l’affaire de 2008, bien que mettant en cause également un organisme de sécurité sociale, est assez différente. On y retrouve cependant cet engourdissement de l’administration face aux gestes administratifs les plus élémentaires, son impotence à maîtriser de manière simple et efficace la traçabilité de ses décisions et de ses engagements. J’ajoute, parce que je l’observe depuis plus de vingt ans, que le contexte de la dématérialisation n’a fait qu’aggraver les choses là où, au contraire, les technologies numériques auraient dû faciliter le travail et la transparence. Cherchez l’erreur…

Conclusion: quand on voit ce qu’on voit et qu’on lit ce qu’on lit, on ne doit pas être surpris si un usager de l’administration, qui n’est pas formaté pour accepter ces approximations officielles, cède à la tentation de noyer son désarroi dans un doigt d’alcool (du 5 ans d’âge par exemple…), voire à celle de répondre par un doigt d’honneur…

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