Valeur ajoutée de la méthode Arcateg pour un archiviste

La méthode Arcateg™ a été conçue pour aborder l’organisation de l’information à risque dans une entreprise ou un organisme public.

L’angle d’attaque de cet enjeu commun à tous est celui de l’existence et de la protection dans la durée de l’information dont l’entreprise est propriétaire et détentrice. Il s’agit d’énoncer des règles claires qui permettent à chaque collaborateur de réponse à ces questions récurrentes:

  1. Dois-je mettre les documents et les données que je gère en sécurité ou non? Et si oui à quel degré de sécurité et comment?
  2. Dois-je jeter ou conserver telle trace ou telle information? Ce qui ne peut se faire valablement qu’après une analyse de la globalité de l’impact avéré et potentiel de cette trace ou de cette information pour l’entreprise et ses responsables.

Non seulement, l’entreprise doit énoncer des règles en réponse à ces questions, mais elle doit encore s’assurer que ces règles sont conformes à la réglementation et qu’elles sont réellement appliquées par les collaborateurs.

Les fondamentaux de la méthode Arcateg sont issus de l’observation de situations d’archivage déficientes ou chaotiques depuis deux décennies: abandon de documents et de données dans des endroits non gérés et non protégés, destruction d’actifs informationnels qui auraient permis de répondre à une mise en cause ou à une investigation, perte financière par négligence de production ou d’accessibilité d’une information ou d’une preuve.

Ces fondamentaux ont été mis à l’épreuve dans un certain nombre d’entreprises et d’organismes publics avant d’être présentés dans l’ouvrage Des documents d’archives aux traces numériques. Identifier et conserver ce qui engage l’entreprise – La méthode Arcateg™, éditions KLOG publié y au printemps 2018.

Le nom de la méthode AR (pour archivage) + CATEG (pour catégories) souligne l’approche méthodologique: les enjeux de gestion de l’information d’entreprise sont abordés par la question de l’archivage qui s’affirme comme le pivot de la gouvernance des données: tout fichier, tout document porte une valeur de risque pour l’entreprise, valeur qui conduit a) à contrôler sa qualité (pour éviter des interprétations erronées), b) à le mettre en sécurité pendant la durée nécessaire et suffisante, c) à gérer son cycle de vie tant sur le plan de la préservation que l’accès aux contenus, tout ceci étant résumé par le terme « archivage » pris dans son acception la plus forte. Il n’y a pas d’autres mots pour dire simplement tout cela. La catégorisation est le moyen de maîtriser l’inévitable hétérogénéité de la masse en rationalisant et en normalisant la réalité. On parle beaucoup aujourd’hui de catalogage des données; c’est la même idée.

De ce point de vue et du point de vue réglementaire, il est clair qu’Arcateg renvoie bien davantage à une mise en œuvre du Règlement général pour la protection des données personnelles (RGPD) qu’à une mise en œuvre de la gestion des archives publiques telle que la définit le code du patrimoine.

Pour le dire d’une manière plus classique aujourd’hui, Arcateg™ relève assurément du records management (archivage managérial) et non de la gestion des archives patrimoniales, bien que la méthodologie puisse également servir une démarche de gestion de la connaissance et de la mémoire.

La question se pose donc de savoir si la méthode Arcateg™ peut être utilisée avec profil dans la gestion d’un service d’archives.

La réponse est oui, mais à certaines conditions. En effet, dès lors que la démarche Arcateg™ est orientée Risques tandis que les pratiques archivistiques publiques sont orientées Patrimoine, il faut bien mesurer l’usage que l’on fait de chaque concept et respecter les différentes facettes de l’information.

Arcateg™ est construit sur un système archivistique alternatif dédié au management des données au quotidien, de sorte que vouloir fondre les fondamentaux d’Arcateg avec les pratiques archivistiques existantes dans une seule vision documentaire risque de conduire, comme je l’ai constaté parfois, à une cacophonie archivistique inefficiente.

Il ne s’agit donc pas de fondre les notions et de superposer les gestes archivistiques mais de les articuler pour répondre à un plus grand nombre de besoins.

Par exemple:

  • Arcateg donne un cadre de référence pour un recensement exhaustif de la production informationnelle d’une entité juridique, ce qui est autre chose que la gestion de l’existant dans une des composantes de cette entité.
  • Arcateg privilégie une règle de conservation simplifiée dès la création de l’information, basée sur sa valeur de risque pour l’entreprise, quel que soit son support et sa localisation, ce qui n’empêche d’avoir des règles plus détaillées pour la gestion des archives dans la durée.
  • Arcateg est également le support d’un tableau de bord normalisé et codifié pour identifier les doublons et les lacunes, afin de faire des reportings à la direction de l’organisme (établissement, administration) ou de gérer un plan d’actions pour améliorer le stock et le flux.

