Dix sens du mot archive(s)

Chacun peut constater la polysémie du mot archives, entre le point de vue des informaticiens, celui des archivistes, celui des juristes, celui des historiens, celui du quotidien, entre le support papier et les données numériques, entre les exploitations historiques et artistiques de cette matière informationnelle multiforme. En marge de diverses lectures et écritures archivistiques, j’ai mis à jour la liste de ces acceptions ou significations à laquelle je me suis déjà attelée plusieurs fois à la fin du dernier siècle. Je distingue ici dix acceptions auxquelles j’accroche un qualificatif plutôt qu’un numéro.

Archives millénaires

A tout seigneur, tout honneur, je commence par les archives que je qualifie de « millénaires », c’est-à-dire celles qui existent depuis l’Antiquité, depuis l’invention de l’écriture, et dont la définition est restée assez stable au cours des siècles. Il s’agit des actes (titres, décisions, contrats) et des documents de gestion (comptabilité, état civil, cadastre…) que les responsables d’un territoire ou d’une communauté décident de mettre en sécurité dans un endroit contrôlé afin de pouvoir s’y reporter plus tard au cas où quelqu’un contesterait les droits fondés par ce document ou qu’il serait nécessaire de disposer des informations originales consignées dans ces documents. Cette mise en archives est avant toute chose une décision managériale, un geste de protection des documents qui engagent la responsabilité.

Le mot « archives » désigne d’abord le lieu où ces documents sont mis en conservation, puis l’ensemble des documents rassemblés dans ce lieu en raison de leur valeur (valeur d’archives, valeur de pouvoir si on retient l’étymologie grecque du mot archives). Un acte, individuellement, est un « document d’archives » c’est-à-dire un document qui a été sélection pour faire partie des archives, un document qui a été volontairement archivé. Le double sens de contenant (le lieu) et du contenu (les documents) a perduré jusqu’à aujourd’hui.

En anglais, depuis plus de cinq siècles, cette même réalité documentaire est appelée « records »: ce qui est pris en compte dans la définition anglaise est le geste de mettre en sécurité dans un lieu dédié (to record) tandis que la langue française a retenu le terme désignant le lieu dédié où les documents sont mis en sécurité (les archives).

Ces archives millénaires présentent trois caractéristiques:

elles ne sont pas leur propre finalité, c’est-à-dire qu’un document d’archives est initialement la trace délibérée d’un acte juridique ou d’une action humaine distinct du support d’information qu’il suscite, à savoir l’acte ou l’action dont les auteurs ou les protagonistes veulent garder la mémoire écrite, tangible, pour pouvoir s’y référer ultérieurement, à titre de preuve ou d’information; à ce titre, les archives s’opposent aux livres, objets de connaissance autonomes, produits « culturels » qui sont leur propre finalité;

  1. la forme et le support n’ont pas d’incidence sur la valeur de document d’archives mais ont une conséquence son exploitation et sa conservation (un mauvais support conduira à l’illisibilité de l’information au bout d’un certain temps; une mauvaise qualité de forme créera de l’ambiguïté lors de l’utilisation du contenu);
  2. la valeur d’archives est acquise par le document au moment de sa création-validation-acceptation, c’est-à-dire au moment où la portée du document est assumée par la personne qui le détient.

De ce point de vue, les données personnelles collectées et utilisées par les entreprises et les organisations publiques dans un cadre contractuel ou réglementaire tel que le décrit le RGPD (Règlement général pour la protection des données personnelles) sont des archives, même si le RGPD n’utilise pas le mot.

Archives historiques

L’expression « archives historiques » recouvre en partie le périmètre constitué par l’ensemble des archives au sens millénaire du terme, mais en partie seulement car, d’une part, toutes les archives ne sont pas historiques et, d’autre part, on a coutume de qualifier d’archives historiques des documents qui ne sont pas et n’ont jamais été les traces d’un acte ou d’une action consignée sciemment par écrit pour faire preuve ou faire mémoire. Ainsi, ne sont pas archives historiques les documents archivés puis délibérément détruits par leur détenteur comme inutiles au regard de ses intérêts (après dix, trente ou cent ans). Le facteur temps qui élime souvent la valeur des choses joue ici en faveur d’une réduction de l’utilité des archives.