En résumé, la méthode Arcateg™ permet à un archiviste d’archiver « plus vite, plus haut, plus fort ».

En vous souhaitant une forme olympique!

Le récolement

Récolement est un terme classique et toujours courant du vocabulaire archivistique.

On peut toutefois constater un glissement de sens de récolement vers inventaire. Les deux notions doivent être distinguées, surtout en archivistique.

Définitions

Voici, dans l’ordre chronologique quelques définitions tirées de publications institutionnelles:

Le procès-verbal de récolement. L’instrument de recherche le plus sommaire, mais le premier à établir, est le procès-verbal de récolement, auquel est astreint tout directeur de service d’archives lors de son entrée en fonction, ou à la suite de remaniements importants survenus lors du déménagement des collections. Il s’agit de dresser un tableau précis du contenu du dépôt, en situant l’emplacement exact des liasses, registres et volumes et en signalant les lacunes constatées par rapport aux récolements antérieurs et aux instruments de recherches rédigés postérieurement au dernier en date des récolements. – Manuel d’archivistique (1970), p 250

Le procès-verbal de récolement est le tableau descriptif du contenu du service d’archives. – Pratique archivistique française (1993), p 154

Récolement. Opération consistant à identifier, un par un, tous les articles d’un service d’archives, et à les inscrire sur une liste (dite « procès-verbal de récolement »), en signalant les lacunes constatées. Cette opération, qui est de plus en plus fréquemment informatisée, est réglementaire à chaque changement de directeur dans un service d’archives, et (dans les archives communales) à chaque changement de municipalité. – Pratique archivistique française (1993), Glossaire

Récolement. Vérification systématique, lors de la prise en charge d’un service d’archives ou à date fixe, de ses fonds et collections consistant à dresser dans l’ordre des magasins et des rayonnages la liste des articles qui y sont conservés ou qui manquent par rapport aux instruments de recherche existants. – Dictionnaire de terminologie archivistique (2002)

Récolement permanent. Liste tenue à jour des articles conservés dans un service d’archives assortie de leur localisation, présentée dans l’ordre des magasins et des rayonnages, permettant un programme d’utilisation des espaces vacants. – Dictionnaire de terminologie archivistique (2002)

Récolement des archives. C’est un état des lieux des archives dressé lors d’un renouvellement de l’exécutif. Il se présente sous la forme d’un procès-verbal de décharge (pour le maire sortant) et de prise en charge (pour le maire entrant), accompagné d’un état sommaire ou détaillé des archives présentes en mairie. – Fiche « Le récolement des archives » de l’Association des archivistes français (AAF) (2014).

Le récolement (empr. au lat. class. recolere « pratiquer de nouveau », d’où « repasser dans son esprit », « passer en revue ») est une opération de contrôle de la présence de documents et d’objets dans une collection, telle qu’un dépôt d’archives, une bibliothèque, un centre de documentation ou un musée.
Il consiste en l’utilisation de listes formant des répertoires sur papier ou numérisées à partir desquelles on recherche si chaque item est physiquement présent. Si des absences sont repérées, elles provoquent la mise à jour de l’inventaire après une recherche éventuelle des documents correspondants.
Il ne faut pas confondre:
– le récolement, qui s’apparente à l’opération habituellement appelée inventaire dans la gestion des stocks commerciaux, (inventaire physique),
– l’inventaire, qui est le registre, sur papier ou informatisé, qui liste les éléments formant la collection de la bibliothèque, du dépôt d’archives ou du centre de documentation, par ordre d’entrée, (inventaire comptable).
En France, cette opération est obligatoire dans les collections publiques, pour les archives municipales à l’occasion de chaque mandat, pour les archives départementales à chaque changement de directeur. – Wikipédia

Commentaires

Le rapprochement des différents extraits ci-dessus illustre, discrètement mais sûrement, le grignotage de l’archivistique française par la logistique au détriment du droit, au cours des dernières décennies.

D’une action de contrôle (le récolement) et de l’acte réglementaire et engageant qui en découle, avec décharge de la responsabilité des lacunes observées et déclarées (le procès-verbal), on est passé à une action de gestion des stocks pris en charge (avec cette particularité archivistique que pas deux objets du stock ne sont identiques). Cette pratique fait passer au second plan la valeur juridique de l’opération (quand ce n’est pas purement et simplement aux oubliettes).