De l’autre côté, le facteur temps réactive parfois la valeur des choses (besoin humain de mémoire individuelle et collective, ou simple tendance vintage) et joue donc également en faveur d’un élargissement du périmètre des archives historiques. Ainsi des objets d’information plus ou moins anciens et sans valeur de preuve ou de mémoire identifiée par leur auteur peuvent être retrouvés là où ils ont été abandonnés et être « repêchés » par une personne tierce qui leur accorde une valeur de connaissance ou de témoignage (prospectus, lettres, brouillons…). C’est ce que j’ai appelé les archives par baptême, par opposition aux archives par nature.

Il ne faut pas confondre les archives historiques avec les archives publiques (le code du patrimoine définit les archives publiques mais pas les archives historiques). On peut lier toutefois les deux notions à la création des Archives nationales au moment de la Révolution française, même si la patrimonialisation des archives se s’est imposée qu’au cours des décennies suivantes. En l’absence de définition légale des archives historiques (voir le billet Qu’est-ce que les archives historiques?), la qualité d’archives historiques est donc fluctuante. Sont archives historiques ce que l’on désigne comme archives historiques, c’est-à-dire ces documents, objets, etc. auxquels on accorde une valeur de mémoire individuelle et collective. La définition des archives historiques est essentiellement relative au locuteur.

Archives audiovisuelles

Les archives audiovisuelles recoupent aujourd’hui les deux premiers périmètres (traces engageantes d’une activité et documentation de mémoire sous forme audiovisuelle) mais elles visent originellement un ensemble de supports d’information non archivistiques.

En effet, l’expression « archives audiovisuelles » remonte à une cinquantaine d’années (seulement) et désigne au départ les productions du cinéma et de la télévision, soit à 95% des produits culturels destinés à être diffusé au public; ils sont leur propre finalité comme les livres et les journaux (les 5% restant étant les rushes ou les éléments préparatoires des émissions télévisées). On aurait aussi bien pu appeler cet ensemble « publications audiovisuelles » et si le terme archives l’a spontanément emporté, c’est sans doute à cause du caractère unique (ou du très petit nombre d’exemplaires) d’un film ou d’une émission (comme dans le cas des archives traditionnelles), alors que les journaux et les livres sont produits (dans l’environnement analogique du moins) en des milliers d’exemplaires (voir le dossier de l’INA de 2014 à ce sujet: L’extension des usages de l’archive audiovisuelle).

L’expression a été « récupérée » un temps par le vocabulaire archivistique pour désigner non seulement les images animées mais également les images fixes, ce que les archivistes appellent aussi les documents figurés (cartes postales, estampes, affiches…) mais si cette acception n’est plus vraiment usitée.

Avec le développement des technologies numériques, les producteurs d’archives audiovisuelles se sont multipliés incluant de très nombreux « éditeurs de contenus Web », à des fins de production culturelle mais aussi dans l’exercice d’une activité économique, de recherche, de formation, de soins, etc., de sorte que le sens de l’expression s’est élargi à toutes les archives (au sens millénaire) sous forme de vidéo.

Le poids de la forme et du support reste très fort dans cette notion d’archives audiovisuelles et il est parfois difficile (et peut-être inutile du reste) de distinguer les différentes acceptions. Par exemple, quand on parle des archives audiovisuelles de la Justice pour désigner l’enregistrement audiovisuel des grands procès, les sens de trace d’une activité administrative (dont le but est le jugement et non le film) et de publication officielle sont mêlés.

Archives poussiéreuses

L’image des archives, dans le quotidien des bureaux, a légèrement progressé, du fait de l’évangélisation réalisée inlassablement par les archivistes, du fait aussi de la diversification des acteurs de l’archivage dans l’environnement numérique.

Cependant, dans la langue courante, les archives ont encore une connotation poussiéreuse ou du moins vieillotte, laquelle n’est d’ailleurs pas toujours négative (voir la formule « J’adore les vieilles pierres »). Par ailleurs, l’âge inspire (quelquefois) le respect, la déférence, et on note dans d’emploi du mot archives une connotation d’authenticité, de confiance.

Tout de même, sur ce sujet, il est intéressant de noter que l’association archives-vieux trucs est en partie véhiculée par certains archivistes eux-mêmes qui, dénonçant cette expression pour se défendre de cette image de poussière dont ils sont convaincus qu’elle leur colle à la peau, l’entretiennent au contraire, ou bien qui se complaisent (consciemment ou pas?) à utiliser des mots tels que ménage ou dépoussiérage pour parler de leurs activités.

Archive unitaire

Parler d’archive, au singulier, était encore une hérésie il y a vingt ans (j’ai toujours en mémoire la lettre d’insulte que j’ai reçue d’un lecteur en 2000, via mon éditeur, Hermès-Lavoisier, pour avoir osé titrer mon livre « Le management de l’archive », avec ce singulier inhabituel, proscrit par l’Académie et du coup provocateur. On m’a encore qualifiée très récemment de « dame qui parle d’archive au singulier ». Eh bien!

En vingt ans, l’eau a bien coulé sous les ponts de Paris et tout le monde, archivistes et académiciens compris, s’est mis à cette singularité. On dit couramment « une archive » pour désigner « un document d’archives » et plus personne ne songe à s’en offusquer.

Qu’est-ce qui a provoqué cette évolution? Plusieurs facteurs vraisemblablement: l’influence de l’anglais où le singulier archive est répandu (avec d’autres sens, voir ci-dessous); l’émiettement de l’information dans l’environnement numérique, la démocratisation des archives (plus de producteurs, plus d’utilisateurs, plus de documents à valeur d’archives) et le fait que les gens, archivistes et académiciens compris, sont de plus en plus pressés et préfèrent un mot de deux syllabes à une expression de cinq…

Archive informatique

Dans les années 1990, la profession archivistique a utilisé un temps l’expression « archives informatiques » pour désigner ce que l’on a appelé « archives électroniques » dix ans plus tard, avant que les « archives numériques » ne prennent le relais. Mais ce n’est pas de cette expression (où l’acception du mot archives n’est pas nouvelle) dont je veux parler ici.

Loin de l’archivage managérial (records management), de l’histoire et des médias, le mot archives a un sens particulier dans le vocabulaire informatique, sous l’influence de l’anglais technique. Je cite Wikipédia: « En informatique, une archive est un fichier dans lequel se trouve tout le contenu d’un dossier (fichiers, arborescence et droits d’accès). Les archives sont généralement des fichiers portant l’extension .tar (format UNIX) ou .zip (sous windows) et ceux-ci sont également souvent compressés. Le but principal d’une archive est de transporter tout un dossier en un seul fichier. De plus, cela permet de profiter de la redondance entre les fichiers lors de la compression ».

Ce sens ne relève pas de l’archivistique (est-ce que je me trompe?).

Archive plateforme

Toujours sous l’influence anglo-saxonne et dans l’environnement numérique, on rencontre le terme archive au singulier pour désigner un centre d’archives (avec les données, les équipements pour les gérer et même le personnel) ou encore une plateforme regroupant des collections de fichiers (données, documents, publications, images) collectés et mis à disposition d’un public intéressé. C’est ainsi que la norme ISO 14721 (modèle de référence pour un Système ouvert d’archivage d’information) parle d’archive OAIS (systèmes et personnes). C’est le cas également de l’archive ouverte HAL pour les articles scientifiques. On peut citer aussi, en anglais la plateforme Internet Archive.