Le « récolement permanent », inventé à fin du siècle, alors que les services d’archives s’accoutument à l’informatique de gestion, a une petite allure d’oxymore car comment peut-on à la fois être le constat d’un fait (ce qui existe et ce qui manque lors d’une passation de fonction) et une base de données évolutive? Comment un mot peut-il désigner à la fois un document daté et signé et des données de travail mises à jour au quotidien?…

Les deux acceptions restent cependant utilisées et je note que les archivistes communaux, plus sensibles sans doute aux effets des élections locales, ont su davantage préserver le sens original du récolement. Ce qui est gênant est que le même terme professionnel ait deux sens assez différents et, pis, sens que ses utilisateurs ne distinguent pas toujours. Diable, la langue française est-elle si pauvre? Wikipédia, lui, s’en sort très bien!

Mon commentaire n’est pas une réaction de puriste de la langue. Même si le préverbe « re » est mon préverbe préféré dans les langues latines, cela ne me choque pas plus qu’autre chose de voir sa signification originelle escamotée par l’usage et de voir le sens du mot « récolement » réduit à celui de « colement » sans le ré (cool, man!). Non, ce qui me gêne, c’est, d’une part, l’ambiguïté du discours, d’autre part, l’abandon de cet acte administratif engageant la responsabilité des acteurs propriétaires et détenteurs de archives.

La règle voulait naguère que le récolement ait lieu dans les quelques semaines suivant une prise de fonction, obligeant l’archiviste à caractériser la situation dans une forme compréhensible par l’élu ou le représentant de l’Etat amené à y apposer sa signature. C’était le moyen de mettre en évidence les lacunes (tout du moins dans les » archives essentielles »), de synthétiser les acquisitions du mandat, de pointer les anomalies, bref de suggérer une politique archivistique en même temps que de satisfaire à une obligation réglementaire toujours valide même si elle tombe en désuétude.

Mais, hélas, le mieux analytique est l’ennemi du bien archivistique.

Combien de récolements de dépôts n’ont jamais abouti parce que l’archiviste voulait être exact, précis, complet? Et le sens du récolement a commencé à se perdre. Le comptage des boîtes et des cartons l’a emporté sur la politique. En attendant que l’informatique l’emporte sur l’archivistique… Dommage.

Et maintenant, la question qui tue: c’est quoi un récolement numérique?…

Question subsidiaire: quelle la durée de conservation d’un procès-verbal de récolement?

Définitions d’archivistique

En préparant mon intervention au prochain colloque du GIRA (Groupe interdisciplinaire de recherche en archivistique) le 30 novembre 2018 à Montréal, sur le thème « État, conditions et diffusion de la recherche en archivistique », j’ai « révisé » les définitions du mot archivistique (archival science en anglais).

Voici, à toutes fins utiles, la liste de ces définitions, dans l’ordre de longueur des définitions (la source est mentionnée à la suite de la définition).

Science des archives.

Dictionnaire Larousse

Science de la gestion des archives.

Direction des Archives de France, Pratique archivistique française (1993)

A systematic body of knowledge that supports the practice of appraising, acquiring, authenticating, preserving, and providing access to recorded materials.

Pearce-Moses, Richard. A Glossary of Archival and Records Terminology. Chicago: Society of American Archivists, 2005, repris par InterPares

Science qui étudie les principes et les méthodes appliquées à la collecte, au traitement, à la conservation, à la communication et à la mise en valeur des documents.

Direction des Archives de France, Dictionnaire de terminologie, 2002

Archival science, or archival studies, is the study and theory of building and curating archives, which are collections of documents, recordings and data storage devices.

Wikipedia anglais

Discipline universitaire traitant des modes de collecte, d’analyse et de description, de tri et de classement, de conservation matérielle et de mise en valeur des archives.

Marie-Anne Chabin, Nouveau glossaire de l’archivage, mars 2010

XXe siècle. Dérivé d’archiviste. Ensemble des principes théoriques et des règles pratiques applicables à la collecte, à la conservation, au classement, à l’inventaire, à la communication et à l’utilisation des archives.

Dictionnaire de l’Académie française (9e édition)

L’archivistique est la discipline relative aux principes et aux techniques relatifs à la gestion des archives. Elle relève à la fois des sciences auxiliaires de l’histoire et des sciences de l’information et des bibliothèques.

Wikipédia

Discipline qui recouvre les principes et les techniques régissant la création, l’évaluation, l’accroissement (l’acquisition), la classification, la description, l’indexation, la diffusion et la préservation des archives.

Université de Montréal, École de bibliothéconomie et des sciences de l’information, “Terminologie archivistique de base proposé aux étudiants,” 1999

Science qui étudie les principes et les procédés méthodiques employés à la conservation des documents d’archives permettant d’assurer la présentation des droits, des intérêts, des savoir-faire et de la mémoire des personnes morales et physiques.