L’archive-concept

L’intégration du geste d’archiver ou de l’objet-archive à la réflexion philosophique ou sociologique s’observe chez un certain nombre d’auteurs mais on peut dire que l’archive, toujours au singulier, a été institutionnalisée comme concept philosophique d’abord par Michel Foucault dans L’Archéologie du savoir (1969) puis par Jacques Derrida dans son livre Mal d’archive: une impression freudienne (1995), essai issu d’une conférence intitulée « The Concept of the Archive: A Freudian Impression », et traduit en anglais sous le titre Archive fever….[la conférence a certainement eu lieu un samedi soir 😊]

Derrida interroge l’étymologie du mot, son genre et son nombre au fil des siècles, ses significations, entre le commencement et le commandement, l’objet et sa localisation, la consignation et l’accès, etc.

J’aime à citer cette phrase de Derrida: « La question de l’archive n’est pas une question du passé. […] C’est une question d’avenir, la question de l’avenir même, la question d’une réponse, d’une promesse, d’une responsabilité pour demain ». J’aime particulièrement les derniers mots: « une responsabilité pour demain.

Les archives naturelles

Un autre sens d’archives, au pluriel cette fois, est le sens figuré: au sens propre, les archives sont des documents, des objets documentaires, des assets informationnels, des données, etc. c’est-à-dire des (sous-)produits de l’activité humaine, au moyen de l’écriture d’abord mais aussi de l’image, des chiffres, des signaux; au sens figuré, archives désigne donc des traces non écrites, non issues de l’activité humaine. Le sens est alors celui de traces créées en dehors l’esprit et de la main des hommes et que l’on peut cependant considérer comme des documents (voir Suzanne Briet, Qu’est-ce qu’un document?) et donc interroger et interpréter. C’est pourquoi je les appelle « naturelles »: ce sont les archives du climat, les archives de la terre, les archives du corps, qu’il faut bien entendre comme les traces laissées par le temps qui passe, décrites et traitées en tant que sources de connaissance, et non comme collections thématiques d’archives traditionnelles ou audiovisuelles sur le climat, la terre, le corps.

Archives engagées

Après avoir commencé par les archives « millénaires », documents de preuve et de mémoire qui engagent la responsabilité de celui qui les crée ou les reçoit mais surtout qui assume les conséquences de leur bonne ou mauvaise gestion – les documents engageants donc (records en anglais) – ,  je termine cette énumération, avec un clin d’œil, par les archives « engagées ».

J’entends par là des objets documentaires qui sont le sous-produit (by-product) d’une activité économique, commerciale, artistique… mais d’abord militante, et qui sont en même temps leur propre finalité. Je pense aux archives de communautés, d’associations, d’artistes, constituées de documents écrits, photographiques ou audiovisuels, délibérément collectés ou créés pour agir, pour revendiquer, pour témoigner, pour faire connaître. Des archives qui sont à la fois des archives par nature et des archives par destination, appréhendées comme un instrument proactif immédiat et non comme une trace défensive différée.

C’est une catégorie nouvelle, une notion et une expression qui mériteraient une étude plus approfondie.

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Si vous avez un onzième sens, n’hésitez pas…

PS: Quant au mot archivage, j’en ai analysé six acceptions différentes sur la base d’un corpus d’articles tirés du journal le Monde: l’analyse est sur mon blog.

Définitions d’archivistique

En préparant mon intervention au prochain colloque du GIRA (Groupe interdisciplinaire de recherche en archivistique) le 30 novembre 2018 à Montréal, sur le thème « État, conditions et diffusion de la recherche en archivistique », j’ai « révisé » les définitions du mot archivistique (archival science en anglais).

Voici, à toutes fins utiles, la liste de ces définitions, dans l’ordre de longueur des définitions (la source est mentionnée à la suite de la définition).

Science des archives.

Dictionnaire Larousse

Science de la gestion des archives.

Direction des Archives de France, Pratique archivistique française (1993)

A systematic body of knowledge that supports the practice of appraising, acquiring, authenticating, preserving, and providing access to recorded materials.

Pearce-Moses, Richard. A Glossary of Archival and Records Terminology. Chicago: Society of American Archivists, 2005, repris par InterPares

Science qui étudie les principes et les méthodes appliquées à la collecte, au traitement, à la conservation, à la communication et à la mise en valeur des documents.

Direction des Archives de France, Dictionnaire de terminologie, 2002

Archival science, or archival studies, is the study and theory of building and curating archives, which are collections of documents, recordings and data storage devices.

Wikipedia anglais

Discipline universitaire traitant des modes de collecte, d’analyse et de description, de tri et de classement, de conservation matérielle et de mise en valeur des archives.

Marie-Anne Chabin, Nouveau glossaire de l’archivage, mars 2010

XXe siècle. Dérivé d’archiviste. Ensemble des principes théoriques et des règles pratiques applicables à la collecte, à la conservation, au classement, à l’inventaire, à la communication et à l’utilisation des archives.

Dictionnaire de l’Académie française (9e édition)

L’archivistique est la discipline relative aux principes et aux techniques relatifs à la gestion des archives. Elle relève à la fois des sciences auxiliaires de l’histoire et des sciences de l’information et des bibliothèques.

Wikipédia

Discipline qui recouvre les principes et les techniques régissant la création, l’évaluation, l’accroissement (l’acquisition), la classification, la description, l’indexation, la diffusion et la préservation des archives.

Université de Montréal, École de bibliothéconomie et des sciences de l’information, “Terminologie archivistique de base proposé aux étudiants,” 1999

Science qui étudie les principes et les procédés méthodiques employés à la conservation des documents d’archives permettant d’assurer la présentation des droits, des intérêts, des savoir-faire et de la mémoire des personnes morales et physiques.

Dictionnaire des archives: de l’archivage aux systèmes d’information; Afnor-Ecole des chartes, 1992

Archival science is an academic and applied discipline that involves the scientific stydy of process-bound information, both as a product and as agent of human thoughts, emotion, and activities, in its various contexts. Its field of study encompasses personal documents, records, and archives of communities, government agencies, and other formal organizations, and archival materials in general, whether or not kept by archival institutions units, or programs. It covers both the records themselves and their contexts of creation, management, and use, and their sociocultural context. Its central questions are why, how, and under what circumstances human beings create, keep, change, preserve, or destroy records, and what meanings they may individually or jointly attribute to records and to their recordkeeping and archival operations.

Encyclopedia of archival science, sous la direction de Luciana Duranti et Patricia C Franks, Rowman & Littlefield, 2015

A noter que le « petit glossaire » du site de l’Association des Archivistes Français ne comporte pas d’entrée « archivistique ».

Il n’y a pas non plus d’entrée « archivistique » dans l’index du Manuel d’archivistique de la Direction des Archives de France, publié en 1970, et cet ouvrage ne comporte pas de glossaire.

Je termine par quelques explications données par Michel Duchein dans l’introduction de la Pratique archivistique française (1993)

« Le grand développement de l’archivistique comme science est surtout un phénomène postérieur à la seconde guerre mondiale. La cause en est, évidemment, le bouleversement apporté aux pratiques traditionnelles de la gestion des archives par les conditions nouvelles nées du développement des technologies, de l’accroissement vertigineux de la production documentaire des administrations et de l’émergence des nouvelles nations pour lesquelles le problème des archives se posait en terme très différents de ceux des pays européens ».

« Le mot archivistique est de création relativement récente. Comme adjectif (signifiant « relatif aux archives ») il remonte, en France, aux années 1950. Comme substantif (« science de la gestion des archives ») il a été utilisé en Italie en 1928 par Eugenio Casanova mais on ne le voit guère en France avant la seconde guerre mondiale. L’Académie française ne l’a introduit dans son dictionnaire qu’en 1987″.

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Si vous connaissez d’autres définitions, n’hésitez pas à m’en informer.

Différence entre numérisation et dématérialisation

Une jeune collègue me demande la différence entre les deux mots numérisation et dématérialisation. Je lui réponds ici d’autant plus volontiers que j’ai exposé maintes fois ces concepts dans mes cours.

La définition des mots n’est jamais simple et toujours évolutive.