Dictionnaire des archives: de l’archivage aux systèmes d’information; Afnor-Ecole des chartes, 1992

Archival science is an academic and applied discipline that involves the scientific stydy of process-bound information, both as a product and as agent of human thoughts, emotion, and activities, in its various contexts. Its field of study encompasses personal documents, records, and archives of communities, government agencies, and other formal organizations, and archival materials in general, whether or not kept by archival institutions units, or programs. It covers both the records themselves and their contexts of creation, management, and use, and their sociocultural context. Its central questions are why, how, and under what circumstances human beings create, keep, change, preserve, or destroy records, and what meanings they may individually or jointly attribute to records and to their recordkeeping and archival operations.

Encyclopedia of archival science, sous la direction de Luciana Duranti et Patricia C Franks, Rowman & Littlefield, 2015

A noter que le « petit glossaire » du site de l’Association des Archivistes Français ne comporte pas d’entrée « archivistique ».

Il n’y a pas non plus d’entrée « archivistique » dans l’index du Manuel d’archivistique de la Direction des Archives de France, publié en 1970, et cet ouvrage ne comporte pas de glossaire.

Je termine par quelques explications données par Michel Duchein dans l’introduction de la Pratique archivistique française (1993)

« Le grand développement de l’archivistique comme science est surtout un phénomène postérieur à la seconde guerre mondiale. La cause en est, évidemment, le bouleversement apporté aux pratiques traditionnelles de la gestion des archives par les conditions nouvelles nées du développement des technologies, de l’accroissement vertigineux de la production documentaire des administrations et de l’émergence des nouvelles nations pour lesquelles le problème des archives se posait en terme très différents de ceux des pays européens ».

« Le mot archivistique est de création relativement récente. Comme adjectif (signifiant « relatif aux archives ») il remonte, en France, aux années 1950. Comme substantif (« science de la gestion des archives ») il a été utilisé en Italie en 1928 par Eugenio Casanova mais on ne le voit guère en France avant la seconde guerre mondiale. L’Académie française ne l’a introduit dans son dictionnaire qu’en 1987″.

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Si vous connaissez d’autres définitions, n’hésitez pas à m’en informer.

L’archivage a-t-il de l’avenir ?

Évidemment la réponse est OUI, l’archivage a de l’avenir parce qu’il n’a jamais été aussi important dans la société et dans les entreprises de veiller sur le devenir des données, de leur création à leur destruction. Et pourtant, l’archivage est loin d’être une évidence pour tous.

L’archivage est un geste fort

L’archivage est ce geste managérial qui conduit à mettre en sécurité les documents ou données qui engagent dans la durée, avec une règle de vie qui pilote leur qualité, leur stockage, leur pérennisation, leur accès et leur destruction un jour, au mieux des intérêts de tous. On disait autrefois « classer aux archives », c’est-à-dire transférer délibérément les documents importants dans un lieu sécurisé, pour s’y référer plus tard, à titre de preuve et de mémoire. Les anglo-saxons parlent de records (les documents enregistrés car dignes d’être enregistrés dans un centre de conservation), et de records management.

Précisions sur les exigences incluses dans la règle de vie :

La qualité des données semble une évidence mais il n’est pas inutile de le répéter : si on archive un document de mauvaise qualité, il ne deviendra jamais un document de bonne qualité. Si le document n’est pas authentique au moment de son archivage (c’est-à-dire dont l’auteur est identifié et sûr et dont la date est certaine), il sera très difficile d’établir a posteriori son authenticité. De même, si un document n’est pas fiable parce que sorti de son contexte, farci de sigles ou de formules inintelligibles, non validé, etc. il sera hasardeux de l’utiliser. Dès lors, pourquoi le conserver ?

Le stockage – qui n’est qu’une composante de l’archivage – renvoie au fait que tout document archivé est conservé physiquement quelque part, qu’il s’agisse d’un rayonnage pour les supports physiques ou d’un disque, un data center pour les fichiers numériques. Comment gérer un objet si on ne contrôle pas sa localisation ? La question est aussi celle de la territorialisation des données, ne serait-ce que par l’exigence du fisc français de conserver sur le territoire français les données qu’il peut être amené à contrôler.

La pérennisation est le corollaire de la durée de conservation : dès que la durée de conservation dépasse un certain nombre d’années, disons 10 ans en moyenne, les supports numériques requièrent des migrations de formats et/ou de supports pour continuer d’être lisibles et exploitables.

L’accès est la finalité même de l’archivage : à quoi bon archiver si ce n’est pas dans la perspective de consulter un jour les documents archivés ? À noter que l’accès à deux volets que sont, d’une part les droits d’accès, les habilitations (à gérer également dans la durée, ce qui est souvent mal fait), d’autre part, les outils qui permettent de retrouver le document précis ou l’information recherchée.

La destruction est le destin de la majorité des documents d’entreprise, au bout de 5, 10, 30 ans ou plus sauf si leur valeur patrimoniale suggère de les conserver parmi les archives historiques (voir sur ce sujet la théorie des quatre quarts des archives historiques).