Quand on cherche la définition d’un terme, le premier geste est logiquement de consulter un dictionnaire de langue ou un glossaire du domaine concerné. Cependant, si l’étymologie et l’analyse a posteriori de l’emploi de tel ou tel mot dans la littérature est peu contestable, les définitions proposées par les ouvrages ou documents de références existants ne donnent pas toujours satisfaction, pour différentes raisons : désuétude par rapport à l’évolution du concept et aux nouveaux usages, formulation linguistiquement ambiguë, vision partielle (assumée ou non), énoncé partial.

La numérisation

La numérisation est l’opération technique qui consiste à transférer le contenu et les caractéristiques formelles d’un document sur support papier ou film vers un support numérique. Cette opération se fait en général par le biais d’un scanner qui restitue une image point par point du document d’origine, en noir et blanc ou en couleur. Une autre technique de numérisation, moins fréquente et qui concerne surtout les plans, est la vectorisation qui base la transposition sur le calcul des coordonnées de chaque trait du dessin, permettant ainsi, lors de l’agrandissement de l’image, d’avoir toujours une définition parfaite, alors que l’image issue du scan perd de la netteté au fur et à mesure que l’on zoome (sauf en cas de haute définition).

Dans le langage courant, numériser équivaut à scanner. Le format le plus courant est le PDF mais il existe d’autres formats de données, notamment le TIFF (dans l’éditique par exemple) et le format image JPEG.

Se greffent ensuite sur le scan diverses technologies de traitement de l’image. La plus significative est la reconnaissance de caractères (OCR) qui retransforme l’image d’un texte en mots pour faciliter la recherche d’information et l’indexation.

La numérisation de documents papier ou film pose la question du retour sur investissement de l’opération qui peut se trouver :

  • dans une plus grande rapidité de traitement d’une l’information partagée ou d’accès à l’information dès lors qu’elle est en ligne et non plus dans des archives papier éloignées ;
  • ou bien dans le fait que l’état du support initial était tellement dégradé que la numérisation était le seul moyen de le préserver (cas de vidéos analogiques par exemple) ;
  • ou bien encore dans le gain du stockage papier (dans le cas où les documents papier sont détruits après scan) ; malheureusement, le devenir des papiers numérisés n’est pas toujours pris en compte au début de l’opération, ceci conduisant parfois à des incohérences.

Il y a une dizaine d’années, j’ai décrit la numérisation comme un épiphénomène dans l’histoire des techniques et des technologies, un procédé utilisé pendant trois décennies environ, entre les années 1980 et les années 2010. Je le pense toujours.

En effet, la numérisation s’oppose en quelque sorte à la production native de documents numériques, c’est-à-dire sans passer par la case papier. Alors que l’écrit électronique est reconnu par le droit européen depuis 1999, il faudra bien cesser un jour de fabriquer des documents papier pour les scanner, sans parler d’imprimer ensuite les scans…

La dématérialisation

Face au procédé technique de numérisation qui vise un stock ou un flux de documents, le terme dématérialisation est assez général, assez large et surtout ambigu, avec des définitions conceptuelles ou globales (voir plus loin un échantillon de définitions).

« La dématérialisation consiste à substituer à un produit physique existant, un produit n’ayant aucune existence physique ou un service » écrit Gilles de Chezelles dans son livre La dématérialisation des échanges (Hermes Science Publishing, Lavoisier, 2007). Autre explication (sur le site http://www.infogreffe.fr) : « La dématérialisation a pour objet de gérer de façon totalement électronique des données ou des documents métier (correspondances, contrats, factures, brochures, contenus techniques, supports administratifs,…) qui transitent dans les entreprises et/ou dans le cadre d’échanges avec des partenaires (administrations, clients, fournisseurs). »

La dématérialisation peut donc inclure (et inclut souvent dans le langage des utilisateurs) la numérisation mais peut aussi exclure tout lien avec un support analogique et ne manipuler que des données.

À vrai dire, je n’aime pas le mot dématérialisation. En exagérant à peine, je l’accuserais même d’avoir depuis vingt ans, paradoxalement, freiné le passage de la société au numérique dont tout le monde parle et qui va bien finir par arriver.

En effet, l’utilisation à tout va du mot « dématérialisation » pour désigner tantôt la numérisation de stocks de papier, tantôt une révision de processus pour une production numérique native des traces et des informations (soit deux démarches bien différentes dans le fonctionnement d’une organisation) est perverse. Elle est perverse car elle est anti-pédagogique : non seulement, elle n’aide pas l’utilisateur à bien distinguer les deux actions dont l’une (le numérique natif) a plus d’avenir que l’autre (le scan), mais encore elle ralentit les projets de production numérique en mobilisant certaines organisations sur des projets de scan à court terme, voire elle favorise le maintien de la production de « papier à scanner » au sein d’un cercle vicieux.

La « vraie dématérialisation » est évidemment celle du cercle vertueux qui conduit à penser numérique, à mieux comprendre les technologies numériques pour mieux les utiliser comme support ou vecteur de l’information, plutôt que continuer à « penser papier » et à tordre la technologie pour qu’elle s’adapte à cette pensée, ce qui est d’une certaine manière contre-nature (à supposer que la technologie ait une nature…) ou qui, du moins, ne va pas dans le sens de l’histoire.

Autrement dit, la « vraie dématérialisation » est la dématérialisation des processus.

Digitalisation est un anglicisme qui est employé aussi bien pour numérisation que pour dématérialisation, ce qui entretient un peu plus la confusion…

En résumé, et indépendamment des mots, il convient de faire la différence entre, d’une part, l’action de transformer un objet analogique en objet numérique et, d’autre part, la démarche de concevoir un système fiable de production, diffusion et conservation de documents (au sens large d’objets d’information qui supportent un contenu qui informe sur un fait ou une idée) nativement numériques.

Annexe. Quelques définitions de dématérialisation

Wikipédia, début de l’article Dématérialisation

La dématérialisation est le remplacement dans une entreprise ou une organisation de ses supports d’informations matériels (souvent en papier) par des fichiers informatiques et des ordinateurs. On parle aussi d’informatisation ou de numérisation car la substitution du papier par l’électronique n’est jamais complète (voir la section « Aspects environnementaux »), la création d’un « bureau sans papier » ou « zéro papier » étant encore une utopie.

Nouveau glossaire de l’archivage, Marie-Anne Chabin (2010)

Dématérialisation / Electronic data processing : Opération visant à ce que les documents gérés aujourd’hui sous forme papier le soit demain sous forme électronique, soit par le biais d’une opération de numérisation, soit par la révision des processus de production et de gestion de l’information.

Vade-mecum juridique de la dématérialisation des documents (FNTC), 7e édition (2015)

L’introduction commence par ces mots : « La dématérialisation des documents et des échanges se généralise pour tous les domaines de la vie des entreprises, des autorités administratives et des citoyens : contrats commerciaux et de consommation, documents des entreprises (factures, bulletins de paie, documents RH, …), coffres forts électroniques,  marchés publics, TVA, impôt sur le revenu, documents douaniers, téléservices, en passant par le vote dans les assemblées générales d’actionnaires ou les élections des instances représentatives du personnel (IRP). »

Il est précisé plus loin : « Si l’on s’interroge sur la notion de dématérialisation, elle consiste en la transformation d’un document ou d’un flux de documents papiers, ainsi que les traitements qui lui sont appliqués, en document, flux et traitements numériques. Pour atteindre cet objectif, la dématérialisation cherche à conserver en électronique une valeur juridique équivalente aux documents papier, quels que soient leur support et leur moyen de transmission, ainsi que leurs modalités d’archivage. »

Normes NF Z42-013 et NF Z42-026

L’introduction de la future nouvelle norme NF Z42-026 (« Définition et spécifications des prestations de numérisation fidèle de documents sur support papier et contrôle de ces prestations », 2017) débute par : « Aujourd’hui, de plus en plus d’applications de dématérialisation de processus administratifs ou de mises à disposition de documents via Internet sont utilisées. Une part non négligeable de ces applications repose sur des opérations de numérisation pour convertir des documents sur support papier en documents numériques et produire ainsi des copies électroniques. » mais le mot n’est pas défini.