Mais ce n’est pas tout : pour que ce geste soit toujours efficace, il faut que la démarche concerne l’exhaustivité des documents et données de l’entreprise qui portent une valeur de preuve ou de mémoire. Si des documents qui engagent la responsabilité de l’entreprise ne sont pas gérés (conservés, détruits conformément à l’environnement réglementaire et à ses intérêts), l’entreprise court un risque. Si, à l’inverse, des documents ou des données sont indûment conservés dans l’entreprise (les données personnelles notamment), elle court également le risque d’une utilisation malencontreuse ou tout simplement d’une sanction des autorités pour non-conformité à la loi ou au Règlement général pour la protection des données personnelles.

Donc l’archivage est tout sauf obsolète. Et pourtant, deux courants, pour ne pas dire deux « idéologies », observables actuellement dans la société semblent le menacer. La démarche d’archivage managérial est en effet prise en étau entre deux attitudes néfastes : celle de ceux qui veulent tout mettre dans le cloud et laisser les technologies capturer, diffuser, trier, déréférencer, etc. ; et ceux qui veulent tout collecter pour être trié après par des archivistes (des archives intermédiaires aux archives historiques). Ces deux attitudes extrêmes sont le ferment d’une déresponsabilisation dommageable des entreprises sur leurs écrits, les données qu’elles traitent et les documents qu’elles reçoivent.

Tout conserver, c’est ne rien archiver

Depuis près de trente ans, le développement des technologies numériques instille chez les utilisateurs cette idée que l’on peut tout conserver en informatique et qu’il est ringard de s’occuper d’autre chose que de produire des données selon ses envies et d’accéder à l’information selon ses désirs.

Cette invitation des outils à la paresse et à la négligence des utilisateurs est très séduisante : pourquoi s’embêter et se contraindre à des tâches fastidieuses puisque les technologies permettent aujourd’hui de tout stocker pour quelques euros de plus, de tout retrouver, de tout classer ?

Il y a là un amalgame fâcheux entre la capacité technologique à soulager l’humain dans des tâches fastidieuses ou minutieuses et la responsabilité humaine de constituer une mémoire fiable, cohérente et raisonnée de ses activités, mémoire contrôlée au sein de laquelle cette capacité technologique peut donner le meilleur d’elle-même.

Les outils seront d’autant plus efficaces que les écrits éphémères ou périmés seront éliminés au fur et à mesure de leur péremption. Tout conserver, c’est ne rien archiver. Tout conserver, c’est subir le stockage. Tout conserver, c’est laisser aux outils le soin de gérer – ou de ne pas gérer – les traces humaines.

Cette inféodation à la technologie conduit les individus et les entreprises à abdiquer la responsabilité de définir les règles de vie des documents et des données qui leur appartiennent. C’est un renoncement au droit de chacun à l’archivage conscient et délibéré de ce qui a du sens à être conservé, pour la preuve, pour la conformité ou pour la connaissance.

Et c’est sans compter avec :

  • les exigences légales de protection des données personnelles portées par le Règlement général pour la protection des données personnelles ;
  • les coûts énergétiques de la conservation du rien ou du nul ;
  • l’ambition légitime d’une mémoire (débarrassée de ses scories informationnelles) à transmettre à la génération suivante.

Si tout est archive, il n’y a rien à archiver

Une autre idée s’est incrustée dans les esprits depuis quarante ans, au moins dans le secteur public : « tous les documents naissent archives ».

Cette affirmation pose question. En effet, si les archives sont (au plan linguistique) le fruit de l’archivage de documents, autrement dit la conséquence du classement de ces documents aux archives, cette « génération spontanée » d’archives court-circuite la notion même d’archivage, en tant que geste volontaire et managérial de mise en archive. Si tout est archive, l’archivage n’existe plus.

Cette conception des archives s’appuie sur la définition légale française des archives, apparue en 1979 dans la loi sur les archives (3 janvier 1979) et inscrite depuis, légèrement modifiée, dans le code du patrimoine, art. L211-1. Le texte dit : « Les archives sont l’ensemble des documents, quels que soient leur date, leur lieu de conservation, leur forme et leur support, produits ou reçus par toute personne physique ou morale et par tout service ou organisme public ou privé dans l’exercice de leur activité ».

La formulation laisse une place à l’interprétation. En effet, « dans l’exercice de leur activité » peut être vu comme restrictif et viser les documents officiellement produits au titre de l’activité ; l’expression peut aussi être considérée comme un simple périmètre géographique et temporel de production : tout brouillon produit au sein d’un organisme public ou par un des collaborateurs de cet organisme est un document d’archives publiques, même s’il n’a jamais été validé ni diffusé.

Les prises de positions du Service Interministériel des Archives de France (SIAF) de ces dernières années optent clairement pour la seconde acception. Et sur ce plan, le secteur public influence en partie de le secteur privé ou parapublic.

Dire que tout est archive, cependant, ne signifie pas qu’il faut tout conserver. Les archivistes sont les premiers à dire que toutes les archives ne doivent pas être conservées et leur mission consiste en bonne part en la mise en œuvre des circulaires de tri diffusées par l’administration des Archives ou élaborées dans leurs organismes respectifs. La nuance est que la sélection est faite par les archivistes et que les services producteurs et propriétaires des documents et données produits ou reçus sont en quelque sorte dépossédés de la responsabilité d’archiver qu’ils avaient autrefois, avant cette loi ou avant son interprétation si étroite.

Cette position exclusivement archivistique ignore l’archivage en tant que tel, en tant que sélection motivée des documents à conserver par le propriétaire, et ce au nom du droit de regard des archivistes sur toute production documentaire, au cas où il y aurait quelques traces modestes, non essentielles pour l’organisme producteur mais potentiellement éclairantes pour l’histoire de cet organisme ou l’histoire de l’époque.

L’holoarchivisme n’est pas le seul moyen de conjurer cette crainte de rater un document croquignolet ou symbolique dans la constitution du patrimoine archivistique d’une collectivité publique. Il est possible de préserver la collecte éclairée d’archives non essentielles à la vie du service tout en laissant à chaque entité juridique la responsabilité de gérer sa production documentaire en fonction de ses obligations et des risques externes et internes à conserver ou à détruire. Ce moyen est d’appliquer la collecte en suivant la théorie des quatre quarts des archives historiques qui dissocie la collecte des archives historiques provenant des documents archivés au nom de l’organisme (gestion du cycle de vie des documents engageants) et la collecte des archives historiques complémentaire via une prospection active de l’archiviste auprès des acteurs de la collectivité auprès de laquelle il exerce son métier, tout comme un bibliothécaire ou un conservateur de musée repère et acquiert les objets susceptibles d’enrichir ses collections. Cette distinction serait même vertueuse pour l’historien car la provenance serait plus explicite et mieux documentée.

Défense et illustration de l’archivage managérial

Entre la tendance « user centric » des nouveaux outils proposés aux entreprises (l’utilisateur est en relation directe avec le cloud comme si l’information n’appartenait qu’à celui qui la manipule) et la tendance archivistico-historique du tout archive, les dirigeants d’entreprise peuvent se sentir confortés dans leur ignorance de l’archivage et dans leur négligence du devenir des données.

Or, de déresponsabilisation à irresponsabilité, il n’y a qu’un pas.

Il y a donc lieu, encore et toujours, de les alerter sur les enjeux du non-archivage et sur la nécessité d’élaborer des règles de création-conservation-destruction des données dans leur entreprise car ces données sont des actifs informationnels dont l’entreprise est comptable (accountable) devant ses actionnaires et devant les autorités. Ces dirigeants doivent intégrer une démarche d’archivage managérial dans le cadre d’une politique globale de gouvernance de l’information, avec les concepts managériaux de proportionnalité et de raisonnabilité.

Espérons que le Règlement général pour la protection des données personnelles fera avancer les choses (voir la table ronde du CR2PA sur ce sujet).

En effet, l’exigence impérative de documentation des processus et de fixation de durées de conservation des données personnelles va s’imposer à tous dès le printemps prochain. Qu’elles se trouvent dans des bases de données ou dans des documents, les données personnelles devront être gérées de près, qualifiées en regard des activités réelles de l’entreprise, stockées dans des lieux contrôlés, accédées selon des droits justifiés, sorties ou maintenues dans l’entreprise en application de règles motivées.

Pourquoi les dirigeants n’en profiteraient-ils pas pour étendre la démarche à tout type de données au moyen d’une politique globale d’archivage managérial. Les entreprises y gagneront en investissement et en crédibilité.

La carte grise, résumé archivistique des dernières décennies

Les bureaux physiques des cartes grises en préfecture et sous-préfecture seront définitivement fermés à compter du 1er novembre prochain et les utilisateurs devront passer par les centres d’expertise et de ressources des titres (CERT).

C’est l’aboutissement, dans ce domaine comme dans d’autres, d’un processus de dématérialisation des démarches administratives, plutôt bien mené d’ailleurs par les autorités françaises, avec l’aide de l’ANTS.

Une des conséquences est que l’administration n’aura plus à conserver sous forme papier les dossiers de demandes de cartes grises dont le volume au cours des dernières décennies pouvait inspirer le vertige.

Cette information, entendue à la radio, m’a fait l’effet d’une madeleine (proustienne) tant la carte grise a eu un rôle important au début de ma carrière d’archiviste. La carte grise m’apparaît ainsi constituer un bon résumé des problématiques archivistiques des cinquante dernières années.