À noter que le mot « dématérialisation » n’apparaît pas une seule fois dans la norme NF Z42-013 (Spécifications relatives à la conception et à l’exploitation de systèmes informatiques en vue d’assurer la conservation et l’intégrité des documents stockés dans ces systèmes).

Qu’est-ce qu’un document d’archives ?

Récemment, dans un réseau social, réagissant à un post de Benjamin Suc sur les fonds d’archives audiovisuelles, une jeune juriste exprimait sa gêne face à l’expression « document d’archives » dans la discipline archivistique, et son choix de ne pas l’utiliser. Ceci est assez surprenant. Il est vrai que, avec la dérégulation de la terminologie archivistique ces dernières années, on peut comprendre que certaines personnes soient déroutées. Une bonne occasion, finalement, de revenir sur cette expression et son sens.

Le singulier du mot archives

Le Dictionnaire des archives, français-anglais-allemand : de l’archivage aux systèmes d’information, publié en 1991 par l’AFNOR et l’École nationale des chartes, donne pour « document d’archives » la définition suivante : « Écrit ou enregistrement qui par lui-même ou par son support a une valeur probatoire ou informative. Singulier du mot archives ». Cette dernière expression (singulier du mot archives), aussi concise que percutante, a été proposée à l’époque par Marie-Claude Delmas qui, avec Hervé L’Huillier et moi-même, constituait le groupe de travail de préparation du dictionnaire, sous l’égide de Bruno Delmas. Près de trente ans plus tard, je la trouve toujours excellente et peut-être plus importante que naguère dans un monde qui ne cesse de se focaliser sur l’élément d’information décontextualisé au détriment du groupe, de l’ensemble cohérent, autrement dit du fonds.

Revenons à chacun des deux termes de l’expression : document et archives. Continuer la lecture

What is a record? en 9 points

1/ For decades, on a regular bases, there are discussions about this question among professionals and some neophytes, people wondering which kind of thing a record is. And there is, since fifteen years, a ready-made answer with the official definition in ISO standard 15289: “information created, received, and maintained as evidence and information by an organization or person, in pursuance of legal obligations or in the transaction of business”. Continuer la lecture

Les archives courantes, une expression logistique, confuse et contre-productive

Publié par Marie-Anne Chabin, 27 juin 2013

Ce billet entend mettre en évidence le flou archivistique (qui n’a rien d’artistique) qu’alimente depuis quelques décennies cette expression bien française d’archives courantes. Il y a déjà longtemps (notamment dans Archiver, et après ? en 2007) que je dénonce les confusions, dans les discours et sur le terrain, imputables aux « archives courantes ». Ces deux mots, ensemble mais aussi séparément hélas, désignent une réalité aux contours incertains et finissent pas décrédibiliser ceux qui les emploient. C’est pourquoi je ne les emploie plus depuis belle lurette, sauf ici, justement, pour expliquer mon point de vue.

Partant des définitions officielles, des emplois constatés de l’expression, de mes observations au cours de ma carrière, et bien sûr la théorie des trois âges et sa modification, je vais tenter de décortiquer l’expression face aux exigences d’archivage des entreprises et de l’administration aujourd’hui.

Une notion officielle qui tend vers la logistique

Les archives courantes figurent dans les glossaires archivistiques mais pas dans la loi française. Il faut le rappeler. Dans la loi sur les archives du 3 janvier 1979 comme dans celle du 15 juillet Continuer la lecture

Qu’est-ce que les archives historiques? Définitions et théorie des quatre-quarts

Publié par Marie-Anne Chabin, 24 avril 2013

Il n’existe pas de définition légale des archives historiques

La loi française définit les archives comme « l’ensemble des documents, quels que soient leur date, leur lieu de conservation, leur forme et leur support, produits ou reçus par toute personne physique ou morale et par tout service ou organisme public ou privé dans l’exercice de leur activité » (code du patrimoine , article L211).

La loi ne définit pas les archives historiques mais laisse entendre ce qu’elles sont dans les derniers mots de l’alinéa qui suit la définition : Continuer la lecture