1/ Explosion de la production administrative

Les années 1960-1970 voient un épanouissement saisissant du volume d’archives administratives, ce qui a fait parler d’accroissement exponentiel (exagéré sans doute) et a conduit à construire des bâtiments d’archives toujours plus vastes.

Plusieurs facteurs se combinent : développement économique, développement de la réglementation (toujours plus de pièces justificatives à produire), utilisation à tour de bras du photocopieur (cet engin du diable).

Les dossiers de cartes grises sont parmi les documents administratifs (avec les dossiers d’étrangers) dont le volume a augmenté le plus vite dans ces décennies dans les régions en pleine expansion démographique, région parisienne en tête. La question de l’archivage des cartes grises, ou du moins de leur stockage posait donc un problème aux préfectures et sous-préfectures qui se retournaient bien évidemment vers les Archives départementales, en suivant cette (détestable) pratique de se débarrasser aux Archives de ce qui encombre les bureaux.

Quand j’ai pris mes fonctions de directeur des Archives départementales de l’Essonne en 1984, les cartes grises étaient un des principaux problèmes de mon service (la production atteignait deux boîtes d’archives par jour dans ce département comptant alors plus d’un million d’habitants, et il n’existait pas à l’époque de bâtiment d’archives dans ce département hormis quelques locaux provisoires).

J’ai gardé en mémoire le récit de ce que s’était passé en Seine-Maritime à la fin des années 1970. Devant le refus des Archives départementales de prendre en charge les dossiers clos de cartes grises, le préfet décida de microfilmer les dossiers et de jeter les originaux pour gagner de la place, en dépit de la circulaire fixant à 10 ans la conservation des dossiers (voir ci-dessous) ; cette opération apparaissait comme un acte audacieux, voire révolutionnaire. On imagine que l’analyse de risque opérée par le préfet l’avait conduit à valider cette opération pragmatique, dès lors que l’action de microfilmage était contrôlée, en considérant que l’État étant propriétaire et décideur en termes de réglementation, il pouvait se fier à cette organisation de dossiers microfilmés. Le mot « risque » ne faisait pas partie alors de la culture des archivistes.

2/ Des métiers et des compétences

Ce constat pose la question du décalage entre les compétences requises de l’archiviste départementales (études poussées sur le patrimoine écrit et l’histoire) et la gestion logistique de la paperasse administrative. C’est dans ces années-là que les archivistes du secteur public ont été officiellement incités à réserver dans la mesure du possible la place disponible à des archives d’intérêt historique.

Or, l’intérêt des cartes grises pour l’histoire quasi nul. Je dis « quasi » car il y a toujours quelque part quelqu’un qui voudrait utiliser ces archives pour faire, par exemple, un doctorat d’histoire sur la cartographie des femmes conduisant un 4X4 dans le dernier quart du XXe siècle (il y a pour cela d’autres sources – un bon sujet de mémoire pour un étudiant en archivistique, non ?). Ceci dit, pour la « petite » histoire, j’avais décidé de conserver dans les archives historiques la boîte contenant la 1ère carte grise de l’Essonne, « nouveau » département de la région parisienne créé officiellement en 1964 par démembrement de l’ancienne Seine-et-Oise, et doté de services administratifs en 1968 ; je m’imaginais le sourire du public en 2018 devant la carte grise « 001 AA 91 » datant de 1968 dans une exposition ou dans une publication… Sauf erreur de ma part, cette archive « futile » a été éliminée depuis.

Une autre question est celle du recours à des prestataires spécialisés pour des opérations de stockage et de logistique de documents émanant de l’administration. Il n’était pas envisagé (pas envisageable) dans ce temps-là de confier le stockage des archives administratives publiques à un tiers, davantage pour des raisons de principe (je me rappelle très bien que l’idée choquait dans les années 1980) que pour des questions de compétences du prestataire ou de sécurité. Il faudrait attendre 2009 pour que cette externalisation des archives publiques sans valeur historique soit autorisée ! Tout ne va pas si vite qu’on le dit communément.

3/ Une règle de conservation qui se cherche

L’encombrement est évidemment corrélé à la durée de conservation de ces cartes grises par l’administration. La direction des Archives de France avait diffusé le 6 août 1970 une circulaire relative à la « Conservation de certaines catégories de documents intéressant la circulation routière » visant à réduire les délais alors appliqués. Pour les cartes grises (« dossier d’immatriculation des véhicules automobiles », la durée de conservation est alors fixée à 10 ans (le texte précisant qu’au delà de 10 ans les mentions du registre d’immatriculation devraient suffire) mais, comme souvent à l’époque, la circulaire ne détaille pas les raisons du besoin ultérieur de consultation et ne mentionne aucune prescription sur le sujet.

Au cours des décennies suivantes, la réglementation a évolué à la baisse concernant les durées de conservation des dossiers d’immatriculation de véhicule, notamment avec la circulaire du 17 mars 1993 révisée par la circulaire du 30 juillet 2003: on passe de 10 à 8 ans puis à 5 ans (« en raison de la création du Fichier national des immatriculations en 1994 comme de la mise en œuvre du contrôle technique »), avec un rappel de la circulaire du 12 février 1990 réduisant cette durée à 2 ans « en cas de microfilmage des dossiers-papier ».

Le devenir du papier pour les dossiers microfilmés ou numérisés est l’objet de la circulaire du 14 janvier 2005 fait date dans la réglementation archivistique française. Détaillant les « Modalités de délivrance du visa d’élimination des documents papier transférés sur support numérique ou micrographique », elle assimile la destruction des dossiers papiers scannés ou microfilmés à une destruction d’archives publiques soumise soumise à contrôle : « L’administration qui souhaite détruire des documents papier après les avoir reproduits par numérisation ou micrographie doit donc demander le visa de l’administration des archives. »

On voit ici comment interagissent dans l’évolution de la réglementation : le volume de l’activité administrative (aspects pratiques et logistiques), les innovations techniques et technologiques de gestion et de reproduction des documents, l’impact d’autres documents qui, synthétisant les données essentielles d’une activité, retirent une certaine valeur aux documents de base (le registre de 1994), l’existence d’une copie de sécurité ou d’une copie de substitution, et les pratiques des uns et des autres.

4/ Dématérialisation

Le tournant du siècle a vu se multiplier les projets de numérisation (scan des dossiers) avant de voir se développer une « vraie » dématérialisation du processus administratif (cartes grises ou autres) avec une production nativement numérique des documents de l’administration et un scan au fil de l’eau pour les justificatifs apportés au guichet par les administrés.

En mai 2017, la norme Afnor Z42-026, dite « copie conforme » est venue labelliser la destruction des documents « originaux » après une numérisation « fidèle » grâce à un processus normalisé. Il apparaît à cette occasion que les documents engageants produits sur support papier, tant dans le secteur public que dans les entreprises privées, sont encore très nombreux, malgré le développement de la société numérique.

Le 1er novembre 2017, la gestion papier des cartes grises par l’administration cessera définitivement. Les guichets des préfectures disparaîtra totalement du paysage, du moins en production car il reste le stock papier (le flux multiplié par la durée de conservation).

Le rapprochement de ces deux événements, à six mois d’intervalle, est symptomatique de l’évolution en cours : la normalisation de la numérisation et la téléprocédure (numérique natif) se font écho pour mieux souligner le passage dans le tout numérique, du moins pour ces questions administratives.

Pour les automobilistes qui se sont pas internautes, l’arrêt de la procédure manuelle pour la délivrance des cartes grises s’accompagne d’une mesure additionnelle : les prestataires de service (garagistes, concessionnaires…) sont habilités à effectuer la démarche administrative à la place des clients (coût environ 30 €) ; c’est sans doute le prix à payer (progrès oblige) pour la mise en œuvre de cette téléprocédure, même si ce prix est supporté par ceux qui n’ont pas demandé ce progrès (par ailleurs, un déplacement jusqu’à un bureau préfectoral peut facilement coûter davantage).

Il est également rappelé aux propriétaires de véhicules qu’ils sont tenus de conserver l’ancienne carte grise pendant 5 ans sous peine d’amende. Une mesure de responsabilisation des citoyens dans la gestion de la preuve qui les concerne (avec le problème de conservation numérique pour les particuliers).

Bref, cette petite histoire archivistique des cartes grises illustre assez bien les évolutions de la gestion des archives administratives au cours des dernières décennies, ainsi que celle des services d’archives territoriaux.

Invariances archivistiques

Parler d’invariance dans ce monde qui change en permanence, est-ce bien raisonnable ?

D’autant plus que la variance ne date pas d’hier : « Souvent femme varie » dit le proverbe (comme si l’homme ne variait pas et ne changeait pas d’idée comme de chemise…° ; le paysage que l’on regarde n’est jamais le même, de même que le mur de l’internaute sur Facebook ou Linkedin qui change à chaque minute.

C’est que l’invariance ne s’applique pas aux choses et aux gens, mais aux lois de la nature telles que les savants les décrivent et les analysent. Le mot invariance appartient d’abord au vocabulaire de la physique et des mathématiques où elle caractérise des lois.

Invariance me semble donc bien adapté pour qualifier deux « lois » archivistiques que j’observe depuis des décennies maintenant.

Tout d’abord, l’invariance de la bi-fonctionnalité de l’écrit.

Depuis l’invention de l’écriture il y a cinq millénaires, son usage se répartit invariablement entre deux grands objectifs : Continuer la lecture